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D. Procédure parlementaire.

En considé

123. Les lois et les résolutions. rant au point de vue purement formel les décisions votées par chacune des chambres, on doit les distinguer en deux grandes catégories : les projets de loi et les résolutions.

Nous avons essayé de déterminer ce qu'était la loi au point de vue matériel, en déterminant ce qu'était la fonction législative (cf. §§ 34-37). Ici nous envisageons la loi au point de vue purement formel. Elle est, à ce point de vue, toute décision votée en termes identiques par les deux chambres et promulguée par le président de la république, quel que soit son objet, qu'elle soit une règle par voie générale et abstraite ou un acte individuel et concret (L. L. const. 25 février 1875, art. 1 et 16 juillet 1875, art. 7). La loi, au point de vue formel, implique donc trois opérations: 1° le vote par la chambre qui en a été saisie en premier lieu; 2o le vote dans les mêmes termes par la chambre à laquelle elle est ensuite transmise; 3° la promulgation par le président de la république (cf. § 139). Le parlement vote les lois. Mais chaque chambre ne vote en réalité qu'un projet de loi. Les deux chambres possèdent, en principe, exactement les mêmes pouvoirs pour le vote des projets de lois, sauf en matière financière où le sénat a des pouvoirs restreints (L. const. 24 février 1875, art. 8, § 2, et cf. § 131). L'une quelconque des chambres peut être saisie en premier lieu; elle vote un texte; ce texte est transmis à l'autre chambre, qui peut l'adopter tel quel, le repousser en bloc ou voter un texte différent. Si la chambre, saisie en second lieu, vote le même texte, les chambres ont achevé leur rôle; le texte voté par les deux chambres est transmis au président de la république qui doit le promulguer dans un certain délai, sauf son droit de demander aux chambres une

seconde délibération (L. const. 16 juillet 1875, art. 7, §§ 1 et 2). Si le texte voté par la chambre saisie en premier lieu est repoussé en bloc par la chambre à laquelle il est transmis, rien n'est fait et le parlement a repoussé le projet de loi. Si enfin le projet voté par l'une des chambres est voté par l'autre chambre en termes différents, le projet sera transmis d'une chambre à l'autre jusqu'à ce que finalement le même texte soit adopté par les deux chambres. Jamais le texte voté par l'une des chambres ne peut s'imposer à l'autre. Le principe essentiel de notre droit constitutionnel est l'égalité des chambres et leur complète indépendance. L'une n'est pas une chambre de contrôle, l'autre une chambre de décision. L'une et l'autre ont, en principe, des pouvoirs absolument égaux; l'une n'est point tenue de céder devant l'autre.

Ce principe de l'égalité complète des chambres en droit, sauf en malière financière, a été emprunté par le législateur de 1875 aux Chartes de 1814 et de 1830, qui l'une et l'autre l'avaient emprunté au droit constitutionnel anglais. La chambre des pairs et la chambre des députés de la Restauration et du Gouvernement de juillet, comme la chambre des communes et la chambre des lords, comme notre chambre des députés et notre sénat actuel, participaient dans les mêmes conditions et avec des pouvoirs égaux à la confection des lois. Il en était de même du corps législatif et du sénat du sénatusconsulte constituant de 1870. Au contraire, les deux chambres créées par la const. de l'an III, le conseil des anciens et le conseil des cinq-cents participaient d'une manière différente à la confection des lois. L'initiative appartenait exclusivement aux cinq cents. Les propositions adoptées par le conseil des cinq cents, appelées résolutions, étaient transmises au conseil des anciens, qui devait ou en rejeter tous les articles ou les approuver en bloc (Const. an III, art. 76, 86, 88, 95-101).

Les résolutions sont toutes les décisions qui résultent du vote d'une seule chambre. Il va de soi que ces résolutions n'ont pas la valeur de lois, puisque, aux termes de l'art. 1 déjà cité de la loi const. du 25 février 1875, le pouvoir législatif s'exerce par deux assemblées, la chambre des députés et le sénat. Mais cependant ces résolutions ne sont point sans produire des effets importants.

D'abord c'est par voie de résolution que les chambres votent toutes les décisions qui s'appliquent à elles-mêmes les décisions par lesquelles elles fixent leur ordre du jour, ordonnent des renvois à la commission, etc...; toutes les dispositions qui forment le règlement de leurs travaux (cf. § 120); les décisions par lesquelles les chambres lèvent l'inviolabilité protégeant leurs membres, acceptent leur démission, prononcent leur déchéance, infligent la censure.

Toutes ces décisions ne s'appliquent qu'aux membres de la chambre qui les prend. Si l'on admet l'idée développée aux §§ 120 et 121, d'après laquelle les chambres modernes peuvent être considérées comme des corporations autonomes, exerçant des droits de puissance publique sur les individus qui les composent, on comprend très bien comment les résolutions votées dans les hypothèses qu'on vient d'indiquer produisent un effet de droit et s'imposent aux membres de la chambre qui les a prises.

Outre sa participation à la confection des lois, chaque chambre exerce un pouvoir de contrôle sur les actes du gouvernement et de ses agents (cf. art. 6, § 1 de la loi const. du 25 février 1875, et infra, §§ 129 et 145). Toute résolution votée par l'une des deux chambres dans le but d'exercer ce contrôle s'impose au respect du gouvernement et de ses agents sous la sanction de la responsabilité ministérielle. C'est ainsi que par des résolutions chaque chambre vote des ordres du jour de confiance, de défiance ou de blâme à l'égard du ministère, l'invite à prendre telle ou telle mesure, nomme des commissions d'enquête pour examiner le fonctionnement de tel ou tel service, ordonne des communications de pièces, etc.... On peut rattacher à cette catégorie de résolutions celles votées par les chambres pour requérir la suspension des poursuites commencées contre l'un de leurs membres et la suspension de sa détention, conformément à l'art. 14, § 2 de la loi const. du 16 juillet 1875, et celles par laquelle l'une des chambres ordonne l'affichage du discours d'un ministre ou d'un de ses membres.

Enfin il est des résolutions qui sont prévues expres

sément par la constitution et qui produisent leurs effets en vertu du texte constitutionnel qui donne formellement compétence à chaque chambre pour les prendre. Ce sont d'abord les résolutions par lesquelles chaque chambre statue sur la régularité de l'élection de ses membres et sur leur éligibilité (L. const. 16 juillet 1875, art. 10; cf. § 118). Ce sont ensuite les décisions par lesquelles la chambre des députés peut mettre en accusation devant le sénat le président de la république et les ministres (L. const. 16 juillet 1875, art. 12, §§ 1 et 2; cf. §§ 132-134). Ce sont enfin les résolutions que peuvent prendre la chambre et le sénat déclarant qu'il y a lieu de reviser les lois constitutionnelles (L. const. 25 février 1875, art. 8; cf. § 149).

Que les chambres votent des projets de loi ou des résolutions, la procédure parlementaire est la même. Elle est, sauf quelque différence de détail, la même dans les deux chambres. Aussi ne parlerons-nous que de la chambre des députés, restant entendu qu'à moins d'observation contraire, ce qui est dit de la chambre est vrai du sénat. Cette procédure parlementaire est surtout déterminée par le règlement des chambres : les lois constitutionnelles et les lois ordinaires ne contiennent pas de dispositions à cet égard. Elle comprend quatre phases principales: 1° la proposition faite par ceux qui ont ce qu'on appelle l'initiative; 2o l'étude de la proposition en commission; 3° la discussion en séance publique; 4° le vote. Enfin l'existence de deux chambres fait naître forcément des relations entre elles que le législateur constituant a eu le tort de ne point réglementer et qui sont régies par la coutume parlementaire et par quelques articles des règlements des chambres.

124. L'initiative. C'est le droit de saisir une chambre d'une proposition tendant au vote d'un projet de loi ou d'une résolution. Dans notre constitution, qui repose sur l'idée très juste de la collaboration des organes et sur le principe d'une pondération respec

tive du parlement et du gouvernement, l'initiative. appartient également au président de la république personnifiant le gouvernement et l'exerçant par les ministres et aux membres de chacune des deux chambres. Le principe en est formulé très nettement dans l'art. 3, § 1 de la loi const. du 25 février 1875: « Le président de la république a l'initiative des lois concurremment avec les membres des deux chambres >>. Rap. L. 24 février, art. 8, § 1. Cependant de fait le droit d'initiative du gouvernement s'exerce d'une manière plus large que le droit d'initiative parlementaire.

Il est indispensable que le droit d'initiative appartienne au gouvernement. C'est lui qui est l'organe dirigeant par excellence dans l'Etat ; c'est lui qui connaît surtout les besoins du pays, les difficultés auxquelles il faut parer; c'est donc lui qui, mieux que personne, peut savoir quels projets doivent être soumis au parlement.

Cette nécessité de reconnaître au gouvernement le droit d'initialive apparait bien si l'on remarque ce qui se passe aux Etats-Unis. Les auteurs de la constitution, s'inspirant sur ce point du principe de la séparation des pouvoirs, n'ont point donné au président de la république américaine le droit d'initiative proprement dite. Il n'a constitutionnellement que le droit d'appeler par un message l'attention du congrès sur tel point où il estime qu'une loi doit être faite dans un sens déterminé; ce droit de conseil s'est transformé en fait en un véritable droit d'initiative; et la plupart des dernières lois votées par le congrès américain l'ont été sur l'initiative du président. Cf. le très intéressant article de M. Barthélemy, La présidence des Etats-Unis d'Amérique, Revue politique et parlem., février 1906, p. 289 et suiv.; id., Le rôle du pouvoir exécutif dans les républiques modernes, 1907, p. 55 et suiv.

En France, les auteurs de la constitution de 1791 et de l'an III, qui avaient voulu appliquer autant que possible le principe de la séparation des pouvoirs, avaient refusé l'initiative au gouvernement. En 1791 le roi avait seulement le droit d'inviter le corps législatif à prendre un objet en considération (tit. III, chap. 1, sect. 1, art. 1. no 1, et sect. iv, art. 1). En l'an III, l'initiative appartient au conseil des cinq cents et le directoire peut seulement inviter par écrit le conseil des cinq cents à prendre un objet en considération (art. 76 et 163). Inspirées par un esprit entièrement opposé, les constitutions

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