Page images
PDF
EPUB

américain, et que cela pourrait même provoquer des conflits, créer une nouvelle cause d'agitation et de division. Cf. en ce sens Larnaude, loc. citat., Bulletin société législation comparée, 1902, p. 227-229.

[ocr errors]

De bons esprits estiment cependant qu'il faudrait donner expressément aux tribunaux français le pouvoir d'apprécier la constitutionnalité des lois. Cf. notamment les opinions de M. Saleilles (avec certaines restrictions et précisions), de MM. Thaler, Jalabert, exprimées après la communication de M. Larnaude, Bulletin société de législation comparée, 1902, p. 240 et suiv.

Il faut noter, du reste, que si nous refusons aux tribunaux le droit d'apprécier la constitutionnalité d'une loi, nous leur reconnaissons le droit et même l'obligation de n'appliquer qu'une loi régulièrement promulguée par le chef de l'Etat. On établira au § 139 que la promulgation est un acte législatif, un élément essentiel de la loi; tant qu'il n'y a pas promulgation, il n'y a pas loi et, par conséquent, les tribunaux ne doivent point appliquer un acte qui, constitutionnellement, n'a pas le caractère de loi. Si, par exemple, les présidents des chambres transmettaient aux tribunaux un texte de loi voté par les deux chambres, mais non promulgué par le président de la république, ils ne devraient point en faire application.

Il ne faut pas d'ailleurs aller plus loin les tribunaux ne pourraient point, par exemple, refuser d'appliquer un texte promulgué par le président de la république, sous prétexte qu'il n'aurait point été régulièrement délibéré et voté par les chambres. Les tribunaux ne sont point compétents pour examiner la régularité de la procédure parlementaire; et, du moment que le texte est régulièrement promulgué comme loi, ils n'ont qu'à l'appliquer. Nous ne donnerions pas cependant la même solution si le président de la république promulguait comme loi un texte qui n'aurait point été voté par les deux chambres. Alors, malgré le nom de loi donnée au texte, il n'y aurait qu'un simple décret réglementaire dont, d'après une opinion qui devient unanime, les tribunaux peuvent apprécier la légalité. Il est vrai de dire que la dernière hypo

thèse prévue ne se rencontrera guère qu'au cas de coup d'Etat, où la force remplace le droit et où par conséquent le juriste n'a rien à faire.

Sur tous ces points, outre les auteurs déjà cités, cons. V. Clappier, Les lois inconstitutionnelles et le pouvoir judiciaire, discours prononcé à la conférence des avocats à la cour de cassation, le 13 décembre 1902, Gazelle des tribunaux, 19 décembre 1902.

95. Le droit et l'Etat administrateur et juge. Au stade de l'évolution juridique auquel sont parvenues les sociétés modernes, le droit légal, c'est-àdire constaté par la loi positive, coïncide approximativement avec le droit objectif général. Cela rappelé, dire que l'Etat administrateur et juge est lié par le droit, c'est dire qu'il est lié par la loi positive, qu'il ne peut agir que dans les limites de la loi, qu'il ne peut faire que ce que la loi lui permet de faire, et qu'il est obligé de faire tout ce que la loi lui ordonne de faire. Les principales applications de cette idée générale ont déjà été indiquées en différents passages de ce livre (cf. notamment §§ 38-42, 44-46, 66). Il suffit ici de les rappeler en les groupant synthétiquement.

Les conséquences qui résultent de l'idée générale qui vient d'être indiquée peuvent se grouper sous dix chefs 1° un acte administratif n'est valable que si la manifestation de volonté qui lui sert de support est déterminée par un but reconnu légitime par la loi; 2o un acte administratif n'est valable que s'il est fait par un fonctionnaire agissant dans les limites de la compétence qui lui est donnée par la loi; 3° un acte administratif n'est valable que si le fonctionnaire exerce sa compétence dans le but que la loi a eu en vue en la lui donnant; 4° un acte administratif quel qu'il soit, fait en violation de la loi, qu'il soit un acte administratif proprement dit ou une opération matérielle, peut donner naissance à la responsabilité pécuniaire de l'Etat (cf. § 96); 5° un acte administratif fait valablement, acte unilatéral ou acte contractuel, ou (ce qui est la même chose) acte d'autorité ou acte de gestion,

oblige l'Etat avec la même force qu'un particulier; 6o l'Etat exerçant la fonction juridictionnelle doit toujours résoudre la question de droit objectif ou la question de droit subjectif d'après la décision même de la loi; 7° l'Etat peut être partie à un procès, et la décision rendue par le juge l'oblige aussi énergiquement qu'un simple particulier; 8° l'Etat est obligé d'intervenir juridictionnellement pour donner une sanction à toute situation juridique née en dehors de lui; 9° l'Etat est obligé d'intervenir juridictionnellement pour annuler tout acte juridique fait en violation de la loi; 10° l'Etat est obligé d'intervenir juridictionnellement pour assurer conformément à la loi la répression ou la réparation de tout acte fait en violation de la loi. Ce ne sont là que des applications de l'idée moderne de l'Etat de droit (Rechtsstaat). L'Etat moderne est un Etat de droit : 1o parce qu'il ne peut faire certaines lois contraires au droit; 2° parce qu'il est obligé par le droit de faire certaines lois (cf. § 69-94); 3° parce que, administrateur et juge, il est lié par les lois qu'il a faites, dans les conditions qui viennent d'être rappelées.

Comment l'Etat, qui fait la loi, peut-il être lié, en tant qu'il administre et qu'il juge par la loi qu'il a faite lui-même ? C'est la question même du fondement du droit public, et aussi la question du caractère impératif de la loi, lesquelles ont été étudiées aux §§ 16, 17 et 36 et sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici. Pour le caractère obligatoire des contrats de l'Etat, ef. § 29, p. 120.

Il ne peut entrer dans le cadre de ce Manuel d'étudier les moyens de sanction organisés par la loi positive pour garantir dans la mesure du possible le respect de la loi par l'Etat administrateur et juge. Ce serait étudier tout le droit administratif et toute la procédure civile et pénale. Il suffit de rappeler que pour ce qui est du respect de la loi par l'Etat juge, les législations modernes ont essayé de le garantir au moyen de différents recours juridictionnels qui sont

ouverts contre les décisions des diverses juridictions et dont les principaux sont l'appel et le pourvoi en cassation.

Pour les actes administratifs, la garantie du respect de la loi est assurée par un système compliqué de hiérarchie fonctionnelle et de contrôle administratif (cf. § 68), mais surtout par un recours contentieux objectif, le recours pour excès de pouvoir auquel la jurisprudence du conseil d'Etat donne une portée chaque jour plus étendue (cf. SS 46 et 66).

Enfin l'application de la loi est encore garantie par la responsabilité des fonctionnaires (cf. § 67) et par la responsabilité de l'Etat (cf. § 96).

Mais il faut remarquer que malgré tous ces recours, il arrive toujours un moment où la décision émane d'une autorité contre laquelle il n'y a pas de recours possible. Ce sont ou bien les juridictions souveraines, comme en France la cour de cassation et le conseil d'Etat, ou certains organes, comme le parlement, contre lesquels la législation n'admet point de recours. Mais si la violation de la loi par ces autorités ou ces organes ne peut être réprimée, cela ne veut point dire qu'eux ils puissent violer la loi. Nul ne peut violer la loi et tant qu'elle existe, elle s'impose avec la même rigueur au parlement, aux cours souveraines, comme au plus humble des fonctionnaires.

96. De la responsabilité de l'Etat. Les questions de responsabilité sont aujourd'hui les questions capitales du droit public comme du droit privé. En effet l'étendue de la responsabilité varie en raison directe de la sphère d'activité du sujet de droit considéré. Si le domaine d'activité individuelle s'élargit, l'étendue de la responsabilité individuelle s'accroît dans les mêmes proportions. Comme d'autre part, la conscience de la solidarité sociale se précise chaque jour davantage, la notion de responsabilité réciproque des individus se précise aussi, et les obligations naissant de cette responsabilité deviennent plus nom

breuses et plus étroites. C'est à cette double idée que se rattache la théorie de la responsabilité objective qui chaque jour s'affirme davantage.

Cf. Teisseire, Fondement de la responsabilité, 1901; Gény, Risque et responsabilité, Revue trimest. de droit civil, 1902, p. 812; Rapport de M. Saleilles, Bulletin de la Société des études législatives, 1905, p. 335 et surtout p. 339. Cf. cependant, Hauriou, Note sous cons. d'Etat, 19 février 1905, S., 1905, III, p. 113; Planiol, Etudes sur la responsabilité, Revue critique, 1905, p. 277 et 1906, p. 80; Ripert, L'exercice des droits et la responsabilité civile, Revue critique, 1906, p. 352; Desserteau, Abus du droit, Revue trimest. de droit civil, 1906, p. 119; Josserand, De l'abus des droits, 1906.

Ce sont les mêmes facteurs qui produisent aussi l'accroissement de la responsabilité de l'Etat. Le domaine de l'activité étatique devient chaque jour plus étendu. C'est là un fait incontestable. La conséquerce en est logiquement et nécessairement l'extension de la responsabilité de l'Etat vis-à-vis des particuliers. Comme d'autre part l'Etat est la synthèse des intérêts collectifs, comme le patrimoine de l'Etat est le patrimoine même de la collectivité, on est arrivé tout naturellement à cette idée que le patrimoine de l'Etat doit supporter la réparation du préjudice occasionné à des particuliers par la gestion des intérêts collectifs. La responsabilité de l'Etat est devenue ainsi un principe essentiel du droit moderne. Mais si le principe général est incontestable et unanimement admis en doctrine et en jurisprudence, il y a encore une incertitude très grande sur le fondement même et l'étendue de cette responsabilité. Notre intention n'est point d'étudier ici complètement la responsabilité de l'Etat, mais seulement de montrer comment les solutions déjà admises sont une sanction des obligations négatives et positives imposées par le droit à l'Etat.

La solution du problème que soulève la responsabilité de l'Etat implique la solution d'une question préalable tout à fait générale, en ce sens qu'elle se pose non seulement pour l'Etat, mais pour toute personne collective. La responsabilité semble impliquer une faute commise par la personne déclarée responsable; les personnes collectives peuvent-elles commettre une faute entraînant leur res

« PreviousContinue »