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servitude. C'est le devoir du législateur de l'éviter et de traiter également les travailleurs libres et les travailleurs syndiqués.

Les décrets du 17 septembre 1900 et du 2 janvier 1901 (dits décrets Millerand) ont certainement porté atteinte à la liberté du syndicat ou plus exactement à la liberté de tout travailleur de faire ou non partie d'un syndicat et à l'égalité qui doit régner entre les travailleurs syndiqués ou non syndiqués, en accordant l'électorat aux conseils du travail aux seuls membres des associations professionnelles légalement constituées conformément à la loi du 21 mars 1881. Le conseil d'Etat a reconnu la légalité de ces décrets par un arrêt du 19 février 1904 (Rec., 1904, p. 131). Il est vrai que la question d'atteinte à la liberté du travail n'a pas été soulevée devant le conseil d'Etat. Pour rendre ces décrets inefficaces, M. Bérenger avail saisi le sénat d'une proposition de loi organisant les conseils du travail sur des bases différentes et respectant les principes de liberté et d'égalité. Cette proposition, votée par le sénat les 13 novembre el 5 décembre 1902, transmise à la chambre des députés le 9 décembre 1902, n'y a pas eu de suite.

Il se dessine aujourd'hui en France un mouvement très actif qui, sous le nom de syndicalisme, tend à encadrer dans des syndicats fortement organisés tous les travailleurs pour rendre possible la gr ve générale, et pour substituer même à l'autorité de l'Etat la direction émanée des syndicats de travailleurs, pour substituer à l'Etat unitaire une république fédérale ouvrière, dont la Confédération générale du travail constituée à la Bourse du travail de Paris forme comme lembryon. Cf. notamment Guieysse, Patriotisme démocratique et capitalist». Mouvement socialiste, 1er-15 décembre 1905, p. 512, et 15 janvier 1906, p. 121: juillet 1906, p. 200. Dans le Mouvement socialiste, 15 avril 1906, M. Lagardelle écrit : «Les socialistes parlementaires et les démocrates s'efforcent de conquérir Etat; les syndicalistes révolutionnaires tâchent de le désorganiser pour le mieux détruire... Ruiner la hiérarchie, briser le lien de dépendance qu'elle organise, annihiler la puissance formidable de l'instrument principal de la domination bourgeoise, voilà le sens de la guerre qui commence entre l'Etat et ses subordonnés. La propagande antimilitariste et anti-patriotique elle aussi n'a pas d'autre sens... ». C'est la Confédération générale du travail, qui avail organisé la journée du 1er mai 1906, qui jeta la terreur dans la bourgeoisie parisienne.

80. Les industries et commerces monopolisés et ceux soumis à un régime de police. - Le législateur porte-t-il atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie lorsque, dans un intérêt fiscal, il crée au profit de l'Etat le monopole de fabrication ou de

vente d'un certain produit? Chacun sait qu'aujourd'hui existe en France le monopole de fabrication et de vente pour le tabac, les poudres et salpêtres, les allumettes, les postes, les télégraphes et téléphones, les monnaies. On ne saurait sérieusement prétendre que le principe de la liberté du travail ait pour conséquence logique et nécessaire l'impossibilité pour le législateur d'établir dans un but fiscal au profit de l'Etat le monopole de certaines industries et de certains commerces. Le législateur a incontestablement le droit d'établir des impôts; et l'impôt est forcément une atteinte soit à la liberté du travail, soit à la propriété, et souvent à l'une et à l'autre. Par conséquent, le monopole fiscal d'une industrie et d'un commerce est légitime, puisque, en fin de compte, il n'est pas autre chose, comme tout impôt, qu'une limitation apportée dans un intérêt fiscal à la liberté du travail et à la propriété. Il appartient au législateur de décider, d'après les données de l'art économique, comment l'impôt, qui doit atteindre tel produit, doit être organisé, s'il doit être établi sous la forme d'une taxe ou sous la forme d'un monopole. Assurément le monopole ne doit être établi que sur des objets de luxe et seulement dans le cas où il est seul susceptible de donner le résultat financier cherché. C'est, peut-on dire, une forme d'impôt subsidiaire, à laquelle le législateur ne doit avoir recours que lorsque les formes ordinaires d'impôt ne peuvent produire les résultats financiers voulus.

Il est un commerce dont le monopole établi au profit de l'Etat se rattache à un tout autre ordre d'idées, c'est celui des postes, télégraphes et téléphones. Le monopole de l'Etat n'a pas ici pour but principal un but fiscal; il se rattache à ce fait incontestable qu'il y a là un commerce qui touche directement l'intérêt collectif, qui doit constituer un véritable service public, dont l'Etat par conséquent doit assurer l'exécution. Les économistes orthodoxes eux-mêmes sont obligés de reconnaître que le service des postes et des télégraphes ne peut être utilement assuré que par l'Etat lui-même ; que, notamment, les postes et télégraphes pourraient difficilement rendre les services internationaux que les peuples ont le droit d'en

attendre, si les différents Etats n'avaient monopolisé ces services. De la raison qui justifie le monopole des postes et télégraphes, il résulte que, rationnellement et équitablement, un Etat doit consacrer à l'amélioration de ces services tous les bénéfices nets qu'il tire de leur exploitation Cf. rapport Sembat, budget postes, 1906, J. off., doc. parl., chambre, sess. extr., p. 201.

Industries frappées d'interdiction. - Certaines industries ne peuvent s'exercer qu'au moyen d'actes qui sont considérés comme des infractions pénales. Naturellement, de pareilles industries sont interdites. Leur exercice entraîne une peine; et le législateur qui les interdit ne porte point atteinte à la liberté du travail. La liberté ne peut jamais être le droit de faire une chose qui constitue une infraction pénale.

On peut citer, à titre d'exemple, la fabrication de la fausse monnaie (C. pén., art. 132 et suiv.); la fabrication, le colportage et la distribution des imprimés simulant des billets de banque, titres de rente, vignettes et timbres du service des postes français et étranger (LL. 11 juillet 1885, 13 avril 1892); l'usure (LL. 3 septembre 1807, 19 décembre 1850 et 12 janvier 1886, D. 29 janvier 1898 pour l'Algérie); la tenue de maison de jeu (C. pén., art. 410); les loteries (L. 21 janv. 1836); l'exploitation des paris sur les courses de chevaux (L. 2 juin 1891); la vente en vue des paris à faire de renseignements sur les chances des chevaux engagés, etc. (L. 3 avril 1900); la vente, l'exposition ou la distribution d'écrits autres que les livres, d'affiches, de dessins, de gravures obscènes ou contraires aux bonnes mœurs (L. 16 mars 1898).

Industries qui ne peuvent s'exercer que par une concession de l'Etat. Toute exploitation d'une ligne de chemin de fer, d'intérêt local ou d'intérêt général, exige une loi (L. 11 juin 1880, art. 2, § 2). L'exploitation des chemins de fer en France n'est pas un service public; mais elle est placée sous le contrôle direct de l'Etat. Le caractère particulier de l'exploitation des chemins de fer fait qu'on ne doit point voir dans ce contrôle une atteinte au principe de la liberté du commerce et de l'industrie.

L'industrie minière. — Il n'y a pas pour le législateur moderne œuvre plus difficile que d'établir une législation minière qui respecte tous les droits, sauvegarde tous les intérêts et établisse une heureuse ba

lance de l'intérêt général et de l'intérêt privé. Au premier abord, il semble que, dans un pays qui reconnaît encore le principe de la propriété foncière individuelle, entrainant propriété du dessus et du dessous (Déclar. des droits, art. 17; C. civ., art. 552), la mine devrait appartenir sans restriction au propriétaire du sol qui serait libre de l'exploiter ou de ne pas l'exploiter à son gré. Mais cette solution vient se heurter à de graves objections. D'abord, on justifie souvent la propriété individuelle du sol en disant qu'elle est le produit du travail du possesseur ou de son auteur qui, à un moment donné, l'a mis en état de culture. Or, il n'en est point ainsi pour la mine qui est un produit purement naturel; et il est de toute équité que la propriété de la mine ne soit point comprise dans la propriété du sol. D'autre part, la mise en exploitation d'une mine exige de gros capitaux et le plus souvent le propriétaire du sol serait dans l'impossibilité de se les procurer. Il faut ajouter que, très souvent aussi, le gisement minier s'étend sur un espace dont la surface appartient à un grand nombre de propriétaires, et cette division rendrait encore impossible l'exploitation de la mine. Or il y a un intérêt collectif de premier ordre à ne pas laisser inexploitées des richesses minières qui peuvent être considérables. C'est pour ces raisons principales que toutes les législations modernes, tout en reconnaissant le principe de la liberté du travail et de l'inviolabilité de la propriété, soumettent l'industrie minière à un régime qui implique de graves restrictions à la propriété et à la liberté industrielle.

Aujourd'hui en France le régime des mines est réglé par la loi du 21 avril 1810, complétée el modifiée sur certains points de détail par la loi du 17 juillet 1880. M. Berthélemy écrit très exactement : «La loi du 21 avril 1810 est une transaction pratique où il est tenu compte des droits possibles des propriétaires de la surface, des droits nécessaires des inventeurs et des droits certains de la collectivité, créatrice du milieu d'où la mine tient sa valeur. L'autorité concède la mine à qui présente à ses yeux les plus sûres garanties. Ni l'inventeur ni le propriétaire ne peuvent réclamer la

préférence. Si ni l'un ni l'autre n'obtiennent la concession, l'un est récompensé, l'autre indemnisé. Le droit de la collectivité est représenté par une redevance fiscale. L'administration garde perpétuellement la surveillance sur l'exploitation (Droit adm., 4 édit., 1906, p. 707). — Le concessionnaire est obligé d'exploiter la mine. D'après une jurisprudence constante, qui s'appuie sur une interprétation contestable de l'art. 49 de la loi du 21 avril 1810, la sanction de cette obligation est la déchéance de la concession. Cette solution, si elle ne peut invoquer un texte formel, est rationnelle la concession de la mine est faite en effet bien plus dans l'intérêt collectif que dans l'intérêt du concessionnaire. Cf. arrêt cons. d'Etat, 27 juillet 1906, avec d'intéressantes conclusions de M. le commissaire du gouvernement Teissier, Le Temps. 2 août 1906. Cons, sur le régime minier, Colson, Economie politique, 1903, II, p. 25 et suiv.

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La nationalisation intégrale des mines est un article essentiel du programme collectiviste. Cf. le discours de M. Jaurès à la chambre des députés, séance du 14 juin 1906. Le gouvernement, dans la déclaration lue aux chambres le 12 juin 1906, a annoncé le dépôt d'un projet de loi « qui aura pour but de corriger les imperfections de la loi de 1810 soit en donnant à l'Etat un droit plus étendu de déchéance..., soit en entourant la rétrocession de conditions dont l'absence peut constituer un véritable danger ».

Une question tout à fait analogue à celle des mines s'est posée récemment par suite de la merveilleuse découverte de la transmission de la force par l'électricité. Dans le droit actuel la pente des eaux et les eaux elles-mêmes sont res nullius (L. 8 avril 1898). Mais la force motrice qu'elles constituent ne peut être utilisée que par les riverains. Ceux-ci peuvent, avec l'autorisation de l'administration, établir des barrages; mais cette autorisation ne leur confère aucun droit exclusif à l'égard des autres riverains (L. 8 avril 1898, art. 10 et 11). Un pareil régime rend complètement impossible l'établissement de barrages puissants permettant de capter toute la force motrice d'un cours d'eau et de créer une grande industrie. Ici encore se trouvent en présence des intérêts et des droits qu'il s'agit de concilier, les droits et les intérêts des propriétaires riverains, et les intérêts de la collectivité qui ne peut être privée des facteurs puissants de production que constitue la houille blanche.

La chambre des députés dans la précédente législature a été saisie d'un long projet de loi présenté par le gouvernement le 15 janvier 1904, arrêté après les travaux d'une commission dont le rapport a été fait par MM. Hauriou et Michoud. V. la substance de ce rapport dans le long exposé des motifs qui précède le projet de loi et dans lequel sont analysés les divers systèmes proposés (J. off., doc. parl., chambre, sess. ordin., 1904, p. 26). Voir aussi les études et les discussions de la Société d'études législatives, Bulletin, 1902 et 1903. - Rapp. L. 15 juin 1906.

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