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d'abaisser le chiffre des électeurs de 9.618.057 à 6.809.281. Son résultat indirect sera de permettre au Prince président de se poser devant le pays comme le protecteur du suffrage universel contre les atteintes que lui a portées l'Assemblée.

En effet, le 4 novembre 1851. le gouvernement demandait à l'Assemblée l'abrogation de la loi du 31 mai 1850 (message du Prince président). La commission nommée conclut au rejet de l'abrogation demandée; mais le rapporteur M. Daru laissait entendre qu'une conciliation serait possible. M. de Vatimesnil proposa une transaction qui aurait consisté à appliquer à l'électorat polilique la partie de la loi municipale, qu'on allait voter, relative à l'électorat municipal. Mais l'Assemblée refuse d'entrer dans cette voie; par 355 voix contre 348, elle refuse d'abroger ou de modifier la loi de 1850. C'était une victoire qui valait une défaite; car le Prince président allait pouvoir se présenter au pays comme le protecteur du suffrage universel contre l'Assemblée qui le confisquait.

En effet, dans le premier des décrets du 2 décembre 1851, consommant le coup d'Etat, on lit : « L'Assemblée nationale est dissoute. Le suffrage universel est rétabli ». C'était l'abrogation de la loi de 1850. Pendant la période dictatoriale qui s'étend du 2 décembre 1851 au 31 mars 1852, dale de l'entrée en application de la constitution de 1852, sont portés les décrets du 2 février 1852, qui forment encore le fonds de notre législation électorale, dont quelques dispositions ont déjà été étudiées (§ 98) et dont les autres seront étudiées plus loin, ainsi que les modifications et les additions qu'ils ont reçues. Le premier de ces décrets a le titre de décret organique; il est au nombre de ces décrets portant sur des matières législatives, qui ont été confirmés par l'art. 58, § 2 de la constitution de 1852 et qui ne peuvent être modifiés ou abrogés que par une loi. Le second décret est simplement réglementaire el pourrait être modifié ou abrogé par un simple décret.

100. Le suffrage universel à l'étranger. Le suffrage universel égalitaire et direct que pratique la France depuis 1848 tend à devenir le droit commun électoral de tous les peuples civilisés. Déjà plusieurs pays l'ont inscrit dans leur constitution et le pratiquent depuis d'assez longues années. D'autres ont le suffrage universel à peine atténué par quelques restrictions, comme par exemple le double vote attribué à certains individus. Enfin dans la plupart des pays qui ont encore un suffrage censitaire ou reposant sur un régime de classe, un mouvement, qui nous paraît devoir être irrésistible, se produit vers l'établissement

du suffrage universel sans restriction, par exemple en Prusse, en Saxe, en Autriche et en Hongrie.

Aux Etats-Unis d'Amérique, la plupart des Etats admettent aujourd'hui le suffrage universel. M. Bryce résume ainsi ce qu'on pourrait appeler le droit commun de la législation électorale aux Etats-Unis : « Le suffrage universel pour tout homme majeur a été établi dans presque tous les Etats. Ne sont frappés d'incapacité que les hommes condamnés pour un crime (y compris la corruption et Ja bigamie) et ceux qui reçoivent les secours accordés par la loi des pauvres. Ces exceptions existent dans presque tous les Etats et dans huit aucun indigent n'a le droit de voter... Il fallait auparavant dans beaucoup d'Etats un certain cens électoral, et il a été exigé, jusqu'en 1888, dans le Rhode-Island où tous les citoyens qui n'étaient pas originaires des Etas-Unis n'étaient électeurs que s'ils possédaient des biens immeubles d'une valeur de 134 dollars ou s'ils payaient un impôt de 1 dollar. Rhode-Island exige encore un cens électoral pour l'élection de certains fonctionnaires financiers. Les constitutions de plusieurs Etals interdisent l'établissement d'un cens électoral. Cinq Etats (Delaware, Pensylvanie, Massachussets, Tennessee et Mississipi) exigent que l'électeur ait payé un impôt dans l'Etat ou dans le comté (le Massachussets et le Tennessee l'appellent capitation); mais s'il ne le paie pas, son parti le paie d'ordinaire pour lui, de sorte que cette restriction n'a aucune importance pratique. Le Massachussets exige que l'électeur sache lire la constitution de l'Etat en anglais et écrire son nom (amendement de 1857); le Connecticut, qu'il sache lire n'importe quelle partie de la constitution et des lois et qu'il soit honorable (amendements de 1845 et de 1855...). Le Mississipi ordonne que toute personne qui veut se faire inscrire sur les registres sache lire une partie quelconque de la constitution et la comprenne quand on la lit devant elle et puisse l'interpréter valablement (Const. de 1890). On exige aussi que l'électeur ait résidé pendant un certain temps dans l'Etat et dans le district où il demande à voler; la durée de ce séjour est très variable d'un Etat à l'autre; elle est généralement très courte ». (Bryce, La république américaine, édit. franç., II, 1901, p. 99101).

Les dispositions des constitutions d'Etats exigeant pour l'électorat certaines conditions de capacité paraissent avoir eu principalement pour objet d'exclure les nègres et de tourner ainsi la prohibition du XVe amendement à la constitution (26 février 1869-30 mars 1870): « Le droit de suffrage appartenant aux citoyens des EtatsUnis ne pourra être refusé ou restreint ni par les Etats-Unis, ni par aucun Etal pour des motifs tirés de la race, de la couleur ou d'un état de servitude antérieur ». Cf. Political science quarterly, 1899, p. 369.

On a vu précédemment que divers Etats, le Wyoming, le Colorado et l'Idaho, comme la Nouvelle-Zélande et l'Australie du Sud,

donnaient aux femmes l'électorat dans les mêmes conditions qu'aux hommes. Cf. § 23.

Les pays nouveaux comme les colonies australiennes et la Nouvelle-Zélande pratiquent le suffrage universel.

Dans la vieille Europe beaucoup de pays ont, depuis d'assez longues années déjà, le suffrage universel à la base de leurs institutions politiques. En Suisse, le suffrage universel est un principe de la constitution fédérale et tous les cantons pratiquent ce mode de suffrage. Dans certains il est assorti de la représentation proportionnelle (cf. § 56). On lit à l'art. 43 de la constitution fédérale du 29 mai 1874: « Tout citoyen d'un canton est citoyen suisse. Il peut, à ce titre, prendre part, au lieu de son domicile, à toutes les élections et votations en matière fédérale, après avoir dûment justifié de sa qualité d'électeur. Nul ne peut exercer ses droits politiques dans plus d'un canton ». A l'art. 74: « A droit de prendre part aux élections et aux votations tout Suisse âgé de 20 ans révolus et qui n'est du reste point exclu du droit de citoyen actif par la législation du canton dans lequel il a son domicile. Toutefois la législation fédérale pourra régler d'une manière uniforme l'exercice de ce droit ».

En Grèce, le suffrage universel a été établi par la constitution de 1864, art. 66. « La chambre se compose de députés élus... au suffrage direct, universel et secret... » Les détails du système électoral sont réglés par la loi du 5/17 septembre 1877.

En Espagne, le suffrage universel fut introduit une première fois par la constitution éphémère de 1869; il a été supprimé en 1877; mais il a été rétabli par la loi du 26 juin 1890.

Aux termes de l'art. 20 § 1 de la constitution de l'empire du 16 avril 1871, le Reichstag de l'empire allemand est nommé au suffrage universel et direct, au scrutin secret. Cette disposition n'est que la reproduction de l'art. 20 de la constitution de la Confédération de l'Allemagne du Nord du 16 avril 1867. Les dispositions de détail se trouvent dans la loi électorale du 31 mai 1869. Cette loi a été, à la suite des traités conclus en 1871 avec les Etats du Sud, indroduite comme loi d'empire dans ces Etats, et introduite en Alsace-Lorraine par la loi du 24 juin 1873. En vertu de ladite loi est électeur pour le Reichstag tout Allemand du sexe masculin qui a atteint l'âge de 25 ans révolus. Dans certains cas, le droit de vote est suspendu, pour les militaires par exemple. Dans d'autres cas, il est perdu, par exemple pour les personnes frappées de certaines condamnations, pour celles mises en faillite ou frappées d'interdiction, pour les personnes qui, à titre d'indigents, reçoivent des secours publics ou communaux. Cf. sur tous ces points Laband, Droit public, édit franç., I, 1900, p. 463 et suiv. On doit remarquer qu'à côté de la législation impériale, qui a établi le suffrage universel et direct pour l'élection du Reichstag, beaucoup d'Etats particuliers ont conservé une législation électorale très rétrograde et n'altri

buent l'électorat que sous des conditions tr's restrictives. Cf. infra. La pensée des fondateurs de l'empire allemand a été d'assurer la formation et le maintien de l'unité de l'empire, en associant tous les sujets allemands à la nomination du parlement d'empire, et de rendre ainsi impuissant le maintien du particularisme redouté de la part de certains des Etats confédérés. Comme l'a écrit M. Sorel : « Il n'y a pas beaucoup de moyens de créer une force nationale supérieure et extérieure aux dynasties et aux Etals. L'organisateur de l'empire n'a pas eu le choix. Bon gré mal gré, il a été droit au fond, et il a donné à l'Allemagne d'un seul coup le suffrage universel et un parlement (Albert Sorel, La vieille Allemagne et le nouvel empire, Le Temps, 20 avril 1890). Cf. E. Denis, La fondation de l'empire allemand, 1906.

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La Belgique a le suffrage universel depuis le 25 septembre 1893. Tout citoyen belge, non frappé de déchéance prévue par la loi, est électeur à l'âge de 25 ans accomplis. Mais le suffrage universel est mitigé par le système du vote plural. Un certain nombre de voix en sus sont attribuées aux électeurs réunissant certaines conditions. Le nouvel art. 47 de la constitution belge accorde un vote supplémentaire à raison de chacune des conditions suivantes : 1o ètre âgé de 35 ans accomplis, être marié ou veuf, ayant descendance légitime et payer à l'Etat au moins 5 fr. de contribution personnelle; 2o être âgé de 25 ans accomplis et être propriétaire, soit d'immeubles d'une valeur d'au moins 2.000 fr. ou d'au moins 100 fr. de rente au grand livre ou à la caisse d'épargne. Deux votes supplémentaires sont attribués aux citoyens âgés de 25 ans accomplis et se trouvant dans un des cas suivants : 1o être porteur d'un diplôme d'enseignement supérieur ou d'un certificat d'un cours complet d'enseignement du degré supérieur, sans distinction entre les établissements publics ou privés: 2o remplir ou avoir rempli une fonction publique, occuper ou avoir occupé une position qui implique l'enseignement moyen du degré supérieur. Mais nul ne peut cumuler plus de trois voles. Le vote est déclaré obligatoire (Const., art. 82).

La constitution revisée en 1893 posait le principe. La loi du 12 avril 1894 a réglé les détails du fonctionnement du vole plural et la confection des listes électorales. Il faut rapprocher des lois précitées, la loi du 25 mars 1894 sur l'acquisition de la qualité de Belge, la loi du 28 juin 1894, qui règle le fonctionnement du corps électoral, la loi du 29 juin 1894 sur les élections provinciales et les lois des 11 avril et 12 septembre 1895 sur les élections communales, qui vont jusqu'à attribuer trois voix supplémentaires aux électeurs qui réunissent certaines conditions d'âge et de famille. Toute cette législation a été complétée par la loi du 30 décembre 1899 établissant la représentation proportionnelle (cf. § 55). Cons. Dupriez, Le suffrage universel en Belgique, 1904.

L'Angleterre n'a pas encore véritablement le suffrage universel; mais elle pratique un système qui, résultat d'une série de trans

formations, équivaut presque au suffrage universel. A la fin du XVIIIe siècle l'irrégularité et la bizarrerie de la représentation à la chambre des communes assuraient la prépondérance politique à l'aristocratie terrienne. Des villes très importantes n'avaient point de représentants à la chambre des communes; de petits bourgs ne comptant que quelques habitants avaient, d'après de vieilles coutu mes, le droit de nommer un député. Quelques-uns, ne comptant plus qu'un nombre dérisoire d'électeurs, étaient devenus la chose d'un grand propriétaire qui disposait ainsi de l'élection à son gré. Au commencement du XIXe siècle, 487 membres de la chambre des communes sur 658 étaient nommés virtuellement par les lords et les riches propriétaires terriens. Cons. Boutmy, Le développement de la société politique en Angleterre, 1885; L. Dickinson, Le développement du parlement au XIXe siècle, édit. franç., 1906, p. 3 et suiv.

Cet état de choses ne pouvait subsister; il reçoit une transformation profonde, dont la cause essentielle est la naissance de la grande industrie moderne. La population de la Grande-Bretagne augmente de 90 pour 100 de 1800 à 1850; des classes nouvelles apparaissent; c'est comme une Angleterre nouvelle, un peuple nouveau qui viennent s'ajouter à l'Angleterre ancienne. Cette transformation économique et sociale si profonde entraînait forcément à sa suite une transformation politique : le monopole politique des propriétaires fonciers devait forcément disparaître et la classe industrielle d'abord, la classe ouvrière ensuite devaient être associées à la puissance politique. Une réforme électorale s'imposait. Elle reçut un commencement d'exécution de l'acte du 23 mars 1832. Voté après une longue série d'incidents, l'acte du 23 mars 1832 contient deux sortes de dispositions, les unes relatives aux collèges électoraux, les autres concernant la qualité d'électeur. Les anciens bourgs perdent 143 sièges qui sont répartis entre les comtés et 42 villes importantes, jusque là privées de représentation. Le nombre des personnes pouvant voter est augmenté dans de notables proportions; ainsi tout chef de famille (householder), occupant une maison de 10 livres sterling de revenu, a le droit de voler. Enfin l'acte de 1832 établit des listes électorales régulières.

L'acte de 1832 créait ainsi près de 500.000 électeurs nouveaux. C'était d'ailleurs plus qu'un pas vers l'égalité, plus qu'une conquête de la démocratie. Par l'effet de cet acte, une politique nouvelle entrait au parlement et pénétrait dans les lois et l'aristocratie terrienne allait peu à peu perdre sa prépondérance politique. L'évolution s'est continuée sans interruption jusqu'à nos jours. En 1867 une nouvelle loi électorale, proposée par M. Gladstone, vint augmenter encore le nombre des électeurs. Elle créa ce qu'on appelait la Borough Franchise, c'est-à-dire une capacité électorale propre aux habitants des bourgs. La Borough Franchise s'applique à trois catégories de citoyens : 1o à tous ceux qui occupent une maison

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