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circonscriptions et ne pût se présenter comme l'élu du peuple, en un mot, suivant l'expression consacrée, ne se fit plébisciter. A plusieurs reprises, on a proposé à la chambre des députés l'abrogation de celle loi; mais la chambre l'a toujours repoussée.

Aux termes de l'art. 1er de cette loi du 17 juillet 1889, nul ne peut être candidat dans plus d'une circonscription. Malgré la généralité de cette disposition, il a été bien entendu au moment du vote de la loi, et il n'est pas contesté qu'elle ne s'applique point aux élections sénatoriales, mais seulement aux élections des députés.

Pour garantir l'interdiction des candidatures multiples, la loi exige que tout citoyen qui se présente ou est présenté aux élections générales ou partielles fasse une déclaration de candidature signée ou visée par lui. Cette déclaration doit indiquer la circonscription dans laquelle la candidature est posée. Elle doit être faite le cinquième jour au plus tard avant l'ouverture du scrutin, à la préfecture du département où a lieu l'élection. Un récépissé provisoire doit être donné; et dans les vingt-quatre heures il doit être délivré un récépissé définitif. La déclaration peut, au reste, être libellée sur papier libre; elle n'est assujettie à aucun droit de timbre; elle peut être expédiée par lettre (L. 17 juillet 1889, art. 2 et circulaire ministre intérieur 29 août 1889). On décide que le candidat ne peut faire sa déclaration de candidature avant l'ouverture de la période électorale.

Puisque cette déclaration de candidature est exigée en vue d'éviter les candidatures multiples, on ne peut évidemment se déclarer candidat que dans une seule circonscription. Si des déclarations sont déposées par le même citoyen pour plus d'une circonscription, la première déclaration en date est seule valable, et si elles portent la même date, toutes sont nulles (L. 17 juillet 1889, art. 3).

Le législateur a voulu donner une sanction énergique aux obligations qu'il édicte. Pour cela, il décide que les bulletins qui seront au nom d'un citoyen qui

n'aurait pas fait une déclaration de candidature ou qui aurait fait une déclaration nulle, non seulement ne lui sont pas attribués, mais doivent être considérés comme des bulletins blancs et n'entrent pas en compte dans le résultat du dépouillement (L. 17 juillet 1889, art. 5). C'est là une dérogation importante au droit commun électoral, d'après lequel les bulletins portant un nom, alors même que ces bulletins soient nuls, doivent être comptés pour le calcul de la majorité. Ici les bulletins sont nuls et sont traités comme bulletins blancs. Il résulte de cela qu'alors même qu'un candidat, n'ayant pas fait de déclaration de candidature ou ayant fait une déclaration nulle, aurait la majorité, il ne devrait pas être proclamé élu par la commission de recensement, qui devrait proclamer celui des candidats qui, ayant fait une déclaration régulière, réunit le plus de voix, à la condition toutefois, bien entendu, qu'au premier tour le nombre de ses voix soit au moins égal à la moitié plus un des suffrages valablement exprimés et au quart des inscrits, suivant la règle générale. Au contraire, si un candidat inéligible réunissait la majorité exigée, la commission de recensement devrait le proclamer élu, sauf à la chambre à l'invalider. Dans tous les cas, c'est à la chambre à juger s'il y a eu déclaration de candidature régulière et à statuer sur l'élection; elle fait office de commission supérieure de recensement (cf. § 118).

C'est ainsi que la chambre en 1889 a validé l'élection de Joffrin qui avait fait une déclaration de candidature régulière, mais qui avait obtenu moins de voix que le général Boulanger, dont la déclaration de candidature avait été refusée parce qu'il était condamné par contumace, tous les bulletins à son nom étant regardés comme des bulletins blancs (chambre des députés, 9 décembre 1889).

Le législateur de 1889 a en outre établi certaines interdictions. Il est interdit de signer ou d'apposer des affiches, d'envoyer ou de distribuer des bulletins, des circulaires ou professions de foi dans l'intérêt d'un candidat qui n'a pas fait de déclaration de candidature

ou a fait une déclaration nulle. Les affiches, placards, professions de foi, bulletins de vote apposés ou distribués pour appuyer une candidature dans une circonscription où elle ne peut légalement être produite, doivent être enlevés ou saisis (art. 4 et 3).

Les différentes dispositions de la loi sont en outre sanctionnées par des pénalités. Le candidat qui contrevient aux dispositions de cette loi est puni d'une amende de 10.000 fr., ni plus ni moins; la loi ne fixe pas ici un minimum et un maximum. Toute personne qui aura contrevenu à la disposition de l'art. 4 (interdiction d'apposer des affiches, de distribuer des circulaires et des bulletins au nom d'un candidat qui n'a pas fait de déclaration) est punie d'une amende de 1.000 fr. à 5.000 fr. (art. 6).

La question s'est posée de savoir si les préfets pouvaient refuser la déclaration de candidature d'une personne inéligible. - A notre avis, le préfet ne peut certainement point se faire juge de l'inéligibilité d'un candidat, pas plus d'ailleurs que la commission de recensement. Le préfet doit toujours recevoir la déclaration de candidature, quelque notoire que soit l'inéligibilité de celui qui la fait, si elle est régulière en la forme, comme la commission de recensement doit proclamer un candidat élu s'il a obtenu la majorité requise par la loi, alors même qu'il soit notoirement inéligible. A la chambre seule il appartient de statuer sur la question d'éligibilité et d'annuler l'élection d'un inéligible. C'est une r'gle qui a été constamment suivie. Si l'on reconnaissait au préfet le pouvoir d'apprécier l'éligibilité d'un candidat et de refuser une déclaration de candidature sous prétexte qu'elle est faite par un candidat inéligible, on permettrait au préfet d'empiéter sur les pouvoirs donnés à la chambre par l'art. 10 de la loi const. du 16 juillet 1875 : « Chacune des chambres est juge de l'éligibilité de ses membres et de la régularité de leur élection ».

Cette solution a été donnée, au moment du vote de la loi du 17 juillet 1889, par le garde des sceaux, M. Thévenet, qui a dit : « Le projet de loi ne bouleverse en rien notre droit public qui reste entier. Le préfet n'est pas, à mon avis, juge des déclarations, et au parlement seul appartient toujours le droit de vérifier l'élection de ses membres » (séance du sénat du 15 juillet 1889). Dans sa circulaire du 29 août 1889, le ministre de l'intérieur, M. Constans, écrivait aux préfets: « Je vous rappelle que vous n'êtes pas les juges des questions d'inéligibilité d'ordre divers qui peuvent s'appliquer aux déclarants et qui appartiennent à la compétence de la chambre

des députés, chargée de vérifier les pouvoirs de ses membres ». Il est vrai que le ministre ajoutait que les préfets devraient refuser les déclarations de candidatures qui seraient visées par les condamnés par arrêt de la haute cour du 19 août 1889. Il s'agissait du général Boulanger contre lequel la loi avait été faite et de MM. Rochefort et Dillon, condamnés en même temps que lui. Le ministre se mettait en contradiction avec lui-même ; assurément les condamnés étaient frappés de dégradation civique; mais leur élection soulevait une question d'éligibilité que, d'après la circulaire elle-même, seule la chambre pouvait juger. Cependant la chambre, à tort selon nous, accepta ce système. En effet, le général Boulanger ayant obtenu la majorité dans le XVIe arrondissement de Paris et le préfet ayant refusé sa déclaration, la chambre n'annula point son élection; elle la considéra comme non avenue et valida l'élection de M. Joffrin, qui n'avait obtenu qu'un nombre inférieur de voix (séance du 9 décembre 1889). L'argument tiré du mot citoyen employé par l'art. 2 de la loi n'a aucune valeur, car si l'on en pouvait tirer argument, il faudrait dire que le préfet pourrait toujours apprécier l'éligibilité du candidat; or certainement il ne le peut pas; et dire qu'il le peut au cas d'inéligibilité notoire, ce n'est point donner une solution juridique. Dans la séance du 15 janvier 1891, sur une interpellation de M. Gauthier (de Clagny), M. Constans a affirmé à nouveau que les préfets ne peuvent point se faire juges de la question d'inéligibilité et semblé dire que la solution, donnée par sa circulaire du 29 août 1889 pour les condamnés de la haute cour, était exceptionnelle. Elle n'en était pas plus juridique pour cela.

La question s'est posée à nouveau, le 17 février 1902, à propos de l'élection de M. Villault-Duchesnois, inéligible dans la Manche, parce qu'il avait été sous-préfet dans ce département. M. Gauthier (de Clagny) demanda qu'il fût admis « qu'en aucun cas, sous aucun prétexte, pour quelque cause que ce soit, un préfet ne peut refuser une déclaration de candidature ». M. Waldeck-Rousseau, président du conseil, soutint qu'il fallait distinguer entre le cas d'une simple inéligibilité prononcée par les lois électorales dont, en effet, le préfet ne pouvait se faire juge, et le cas de dégradation civique où il était certain que le préfet ne devait pas recevoir la déclaration. Cette distinction n'avait rien de juridique. Aussi M. Viviani proposa-t-il la résolution suivante qui nous paraît être la vérité: Là chambre, seule juge de sa souveraineté en matière de vérification des pouvoirs, décide qu'elle a seule qualité pour apprécier au poin! de vue juridique les candidatures et les élections législatives ». Objet d'un rapport favorable de M. Klotz (5 mars 1902), celle proposition n'est cependant pas venue en discussion.

Le 24 mars 1902, au cours d'un débat sur une proposition relative à une modification de la loi du 17 juillet 1889, la chambre a voté cet amendement de M. Gauthier (de Clagny): « Sauf en cas de multiplicité de candidatures, le préfet ne peut refuser de délivrer à ua

candidat le récépissé définitif de sa déclaration ». Cependant le lendemain (25 mars 1902), la chambre votait, sur la proposition de MM. Renou et Allemane, le texte suivant, qui était en contradiction avec le premier : « Sont et demeurent inéligibles les condamnés de la haute cour et les membres des familles ayant régné en France, et, de ce fait, sont considérées comme nulles et non avenues leurs déclarations de candidature ». Mais la délibération, suspendue par un renvoi à la commission, n'a jamais été reprise, et la loi du 17 juillet 1889 n'a reçu aucun changement.

Cf. sur tous ces points, Répert. droit adm., vo Elections, no 370; Pierre, Droit politique et parlementaire, 2o édit., 1902, p. 199 et Supplément, 1906, p. 98 et suiv.

Il faut noter que les dispositions de la loi du 17 juillet 1889 ne s'opposent point à ce qu'un individu, déjà député d'une circonscription, soit régulièrement candidat dans une autre circonscription à une élection partielle et y soit régulièrement élu. Il y a eu plusieurs exemples d'élections faites dans ces conditions et validées sans objection par la chambre. Il est évident qu'en pareil cas, l'individu déjà député et élu dans une autre circonscription, doit donner sa démission aussitôt après la validation de la nouvelle élection, et qu'il doit être pourvu à son remplacement dans le délai de trois mois de l'art. 16 de la loi du 30 novembre 1875, et non pas dans le délai d'un mois fixé par le même article pour le cas d'option. Il n'y a pas, en effet, ici option, mais véritablement démisssion.

108. Election des sénateurs. Il y a eu à cet égard, en 1884, un changement important dans notre législation politique.

A la suite de nombreuses péripéties qu'il n'y a pas lieu de raconter ici (cf. Duguit et Monnier, Les constitutions de la France, Notices historiques, p. CXLIX et suiv.; Duguit, L'élection des sénateurs, Revue politique et parlementaire, août 1895), l'Assemblée nationale de 1875 votait la loi constitutionnelle du 24 février 1875. Elle créait un sénat composé de 300 membres, dont 75 sénateurs inamovibles ou à vie et 225 sénateurs élus par les départements. Les 75 premiers sénateurs inamovibles devaient être élus par l'Assemblée nationale avant de se séparer, au scrutin de liste et à la majorité absolue des suffrages. Au cas de vacance d'un siège de sénateur inamovible, il devait être pourvu au remplacement par le sénat lui-même dans les deux mois de la vacance (cf. L. const. 24 février 1875, art. 1, 5 et 7). Les 225 sénateurs élus par les départements étaient répartis entre les départements et les colonies par la loi constitutionnelle elle-même, qui fixait le nombre des sénateurs que devaient élire chaque département et chaque colonie (L. const. 24 février 1875, art. 2). Les sénateurs des départements et des colonies étaient élus, à la majorité absolue et au scrutin de liste, par un collège réuni au chef-lieu du département ou de la colonie

DUGUIT

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