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rité à l'égard du chef de l'Etat personnifiant le gouvernement, l'équilibre est rompu et le régime parlementaire fait bientôt place à la dictature du chef de l'Etat.

L'exemple du régime politique organisé par la constitution de 1848 est particulièrement démonstratif à cet égard. Le chef de l'Etat est élu par le suffrage direct et universel, ce qui lui donne un prestige et une autorité considérables. Le parlement est composé d'une seule chambre, élue sans doute au suffrage universel; mais où les partis sont considérablement divisés, où il n'y a pas de majorité homogène, et seulement des coalitions artificielles et précaires; une chambre qui peut d'autant moins s'appuyer sur le suffrage universel que par la loi du 31 mai 1850 elle montre qu'elle le redoute et lui apporte de profondes restrictions. Dans ces conditions, le mécanisme ne peut pas fonctionner parce que, forcément, l'équilibre sera rompu au profit du chef du gouvernement; et le coup d'Etat de 1851 est l'aboutissant nécessaire des circonstances et de la constitution.

La constitution de 1875 a placé à côté d'un parlement dont les deux chambres sont issues du suffrage universel, l'une, du suffrage universel direct, l'autre, du suffrage universel à deux ou plusieurs degrés, un chef d'Etat, personnifiant le gouvernement, qui se trouve forcément, à côté des chambres, dans une situation inférieure, surtout parce qu'il est l'élu des chambres et que de ce fait même il est sans action effective sur elles. Les circonstances peuvent faire que tel président soit dans une situation particulière où son autorité forme un véritable contrepoids à celle du parlement; mais ce sera une situation tout exceptionnelle; normalement, le chef de l'Etat ne peut pas être, dans le système de 1875, l'égal du parlement. Aussi, nous ne pratiquons point aujourd'hui, en réalité, le régime parlementaire, bien que la volonté certaine des constituants de 1875 ait été de l'établir (cf. infra, § 62).

En Angleterre le régime parlementaire a pu s'établir parce que le parlement et la couronne ne sont considérés que comme les deux parties égales d'un seul organe politique. L'un et l'autre ont un prestige équivalent, ayant pour assises dans le pays des éléments également forts. Le parlement, qui n'a été longtemps que la représentation de l'élément aristocratique, est aujourd'hui, depuis la

réforme électorale de 1884, par la chambre des communes la représentation des forces démocratiques au reste disciplinées et éduquées, et par la chambre des lords la représentation de ce qui reste d'élément aristocratique. Quant à la couronne, elle n'est pas seulement une institution décorative; elle repose sur un élément très puissant quoique surtout moral et intellectuel. Le loyalisme monarchique est encore en Angleterre très puissant: le monarque incarne en quelque sorte la vie et la grandeur de la patrie anglaise. Et ainsi le gouvernement et le parlement peuvent collaborer ensemble, dans un heureux équilibre, à la gestion des affaires du pays.

En France le gouvernement parlementaire a pu s'établir après 1814 et fonctionner normalement de 1830 à 1848, parce que le parlement et le monarque constituaient deux forces à peu près égales. Le parlement est la représentation des classes moyennes, plus exactement de la bourgeoisie riche. La révolution de 1830 a été faite par la bourgeoisie et la monarchie trouve son point d'appu aussi dans la classe bourgeoise. Par là, parlement et gouvernement ont un prestige identique, une autorité égale dans le pays, el le régime parlementaire, qui s'était ébauché pendant la Restauralion, arrive après 1830 à son plein développement. C'est d'ailleurs la seule période où il ait fonctionné normalement dans notre pays.

Le second caractère du régime parlementaire dérive directement du premier. Les deux organes politiques étant égaux devront collaborer dans la même mesure à toutes les fonctions de l'Etat. On ne doit point parler alors de séparation des pouvoirs, parce que les pouvoirs sont les différents éléments de la souveraineté démembrée entre différents organes de représentation, et qu'ici la souveraineté n'est point démembrée. Elle reste intacte dans son unité et son indivisibilité, et elle est exercée en représentation par les deux organes de l'Etat agissant de concert. La vieille règle du droit anglais, que le parlement est un et comprend dans son unité la couronne, la chambre des lords et la chambre des communes, correspond très exactement à cet élément essentiel du régime parlementaire.

Mais ce n'est pas à dire que le gouvernement et le parlement participent au même degré à toutes les fonctions de l'Etat. Ayant une structure différente, le parlement et le gouvernement participent nécessairement aux fonctions de l'Etat sous une forme différente. Et d'autre part, les fonctions de l'Etat étant diverses,

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leur mode d'accomplissement se présentant dans des conditions profondément différentes, le mode et le degré d'intervention et du gouvernement et du parlement devront être différents. Si donc on ne doit pas parler de séparation des pouvoirs entre le parlement et le gouvernement, on peut parler de répartition des fonctions, ou mieux de diversité de participation à l'accomplissement des fonctions de l'Etat. Quelques exemples vont éclairer cette proposition.

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La vieille formule au parlement le législatif, au gouvernement l'exécutif, n'est point exacte sous le régime parlementaire. Il faut dire au parlement certain mode de participation au législatif et à ce qu'on est convenu d'appeler l'exécutif; au gouvernement un certain mode de participation aussi au législatif et à ce qu'on est convenu d'appeler l'exécutif. Au législatif le parlement participe parfois en proposant la loi, toujours en la discutant et en la votant; au législatif le gouvernement participe en proposant la loi, en prenant part à sa discussion, en la promulguant, parfois en la sanctionnant. Le gouvernement parfois participe encore à la fonction législative en formulant sous le contrôle direct du parlement des règles générales appelées ordonnances (Verordnungen) ou règlements, et cela dans une mesure qui varie beaucoup suivant les pays et qui sera expliquée pour la France aux §§ 140 et 141. Quant au parlement, il participe à l'exécutif en votant toute une série de mesures qui certainement n'ont pas le caractère législatif, et au premier chef en votant le budget annuel. Sans doute la partie du budget qui contient l'établissement de nouveaux impôts ou même seulement le maintien pour l'année d'impôts précédemment établis, en un mot le vote annuel de l'impôt, a le caractère législatif (cf. supra, § 35 et infra, $131); mais toutes les dispositions du budget qui fixent le montant des dépenses publiques et déterminent les crédits affectés aux différents services publics n'ont point le caractère législatif, et cependant leur

vote rentre dans la fonction normale du parlement, agissant sur la proposition du gouvernement; il en est de même de la décision portant règlement du budget (cf. § 131). En outre beaucoup de décisions purement administratives, dont le nombre et le caractère varient suivant les pays, ne peuvent être prises que par les chambres, en général sur la proposition du gouvernement, comme par exemple les autorisations d'emprunts. Enfin indirectement le parlement est associé à toute l'activité gouvernante, parce que cette activité s'exerce sous son contrôle continuel, sous la sanction de la responsabilité ministérielle.

Le dernier caractère de régime parlementaire est l'action réciproque que le parlement et le gouvernement exercent l'un sur l'autre.

L'action du gouvernement sur le parlement s'exerce d'abord par les communications, les conseils même, que le gouvernement non seulement peut, mais doit même adresser au parlement, les représentants du gouvernement devant assister à toutes les délibérations du parlement, non seulement pour répondre aux questions, mais encore pour y exercer un rôle actif, et même y faire sentir une influence directrice. L'action du gouvernement se traduit encore dans le droit qui doit lui être reconnu et qui lui est en effet reconnu dans tous les pays parlementaires, sauf quelques variétés de détail dans l'étendue et le mode d'exercice, le droit de convoquer les électeurs pour procéder à l'élection de la partie élective du parlement, le droit de convoquer, d'ajourner, de proroger et de clôturer le parlement, et enfin le plus important de tous et le plus nécessaire, le droit de dissoudre la partie élective du parlement et d'appeler les électeurs, dans un certain délai déterminé par la constitution, à de nouvelles élections.

Le droit de dissolution du gouvernement, considéré par un certain parti comme une survivance du despotisme royal, est au contraire la condition indispen

sable de tout régime parlementaire et la garantie la plus efficace du corps électoral, de la souveraineté nationale contre les excès de pouvoir, les visées tyranniques, toujours à craindre, d'un parlement. Le gouvernement peut et doit dissoudre le parlement, quand il estime que la politique suivie par lui ne répond pas à la volonté du pays; il fait ainsi un véritable referendum; il doit convoquer les électeurs dans un délai en général très court et se soumettre au verdict prononcé par eux (cf. supra, § 52).

M. Waldeck-Rousseau a mis très nettement en relief ce caractère de la dissolution dans un discours prononcé à Paris le 9 juillet 1896. « La faculté de dissolution, disait-il, inscrite dans la constitution, n'est point pour le suffrage universel une menace, mais une sauvegarde. Elle est le contrepoids essentiel aux excès du parlementarisme, et c'est par elle que s'affirme le caractère démocratique de nos institutions » (cité par M. G. Berry, 21 mars 1905, J. off., chambre, p. 986). C'est bien ainsi que la comprennent les Anglais, les créateurs du régime parlementaire. Le droit de dissoudre le parlement était originairement une prérogative de la couronne le parlement ne pouvait se réunir que sur la convocation du roi, et le roi pouvait le renvoyer et le dissoudre à son gré. C'est cette prérogative ancienne qui s'est adaptée aux besoins nouveaux, et qui est devenue le moyen de s'assurer que la majorité de la chambre des communes est en harmonie de pensée avec la majorité du corps électoral.

Mais ce droit de dissolution du parlement par le gouvernement doit avoir et a sa contre-partie : elle consiste dans le contrôle général et incessant que le parlement a le droit d'exercer sur les actes du gouvernement et dans la responsabilité solidaire et politique des ministres devant le parlement. Il faut que le gouvernement soit obligé de se retirer toutes les fois que le parlement, ou même une partie du parlement, désapprouve la politique suivie par lui. Mais un pareil système, indispensable pour associer le parlement à l'activité gouvernementale, ne saurait se concilier avec les conditions de stabilité que doit présenter tout gouvernement. Il fallait donc trouver le moyen de concilier la stabilité gouvernementale avec la responsabilité politique du gouvernement. La pra

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