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du commerce. 1904, et J. off.. doc. parl., chambre, sess on ord.. 1905, p. 51; Rupport de M. Charles Benoist, très intéressant sur l'évolution du travail et l'évolution de l'Etat, J. off., doc. parl., chambre, session ord.. 1905, p. 187. Dans la déclaration lue aux chambres le 12 juin 1906, le gouvernement a annoncé le dépôt d'un projet de loi ayant pour but de définir « les obligations et les droits résultant du contrat de travail... et de définir les caract` res du contrat collectif de travail ». Ce projet a été déposé à la chambre le 2 juillet 1906.

Le législateur, en déterminant ainsi les conditions du travail, ne porte-t-il pas atteinte à la liberté individuelle dans l'une de ses plus importantes manifestations? Que le législateur puisse et doive même intervenir pour réglementer le travail des enfants et des femmes, les individualistes les plus convaincus le reconnaissent. Mais d'après eux, en réglementant le travail des adultes, l'Etat excède certainement ses pouvoirs. Chacun, disent-ils, doit être libre de travailler à sa guise, le nombre d'heures qu'il lui plaît et pour le salaire qu'il accepte. On ajoute que l'Etat, en intervenant pour réglementer le contrat de travail, fausse le jeu des lois économiques au détriment même de ceux qu'il veut protéger.

Cf. Molinari, Les lois économiques; Faguet, Le libéralisme; Herbert Spencer, L'individu e! l'Etat.

Au point de vue individualiste pur, il est bien difficile en effet de justifier l'intervention de l'Etat réglant les clauses du contral entre employeur et employé. Cependant les néo-individualistes, avec M. Henry Michel (De l'idée de l'Etat, 1896), estiment (cf. § 93) qu'en vertu du principe individualiste même l'Etat a certaines obligalions positives et que par conséquent il a non seulement le pouvoir, mais encore le devoir d'empêcher l'exploitation de l'homme par l'homme et d'intervenir lorsque entre les contractants les situations sont inégales, comme entre ouvriers et patrons.

Il nous est indifférent de savoir si l'intervention de l'Etat dans le contrat de travail cadre ou non avec la doctrine individualiste. Mais il nous parait incontestable que l'Etat peut, sans violer le droit supérieur qui s'impose à lui, et même doit, en vertu de ce droit même fondé sur la solidarité sociale (cf. §§ 5-7), réglementer le contrat de travail et empêcher par des dispositions appropriées que l'employé ne soit écrasé par l'em

ployeur, en un mot assurer l'égalité de situation entre employeurs et employés, assurer le libre développement de l'activité de chacun et déclarer nulle toute clause du contrat de travail que l'employé n'aurait certainement pas acceptée s'il avait pu discuter librement les clauses du contrat, et s'il n'avait pas été obligé de les accepter sous la pression des besoins matériels. L'argument qui consiste à dire que chacun doit être libre de travailler comme il l'entend et que le législateur n'a pas le droit de restreindre cette liberté est sans valeur, car, la liberté du travail étant la conséquence de l'obligation sociale du travail, nul n'a le droit de travailler au delà de ses forces (cf. § 7).

D'ailleurs, comme l'a très bien dit M. Charles Benoist, la question ne se pose plus ; « c'est une autre question qui se pose: comment le travail, comment le nombre, comment le peuple devenu l'Etat, résoudra-t-il l'antinomie entre sa misère et sa souveraineté ? Comment ne serait-il pas emporté de toute sa puissance à la résoudre par la législation...? Quoi qu'il en soit, il n'y a pas à justifier aujourd'hui par des raisons politiques l'action législative de l'Etat moderne en matière d'organisation du travail; étant ce qu'il est, il ne peut plus ne pas agir... A dire le vrai, c'est une question de mesure et ce n'est qu'une question de mesure » Rapport précité sur le code du travail, J. off., documents parlem., chambre, session ordin., 1905, p. 207 et 208).

Il faut ajouter que, parall lement à l'action du législateur, une transformation profonde est en train de s'accomplir dans le contrat de travail. Suivant la terminologie à peu près généralement adoptée, il tend à cesser d'être un contrat individuel pour devenir un contrat collectif. Cela veut dire que le contrat de travail cesse d'ètre une convention intervenue entre des individualités réglant d'un commun accord et pour elles des obligations et des droits réciproques et devient un accord entre deux groupes sociaux établissant d'avance sous le contrôle de l'Etat les règles qui seront applicables à tous ceux qui, dans une industrie déterminée, seront employeurs ou employés. En réalité, le contrat du travail proprement dit tend à disparaitre; la situation du patron et de l'ouvrier cesse d'être une situation contractuelle et subjective pour devenir une situation réglementaire et objective. Celle expression de contrat collectif, mise à la mode depuis quelque temps, est tout à fait inexacte; elle désigne un phénomène juridique qui est l'opposé même du contrat. Cons. Larouzé, De la représentation des intérêts collectifs, 1905; Truchy, Revue d'économie politique, 1905, p. 858; E. Bourdon, Des contrats d'utilité générale passés au profit d'une collec

tivité (contrats syndicaux et municipaux), 1905; Lewandowski, Revue polit. et parl., 10 juillet 1906, p. 111; les travaux et discussions de la Société d'études législatives, Bulletin, 1905, p. 73 et suiv., 94 et suiv., 153 et suiv., 209 et 243 et suiv.; 1906, p. 358. La déclaration ministérielle du 12 juin 1906 annonçait le dépôt d'un projet de loi « définissant les caractères du contrat collectif de travail ». Ce projet a été déposé à la chambre des députés par M. Doumergue, le 2 juillet 1906. Dans l'exposé des motifs, on lit notamment : « La convention collective de travail ne constitue pas un contrat de travail, mais détermine les conditions générales auxquelles devront satisfaire les contrats de travail individuels passés entre employeurs et employés parties à la convention » (Le Temps, 4 juillet 1906). La formule est tout à fait exacte.

82. La liberté d'opinion. Les auteurs qui ont écrit que la doctrine individualiste et libérale de la Déclaration des droits de 1789 (cf. supra, § 71) avait sa source dans le Contrat social de J.-J. Rousseau, n'avaient certainement pas lu le passage suivant : « Il y a une profession de foi purement civile dont il appartient au souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentiments de sociabilité, sans lesquels il est impossible d'être bon citoyen ni sujet fidèle. Sans pouvoir obliger personne à les croire, il peut bannir de l'Etat quiconque ne les croit pas; il peut le bannir non pas comme impie, mais comme insociable, comme incapable d'aimer sincèrement les lois, la justice, d'immoler au besoin sa vie à son devoir. Que si quelqu'un, après avoir reconnu publiquement ces mêmes dogmes, se conduit comme ne les croyant pas, qu'il soit puni de mort; il a commis le plus grand des crimes; il a menti devant les lois >> (Liv. IV, chap. VIII). C'est l'affirmation que l'Etat peut imposer une certaine doctrine à l'acceptation des citoyens sous peine de bannissement ou de mort; c'est l'idéal du jacobinisme; c'est l'antipode même du principe de la liberté d'opinion, formulée dans la Déclaration des droits de 1789 en termes parfaits: « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par

la loi » (art. 10). Bien qu'aucun gouvernement n'ait porté à la liberté d'opinion des atteintes plus graves que la Convention, elle en affirme le principe en des termes énergiques. « Le droit de manifester sa pensée et ses opinions... ne peut être interdit. La nécessité d'énoncer ces droits suppose ou la présence ou le souvenir récent du despotisme (Décl. 1793, art. 7.

Rapp. Cons. an III, art. 353).

En affirmant la liberté d'opinion, on n'entend pas d'ailleurs affirmer seulement le droit intangible qu'a chacun de penser et de croire intérieurement ce qu'il veut, mais encore le droit d'exprimer extérieurement et publiquement par la parole ou par l'écrit ce qu'il pense ou ce qu'il croit. Le législateur ne peut établir un credo laïque, comme le voulait Rousseau, et subordonner la possibilité de manifester une opinion à la conformité de cette opinion à ce credo. La pensée doit être indépendante de toute règle établie par l'Etat; chacun peut penser et croire ce qu'il veut; la liberté de croire doit être aussi complète que la liberté de ne pas croire; et chacun doit pouvoir exprimer librement, sans autorisation préalable, tout ce qu'il pense, tout ce qu'il croit. Cette liberté n'a qu'une limite, toujours la même le respect de la liberté d'autrui. La manifestation des opinions doit être réprimée << si elle trouble l'ordre public établi par la loi » (Déc. 1789, art. 10). Troublant l'ordre public établi par la loi, elle porte atteinte par là même à la liberté et à la sécurité de tous.

Quoique la chose paraisse invraisemblable, le législateur à certaines époques n'a pas hésité à pénétrer dans le domaine intangible de la conscience intime, et à sévir non pas seulement contre les manifestations d'opinions, contraires à l'ordre public, mais même contre les opinions politiques, philosophiques ou religieuses altribuées par suspicion à telle ou telle personne. Les lois des suspects de la période révolutionnaire procèdent de cette idée. C'est le passage précité du Contrat social qui inspire directement la loi du 17 septembre 1793, décidant qu'immédiatement « tous les gens suspects qui se trouvent sur le territoire de la république et qui sont encore en liberté seront mis en état d'arrestation », que «< sont

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réputés gens suspects: 1o ceux qui, soit par leur conduite, soit par leurs relations, soit par leurs propos ou écrits, se sont montrés partisans de la tyrannie ou du fédéralisme et ennemis de la liberté..... »

La liberté d'opinion, conséquence immédiate de l'autonomie de la personne humaine, implique le droit d'exprimer librement et sans autorisation, dans la mesure où cette manifestation ne porte pas atteinte à l'ordre public établi par la loi et à la liberté des autres, des opinions politiques, philosophiques, scientifiques ou religieuses, soit par la parole, soit par l'écrit. Par suite, elle comprend la liberté de réunion, la liberté de l'enseignement, la liberté de la presse et la liberté de pétition. Quoique conséquences rationnelles de la liberté d'opinion affirmée en 1789, quoique consacrées expressément par la Déclaration de 1789 et la constitution de 1791, ce n'est cependant qu'à la suite de longs efforts que ces quatre libertés ont été organisées par la loi positive, et l'une d'elles, la liberté de l'enseignement, a rencontré naguère encore des adversaires bruyants. Quoi qu'il en soit, actuellement nos lois françaises reconnaissent et garantissent la liberté d'opinion dans ses diverses manifestations. Cf. §§ 83-87.

Il est cependant un mode de manifestation publique de la pensée, qui, par une anomalie étrange, est encore soumis au régime de police c'est le théâtre. Une œuvre dramatique de quelque ordre qu'elle soit est un produit de la pensée; elle est destinée non pas seulement à être imprimée, mais surtout à être représentée devant un public. Or il se trouve que l'impression d'une pièce de théâtre est absolument libre, que la réunion d'un public pour entendre une conférence ou une discussion contradictoire est aussi absolument libre, qu'au contraire la réunion d'un public pour entendre la représentation d'une œuvre théâtrale n'est point libre, mais soumise à l'autorisation préalable de l'administration, et que celle-ci peut même, après avoir autorisé la représentation, retirer discrétionnairement l'autorisation el interdire la continuation des représentations. Ce régime de police a été très critiqué; on a bien souvent demandé sa suppression et l'application d'un régime simplement répressif; il est appliqué en fait avec modération; en droit il existe toujours.

La loi du 19 janvier 1791, conforme aux principes de la Déclaration des droits, portait que « tout citoyen peut élever un théâtre

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