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nelles rigides. La France, les Etats-Unis et beaucoup d'autres pays vivent sous le régime des constitutions rigides. Au contraire l'Angleterre ne connaît qu'une seule catégorie de lois. Cette distinction des lois constitutionnelles et des lois ordinaires est purement formelle. Elle se réduit à ceci qu'il y a certaines lois qui sont faites en une forme particulière, par un organe spécial, et qui ne peuvent être ni modifiées ni abrogées par le législateur ordinaire. Habituellement ces lois constitutionnelles contiennent des dispositions sur les obligations générales de l'Etat, sur les droits de l'individu à l'égard de l'Etat, sur l'organisation politique. Mais l'objet de ces lois importe peu; leur caractère particulier tient uniquement au caractère de l'organe qui les fait. On reviendra plus longuement sur la distinction des lois constitutionnelles rigides et des lois ordinaires.

18. Les divisions du droit public. Le droit public, droit de l'Etat, étant ainsi constaté par la coutume, par la loi écrite constitutionnelle ou ordinaire, se divise naturellement en un certain nombre de parties, qui sans doute se pénètrent intimement réciproquement, mais qu'il est indispensable d'établir pour arriver à faire un groupement méthodique des règles de droit public.

Nous trouvons d'abord le droit public externe, ou droit international ou droit des gens, qui comprend l'ensemble des règles de droit s'appliquant aux Etats dans leurs rapports entre eux. On distingue souvent le droit international public et le droit international privé. En réalité cette distinction n'existe pas; ce qu'on appelle le droit international privé est véritablement du droit public, puisqu'il comprend les règles s'appliquant aux conflits nés entre deux Etats, en tant que par leur puissance législative ils règlent les rapports privés de leurs sujets ou des personnes qui se trouvent sur leur territoire. Le droit international restera complètement en dehors de nos études.

Au droit public externe on oppose le droit public interne comprenant toutes les règles s'appliquant à un Etat déterminé. Une première partie du droit public externe groupe les règles de droit qui s'appliquent à l'Etat pris en lui-même, qui déterminent les obligations qui s'imposent à lui, les droits dont il est titulaire et aussi son organisation intérieure. On suppose que l'Etat n'entre pas en relation avec d'autres personnalités et on étudie les règles qui s'appliquent ainsi à l'Etat dans ce qu'on pourrait appeler sa vie intérieure. Cette première partie du droit public interne est extrêmement vaste. Cela tient d'une part à ce que l'époque moderne est arrivée à la notion précise de l'Etat de droit et a compris que le but essentiel à poursuivre est de limiter l'Etat par le droit, en déterminant rigoureusement et minutieusement ses droits et ses obligations, et d'autre part à ce que le rôle de l'Etat moderne s'accroissant chaque jour, son organisation intérieure devient chaque jour plus complexe. Cette première partie du droit public interne, on l'appelle souvent le droit constitutionnel (en prenant le mot constitutionnel dans un sens très large, et non plus dans le sens étroit où on l'emploie pour désigner les lois constitutionnelles rigides). Cette expression droit constitutionnel est mauvaise, précisément parce qu'elle prête à la confusion que nous signalons. Cependant elle passe de plus en plus dans l'usage, et pour nous y conformer c'est le titre principal que nous avons donné à ce livre, qui est exclusivement consacré à l'étude de cette première partie du droit public.

L'expression qui nous paraîtrait la plus exacte pour désigner cette première partie du droit public interne, est droit public organique. Mais nous reconnaissons volontiers que cette expression n'a pas encore acquis droit de cité dans la terminologie du droit français et nous y renonçons d'autant plus qu'elle pourrait aussi faire croire que nous faisons une part aux doctrines fausses sur l'assimilation de l'Etat à un organisme naturel. Nous serons cependant, à défaut d'autre mot, obligé de parler plus tard des organes de l'Etat.

Beaucoup d'auteurs distinguent d'une part le droit public géné

ral ou les principes du droit public, et d'autre part le droit constitutionnel proprement dit. A la Faculté de droit de Paris, il y a même deux chaires, une chaire de Principes du droit public et une chaire de Droit constitutionnel comparé, et au 1er examen de doctorat politique, le décret du 8 août 1898 donne aux candidats le choix entre les Principes généraux du droit public et le Droit constitutionnel. Nous avouons franchement que nous ne voyons pas la différence qui peut bien exister entre le droit public général et le droit constitutionnel. Personne ne pense que l'étude du droit constitutionnel se réduise au commentaire des quelques textes qui, en France ou dans les pays étrangers, ont le caractère constitutionnel rigide; dès lors, le droit constitutionnel, ou n'est rien, ou comprend l'ensemble des règles relatives à la structure interne de l'Etat et à son organisation comme à la limite de ses droits et à l'étendue de ses obligations. Peut-on dire que dans un cours de Principes du droit public on expose surtout des théories générales et que dans un cours de Droit constitutionnel on s'attache surtout à l'étude descriptive des institutions positives? Ce n'est pas alors une question d'objet, mais seulement une question de méthode. Or il nous semble que les théories générales ne sont rien si elles ne reposent pas sur l'observation des institutions positives et qu'à l'inverse l'étude des institutions positives n'offre aucun intérêt el n'a rien de scientifique si on ne les rattache pas à un certain nombre d'idées générales. Au reste il ne convient pas d'insister plus longuement sur ces questions de terminologie et de méthode.

Après avoir considéré l'Etat en lui-même, il faut l'observer entrant en relations avec d'autres personnalités, des personnalités n'ayant pas le caractère d'Etat. Le droit public interne comprend toutes les règles de droit qui s'appliquent aux rapports nés entre l'Etat et d'autres personnes juridiques n'ayant pas le caractère d'Etat. On aperçoit tout de suite combien est vaste cette seconde partie du droit public interne, et comment son domaine s'agrandit chaque jour, à mesure que les attributions de l'Etat s'accroissent.

Cet accroissement constant de l'activité étatique est critiqué et regretté par les uns, approuvé et encouragé par les autres; il a donné lieu et donne encore lieu à de vives polémiques. Elles nous paraissent sans objet : il y a là un fait irrésistible, que l'on doit constater et qu'il faut prendre tel quel. Il a pour conséquence la formation d'un nombre toujours plus grand de règles juridiques, s'appliquant aux rapports

toujours plus nombreux et plus complexes naissant de l'intervention continuelle de l'Etat. Il n'y a pas un moment de son existence où l'homme moderne ne se trouve en contact avec l'Etat et ses agents. Ce contact continuel a donné naissance à une somme énorme de règles juridiques la plupart écrites, quelques-unes coutumières, qui forment cette seconde division du droit public. Les législations, les jurisprudences modernes. et particulièrement la jurisprudence française sont intervenues ici fréquemment et minutieusement, parce que c'est dans ce contact incessant de l'individu et de l'Etat que le danger d'arbitraire a surtout apparu et qu'on a senti le besoin de le prévenir dans la mesure du possible.

Etant donnée la vaste étendue de cette partie du droit public, comprenant toutes les règles s'appliquant aux rapports de l'Etat avec d'autres personnalités, il est nécessaire d'y faire une subdivision. Celle qui nous paraît la plus logique se rattache à la distinction des deux fonctions de l'Etat, la fonction administrative et la fonction juridictionnelle. La fonction de contrainte n'a pas, à vrai dire, comme on le montrera plus loin, un caractère spécifique juridique; elle consiste à assurer l'exécution par la force des actes administratifs ou des actes juridictionnels et par conséquent à elle ne peut correspondre une partie déterminée du droit. public. A l'exercice de la fonction administrative correspond le droit administratif, comprenant l'ensemble des règles qui régissent les rapports nés entre l'Etat et une autre personne à la suite d'un acte administratif. On montrera plus loin que le droit administratif comprend aussi les règles s'appliquant à l'activité des personnes collectives publiques autres que l'Etat (cf. $42). C'est surtout cette partie du droit public qui prend de nos jours une importance considérable, car c'est par le moyen d'actes administratifs que l'Etat réalise son intervention si fréquente et si active dans tous les domaines de la vie sociale, industrie, com

merce, enseignement, rapports du capital et du travail; c'est par des actes administratifs que l'Etat se procure et gère les capitaux énormes dont il a besoin pour accomplir sa mission; c'est par les mêmes actes que l'Etat remplit aussi ses devoirs d'assistance et de protection aux faibles, aux malheureux, aux infirmes, devoirs qu'on lui reconnaît unanimement aujourd'hui et que vient de consacrer la loi du 14 juillet 1905. Le domaine du droit administratif est si vaste que l'on a pris l'habitude d'en détacher certaines parties, comme le droit financier, le droit industriel et bientôt, nous l'espérons, la législation sur l'assistance publique. Le décret du 1er août 1905 a créé, en vue de la licence en droit, un enseignement spécial du droit industriel et de la législation financière (J. off., 3 août 1905).

La dernière subdivision du droit public correspond à la fonction juridictionnelle et comprend toutes les règles de droit s'appliquant aux rapports, nés entre l'Etat et une autre personne juridique, à l'occasion de la fonction juridictionnelle. Pour la nature de la fonction juridictionnelle, v. §§ 44-46. En France, par suite de l'organisation spéciale de la fonction juridictionnelle et de la compétence très étendue donnée en matière juridictionnelle à des fonctionnaires de l'ordre administratif, il se trouve qu'une bonne partie du droit juridictionnel, sous le nom de contentieux administratif, fait partie du droit administratif. Dans beaucoup de pays étrangers il en est de même (cf. § 55). Malgré cela, nous croyons qu'il est logique de faire rentrer dans une subdivision du droit public toutes les règles relatives aux rapports de l'Etat avec une autre personnalité, nés à l'occasion d'un acte de juridiction; on devrait logiquement appeler cette partie du droit public droit juridictionnel. Cependant cette expression n'est pas entrée encore dans l'usage. On en comprendra la raison en remarquant qu'en fait cette partie du droit public comprend toutes les règles qui s'appliquent à l'intervention de l'Etat jugeant en matière civile et

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