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dans un établissement (art. 9-17 et art. 20). Le préfet peut toujours ordonner la sortie immédiate des personnes placées dans un établissement d'aliénés. En outre, l'art. 29 de la loi de 1838 a organisé ce qu'on peut appeler une action en retirement portée devant le tribunal civil. Enfin l'art. 30 prononce les peines de l'emprisonnement et de l'amende contre les chefs, directeurs, préposés responsables qui auraient retenu indûment une personne placée dans un établissement d'aliénés.

On voit en quoi cette loi viole les vrais principes protecteurs de la liberté individuelle. D'abord elle ne protège pas suffisamment l'aliéné contre sa famille, qui, sur un simple certificat de médecin et sans l'intervention d'une autorité, peut le faire enfermer dans un asile. Assurément le législateur a pris des précautions pour que l'intéressé n'y soit pas inutilement maintenu. Mais c'est déjà beaucoup trop qu'il puisse trop facilement y être interné. Les cas d'internement arbitraire sont certainement fréquents. D'autre part, la liberté individuelle étant placée, d'après les principes de notre droit public, sous la protection de l'autorité judiciaire, il y a une violation certaine de ces principes dans la disposition de cette loi, qui donne le droit au préfet, autorité administrative, d'ordonner l'internement d'un aliéné.

Aussi la loi de 1838 est-elle très justement critiquée et nos chambres sont saisies depuis plusieurs années déjà de propositions et de projets de loi qui donnent dans l'internement des aliénés le rôle principal à l'autorité judiciaire. En attendant le vole de celle loi, M. Clémenceau, ministre de l'intérieur, a adressé aux préfets, le 18 juin 1906, une circulaire où il les invite à veiller d'une façon toute particulière sur le placement volontaire des aliénés, et à nommer une commission chargée de recueillir tous renseignements sur les aliénés placés volontairement dans les établissements privés et publics J. off., 19 juin 1906). Rap. la circulaire du 29 juin 1906, adressée dans le même but aux premiers présidents et aux procureurs généraux, par M. Sarrien, garde des sceaux (Le Temps, 29 juin 1906).

Ce n'est pas seulement l'insuffisance des garanties établies par la loi de 1837 qui rend son remplacement nécessaire, c'est l'esprit

général qui l'inspire, ce sont les idées que nous avons aujourd'hui du rôle de l'Etat en matière d'assistance publique et qui étaient à peu près inconnues des hommes de 1838, ce sont aussi les progrès de la science des maladies mentales. En 1838, on avait voulu faire avant tout une « loi de sûreté, une loi de police». Au contraire, lous les projets actuels sont inspirés par l'idée d'une assistance apportée aux malheureux atteints de la terrible maladie de la folie. Dis 1884 le sénat avait élé saisi d'une proposition tendant à la revision de la loi de 1838. V. le grand rapport de M. Roussel, sénat, session 1884, no 157, 2 vol. Cf. le texte voté par le sénat les 14 décembre 1886 et 11 mars 1887. Le 1er avril 1903, la chambre des députés a été saisie d'une proposition très étudiée par M. Dubief. V. le rapport de M. Dubief repris par la chambre élue en 1906, J. off., doc. part.. chambre, sess. ord., 1906, p. 507. V. aussi le texte des projets du sénat et de la commission de la chambre, Bulletin de la Société d'études législatives, 1903, p. 393 et suiv. D'après ces projets, l'internement définitif ne peut jamais être prononcé que par une autorité judiciaire, le président du tribunal de l'arrondissement dans lequel est situé l'asile. Cf. sur la revision de la législation des aliénés, le compte rendu de la commission d'étude de la Société d'études législatives, Bulletin, 1903, p. 445; Rapports présentés à la même société par M. Larnaude, Bulletin, 1904, p. 25 et 1905, p. 105 et 185; par M. Saleilles, Bulletin, 1904, p. 262, 318 el 410 et 1905, p. 155: le compte-rendu des discussions de la Société, Bulletin, 1994, p. 111, 129, 428 et 1905, p. 193; Rapport de M. Lepoitevin sur la question des aliénés criminels, Bulletin, 1905, p. 261. M. Larnaude conclut à la création d'une commission des aliénes présidée par un juge des aliénés qui sera spécialisée dans le contrôle du placement; c'est ce juge éclairé par la commission qui statuera sur le maintien des aliénés dans l'asile. Pour les législations étrangères, cons., outre les rapports précités, le Recueil des procès-verbaux de la commission chargée d'étudier les modifications à introduire dans la loi du 30 juin 1838, précédé d'une étude sur les diverses législations relatives aux aliénés par E. Bertrand, Paris, 1872.

Situation des personnes se livrant habituellement à la prostitution. Elles sont dans les grandes villes soumises au régime de police le plus arbitraire qu'il y ait. On peut dire que pour elles la liberté individuelle est complètement supprimée. Notre législation ne contient aucune règle à cet égard, et tout est laissé à la volonté souvent capricieuse de l'administration.

On a défini la prostitution le fait de la part d'une femme de faire métier de se livrer à tout venant et sans choix, moyennant une rémunération pécuniaire,

que ce soit dans un lieu public de débauche, dans un autre lieu public ou dans un local particulier (Gigot, Rapport à la société des prisons, 23 décembre 1903, Revue pénitentiaire, 1904, p. 44). Le fait de la prostitution impose à l'Etat la solution d'un problème qui est, pour les grandes villes, d'une extrême difficulté. D'une part, l'Etat est tenu de respecter le principe de la liberté individuelle et le principe de l'égalité; et, d'autre part, il est obligé de prendre des mesures pour éviter la propagation des maladies contagieuses que la prostitution amène à sa suite, d'autant plus redoutables qu'elles s'attaquent aux sources mêmes de la vie.

En France la pensée, jusqu'à nos jours dominante, a été de protéger avant tout la santé publique, et dans ce but on a placé les personnes qui se livrent habituellement à la prostitution sous un régime de police. Bien plus ce régime de police est établi, non pas par la loi, mais seulement par des règlements administratifs.

Il semble que le législateur ait cru qu'il n'était pas de sa dignité de faire des lois sur ces délicates matières. Il n'y a pas longtemps qu'un garde des sceaux, M. Vallé, osait dire au sénat : « ... Jusqu'à présent le législateur et les tribunaux ont toujours déclaré qu'ils ignoraient volontairement les maisons de débauche et de prostitution; mieux vaut épargner à la magistrature, qui a déjà une tâche assez lourde, des besognes qui relèvent exclusivement de la police » (séance du 20 février 1903 au moment de la discussion de la loi du 3 avril 1903).

A Paris le texte fondamental est toujours l'ordonnance du 6 novembre 1778 (Isambert, XXV, p. 448), ordonnance dont la non abrogation par le code pénal résulte de l'art. 484 du code pénal. En exécution de cette ordonnance, deux arrêtés du préfet de police, l'un de 1843 et l'autre de 1878, règlent la police de la prostitution. En province, la prostitution est régie par des règlements municipaux pris par les maires, invoquant les pouvoirs de police à eux donnés par les art. 91 et 97 de la loi municipale du 5 avril 1884. Ces textes pris à la lettre ne donnent point d'ailleurs aux maires les pouvoirs qu'en fait ils exercent en cette matière. On compte en France 445 règlements municipaux sur la prostitution; et une seule ville d'une certaine importance n'en a point, c'est la ville de Tourcoing (Gigo!, loc. cit., p. 40). Ces divers règlements sont précédés en

général de considérants dont la rédaction varie en la forme, mais dont le fond est à peu près toujours celui-ci : la prostitution est un métier dangereux, les prostituées constituent un péril permanent pour la sécurité et le bon ordre de la cité et pour la santé publique; d'où la nécessité de l'intervention de la préfecture de police à Paris, de l'autorité municipale en province.

La jurisprudence a maintes fois reconnu la légalité de cette réglementation. On ne peut nier cependant que ce n'est pas sans forcer le sens et la porté des textes précités que l'on attribue au préfet de police et aux maires ce pouvoir réglementaire. L'art. 6 de l'ordonnance de 1778 porte seulement : « Enjoignons aux officiers de police de tenir la main à l'exécution de la présente ordonnance ». Le mot de prostitution ne se rencontre pas une seule fois dans la loi du 5 avril 1884, et on conviendra que la formule de l'art. 97: La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté et la tranquillité publique » est bien vague pour qu'on puisse prétendre qu'elle confère aux maires les pouvoirs dictatoriaux que ceux-ci se sont arrogés en matière de prostitution.

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Le régime auquel, en vertu des règlements précités, sont soumises, à Paris et dans les grandes villes, les personnes qui se livrent à la prostitution, est la quintessence de l'arbitraire. En France, en 1906, plus d'un siècle après la Déclaration des droits de l'homme, toute une classe de la population est mise hors la loi et soumise au régime du bon plaisir. Ce régime comprend trois éléments, qui font apparaître immédiatement tout ce qu'il a d'arbitraire. Ce sont l'inscription, les visites sanitaires et la répression disciplinaire. L'inscription sur les registres de la police peut se faire sur la demande même de l'intéressée, ou d'office par l'administration. Toute femme inscrite sur les registres de la prostitution est obligée de se soumettre à des époques régulières, déterminées par les règlements, à des visites médicales. Toute femme inserite reconnue contaminée après cette visite est envoyée dans un hópital, d'où elle ne peut sortir qu'après guérison complète. Enfin dans beaucoup de grandes villes, et particulièrement à Paris, les femmes inscrites sont soumises à un régime disciplinaire et peuvent être frappées d'une incarcération disciplinaire par une simple décision de l'autorité administrative.

M. Gigot, ancien préfet de police, auteur du règlement de 1878, est obligé de reconnaître la complète illégalité de ces dispositions et de ces pratiques (loc. cit., p. 52). Dans certaines villes, cette incarcération disciplinaire n'est pas autorisée, par exemple à Dijon, à Orléans. A Lyon, elle peut aller jusqu'à 15 ou 20 jours.

Un pareil régime est indigne d'un pays civilisé. Cependant, encore en 1894, il était défendu par le futur président de la Ligue des droits de l'homme, M. Trarieux, alors garde des sceaux, qui disait au Sénat : « S'il ne s'agissait que d'une question de bonnes mœurs, peut-être pourrions-nous faire l'expérience de la légalité. Mais il s'agit de bien autre chose... C'est... davantage la préoccupation de la santé publique. Dès qu'une personne est suspecte, il importe de faire ce que fait la préfecture de police... Le droit est ici avant tout dans la défense de l'intérêt social, et si les formes de la justice ne peuvent s'y prêter, il faut chercher en dehors de ces formes... J'irai jusqu'à dire qu'ici le droit est dans une certaine mesure dans l'arbitraire. Le gouvernement ne croit pas pouvoir préférer la légalité aux arrêtés de police» (séance du 27 juin 1895). Depuis plusieurs années déjà une propagande très active est faite, sous le nom de propagande abolitioniste, pour arriver à la suppression de la réglementation administrative et policière de la prostitution. On met en avant l'atteinte profonde qu'elle est aux droits individuels; on soutient que c'est un système d'oppression des faibles par les forts, qui n'a d'autre but que de protéger l'homme en faisant de la femme qui lui apporte le plaisir une véritable esclave. Cf. Gide, Introduction au rapport sur l'économie sociale, exposition de 1900, p. 167. Les abolitionistes demandent l'application à la prostitution du pur régime de droit, c'est-à-dire qu'aucune disposition préventive ne s'applique aux personnes qui se livrent habituellement à la prostitution, mais qu'il y ait lieu à réparation el à répression: toute personne de l'un ou l'autre sexe qui aurait contaminé une autre personne serait passible de dommages et intérêts vis-à-vis d'elle, et en outre la contamination devrait constituer un délit prévu et puni par la loi. Cf. le texte voté, le 10 février 1903, par la Société française de prophylaxie sanitaire et morale (Supp. du Relèvement social, mars 1903); rapp. l'art. 155 de la loi norvé gienne du 22 mai 1902 et l'art. 181 de la loi danoise du 10 février 1866. Quelques législations punissent le délit de prostitution, par exemple la loi genevoise du 26 septembre 1888 (art. 2, § 1) el l'art. 361 du code pénal allemand. C'était le fond de la proposition Bérenger déposée au sénat le 28 mai 1894 et adoptée par le sénat après modifications le 27 juin 1895. V. rapport de M. Bérenger, J. off., doc. part., sénal, 1895, p. 221. Les abolitionistes repoussent même l'application du régime de droit consistant ainsi dans la définition d'un délit de prostitution et dans l'intervention de la juridiction de droit commun, parce que, disent-ils, toute loi établissant le délit de prostitution serait fatalement une loi d'exception (Dolléans, La police des mœurs, thèse Paris, 1903, p. 74).

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