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et cela au détriment de ses intérêts. C'est possible; mais si la volonté nationale n'est pas un vain mot, il faut précisément qu'elle puisse, quand elle le veut, changer du tout au tout de direction politique. En vérité, nous admirons les publicistes, les juristes, les hommes politiques, qui proclament solennellement le principe de la volonté nationale et qui cherchent tous les moyens de la bâillonner. Le système du renouvellement partiel n'a pas d'autre but. Avec un pareil système le pays n'est jamais appelé à exprimer sa volonté. On a dit que si l'on établissait en France le renouvellement partiel pour la chambre, le droit de dissolution du président de la république serait forcément fréquemment appliqué, « parce qu'il servirait à provoquer de grandes consultations nationales indispensables dans cette forme de gouvernement » (Esmein, loc. cit., p. 757). Donc le renouvellement partiel n'est pas une consultation nationale. Singulier régime démocratique et représentatif où l'organe essentiel de représentation ne serait pas le produit d'une consultation nationale!

Mais, dit-on, la vérité ne serait-elle pas dans une distinction entre les deux chambres? La chambre dite chambre basse, élue par le suffrage direct, renouvelée intégralement, et la chambre dite chambre haute, renouvelée partiellement. C'est le système suivi en France, où la chambre des députés est renouvelée intégralement tous les quatre ans et le sénat par tiers tous les trois ans. M. Esmein (p. 756) approuve ce système et nous reproche d'avoir écrit que : « des deux systèmes l'un est le meilleur et qu'il n'y a pas de raison pour ne l'appliquer qu'à une chambre ». D'après lui, la chambre des députés légifère et renverse les ministères; elle doit être renouvelée intégralement; le sénat légifère, exerce un rôle pondérateur; il représente la continuité des traditions politiques; il ne peut renverser le ministère; il doit être renouvelé partiellement. D'abord il n'est point certain que d'après la constitution française le sénat ne puisse pas renverser le ministère (cf. § 145). D'autre part nous voulons bien que le sénat doive représenter la continuité des traditions politiques; ce qui lui permettra de jouer ce rôle, ce n'est point d'être renouvelé partiellement, mais bien de représenter les éléments permanents de la nation; le système du renouvellement partiel du sénat depuis 1875 n'a eu qu'un seul effet, amoindrir la force de cette assemblée au profit de la chambre des députés.

L'expérience antérieure vient confirmer ce que nous disons là. La constitution de l'an III établissait le renouvellement chaque année par tiers du conseil des anciens et du conseil des cinq-cents (art. 53). M. Esmein dit très justement « que le renouvellement annuel et par tiers des deux conseils fut... sùrement une des causes qui empêchèrent le bon fonctionnement de la constitution de l'an III » (loc. cit., p. 757 note 2). La Charte de 1814 avait établi le renouvellement annuel et par cinquième de la chambre des députés (art. 37). Les inconvénients nombreux que présentait ce système amenė rent le vote de la loi du 29 juin 1824, établissant le renouvellement intégral et septennal de la chambre des députés.

Les expériences antérieures ne paraissent pas avoir éclairé nos hommes politiques d'aujourd'hui. En effet la commission du suffrage universel de la chambre précédente a présenté un projet de loi établissant le scrutin de liste et la représentation proportionnelle et contenant un article ainsi conçu: «La chambre se renouvelle par moitié tous les trois ans... » (J. off., doc. part., 1905, sess. ord., p. 482).

58. Les gouvernements monarchiques. - Nous employons ici le mot gouvernement pour désigner ce que très souvent on appelle le pouvoir exécutif. Cette dernière expression prête à beaucoup de confusions, comme l'expression correspondante de pouvoir législatif. Le mot gouvernement est lui-même employé dans deux sens différents. Nous avons désigné par le mot gouvernement l'ensemble des organes directeurs de l'Etat (cf. § 48). En parlant ici du gouvernement, nous avons en vue cet organe que, dans la langue politique moderne, on oppose au parlement, qui est placé à côté de lui, au sommet de l'Etat, le plus souvent sous son contrôle, et qui joue particulièrement le rôle actif dans la direction des affaires publiques. Le gouvernement n'est pas toujours un pouvoir au sens vrai du mot; il ne l'a peut-être jamais été, et en tout cas il l'est de moins en moins. En outre cette expression pouvoir exécutif semble indiquer qu'il y a une fonction exécutive; or nous croyons avoir établi qu'il n'y en a point (cf. § 47). Enfin l'expression pouvoir exécutif semble impliquer que le gouvernement a toutes les attributions qu'on qualifie communément d'exécutives et a seulement celles-là; or, ce n'est point

exact, car le gouvernement n'a point toutes les fonctions qualifiées d'exécutives, et il a certaines fonctions qui certainement ne sont pas exécutives. Bref, parler du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, c'est prendre parti sur l'existence, le sens et la portée de la séparation des pouvoirs. Nous nous sommes expliqué à cet égard (cf. §§ 54, 55).

La structure, les caractères du gouvernement proprement dit sont assez variables. Cependant sa forme habituelle est celle-ci : un individu est titulaire de toutes les attributions qui appartiennent au gouvernement; il a des collaborateurs, des subordonnés appelés ministres, dont le rôle politique est variable, et qui ont surtout un rôle important lorsque le gouvernement est parlementaire (cf. infra, § 61). Ainsi le plus habituellement le gouvernement a une structure unitaire; ce haut personnage qui personnifie le gouvernement est le chef de l'Etat. Plus rarement, la structure du gouvernement est collective. Il en a été ainsi en France sous le Directoire et il en est ainsi aujourd'hui en Suisse.

Les chefs d'Etat personnifiant le gouvernement sont, dans la plupart des pays européens, héréditaires; d'après l'expression consacrée, les gouvernements sont, en général, monarchiques. Nous ne voyons pas, en effet, d'autre différence possible entre la monarchie et la république que celle-ci : la monarchie est la forme de gouvernement dans laquelle il y a un chef d'Etat héréditaire; la république celle où il n'y a pas de chef d'Etat, ou celle dans laquelle le chef de l'Etat n'est pas héréditaire.

Ne pourrait-on pas dire que la république n'est pas incompatible en soi avec l'existence d'un chef d'Etat héréditaire, puisque l'art. 1 du sénatus-consulte du 28 floréal an XII porte : « Le gouvernement de la république est confié à un empereur qui prend le titre d'empereur des Français », et que ce mème sénatus-consulte établit et réglemente « l'hérédité de la dignité impériale »? Ce texte est une disposition de circonstance; cette formule fut employée pour éviter de blesser une partie de l'opinion publique encore profondé

ment attachée en 1804 à la forme républicaine et hostile à toute monarchie. Mais la contradiction était certaine; les fails furent plus forts que les formules; et quelques mois à peine après le sénatus-consulte de floréal, il n'était plus question de république.

Certains auteurs, et notamment M. Jellinek (Allgemeine Staatslehre, 2e éd., 1905, p. 644 et suiv.), repoussent la distinction que nous faisons entre la monarchie et la république, et estiment qu'abstraction faite de l'hérédité et de l'élection, il y a république quand l'organe suprême de l'Etat est composé de plusieurs personnes, et monarchie quand cet organe suprême est constitué par une seule personne; d'après cet auteur, l'organe suprême d'un Etat est celui qui donne l'impulsion à l'Etat, celui dont l'inactivité entraînerait en quelque sorte la mort de l'Etat. C'est en comprenant ainsi la monarchie qu'on parle de monarchie élective, par exemple, de l'ancienne monarchie élective de Pologne, de la monarchie élective du Saint-Empire romain, et de la monarchie élective existant en Bulgarie depuis le traité de Berlin de 1878, le prince régnant ayant été élu, et l'hérédité de ses pouvoirs n'ayant point été encore officiellement reconnue. - A tout prendre, il y a surtout une question de terminologie. Mais cependant le criterium proposé par M. Jellinek nous paraît bien incertain, parce qu'il est toujours difficile, parfois impossible d'arriver à déterminer quel est l'organe suprême de l'Etat dans le sens où il l'entend. Ainsi, par exemple, M. Jellinek soutient que l'organe suprême du gouvernement anglais est le roi et que c'est pour cela que l'Angleterre est une monarchie; mais on pourrait soutenir, avec tout autant de raison, que l'organe suprême de l'Etat anglais est la chambre des communes, el que par conséquent l'Angleterre est une république. Le savant professeur enseigne que la France est une république parce que l'organe suprême est dans notre pays le parlement. Mais l'activité du président de la république est aussi nécessaire à la vie de l'Etat que celle du parlement; on pourrait done dire tout aussi bien que la France est une monarchie. Enfin M. Jellinek déclare que l'organe suprême de l'empire allemand est le Bundesrath (conseil fédéral) et aboutit à cette conclusion tout au moins paradoxale que l'empire allemand est théoriquement une république.

La monarchie peut être despotique, absolue ou limitée.

La monarchie despotique et la monarchie absolue ont cela de commun que le monarque réunit tous les pouvoirs et que sa puissance n'est point limitée par la présence à côté de lui d'un autre organe, par la présence d'un parlement. Montesquieu a parfaitement indiqué la différence entre la monarchie despotique et la monarchie absolue. Seulement il appelle simple

ment monarchie ce que nous appelons monarchie absolue. « Le gouvernement monarchique, dit-il, est celui où un seul gouverne, mais par des lois fixes et établies, au lieu que dans le despotique, un seul sans loi et sans règle entraîne tout par sa volonté et ses caprices» (Esprit des lois, liv. II, chap. 1). Ainsi en effet, dans la monarchie absolue, le monarqne fait la loi; mais il est lié par la loi qu'il fait lui-même. Dans la despotie, le chef commande sans être lié par aucune règle générale préétablie. I importe de noter d'ailleurs que si l'on parle de l'absolutisme et du despotisme en parlant de la monarchie, c'est parce que dans l'histoire, ce sont les monarchies qui se sont présentées le plus souvent avec ces caractères. Mais tout gouvernement peut être despotique ou absolu, un gouvernement républicain comme un gouvernement monarchique. Il y a donc despotisme toutes les fois qu'un gouvernement, composé d'un seul ou de plusieurs, commande sans être limité par des lois préétablies; il y a absolutisme toutes les fois qu'il n'y a qu'un seul organe de gouvernement réunissant en lui tous les pouvoirs, mais se considérant comme limité par les règles générales, préétablies par lui-même.

La monarchie peut être despotique ou absolue quelle que soit son origine. Souvent les monarques absolus se sont présentés comme investis de leur pouvoir par la divinité elle-même. L'empereur de Russie, empereur absolu jusqu'aux réformes de 1905-1906, était en même temps chef de la religion orthodoxe. Les rois de France du XVIIe et du XVIe siècle rattachaient leur pouvoir absolu à une délégation divine (cf. § 10). Mais le principe de la souveraineté originaire du peuple n'exclut point forcément l'absolutisme, même le despotisme monarchique. Le despotisme politique n'a pas eu de défenseur plus logique et plus énergique que l'anglais Hobbes, qui affirmait l'existence du contrat social et de la souveraineté originaire du peuple, mais qu'il n'y avait de société

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