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facto au sénat et à la chambre du nouveau régime. Chaque chambre a toujours le droit de modifier son règlement.

Outre le règlement sur le fonctionnement intérieur, chaque chambre a un règlement spécial de comptabilité, dressé par les soins des questeurs, de concert avec la commission de comptabilité, en vertu des résolutions prises par la chambre.

Il importe de bien comprendre que les règlements des chambres ne sont pas des lois, mais simplement des résolutions, c'est-à-dire des dispositions votées par une seule chambre. Chaque règlement est voté uniquement par la chambre à laquelle il s'applique. Il devient obligatoire du moment où il est voté et sans qu'il y ait besoin ni d'une promulgation, ni d'une publication.

De ce que le règlement n'est pas une loi il résulte qu'il ne peut contenir aucune disposition qui soit contraire, non seulement à la loi constitutionnelle, mais encore à une loi ordinaire. Cette règle ne peut soulever aucune difficulté. Mais il est certain que si l'une des chambres voulait voter un article de son règlement qui fût contraire à une disposition légale ou constitutionnelle, il n'y aurait pas de moyen de l'en empêcher; le gouvernement lui-même n'aurait aucune voie de recours pour faire annuler une pareille disposition; il pourrait en demander l'abrogation, poser sur ce point la question de confiance, mais ce serait tout.

Le règlement n'étant pas une loi, mais simplemement une résolution d'une des chambres, ne peut s'appliquer qu'aux membres de la chambre considérée pris comme tels. Mais il s'applique à tous, même à ceux qui auraient voté contre. Il ne peut pas s'appliquer aux individus qui ne font pas partie de la chambre ou aux membres de la chambre n'agissant pas comme tels. Suivant une expression de M. Laband, les dispositions du règlement de chaque chambre ne sortent pas de « l'intérieur de l'apparat parlementaire ». C'est ainsi par exemple que le règlement ne peut point s'appliquer aux ministres ne faisant pas partie de la chambre dans laquelle ils se trouvent, ni aux commissaires du gouvernement, et que par exemple les peines disciplinaires prévues au règlement de la chambre ne peuvent point leur être appliquées. Cf. le rapport de M. Corne à l'Assemblée législative de 1849 et séance du sénat du 21 mars 1887. Mais un ministre dans la chambre dont il fait partie est soumis, comme étant membre de cette chambre, au règlement et à la discipline que

celui-ci établit. Cependant on ne pourrait certainement pas prononcer l'exclusion temporaire, puisqu'aux termes de l'art. 6, § 2 de la loi const. du 16 juillet 1875, les ministres ont leur entrée dans les deux chambres et doivent être entendus toutes les fois qu'ils le demandent et qu'il y aurait violation de la constitution à leur interdire l'entrée de l'une des chambres.

Le règlement s'impose non seulement aux membres de la chambre priş individuellement, mais aussi à la chambre elle-même. Elle peut modifier, abroger par voie générale les dispositions du règlement; mais tant qu'elles existent elles s'imposent à la chambre qui les a volées, et qui ne peut pas plus faire un acte contraire à son règlement qu'elle ne peut faire un acte contraire à la loi. Comme l'a très bien dit le président Dupin dans son discours à la Législative le 2 juin 1849: « Indépendamment de la loi générale qui commande au dehors et nous oblige comme les autres citoyens, chaque assemblée a sa loi particulière, le règlement qu'elle s'impose et par lequel elle contracte l'obligation d'obéir à elle-même ».

C'est pour assurer le respect du règlement que tout membre doit obtenir la parole pour un rappel au règlement, et que les demandes de rappel au règlement ont toujours la priorité sur la question principale (Règl. sénat, art. 59; chambre, art. 91).

C'est au président qu'il appartient de faire appliquer le règlement et de l'interpréter (Règl. sénat, art. 29, no 2 et chambre, art. 97, § 2). Cf. notamment la séance de la chambre du 16 juin 1879 où sur une observation de M. Rouher, ce droit d'interprétation souveraine du président a été reconnu par le président Gambetta. Mais le président a certainement le droit de consulter la chambre. Cf. notamment séance de la chambre du 27 juin 1904.

Le règlement de chaque chambre s'impose donc à la chambre et à ses membres avec la rigueur d'une loi. Cependant un recours au contentieux pour excès de pouvoir ne pourrait point être formé devant le conseil d'Etat contre une décision de la chambre et même de son président. Cette décision peut avoir, au point de vue matériel, le caractère d'un acte administratif; mais les chambres ne sont pas des organes administratits; leurs présidents ne sont pas des autorités administratives et leurs actes ne sont certainement pas susceptibles d'être critiqués par la voie du contentieux administratif. Cf. procès-verbal de la conférence tenue par le bureau et la commission de la chambre le 25 juin 1879, Pierre, loc. cit., p. 507. Il n'y a pas a fortiori de recours possible devant les tribunaux judiciaires. Cf. cass., 30 janv. 1882, affaire Baudry-d'Asson, Pierre, loc. cit., p. 511.

Cette subordination des membres de chaque chambre au règlement peut avoir pour eux des conséquences graves, puisque ce règlement permet au président ou à la chambre de leur infliger des peines qui, quoique qualifiées de disciplinaires, peuvent être très graves, entrainer une perte d'argent en suspendant le traitement et

même la privation de la liberté (Règl. chambre, art. 126). On peut donc se demander comment une décision, par voie générale sans doute, mais qui n'émane pas d'un pouvoir constitutionnellement établi pour formuler la loi, laquelle seule peut édicter des peines contre les citoyens, a cependant force obligatoire pour des citoyens français et comment la force publique peut être mise en mouvement pour assurer l'exécution d'une décision individuelle prise conformément à cette décision réglementaire. On sait, en effet, qu'au cas de censure avec exclusion temporaire, si le député n'obtempère pas à l'invitation du président, il peut être expulsé manu militari, et s'il reparaît au palais Bourbon avant l'expiration de la période d'exclusion, il peut être enfermé pendant trois jours dans un local préparé à cet effet Règl. chambre, art. 126).

Cela s'explique si l'on voit dans chacune des assemblées politiques une véritable corporation autonome, ayant reçu de l'Etat des pouvoirs propres très étendus. Cette corporation a un pouvoir législatif; elle fait une loi qui s'applique à ses membres: c'est son règlement; une partie de ce règlement constitue un véritable droit pénal, c'est toute la partie relative à la discipline. Cette corporation a un pouvoir juridictionnel; elle fait elle-même l'application juridictionnelle de ce droit pénal. Elle vérifie aussi les pouvoirs de ses membres et on a montré au § 118 que la vérification des pouvoirs était vraiment un acte de juridiction. Chaque chambre reçoit de l'Etat une dotation financière dont elle fait tel usage qu'elle veut, sauf cependant certaines limitations légales, comme celle relative à l'indemnité des sénateurs et des députés fixée par la loi.

Chacune des chambres doit-elle être considérée en effet comme une véritable corporation autonome investie par concession de l'Etat des prérogatives étendues que l'on vient d'indiquer? Nous n'osons l'affirmer. Mais nous reconuaissons volontiers que celle conception cadre bien avec beaucoup de dispositions du droit parlementaire moderne et donne une solution élégante des problèmes que fait naitre la force obligatoire des règlements des chambres. Ainsi dans l'ancien régime les états généraux de France et les assemblées analogues existant dans beaucoup de pays étrangers étaient une rèunion de mandataires des groupes corporatifs. Aujourd'hui les assemblées politiques sont un organe représentatif du pays tout entier. Mais cet organe représentatif lui-même serait devenu une corporation. Si, comme on l'a soutenu, les fonctionnaires des différents services publics tendent aussi à se constituer en groupes corporatifs, il y aurait une tendance générale de l'Etat moderne à s'organiser corporativement; et cela serait peut-être une réaction contre le principe de l'unité et de l'indivisibilité de l'Etat affirmée par la Revolution. Le mouvement syndicaliste existant parmi les fonctionnaires se rattacherait à la même tendance. Cf. Paul-Boncour, Revue socialiste, janvier 1906, p. 17 et suiv.; Berthod, Revue politique et parlementaire, 10 mars 1906, p. 413; Leroy, Le droit des fonction naires, 1906; rapp. Berthélemy, Revue de Pic, Lyon, 1906, p. 161.

121. Discipline parlementaire. Si l'on reconnaît aux chambres le droit de voter leur règlement, on ne peut pas leur contester le droit d'établir certaines peines disciplinaires comme sanction de ce règlement.

M. Sénard, vice-président de la chambre et jurisconsulte renommé, disait en 1879 : « Par cela qu'une assemblée existe, elle a le droit de se protéger, d'assurer son fonctionnement. C'est une société constituée par la loi pour délibérer. Elle a le droit de prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder la liberté de ses délibérations; elle a le droit d'exclure le membre qui s'écarte de l'ordre. Il est impossible de mettre sérieusement en question le droit d'inscrire dans le règlement des peines contre ceux qui troublent les délibérations » (Conférence du bureau de la chambre et de la commission du règlement en 1879, Pierre, loc. cit., p. 505).

La const. de 1791 (tit. III, chap. III, sect. 1, art. 4, § 3) reconnaissait expressément au corps législatif le droit de discipline sur ses membres et le droit de leur infliger certaines peines privatives de liberté « le corps législatif) ne peut prononcer de punition plus forte que la censure, les arrêts pour huit jours et la prison pour trois jours ».

En 1879, on a surtout discuté la question de savoir si la chambre pouvait imposer à ses membres une privation de liberté qu'on a appelée mise aux arrêts, mais qui est véritablement un emprisonnement. Le président Gambetta la justifiait en disant qu'il ne fallait y voir qu'un moyen d'assurer l'ordre, une sanction à l'exclusion prononcée contre un membre de la chambre qui trouble l'ordre. Si en effet l'on admet le principe du droit disciplinaire conçu comme le droit pénal d'une corporation autonome que serait la chambre, on doit logiquement reconnaitre la possibilité pour la chambre d'établir, dans son règlement, des peines privatives de liberté, comme elle établit des peines pécuniaires.

Il reste bien entendu que le droit disciplinaire de chaque chambre ne s'applique qu'aux membres de la chambre. On a déjà dit qu'il ne peut pas s'appliquer aux ministres qui ne sont pas membres de la chambre considérée, ni aux commissaires du gouvernement. Il ne peut pas s'appliquer non plus aux personnes ne faisant pas partie de la chambre et qui assistent à une séance. Le président incontestablement peut faire expulser toute personne non député ou sénateur qui donne des marques d'improbation ou d'approbation (Règl. sénat, art. 112; chambre, art. 138). Il n'y a point. là application du droit disciplinaire, mais seulement.

exercice du pouvoir de police appartenant au président (cf. § 122).

Aujourd'hui, sénateurs et députés sont soumis aux mêmes peines disciplinaires, qui sont: 1° le rappel à l'ordre; 2o le rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal; 3o la censure; 4° la censure avec exclusion temporaire du lieu des séances (Règl. sénat, art. 114; chambre, art. 117).

Le rappel à l'ordre est toujours prononcé par le président seul. Est rappelé à l'ordre tout orateur qui s'en écarte, qui trouble les délibérations par des interruptions, des personnalités, des manifestations de tous genres. Est rappelé à l'ordre avec inscription au procès-verbal tout membre qui dans la même séance aura encouru un premier rappel à l'ordre. A la chambre, le rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal emporte de plein droit la privation pendant quinze jours de la moitié de l'indemnité. Lorsqu'un des oraleurs a été deux fois rappelé à l'ordre dans la même séance, la chambre peut, sur la proposition du président, lui interdire la parole pour le reste de la séance. Sur le rappel à l'ordre, cf. Règl. senal, art. 115-117; chambre, art. 119-122.

La censure et la censure avec exclusion temporaire sont prononcées dans des cas qu'énumèrent les art. 118 el 119 du règlement du sénat, 123 el 124 du règlement de la chambre, el dont voici quelques-uns. La censure simple est prononcée contre tout député qui après un rappel à l'ordre avec inscription au procèsverbal ne sera pas rentré dans le devoir, contre tout député qui aura donné le signal d'une scène tumultueuse, adressé des injures ou des menaces à un ou plusieurs collègues. La censure avec exclusion temporaire est prononcée contre le député qui aura, dans le cours de la même session, subi deux fois la censure simple, contre celui qui en séance publique fait appel à la violence, qui se rend coupable d'outrages envers la chambre ou une partie de la chambre, d'outrages envers le sénat, le gouvernement ou le president de la république.

La censure simple et avec exclusion temporaire ne peut jamais être prononcée que par la chambre. Mais le président a seul l'initiative; c'est lui qui apprécie souverainement s'il doit consulter la chambre sur la censure. La censure est prononcée sans débal, par assis et levé, et point au scrutin public, qui ne peut jamais être demandé (Régl. chambre, art. 82). Le député contre lequel la censure est demandée a toujours le droit d'être entendu ou de faire entendre en son nom un de ses collègues.

Au sénat, la censure avec exclusion temporaire impose au membre contre laquelle elle a été prononcée l'obligation de sortir immédiatement du palais et de s'abstenir d'y paraître pendant les trois séances

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