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d'un parlement élu, quelque limités que soient ses pouvoirs, constitue cependant au profit des gouvernés une garantie dont il ne faut pas méconnaître l'importance, et parfois un pareil régime a conduit, par la force des choses, à l'établissement d'un véritable système parlementaire.

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Cette conception d'un chef d'Etat concentrant en lui tous les pouvoirs, acceptant volontairement la nomination d'un parlement élu en tout ou en partie, qui participera avec lui à la confection des lois, a été celle de la Charte de 1814. Le roi de France monte sur le trône en vertu de son droit héréditaire et divin; la continuité monarchique n'a pas été interrompue en droit; il y a eu seulement des usurpateurs de fait. Il accorde, il octroie « volontairement et par le libre exercice de son autorité royale », une charte qui va régler les formes du gouvernement du roi », « qui est le chef suprême de l'Etat »; seule « la puissance législative s'exerce collectivement par le roi, la chambre des pairs et la chambre des députés »; le roi a seul l'initiative; la loi n'existe que par sa sanction; toutes les autres fonctions politiques sont exercées par le roi seul. V. particulièrement art. 13 et suiv. de la Charte de 1814. - Cons. Bonnefon, Histoire du gouvernement parlementaire sous la Restauration, 1905; Barthélemy, Introduction du gouvernement parlementaire, 1904. Sous l'action de circonstances que nous n'avons pas à étudier ici, et qui ont été très bien décrites par les auteurs que l'on vient de citer et aussi par M. Duvergier de Hauranne, dans son grand ouvrage, malheureusement inachevé, l'Histoire du gouvernement parlementaire, le régime politique de la Charte de 1814, qui pouvait être le prélude du retour à la monarchie absolue, prépare au contraire l'établissement en France du régime parlementaire complet, fondé sur l'égalité de pouvoir du parlement et du gouvernement, sur leur collaboration constante et sur leur action réciproque.

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Napoléon er et Napoléon III l'un et l'autre ont affirmé qu'ils étaient investis d'un mandat par lequel le peuple leur avait contéré sa souveraineté. « Le gouvernement de la république est confié à un empereur.... » (S. C. du 28 floréal an XII, art. 1). « Le gouvernement de la république française est confié pour dix ans au prince Louis-Napoléon Bonaparte (Const. 1852, art. 2), lequel devient empereur héréditaire, en vertu du S. C. du 7 novembre 1852 ratifié par le plébiscite des 21 et 22 novembre. Le pouvoir des deux empereurs, représentants de la volonté nationale, n'est limité qu'en matière législative. Sous le premier empire, la limitation, si elle existe en droit, est en fait complètement illusoire. Il en est de même pendant les premières années du second empire. Mais sous la pression de l'opinion publique des réformes libérales sont successivement introduites; le S. C. constitutionnel du 21 mai 1870 organise

un véritable système parlementaire. Cf. H. Berton, Evolution constitutionnelle du second empire, 1900.

La presque unanimité des publicistes allemands soutiennent aujourd'hui que dans les Etats et dans l'empire le pouvoir se concentre tout entier dans la personne du monarque, que son pouvoir sans doute est limité par le parlement, mais que le monarque est censé n'avoir limité son pouvoir que dans les bornes qu'il a expressément indiquées, qu'il conserve le libre choix de ses ministres et que pour les cas non prévus et pour le cas de conflit insoluble avec le parlement, le monarque reprendrait tout son pouvoir. On peut dire ainsi que dans les Etats allemands et dans l'empire allemand existe une monarchie simplement limitée, le monarque pouvant toujours reprendre son pouvoir absolu.

Cette théorie a été surtout soutenue au cas où le parlement refuse le vote du budget. M. Laband a consacré de longs dévelop pements pour démontrer que lorsque le parlement ne vote pas le budget, le monarque a le droit de l'établir lui-même. Il écrit : « Si vraiment le parlement a le droit de refuser chaque année au ministere l'autorisation de percevoir les recettes et d'effectuer les dépenses, et si le ministère est mis dans l'alternative de céder la place à un successeur agréable à la majorité parlementaire ou d'être mis en accusation pour violation de la constitution, la conséquence est qu'en fait, le monarque a perdu ses droits de gouvernement et a été remplacé dans ses droits par le parlement. Alors le véritable chef de l'Etat n'est pas le roi; c'est la démagogie toute puissante dans les élections; le principe de la constitution de l'empire, d'après lequel l'empereur a le droit de nommer le chancelier de l'empire, se trouve, lorsqu'on l'applique à l'empire allemand, n'être qu'un mot vide de sens » (Laband, Droit public, édit, franç., 1904, VI, p. 397). M. Laband applique ainsi à l'empire allemand des théories qui avaient été construites pour les monarchies particulières. Cf. notamment Renne, Das Staatsrecht der preussischen Monarchie, 3 édit., 1870: Seydel, Bayerisches Staatsrecht, 2o édit., 1896. M. Barthélemy (Revue du droit public, 1905, p. 717) dit très justement: « Un des traits qui se dégage avec le plus de netteté de l'ensemble des doctrines politiques des Allemands, c'est l'aversion qu'ils pro essent pour le système de gouvernement, qu'avec une manière de dédain ils appellent Das Parlementarismus ». M. Barthélemy montre aussi très bien comment, particulièrement en Prusse, les circonstances et spécialement l'arrivée aux affaires en 1862 de M. de Bismark arrêtèrent l'évolution de la constitution prussienne dans le sens libéral.

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Si au contraire les deux organes, parlement et gouvernement, sont considérés comme ayant une puissance égale, soit parce qu'ils émanent de deux éléments différents auxquels cependant appartient en fait une

force égale, soit parce qu'on voit dans l'un et l'autre des organes de représentation de la volonté nationale, comment doivent se régler leurs rapports?

La solution du problème a d'abord apparu dans le système de la séparation des pouvoirs : le parlement, a-t-on dit, est organe de représentation pour le législatif et le gouvernement organe de représentation pour l'exécutif. C'est le système que les auteurs de la constitution de 1791 croyaient trouver en Angleterre et dans l'Esprit des lois. Ils voulurent l'instituer en France; on sait au prix de quelle contradiction et quel en fut le résultat (cf. supra. § 54). En l'an III et en 1848, on voulut revenir à ce système sans plus de succès.

On dit couramment que si le système de la séparation des pouvoirs n'a pas réussi en France, au contraire il a fait merveille dans la République américaine et a permis aux deux organes de l'Etat, la présidence de la république et la législature, d'agir dans leur sphère respective sans se heurter. Il y a là une erreur ou du moins une vision incomplète des choses. On a déjà fait observer (§55) que la pensée des auteurs de la constitution américaine fut en 1787 d'édifier un système politique sur le modèle anglais et fondé par conséquent sur la collaboration continuelle des organes et non point sur leur séparation et leur isolement. Pour beaucoup de raisons très diverses et très complexes, il s'est trouvé que, par son évolution naturelle, le gouvernement américain s'est profondément différencié du régime anglais. L'institution essentiellement anglaise d'un cabinet (conseil des ministres), unité politique intermédiaire entre le chef de l'Etat et le parlement, solidairement responsable devant le parlement et chargé d'assurer la collaboration constante des deux organes supérieurs de l'Etat, est absolument inconnue en Amérique. A la différence des chefs d'Etat parlementaires, le président américain est personnellement responsable de ses actes « non pas tant, dit M. Bryce, devant le congrès que devant le peuple par qui il est choisi ». Pendant la durée de ses pouvoirs de quatre années, la mise en accusation par la procédure de l'empêchement est le seul moyen de mettre en pratique cette responsabilité. Quant aux ministres, ils ne forment point un conseil; ils ne font point partie du parlement; ils ne sont point politiquement responsables devant lui. Les ministres dépendent exclusivement du président de la république. Le gouvernement est exclu du congrès el parait devoir se trouver ainsi dans l'impossibilité d'exercer une action sur lui. Par là il semble que la séparation des deux organes est complète. Dans la réalité, il n'en est rien; il existe en fait et en droit une collabora

tion intime du parlement et du président de la république. D'abord le congrès participe à l'exercice du gouvernement, car le président ne peut prendre aucune décision importante sans le concours du sénat. Il ne peut notamment conclure des traités qu'avec l'avis conforme du sénal, avis qui doit être donné par les deux tiers des sénateurs présents; l'avis du sénat est aussi nécessaire pour nommer les ambassadeurs, les consuls, les juges à la cour suprême et tous les autres hauts fonctionnaires fédéraux. A l'inverse, le président exerce une certaine action sur le congrès et participe à la fonction législative. Il peut convoquer les deux chambres dans les circonstances extraordinaires. Il n'a pas à vrai dire l'initiative législative, mais il doit mettre le congrès au courant de la situation de l'Union et appeler son attention sur les mesures à prendre. Enfin, il peut imposer un velo aux bills et résolutions votés par le congrès, lequel peut maintenir son vote après nouvelle délibération, à la condition que ce vole réunisse dans les deux chambres une majorité des deux tiers. C'est, d'après tous les bons juges, par son velo suspensif que le président américain exerce surtout son pouvoir effectif. M. Bryce écrit : « La seule vraie force du pouvoir exécutif, le rempart derrière lequel il peut résister à l'assemblée législative, c'est en temps ordinaire son droit de velo. En d'autres termes, il survit comme exécutif, non pas en vertu de ses fonctions propres, mais bien à cause de la part qu'il a reçue dans les fonctions législatives; il maintient sa position par la force des choses, non parce qu'il est séparé du pouvoir législatif, mais plutôt parce qu'il participe à un droit qui appartient en réalité à ce pouvoir » (La république américaine, I, p. 324-325). Ainsi cette constitution, qu'on nous présente toujours comme fondée surle dogme de la séparation des pouvoirs, ne fonctionne normalement que grâce à la part qu'elle donne au chef du pouvoir dit exécutif dans la confection des lois, à la brèche qu'elle apporte à ce fameux principe. Qu'on ne nous vante donc plus les merveilleux effets de la séparation des pouvoirs aux Etats-Unis! Cette action du président de la république américaine sur le pouvoir législatif a considérablement grandi ces derniers temps sous l'empire de causes diverses. Cela a été particulièrement mis en relief par M. Barthélemy dans un article remarquable (De la condition actuelle de la présidence des Etats-Unis d'Amérique, Revue politique et parlem., 1906, I, p. 277). Le président exerce une action très efficace sur le travail législatif; il possède une véritable initiative reconnue par les orateurs parlementaires eux-mêmes. M. Barthélemy peut écrire très exactement: « Nous croyons en avoir assez dit pour que l'on voie ce qu'a d'artificiel, de littéraire, quand on l'applique à l'époque actuelle, la thèse de l'infériorité par rapport à l'initiative formelle des pays parlementaires ». Et nous ajoutons cela montre combien sont dans l'erreur ceux qui parlent encore de l'application faite en Amérique du principe de la séparation des pouvoirs. M. Barthélemy dit aussi très justement : « Loin

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de suivre la volonté du congrès (les présidents) savent lui imposer la leur. Ils sont véritablement les chefs de leur pays ». Et malgré cela la forme fédérale des Etats-Unis empêche qu'on puisse craindre en quoi que ce soit l'établissement d'une dictature présidentielle.

Sur l'action considérable que le président de la république américaine exerce par son droit de velo sur le congrès, cons. H. Bose, Les droits legislatifs du président des Etats-Unis d'Amérique, 1906: R. Bompard, Le velo du président de la république et la sanction royale, avec préface de M. Casimir-Perier, 1906. 61. Le régime parlementaire. La solution la plus élégante et la plus pratique du problème posé, et en même temps celle qui assure les meilleures garanties à la liberté, est assurément l'institution du régime parlementaire. Assurément il n'y a pas là un mécanisme politique créé de toute pièce par les théoriciens politiques à la manière de Siéyès. Elaboré surtout par la pratique du peuple anglais, le régime parlementaire ou gouvernement de cabinet a été transporté sur le continent, particulièrement en France où de 1814 à 1848 il s'est développé et précisé. Aujourd'hui, quoique produit spontané de l'histoire politique, le régime. parlementaire, tel qu'il est sorti de l'évolution naturelle, nous apparaît avec des caractères parfaitement définis, qu'il n'est point inutile de mettre en relief.

Il repose essentiellement sur l'égalité des deux organes de l'Etat, le parlement et le gouvernement, sur leur intime collaboration à toute l'activité de l'Etat et sur l'action qu'ils exercent l'un sur l'autre dans le but de se limiter réciproquement. Cette collaboration des deux organes et cette action réciproque qu'ils doivent exercer l'un sur l'autre, sont assurées par un élément qui est la pièce essentielle de la machine politique, le conseil des ministres ou ministère ou cabinet.

La première condition pour qu'un régime parlementaire puisse fonctionner normalement, c'est que le parlement et le gouvernement soient égaux en prestige et en influence, quelle que soit d'ailleurs l'origine de ces deux organes. Si le parlement se trouve, pour une raison ou une autre, dans une situation d'infério

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