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et composé: 1o des députés; 2o des conseillers généraux; 3o des conseillers d'arrondissement; 4o des délégués élus, un par chaque conseil municipal, parmi les électeurs de la commune. Dans l'Inde française, les membres du conseil colonial et des conseils locaux étaient déclarés substitués aux conseillers généraux, aux conseillers d'arrondissement et aux délégués des conseils municipaux (L. const. 24 février 1875, art. 4).

D'après ce système, les sénateurs des départements étaient élus par les élus du suffrage universel (députés, conseillers généraux et d'arrondissement) et par les délégués des élus du suffrage universel (délégués des conseils municipaux). Ils sortaient ainsi du suffrage universel à 2 ou 3 degrés. Mais ce qui formait le caractère essentiel du système, c'était que, quelle que fût l'importance de la commune, à Paris comme dans les plus petites communes de France, chaque conseil municipal ne nommait qu'un seul délégué. On essayait de justifier ce système en disant que la commune est le groupe social par excellence, qu'il est l'unité sociale la plus ancienne et la seule qui ait conservé une véritable autonomie dans la France moderne, qu'en faisant donc de la commune l'unité électorale pour les élections sénatoriales, on faisait du sénat le représentant des groupes sociaux à côté de la chambre représentant les individus. Gambetta appellera lui-même le sénat le « grand conseil des communes françaises » (Discours de Belleville, 23 avril 1875, Année politique, 1875, p. 937, et Discours publiés par J. Reinach, IV. p. 314). Rapp. Schæffle, Deutsche Kern und Zeitfragen, 1894, I, p. 120 et suiv.

La vérité est que la majorité monarchiste de l'Assemblée nationale, qui votait une constitution républicaine parce qu'elle ne pouvait pas faire autrement, voulait faire du sénat un corps conservateur et pondérateur et pensait obtenir ce résultat en assurant pour l'élection des sénateurs la prépondérance aux très nombreuses communes rurales qui devaient, croyait-on, constituer pour longtemps encore l'élément conservateur, voire même réactionnaire du pays. Les événements devaient d'ailleurs démentir ces prévisions.

Il faut ajouter que, d'après l'art. 6 de la loi du 24 février 1875, les sénateurs des départements étaient élus pour neuf ans et renouvelables par tiers tous les trois ans. La loi ordinaire du 2 août 1875 vint régler le détail des élections sénatoriales (cf. infra et § 109).

Le parti républicain avait voté le projet Wallon, devenu la loi du 24 février 1875, sur les conseils de Gambetta, à titre de transaction, considérant que l'essentiel était d'aboutir au vote d'une constitution républicaine. Mais dans la pensée de beaucoup de ses membres, il n'y avait là qu'un régime provisoire qui devait être modifié dans le sens démocratique dès que les républicains auraient la majorité dans les deux chambres. Le premier renouvellement triennal du sénat en 1879 donna la majorité aux républicains dans le sénat. M. Grévy, républicain, remplaçait le maréchal de Mac Mahon à la

présidence de la république au mois de février 1879. Les élections du mois d'août 1881 se faisaient sur la question de la revision de la constitution et de la réforme du sénat. Le ministère Gambetta essaya de faire voter cette revision; mais il échoua; il fut renversé le 26 janvier 1882 (cf. § 149). Plus habile ou plus heureux le ministère Jules Ferry sut la mener à bonne fin et fit voter la loi const. du 14 août 1884 et la loi ordinaire du 9 décembre 1884 qui vinrent réaliser la réforme du sénat.

Sur la demande de Jules Ferry, l'assemblée nationale ne procéda point elle-même à la réforme; elle se borna à décider que « les articles 1 à 7 de la loi constitutionnelle du 24 février 1875, relatifs à l'organisation du sénat, n'auraient plus le caractère constitutionnel ». Dès lors l'organisation du sénat pouvait être réglée par une loi ordinaire, et ainsi pour la réforme à accomplir le sénat avait les mêmes droits que la chambre et rien ne pouvait se faire sans son consentement. Cette loi ordinaire, qui est venue modifier le recrutement du sénat et qui règle aujourd'hui sa nomination, est la loi du 9 décembre 1884, qui a déclaré abrogés les art. 1 à 7 de la loi du 24 février 1875 (art. 9), et qui doit se combiner avec la loi du 2 août 1875, dont les articles 24 et 25 ont été abrogés et dont plusieurs articles ont été modifiés par la loi du 9 décembre 1884 (art. 8 et 9). Ainsi l'organisation entière du sénat comme celle de la chambre est aujourd'hui réglée par des lois qui n'ont point le caractère de lois constitutionnelles.

Malgré la réforme du recrutement sénatorial opérée en 1884, on a plusieurs fois proposé de modifier le régime électoral du sénat, et toujours dans le sens de l'élargissement démocratique du corps électoral qui le nomme. En 1896, la commission nommée pour l'examen des propositions Maurice Faure et Guillemet proposa à la chambre un projet d'après lequel les délégués sénatoriaux seraient nommés au suffrage universel dans chaque commune. V. le rapport de M. Trouillot, J. off., doc. parlem., chambre, 1896, p. 1265. Le projet fut voué par la chambre le 16 novembre 1896. Mais transmis au sénat, il fut ajourné par la haute assemblée et jamais n'y a été repris. Le 9 décembre 1905, le Petit Temps annonçait le dépôt à la chambre des députés, par M. Louis Martin, député du Var, de deux propositions tendant, la première à fixer à six ans au lieu de neuf la durée du mandat sénatorial et à appliquer au sénat le renouvellement par tiers tous les deux ans, et la seconde tendant à faire élire les délégués sénatoriaux, non plus par les conseils municipaux, mais par le suffrage universel. V. dans le même sens une nouvelle proposition de M. Guillemet, 15 juin 1908, J. off., doc. parl., chambre, sess. ord. 1906, p. 601.

Nous sommes partisan de cette dernière réforme. Le système de 1875 maintenu par la loi de 1884 a le grave tort d'introduire la politique dans les conseils municipaux qui devraient y rester complètement étrangers, être élus uniquement en vue de la bonne

gestion des affaires communales et ne songer qu'à cette mission. Cf. notre article, L'élection des sénateurs, Revue politique et parlementaire, août et septembre 1895. V. aussi une proposition de M. Breton (2 juillet 1906), tendant à l'élection des sénateurs au suffrage universel et direct.

La loi du 9 décembre 1884 a supprimé les sénateurs inamovibles et décidé que désormais le sénat se composera de trois cents sénateurs élus par les départements et les colonies. Cependant les sénateurs inamovibles existant au moment du vote de la loi ont été maintenus en fonction; mais on ne procède plus à leur renouvellement (art. 1). La loi a augmenté le nombre des sénateurs attribués par la loi de 1875 à certains départements: ainsi le département de la Seine, qui d'après la loi de 1875 ne devait élire que 5 sénateurs, élira désormais 10 sénateurs ; le département du Nord, qui devait en élire 5, en élira 8; le département de la Gironde, qui devait en élire 4, en élira 5. Les sièges des sénateurs inamovibles doivent être répartis par voie de tirage au sort, au fur et à mesure des vacances, entre les départements dont le nombre des sénateurs est augmenté par la loi de 1884.

A cet effet on a mis dans une urne autant de fois le nom des départements dont le nombre des sénateurs est augmenté qu'il y a de sièges nouveaux attribués à ces départements; par exemple on a mis cinq fois le nom du département de la Seine, trois fois le nom du département du Nord, une fois le nom du département de la Gironde. On ne procède toutefois ainsi que depuis le 4 mars 1898. Sur le changement de procédure à cette époque, cf. Moreau, Revue du droit public, 1899, p. 457. Quand un sénateur inamovible meurt, dans la huitaine il est procédé en séance publique, par le président du sénat, à un tirage au sort pour déterminer le département qui aura à élire un sénateur. Cette élection doit avoir lieu dans le délai de trois mois à partir du tirage au sort. Toutefois si la vacance survient dans les six mois qui précèdent le renouvellement triennal, il n'y est pourvu qu'au moment du renouvellement. Le mandat ainsi conféré doit expirer en même temps que celui des autres sénateurs appartenant au même département (L. 9 décembre 1884, art. 3). Il arrivera ainsi fatalement un moment où il n'y aura plus de sénateurs inamovibles et où tous leurs sièges auront été répartis entre les départements dont la loi de 1884 a augmenté le nombre des sénateurs. On n'est pas bien loin de ce moment-là.

Pour la suppression des inamovibles, on a dit : c'est là une institution anti-démocratique, parce que dans une vraie démocratie il ne peut pas y avoir de fonctionnaires à vie, partant irresponsables. La raison n'est pas très bonne parce que le caractère de sénateur à vie n'exclut point véritablement la responsabilité. D'autre part, les membres du parlement ne doivent pas être considérés comme les représentants d'une circonscription électorale déterminée, mais comme les représentants du pays tout entier (cf. supra, §52) et l'on

ne peut point refuser ce caractère à des membres du sénat nommés par le sénat lui-même et presque toujours choisis parmi des hommes de grand mérite et de forte expérience. Leur présence au parlement ne peut qu'être utile au pays; elle est une garantie de prudence dans les conseils, de sagesse dans les décisions, de continuité dans la politique. Ce sont les idées qu'exprimait en un très beau langage Schérer dans son discours au sénat. Il disait notamment : « La conséquence de la révolution qui s'est accomplie dans la théorie et la pratique du suffrage universel est que nous sommes désormais livrés au mandat impératif, et le principal mérite des sièges inamovibles au sénat a toujours été de constituer une protestation contre un si grand mal, d'offrir en quelque sorte à la vérité électorale un asile contre cette corruption du régime républicain » (séance du 4 novembre 1884, Année politique, 1884, p. 391). Le sénat vota cependant la suppression des inamovibles, mais en décidant que 75 sénateurs, sans être inamovibles, seraient élus par le sénat seul. Ce texte ne fut point adopté par la chambre; et finalement le 8 décembre 1884, le sénat vota le texte, voté par la chambre, de l'art. 3 que l'on vient d'expliquer.

La loi du 9 décembre 1884 a supprimé la règle de 1875 d'après laquelle chaque conseil municipal nommait un seul délégué sénatorial, quelle que fùt l'importance de la commune. Elle a décidé que les conseils municipaux nommeraient chacun un nombre de délégués sénatoriaux variant suivant le nombre légal des membres du conseil municipal.

Les conseils composés de dix membres élisent un délégué ; ceux composés de douze membres, deux délégués; ceux composés de seize membres, trois délégués; ceux composés de vingt-un membres, six délégués; ceux composés de vingt-trois membres, neuf délégués; ceux composés de vingt-sept membres, douze délégués ; ceux composés de trente membres, quinze délégués; ceux composés de trente-deux membres, dix-huit délégués ; ceux composés de trentequatre membres, vingt-un délégués les conseils composés de trente-six membres et au-dessus élisent vingt-quatre délégués ; le conseil municipal de Paris élit trente délégués. Le conseil municipal de Pondichéry élit cinq délégués; celui de Karikal, trois délégués; toutes les autres communes de l'Inde française, chacune deux délégués (L. 9 décembre 1884, art. 6).

En résumé, d'après la loi du 9 décembre 1884, les sénateurs sont élus dans chaque département et colonie au scrutin de liste par un collège électoral qui se réunit au chef-lieu du département ou de la colonie et qui se compose: 1° des députés; 2° des conseillers

généraux; 3° des conseillers d'arrondissement; 4o des délégués élus par les conseils municipaux en nombre variant suivant le nombre des conseillers municipaux (L. 9 décembre 1884, art. 6).

Les vives critiques que souleva la loi de 1875 sur le recrutement du sénat étaient fondées : le sénat de 1875 représentait les communes rurales et non point les communes de France. Le seul moyen de donner satisfaction à ces critiques eût été d'établir une représentation distincte des villes et des campagnes. Ce système est trop complexe pour l'esprit simpliste de nos hommes politiques. La législation de 1884 a laissé substituer l'antinomie de 1875 ou du moins n'a fait que déplacer la prépondérance sans organiser la représentation des groupes communaux. Ainsi d'après la loi de 1884, les onze villes de plus de 100.000 habitants, dont la population sans compter Paris dépasse 2 millions d'habitants, ont 264 délégués, quand les 370 communes de moins de 100 habitants ont 370 délégués. En 1875 on donnait la prépondérance aux campagnes, en 1884 on l'a donnée aux centres urbains de moyenne importance: ainsi Lyon a un délégué pour 20.000 habitants environ, Bordeaux a un délégué pour 13.000 habitants, et les villes d'une population moyenne de 5.000 âmes un délégué pour 500 habitants environ.

Durée du mandat sénatorial. Les sénateurs sont élus pour neuf ans. Et le sénat se renouvelle tous les trois ans par tiers.

En 1876, après les premières élections générales sénatoriales de janvier, on divisa par ordre alphabétique les départements et les colonies en trois séries comprenant chacune le tiers des sénateurs, et chacune des séries fut désignée par les lettres A, B et C. On tira au sort l'ordre de renouvellement la série B sortit la première; la série C la seconde et la série A la troisième. Ainsi les sénateurs de la série B, élus en 1876, ont été soumis au renouvellement en 1879, ceux de la série C en 1882, ceux de la série A en 1885, et à partir de cette date chaque série doit être renouvelée tous les neuf ans, dans le même ordre (L. 9 décembre 1884, art. 7).

Les collèges électoraux sénatoriaux doivent être convoqués par un décret du président de la république comme tous les collèges électoraux. Pour les délais dans lesquels cette convocation doit être faite, il faut distinguer les élections d'une série sortante et les élections partielles.

Pour les élections d'une série sortante, le décret du président de la république doit être rendu au moins six semaines avant le jour fixé pour l'élection; le même.

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