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sont réunis, la chambre doit déclarer l'élection régulière et admettre le député ou sénateur. Si l'un de ces éléments fait défaut, la chambre doit déclarer l'élection nulle, invalider le député ou sénateur.

La chambre, comme toute juridiction, peut déclarer qu'elle est insuffisamment éclairée par les pièces qui sont au dossier et demander un nouveau rapport ou ordonner une enquête.

A notre avis, celte commission d'enquête aura des pouvoirs plus étendus que ceux des commissions d'enquête politique (cf. infra, § 125). Cependant ces pouvoirs ne vont pas jusqu'à entendre des témoins sous la foi du serment. Mais cette commission d'enquête peut faire citer de simples particuliers, et ceux-ci sont tenus juridiquement de déférer à cette citation, quand au contraire ils ne sont point tenus de déférer à une cilation d'une commission d'enquête purement politique. Il est difficile cependant de trouver dans notre droit actuel une sanction directe de cette obligation que nous imposons aux particuliers.

La chambre vient de voter une résolution qui cadre parfaitement avec le caractère juridictionnel que nous attribuons à l'opération de vérification des pouvoirs. Dans sa séance du 9 juillet 1906, sur la proposition de M. Spronk, elle a voté l'addition suivante à l'art. 4 de son règlement: « Quand la chambre aura ordonné une enquête sur une élection contestée, le député enquêté désignera pour être adjoint aux onze commissaires nommés par les bureaux un membre de la chambre, au choix de l'enquêté, qui fera partie de la commission avec voix consultative seulement ». M. Spronk a dit que sa proposition était dictée par le souci de rendre la vérification des pouvoirs législatifs plus conforme aux principes sur lesquels reposent nos institutions judiciaires.

La chambre a tous les pouvoirs d'une juridiction, mais elle n'a que les pouvoirs d'une juridiction. D'où il faut conclure qu'elle est étroitement liée par les dispositions de la loi. C'est une question de légalité qu'elle juge et elle est, comme tout juge, logiquement liée par la loi. Si l'élu est inéligible, la chambre ne peut qu'annuler l'élection; de même elle doit nécessairement annuler l'élection s'il manque l'un des trois autres éléments légaux: majorité, régularité de l'opération électorale, sincérité de l'élection. Assurément la chambre est une juridiction souveraine en ce sens qu'il n'y a pas de recours possible contre sa décision.

Mais de ce qu'une juridiction est souveraine, il ne suit pas qu'elle puisse donner une solution contraire à la loi. La chambre qui juge l'élection d'un de ses membres est liée par la loi de la même manière que le conseil d'Etat qui est saisi d'une question de contentieux administratif. Notre proposition s'impose, quand on admet comme nous qu'en vérifiant les pouvoirs de ses membres la chambre fait acte de juridiction. Mais elle est vraie aussi quand on n'y voit pas un acte de juridiction. Il n'y a pas de pouvoir en France qui soit au-dessus de la loi. Le parlement lui-même est lié par la loi tant qu'elle existe. Chacune des chambres est liée par la loi aussi énergiquement que le plus modeste des fonctionnaires judiciaires ou administratifs.

Il s'est trouvé cependant, non seulement des hommes politiques, mais même des auteurs qui se prétendent jurisconsultes pour soutenir le contraire. Ainsi M. Pierre dans son Traité, déjà souvent cité, de droit politique et parlementaire, écrit : « Le sénat et la chambre des députés sont, chacun séparément, souverains juges de l'éligibilité de leurs membres, de la validité de l'élection... Il n'y a pas plus de limites ni de restrictions aux prérogatives de ces chambres lorsqu'elles vérifient les pouvoirs de leurs membres qu'il n'y avail de limites et de restrict ons aux prérogatives des chambres antérieures... La chambre, statuant en matière de vérification des pouvoirs, n'est liée ni par le texte des lois, ni par la décision du suffrage universel. Elle est souveraine, d'une souveraineté absolue et sans réserve » (2e édit., 1902, p. 412 et 413). Nous sommes étonné qu'un auteur sérieux puisse écrire de pareilles choses.

Cette théorie a été cependant soutenue à la chambre des députés le 3 juin 1879 au moment de la discussion de l'élection Blanqui, qui, quoique ineligible à cause des condamnations dont il avait été frappé, avait été élu le 20 avril à Bordeaux. Le bureau saisi de l'élection concluait à l'invalidation à cause de cette inéligibilité en disant très justement par l'organe de son rapporteur, M. Lacaze : « Nous n'avons pu subordonner notre décision à des appréciations de fait étrangères à notre mission. C'eût été attribuer à cette assemblée un rôle qui n'est pas le sien. Le parlement n'est pas un jury qui puisse chercher la justification d'un fait dans le caractère des événements au milieu desquels il s'est produit..., c'est un tribunal gardien inflexible de la loi qu'il a mission d'appliquer » Chambre des députés, séance 3 juin 1879). On ne pouvait mieux dire. En vain M. Clémenceau vint-il combattre ces conclusions en soutenant que la chambre n'était soumise dans son appréciation à aucune limitation, qu'assemblée politique elle pouvait, pour des raisons

politiques, au nom du pays dont elle est l'organe, relever un candidat du vice qui viciait l'élection. M. Clémenceau oubliait qu'il n'y a pas de politique qui puisse aller contre la légalité et le droit. La chambre le comprit et annula l'élection Blanqui par 354 voix contre 33.

Il faut ajouter qu'aujourd'hui ce rôle de juge qui appartient à chacune des deux chambres, quand elle procède à la vérification des pouvoirs de ses membres, est marqué d'une manière très nette et très précise par la formule dont s'est servi le législateur constituant dans l'art. 10 précité de la loi du 16 juillet 1875 : « Chacune des chambres est juge de l'éligibilité de ses membres et de la régularité de leur élection... ».

Elle n'est réglée

Procédure de la vérification des pouvoirs. par aucune loi, et elle est très imparfaitement déterminée par les règlements des chambres. Voici comment en fait on procède. Chaque chambre confie à un de ses bureaux (cf. infra, § 125) l'examen de l'élection. A ce bureau sont remises toutes les pièces de l'élection procès-verbaux, décision de la commission de recensement, pièces remises par les députés intéressés et les protestations s'il y en a. Tout électeur appartenant à la circonscription électorale en jeu, toute personne qui s'est présentée à l'élection soumise à vérification, peut former une protestation à un moment quelconque. Aucune règle de forme, aucune condition de délai ne sont imposées pour ces protestations.

Le bureau fait un rapport, et la chambre délibère sur ce rapport. Si le bureau conclut à la validation, la chambre délibère immédiatement. Si le bureau conclut à l'invalidation, la chambre renvoie à une séance ultérieure. Ce renvoi est facultatif au sénat (Règl., art. 9. § 2); il est obligatoire à la chambre des députés (Règl., art. 5, § 2). Il a pour but de permettre au député incriminé de préparer la défense de son élection. Le député ou sénateur dont l'élection est contestée a toujours le droit de prendre la parole pour défendre son élection. Tout membre peut parler pour ou contre. Le député ou sénateur dont l'élection est en jeu ne peut naturellement pas prendre part au vote sur son élection. La chambre peut valider ou invalider purement et simplement l'élection. Elle peut aussi, si elle ne se trouve pas suffisamment éclairée, ajourner sa décision ou ordonner une enquête parlementaire sur l'élection. Lorsque l'enquête est demandée, la question a naturellement la priorité.

Si la question de régularité de l'élection soulève une question d'état, la chambre naturellement ne peut être contrainte de surseoir à statuer jusqu'à ce que le tribunal civil ait jugé cette question d'état. Mais si elle agissait avec une correction vraiment légale elle devrait le faire. De même, lorsqu'au moment où la question de validité d'une élection se pose devant le sénat, la juridiction administrative n'a pas encore définitivement statué sur la régularité d'élections de délégués sénatoriaux, le sénat devrait surseoir à statuer jusqu'à ce

que la juridiction administrative ait elle-même slalué définitivement.

Situation du député ou sénateur non encore admis. — On a dit très justement qu'il était député, sénateur, sous la condition résolutoire de l'annulation de son élection. Par conséquent jusqu'à ce que son élection soit annulée, il a tous les droits de député ou de sénateur. C'est ainsi qu'il peut parler, voter, faire partie des bureaux et des commissions, qu'il jouit de l'irresponsabilité et de l'inviolabilité, qu'il peut faire partie de l'assemblée nationale si elle se réunit, que le député est électeur pour les élections sénatoriales de son département. Le député ou le sénateur non encore validé peut prendre part aux élections de la chambre; et lui-même peut être élu membre du bureau (Règl. sénat, art. 6; chambre, art. 9. Le député non encore validé peut donner sa démission; mais la chambre peut ne pas l'accepter (L. const. 16 juillet 1875, art. 10) et peut procéder à la vérification de son élection (Règl. chambre, art. 131, § 2).

Cependant la règle que le député ou le sénateur non validé a tous les droits d'un membre du parlement reçoit certaines exceptions Le député ou le sénateur non encore validé ne peul voler sur son admission ni dans les bureaux ni en assemblée générale (Rigl. chambre, art. 6, § 3; sénal, art. 10, cependant d'après ce dernier texte il semble que le vote sur son élection n'est interdit au sénateur que lorsqu'elle est contestée). Les sénateurs non admis ne touchent pas leur indemnité; les députés la touchent (cf. supra, § 112. Il résulte de l'art. 6, § 3 du règlement de la chambre que les députés non encore admis ne peuvent pas déposer de proposition de loi; mais ils peuvent proposer des amendements. Les sénateurs non admis au contraire peuvent présenter et des propositions et des amendements. Enfin le droit de prendre part au vote est suspendu pour tout député et pour tout sénateur dont l'admission a été ajournée, par exemple parce qu'une enquête parlementaire a été ordonnée (Règl. sénat, art. 10, § 1; chambre, art. 6, § 2).

Ce droit de vérifier les pouvoirs de leurs membres est reconnu aux assemblées politiques dans la plupart des pays qui pratiquent le régime représentatif. Cependant il est, à notre sens, très critiquable. D'abord il est toujours très dangereux de donner à une assemblée politique une fonction juridictionnelle. Il est impossible qu'elle possède le calme, l'impartialité nécessaires pour remplir une pareille fonction. Elle est liée par la loi; elle le comprend difficile

ment, et quelquefois malgré elle, inconsciemment, elle statue contre la loi. D'autre part il arrive souvent (il est inutile de rappeler des exemples encore bien proches) que le parti qui a la majorité fait de la vérification des pouvoirs une arme de représailles contre le parti adverse, ce qui se concilie mal avec l'impassibilité sereine qui convient à une juridiction.

On a compris ce danger en Angleterre. Pendant longtemps la chambre des communes a eu le droit de vérifier les pouvoirs de ses membres. Ce droit lui a été enlevé en partie en 1868 et en 1879. Voici le système assez compliqué qui est aujourd'hui pratiqué : En vertu de l'Elections petitions and corrupt Practices at Election act de 1868 et du Parliamentary Elections and corrupt Practices act de 1879, le jugement des élections contestées est confié à deux juges, choisis, en ce qui concerne l'Angleterre, dans la Division du bune du roi de la Haute cour de justice, en ce qui concerne l'Irlande dans la cour des Plaids communs, et pour l'Ecosse dans la cour de session. La décision des juges s'impose à la chambre des communes. Mais il y a des cas où la vérification de l'élection appartient encore à la chambre. La compétence des juges n'existe en effet qu'autant que l'on est en présence d'une élection contestée et qu'une protestation (elections petition) a été dirigée contre le candidat déclaré élu. Dans le cas où le candidat déclaré élu n'avait pas de concurrent, comme au cas où aucune protestation n'est dirigée contre l'élection, la chambre des communes a le droit de statuer d'office sur Féligibilité du candidat proclamé élu. D'autre part la chambre, lorsque le rapport du juge constate qu'il y a eu dans Telection corruption étendue (extensive corruption), doit examiner s'il ne convient pas de priver le collège électoral de représentation pendant un temps plus ou moins long. Cf. Erskine May, Partiamentary Practice, p. 616; Anson, Loi et pratique constitutionnelles, édit. franç., 1902, 1, p. 196; Jèze, Revue du droit public, 1905, p. 824.

Un pareil système, avec ses complications et ses distinctions, avec ce pouvoir reconnu à la chambre de priver une circonscription de représentation pendant un certain temps, ne pourrait certainement être admis en France. Mais nous ne verrions aucun inconvénient, au contraire, à ce que le législateur constituant enlevat aux chambres le contentieux électoral et le donnal au conseil d'Etat, qui forme aujourd'hui une juridiction présentant toute garantie de compétence et d'impartialité.

Cons. aussi D. Muller, La vérification des pouvoirs des députés, Revue du droit public, 1898, 1, p. 415.

La loi japonaise de 1889 décide que les protestations en matière électorale doivent être jugées par la cour d'appel de Tokio (loi electorale 11 février 1889).

119. Nomination du bureau. Chaque chambre nomme son bureau (L. const. 16 juillet 1875, art. 11,

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