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«Ne donneront ouverture à aucune action les discours tenus dans le sein de l'une des deux chambres ainsi que les rapports ou autres pièces imprimés par ordre de l'une des deux chambres. Ne donnera lieu à aucune action le compte rendu des séances publiques des deux chambres fait de bonne foi dans les journaux ».

Le principe formulé par l'art. 13 de la loi const. du 16 juillet 1875 n'est point nouveau dans notre droit public. Dès le 23 juin 1789 était porté un décret ainsi conçu : « L'Assemblée nationale déclare que la personne de chacun des députés est inviolable, que tou! particulier, toute corporation, tribunal, cour ou commission qui oseraient, pendant ou après la présente session, poursuivre, rechercher, arrêter ou faire arrêter, délenir ou faire détenir un député pour raison d'aucune proposition, avis, opinion ou discours par lui faits aux Etats généraux... sont infàmes et traitres envers la nation et coupables de crime capital... » A l'art. 7 de la sect. v du chap. 1 du titre III de la const. de 1791, il est dit : « Les représentants de la nation sont inviolables; ils ne pourront être recherchés, accusés, ni jugés en aucun temps pour ce qu'ils auront dit, écrit ou fait dans l'exercice de leurs fonctions de représentants ». On trouvera des dispositions identiques dans les const. de l'an III, art. 110, de Ian VIII, art. 69, de 1848, art. 36. La loi sur la diffamation de 1819 reconnaissait et organisait le principe.

L'irresponsabilité parlementaire est reconnue dans tous les pays qui ont un parlement. En Angleterre, elle est consacrée par le Bill des droits de 1688, § 9: « La liberté de la parole et de débal au parlement ne pourra être attaquée ni mise en question devant un tribunal ou en tout lieu autre que le parlement lui-même ».

L'irresponsabilité parlementaire n'existe que pour les actes faits par le député ou sénateur dans l'exercice de ses fonctions; mais elle existe pour tous ces actes. Cela comprend d'abord les discours prononcés, non seulement en séance publique, mais encore en commission, tous ces discours, alors même qu'ils auraient été l'objet d'une publicité spéciale par suite d'un affichage ordonné par la chambre, les rapports lus en séance publique ou publiés par le Journal officiel ou les journaux, et aussi les votes exprimés par les députés ou sénateurs. Cette irresponsabilité protège aussi le député à l'égard des actes faits par lui dans une commission d'enquête parlementaire.

Le député échappe à toute action publique, qui

serait mise en mouvement par le ministère public pour un prétendu délit. Il échappe aussi à toute poursuite des particuliers qui useraient du droit de citation directe, par exemple pour une poursuite en diffamation, ou qui formeraient simplement une action en responsabilité devant les tribunaux civils. Tout tribunal qui serait saisi d'une action publique ou civile dirigée contre un député à l'occasion d'un acte de sa fonction devrait se déclarer incompétent, même d'office et cela en tout état de cause.

Le député ne peut être poursuivi à raison de ses voles. Le vote est l'acte le plus important du mandat législatif'; et il importe d'en garantir l'indépendance. Le vote pris en lui-même ne peut jamais donner lieu à une poursuite quelconque. Mais il peut se faire que le vole se rattache à des actes étrangers ou même contraires au mandat du député et constituant des infractions. Ces actes peuvent évidemment être l'objet d'une poursuite. Nous faisons allusion au cas où tel vote n'aurait été émis par un député qu'à la suite d'actes de corruption: ces actes de corruption peuvent certainement être poursuivis et condamnés. Le député tombe sous l'application de Fart. 177 du code pénal. Ce texte ne parle que des fonctionnaires publics; la cour de cassation, par arrêt du 24 février 1893, a très justement décidé que « l'expression fonctionnaire public, employée par l'art. 177 du code pénal, vise non seulement les citoyens revêtus, à un degré quelconque, d'une portion de la puissance publique, mais encore ceux qui, mis en possession d'un mandat public..., puisent dans ce mandat le droit de concourir à la gestion des affaires de l'Etat..., qu'au nombre de ces derniers figurent certainement les sénateurs et les députés... » S, 1893. I, p. 217, avec les conclusions de M. l'avocat général Beaudouin et une note de M. Villey). Il n'est pas inutile de signaler l'addition faite à l'art. 177 du code pénal par la loi du 4 juillet 1889 qui punit « toute personne investie d'un mandat électif, qui aura agréé des offres et promesses, reçu des dons, présents... pour faire obtenir des décorations, médailles, distinctions, récompenses, places, fonctions et emplois, des faveurs quelconques... ». Cette loi fut votée à la suite des affaires Wilson.

Seuls les actes fails par le député ou sénateur dans l'exercice de ses fonctions parlementaires échappent à toute poursuite. Par conséquent n'échappent point aux poursuites les infractions qu'un député ou un sénateur pourrait commettre dans une réunion où il rend compte de son mandat à ses électeurs, ou par les affiches qu'il fait apposer, les lettres, circulaires qu'il rend publiques par la voie de la presse ou autrement.

De même peut être poursuivi en responsabilité le député qui profite de son mandat pour aller dans des cités industrielles provo

quer ou entretenir des grèves; c'est là un acte qui ne rentre nullement dans les attributions parlementaires. La cour de Toulouse (20 juillet 1896) a très justement reconnu le principe de cette responsabilité dans l'affaire Rességuier-Jaurès, arrêt confirmé par la cour de cassation, 29 juin 1897 (S., 98, I, p. 17 et suiv., avec une longue note de M. Esmein).

L'irresponsabilité parlementaire ne couvre que les députés et sénateurs; elle ne couvre point les personnes qui, sans être députés ou sénateurs, font un acte quelconque se rattachant à la vie parlementaire. Par exemple elle ne couvre point les ministres non députés ou sénateurs et les commissaires du gouvernement (nommés par application de l'art. 6, § 2 de la loi du 16 juillet 1875) qui prennent part à une discussion dans les chambres et y prononcent des discours. Elle ne couvre pas davantage et a fortiori les signalaires de pétitions adressées aux chambres et rendues publiques par les journaux officiels ou autres.

La disposition de l'art. 13 de la loi const. du 16 juillet 1875 est complétée par celle de l'art. 41, § 2 précité de la loi du 29 juillet 1881, d'après lequel ne peuvent donner lieu à aucune action le compte rendu des séances publiques des deux chambres fait de bonne foi dans les journaux. Cette irresponsabilité ne s'applique, bien entendu, qu'au compte rendu proprement dit, et non point aux observations, notes ou articles que peuvent suggérer au journaliste les débats parlemen

taires.

On s'est demandé si celte irresponsabilité du journaliste publiant de bonne foi le compte rendu d'un débat parlementaire laissait subsister au profit de la personne visée le droit de réponse consacré d'une manière très large par les articles 12 et 13 de la loi du 29 juillet 1881. Nous estimons que le particulier visé n'a pas plus le droit de réponse qu'il n'a le droit de former une action en responsabilité. La reproduction de bonne foi d'un débat parlementaire n'est pas à vrai dire un acte de journaliste; et par conséquent l'individu visé ne peut pas exiger que le journaliste insère sa réponse. Cf. en ce sens un arrêt ancien de la cour de cassation, 6 janvier 1863, D., 1863, I, p. 21. A fortiori le droit de réponse n'existe pas vis-à-vis des journaux officiels publiant le compte rendu officiel des séances du parlement.

Si les députés et les sénateurs bénéficient de l'irresponsabilité, à l'inverse lorsqu'ils sont l'objet de diffamation à l'occasion de l'exercice de leur mandat, la preuve de la vérité du fait diffamatoire est toujours recevable, et les diffamateurs doivent être poursuivis devant la cour d'assises L. 29 juillet 1881, art. 31 et 35).

Il faut noter que si les députés échappent à toute poursuite pour les actes de la vie parlementaire, ils peuvent être l'objet, à l'occasion de ces actes, de peines disciplinaires qui seront expliquées au § 121.

115. Inviolabilité parlementaire. Toujours. dans le but d'assurer l'indépendance des membres du parlement, les législations politiques modernes décident qu'ils ne peuvent être poursuivis pendant les sessions des chambres, à l'occasion d'une infraction étrangère à leur fonction, sans l'autorisation de la chambre dont ils font partie. Cette règle est inscrite dans l'art. 14, § 1 de la loi const. du 16 juillet 1875 : «Aucun membre de l'une ou de l'autre chambre ne peut pendant la durée de la session être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu'avec l'autorisation de la chambre dont il fait partie, sauf le cas de flagrant délit ».

Pas plus que celle de l'art. 13, cette disposition de l'art. 14, § 1 de la loi const. du 16 juillet 1875 n'est nouvelle dans notre droit public. Déjà le décret précité du 23 juin 1789 déclarait tout député inviolable. Le décret du 26 juin 1790 précisait les caractères de cette inviolabilité en décidant qu'un député ne pouvait être décrété d'accusation par aucun juge avant que l'Assemblée eùt décidé qu'il y avait lieu à accusation. La const. de 1791 portait : « Ils (les représentants pourront pour faits criminels être saisis en flagrant délit ou en vertu d'un mandat d'arrêt; mais il en sera donné avis sans délai au corps législatif, et la poursuite ne pourra être continuée qu'après que le corps législatif aura décidé qu'il y a lieu à accusation» (tit. III, chap. 1, sect. v, art. 8). Dès le 1er avril 1793, la Convention décidait que l'inviolabilité de ses membres serait suspendue; elle la rétablissait par un décret du 20 brumaire an II, rapporté il est vrai deux jours après. Le 8 brumaire de l'an III, elle était rétablie et la const. de l'an III art. 110 à 123) l'entourait de sérieuses garanties. La const. de l'an VII exigeait l'autorisation du corps dont ils faisaient partie pour les poursuites contre les sénateurs, les tribuns et les législateurs. Aux termes de l'art. 34 de la Charte de 1814, les pairs ne pouvaient être arrêtés que de l'autorité de la haute assemblée et jugés que parelle; et d'après les art. 51 et 52, hors le cas de flagrant délit les députés, pendant la durée de la session, ne pouvaient être poursuivis qu'avec l'autorisation de la chambre. Rapp. Charte 1830, art. 29, 43 et 44, et Const. 1848, art. 36 et 37. Les auteurs de la const. de 1852 ne voulurent pas faire de l'inviolabilité parlementaire un principe constitutionnel; elle fut

consacrée pour les députés par le décret org. du 2 février 1852 (art. 10 et 11) et pour les sénateurs par le sénatusconsulte du 4 juin 1858, art. 1.

La règle de l'inviolabilité, consacrée aujourd'hui par l'art. 14, §1 précité de la loi du 16 juillet 1875, constitue pour les membres du parlement un véritable privilège. Mais ce privilège se justifie amplement par la nécessité d'assurer l'indépendance du parlement, de soustraire ses membres à l'espèce de chantage que le gouvernement, qui dispose de l'action publique, pourrait exercer sur eux, et aux tracasseries que des particuliers, par le droit de citation directe, pourraient susciter à des députés dont ils croient avoir à se plaindre. L'inviolabilité pas plus que l'irresponsabilité (§ 114) n'est établie à vrai dire dans l'intérêt du député qui en profite, mais dans l'intérêt du parlement, dans l'intérêt, peut-on dire, de la souveraineté nationale ellemême, que le parlement est censé représenter. Les immunités ne constituent donc point des droits subjectifs, mais bien une situation objective. Par conséquent, le député ne peut y renoncer. Il ne pourrait pas être poursuivi pour un fait relatif à ses fonctions, alors même qu'il accepterait cette poursuite; il ne pourrait pas être poursuivi pour une infraction sans l'autorisation de la chambre à laquelle il appartient, alors même qu'il accepterait la poursuite. Le tribunal saisi devrait, même d'office, et nonobstant une demande formelle du député tendant à être jugé, se déclarer incompétent jusqu'à ce que la chambre ait autorisé la poursuite. Ces solutions sont hors de toute contestation.

Il faut décider aussi, toujours parce qu'il y a là une situation de droit objectif, que si une loi intervenait modifiant en plus ou en moins l'étendue de ces immunités, ou les supprimant, elle s'appliquerait aux députés et aux sénateurs en fonction au moment de sa promulgation.

A quelles personnes s'applique la règle de l'inviolabilité? A tous les membres du parlement sans distinction, même à ceux qui se trouvent en fait investis d'une fonction publique en même temps que du mandat législatif.

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