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contributions indirectes peuvent, au cas de soupçon de fraude, pénétrer dans le domicile des particuliers non soumis à l'exercice. Mais en pareil cas l'agent fiscal ne peut faire de visite domiciliaire qu'en se faisant assister du juge de paix, ou du maire ou du commissaire de police et sur l'ordre d'un employé supérieur, qui devra mentionner les motifs sur lesquels la régie base son soupçon de fraude et devra être visé avant toute visite par l'officier de police judiciaire qui doit accompagner les agents, et en outre être lu à l'intéressé ou à son représentant qui est invité à le viser.

Il va sans dire que les critiques dirigées contre le système français relatif à la protection de la liberté individuelle trouvent leur application dans les mêmes termes en ce qui concerne l'inviolabilité du domicile. Comme la protection de la liberté individuelle, la liberté du domicile ne sera vraiment assurée que du jour où la responsabilité des fonctionnaires, pénale et civile, sera sérieusement organisée, l'art. 10 C. instr. crim. abrogé et l'indépendance et la compétence des magistrats assurées par une profonde et sage réforme de la magistrature (cf. § 75).

La loi anglaise s'est montrée particulièrement protectrice du domicile. Blakstone écrit: « La loi d'Angleterre considère tellement comme privilégiée la maison d'un particulier, que, suivant elle, c'est la forteresse de cet homme, ainsi qu'elle s'exprime, et elle ne permet pas qu'on viole jamais cet asile impunément » (Commentaires, édit. franç., 1823, VII, p. 29). En vertu de ce principe, on considère en Angleterre comme une règle fondamentale qu'un constable ne peut forcer l'entrée du domicile, même pour l'exécution d'un ordre d'arrestation, à moins qu'il ne s'agisse d'un cas de forfaiture.

Cf. Garraud, Droit pénal, 2o édit., IV, 1900, p. 101; Grad, De l'inviolabilité du domicile, thèse Paris, 1905.

78. La liberté du travail, du commerce et de l'industrie. Elle est encore la conséquence du principe de la liberté individuelle. Si l'homme doit être laissé libre par la loi de développer et d'employer son activité physique, il doit être libre de travailler comme il l'entend, de louer ses services à d'autres, de créer tel produit que bon lui semble, de faire tel trafic qu'il juge avantageux. Tout cela n'est que le prolongement naturel de la liberté physique.

Ni la Déclaration des droits de 1789, ni la constitution de 1791

ne formulent expressément le principe de la liberté du travail. On crut cela inutile. C'était une conséquence nécessaire de la liberté individuelle. Mais à l'art. 19 de la Déclaration des droits girondine, on lit : « Nul genre de travail, de commerce et de culture ne peut lui (à l'homme) être interdit », et à l'art. 17 de la Déclaration de 1793: « Nul genre de travail, de culture, de commerce ne peut être interdit à l'industrie du citoyen », et enfin à l'art. 13 de la constitution de 1848 : « La constitution garantit aux citoyens la liberté du travail et de l'industrie ».

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Prohibition de l'esclavage. La première conséquence du principe de liberté individuelle, en tant qu'elle se traduit dans la liberté du travail, c'est l'impossibilité de l'esclavage, c'est l'interdiction à l'Etat législateur de reconnaître et de sanctionner l'esclavage sous une quelconque de ses formes, aussi bien l'esclavage forcé que l'esclavage volontaire. Nul ne peut avoir et ne peut acquérir le droit de disposer arbitrairement et pour une période indéterminée de l'activité d'une personne alors même que celle-ci y consente. Il ne peut être permis à l'individu d'aliéner totalement ou partiellement sa propre personne; et toute loi qui permet une pareille aliénation est contraire au droit.

Un des fondateurs de la doctrine individualiste, Grotius, pensait cependant que l'esclavage n'était pas incompatible avec le droit naturel. Il écrit en effet : « Quand on dit que les hommes et les peuples sont naturellement libres, cela doit s'entendre d'un droit naturel qui précède tout acte humain et d'une exemption d'esclavage, mais non pas d'une incompatibilité absolue avec l'esclavage; c'est-à-dire que personne n'est naturellement esclave, mais que personne n'a droit de ne le devenir jamais... Ceux donc qui sont tombés dans un esclavage ou personnel ou civil par l'effet d'une cause légitime doivent être contents de leur sort... » (Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, trad. Barbeyrac, Bâle, 1768, liv. II, ch. xxn, § 11, II, p. 142). Locke repoussait l'esclavage volontaire : « : «Un homme n'ayant point de pouvoir sur sa propre vie ne peut par aucun traité ni par son propre consentement se rendre esclave de qui que ce soit, ni se soumettre au pouvoir absolu et arbitraire d'un autre, qui lui ôte la vie quand il lui plaît ». Mais Locke parait admettre la légitimité de ce que Rousseau appelait la servitude de la peine. Il écrit, en effet : « Certainement si un homme, par sa mauvaise conduite et par quelque crime, a mérité de perdre la vie, celui qui a été offensé et qui est devenu en ce cas maître de sa vie, peut, lorsqu'il a le coupable entre ses mains,

différer de la lui ôter et a droit de l'employer à son service »> (Locke, Le gouvernement civil, chap. III, § 11, édit. franç., Amsterdam, 1691, p. 27). Rousseau, dans le Contrat social, discutant spécialement les idées de Grotius sur ce point, condamne l'esclavage d'une manière particulièrement énergique : « Ainsi, dit-il, de quelque sens qu'on envisage les choses, le droit d'esclavage est nul, non seulement parce qu'il est illégitime, mais parce qu'il est absurde et ne signifie rien. Les mots esclavage et droit sont contradictoires; ils s'excluent mutuellement » (Contrat social, liv. I, chap. IV).

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Ces idées étaient évidemment celles de l'unanimité des membres de l'Assemblée nationale de 1789. Cela apparaît bien dans la nuit du 4 août 1789, lorsque l'Assemblée vote à l'unanimité « l'abolition de la qualité de sert et de la mainmorte sous quelque dénomination qu'elle existe ». Dans l'art. 1 du décret du 4 août 1879 tel qu'il fut définitivement rédigé sont déclarés abolis sans indemnité tous les droits tenant à la mainmorte réelle ou personnelle et à la servitude personnelle ». Peu de temps après l'Assemblée votait la Déclaration des droits. Mais l'esclavage des noirs dans les colonies n'était point visé par les décrets de l'Assemblée et il subsistait comme par le passé. Cependant par la loi des 28 septembre-16 octobre 1791, l'Assemblée décide « que tout individu est libre aussitôt qu'il est entré en France, que tout homme, de quelque couleur qu'il soi!, jouit en France de tous les droits de citoyen, s'il a les qualités prescrites par la constitution pour leur exercice ». On ne voulait parler là, bien entendu, que du territoire de la France métropolitaine.

La Convention et dans la Déclaration girondine (art. 20) et dans la Déclaration de 1793 proclamait solennellement que l'esclavage est contraire au droit naturel. « Tout homme, disait-elle, peut engager ses services, son temps; mais il ne peut se vendre ni être vendu; sa personne n'est pas une propriété aliénable. La loi ne reconnait point de domesticité; il ne peut exister qu'un engagement de soins et de reconnaissance entre 1 homme qui travaille et celui qui l'emploie » (Déclaration 1793, art. 18). La Convention, malgré celte déclaration solennelle, n'abolissait point expressément l'esclavage des colonies. Il fallut les événements de Saint-Domingue pour qu'elle portat le décret du 16 pluviôse an II. Cf. au Moniteur, Réimpression, XIX, p. 387, les circonstances dans lesquelles fut volé ce décret. Il portait : «La Convention nationale déclare que l'esclavage des nègres dans toutes les colonies est aboli; en conséquence, elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français el jouiront de tous les droits assurés par la constitution. Elle renvoie au comité de salut public pour lui faire incessamment un rapport sur les mesures à prendre pour assurer l'exécution du présent décret ». La Convention, dans la Déclaration de l'an III, proclamait encore que l'esclavage était contraire au droit naturel (art. 15).

Cette suppression de l'esclavage dans les colonies devait être plus théorique qu'effective. En effet, aux termes de la loi du 30 floréal an X : « Dans les colonies restituées à la France, en exécution du traité d'Amiens, l'esclavage sera maintenu conformément aux lois et règlements antérieurs à 1789; il en sera de même dans les autres colonies françaises au delà du cap de BonneEspérance. La traite des noirs et leur importation dans lesdites colonies auront lieu conformément aux lois et règlements existants avant la dite époque de 1789 ». Cf. le curieux exposé des motifs par lequel le gouvernement voulait justifier cette loi, S., Lois annotées, I, p. 603.

Le code civil, à l'art. 1780, formulait une règle conforme aux principes des Déclarations des droits : « On ne peut engager ses services qu'à temps ou pour une entreprise déterminée ». Cependant, ni le Consulat ni l'Empire ne faisaient rien pour arriver à la suppression progressive de l'esclavage dans les colonies que la loi du 30 floréal an X venait d'y rétablir en droit. Mais de 1815 à 1848 la question reste à l'ordre du jour de l'opinion et des débats parlementaires. Une série de lois et d'ordonnances viennent interdire et réprimer la traite des noirs. Cf. notamment la loi du 15 avril 1818, l'ordonnance du 18 janvier 1823, les lois du 25 avril 1827 et du 4 mars 1831, l'ordonnance du 15 juillet 1833. Dès cette époque, comme en 1841 et encore en 1890-91 au moment de la ratification de l'acte de Bruxelles, la question du droit de visite soulève de graves difficultés entre la France et l'Angleterre. Diverses ordonnances sont portées sous le gouvernement de juillet pour améliorer la situation morale des esclaves et favoriser les affranchissements. Cf. notamment les ordon. des 11 juin 1839, 5 janvier 1840, 26 septembre 1841. Plusieurs propositions tendant à l'abolition de l'esclavage sont faites aux chambres. Le grand argument auquel elles viennent se heurter, c'est que leur adoption porterait une atteinte mortelle à l'existence des colonies françaises. Cependant par une décision royale du 26 mai 1840, était créée, sous la présidence du duc de Broglie, une grande commission extra-parlementaire chargée d'étudier toutes les questions relatives à l'esclavage et à la constitution des colonies. Elle n'avait pas encore achevé ses travaux quand éclata la révolution de 1848, qui devait enfin abolir l'esclavage noir et mettre notre législation coloniale en harmonie avec les principes fondamentaux de notre droit public.

Dès le 4 mars 1848, le Gouvernement provisoire rendait un décret ainsi conçu: « Considérant que nulle terre française ne peut plus porter d'esclaves, une commission est instituée... pour préparer dans le plus bref délai l'acte d'émancipation immédiate dans toutes les colonies de la république ». Le 27 avril 1848 un nouveau décret du Gouvernement provisoire prononçait la suppression de l'esclavage dans toutes les colonies françaises. Il portait : « Considérant que l'esclavage est un attentat contre la dignité humaine, qu'en

détruisant le libre arbitre de l'homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir; qu'il est une violation flagrante du dogme républicain Liberté, égalité, fraternité... L'esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d'elles. A partir de la promulgation du présent décret dans les colonies, tout châtiment corporel, toule vente de personnes non libres seront absolument interdits ». L'art. 5 de ce décret du 27 avril 1848 reconnaissait en principe le droit des colons à une indemnité e! laissait à l'Assemblée nationale le soin de la régler... A l'art. 7, il était dit que le principe formulé par la loi des 28 septembre-16 octobre 1791 et d'après lequel le sol de la France affranchit l'esclave qui le touche, serait appliqué aux colonies et possessions de la république. Enfin il était interdit personnellement aux Français, en quelques pays qu'ils se trouvent, et cela sous peine de la perte de la qualité de citoyen français, de posséder, d'acheter ou de vendre des esclaves et de participer, soit directement, soit indirectement à tout trafic ou exploitation de ce genre. Un délai de trois ans était donné à tous les Français qui se trouvaient alleints par cette prohibition au moment de la promulgation du décret. Treize décrets furent rendus le même jour (27 avril 1848) comme conséquence de l'abolition de l'esclavage pour réglementer l'organisation intérieure des colonies. La constitution de 1848 vint confirmer les décisions du Gouvernement provisoire et donner le caractère constitutionnel à la prohibition de l'esclavage: L'esclavage ne peut exister sur

aucune terre française » (art. 6).

Il faut signaler la loi du 11 février 1851 qui porte à dix ans le délai de trois ans que le décret du 27 avril 1848 (art. 8) accordail aux Français établis à l'étranger pour affranchir ou aliéner leurs esclaves, et la loi du 28 mai 1858 qui décide que cette disposition du décret du 27 avril 1848 ne sera pas applicable aux propriétaires d'esclaves dont la possession est antérieure au décret du 27 avril 1848 ou résulte soit de succession soit de donation entre vifs ou testamentaire soit de conventions matrimoniales.

A la conférence de Berlin en 1885, une déclaration a été arrêtée << concernant la traite des esclaves et les opérations qui, sur terre ou sur mer, fournissent des esclaves à la traite ». Les puissances signataires de l'acte de Berlin du 26 février 1885 se sont engagées « à prendre toutes les mesures en leur pouvoir pour que les territoires du bassin du Congo, sur lesquels s'exercerait leur autorité, ne puissent servir ni de marché ni de voie de transit pour la traite des esclaves et à concourir à la suppression de l'esclavage et surtout de la traite des noirs » art. 6 el 9). Ces déclarations étaient un peu vagues et insuffisantes. La conférence de Bruxelles, par son acte général du 2 juillet 1890, a arrêté une série de mesures destinées à empêcher la traite des noirs. Le parlement français a ralifié, par la loi du 29 décembre 1891, les dispositions de l'acte de

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