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de l'an VIII et de 1852 (art. 8), la Charte de 1814 (arl. 16) donnent l'initiative des lois exclusivement au chef de l'Etat, premier consul, président de la république, empereur, roi. Cependant la Charte de 1814 portait que les chambres avaient la faculté de supplier le roi de proposer une loi sur un objet quelconque et d'indiquer ce qu'il leur paraissait convenable que la loi contînt (art. 19).

Au contraire, s'inspirant sur ce point des mêmes idées que le législateur de 1875, les auteurs de la Charte de 1830 (art. 15), de la constitution de 1848 (art. 49) et du sénatusconsulte constituant de 1870 (art. 12) ont donné le droit d'initiative et au gouvernement et aux membres des chambres. L'Assemblée nationale de 1871 reconnut au gouvernement qu'elle institua par la résolution du 17 février et la loi du 31 août 1871 le droit d'initiative; en effet, elle adopta le règlement de la Législative de 1849 qui contenait un article 61 ainsi conçu: « Les projets de loi présentés au nom du gouvernement sont déposés par un des ministres sur le bureau de l'assemblée ».

Initiative du gouvernement (L. const. 25 février 1875, art. 3, § 1). Le droit d'initiative du gouvernement s'exerce avec la plus entière liberté. Le texte présenté par le gouvernement prend le nom de projet, projet de loi ou projet de résolution. Le mot proposition désigne plus spécialement le texte présenté par un membre du parlement.

Le gouvernement peut charger le conseil d'Etat de préparer un projet de loi (L. 24 mai 1872, art. 8), Il le fait rarement. Plus souvent il charge une commission extra-parlementaire de préparer le projet. Les exemples de ce procédé sont nombreux ces dernières années; notamment une grande commission extra-parlementaire a été constituée au mois de janvier 1905 pour préparer une revision du code civil. Le gouvernement peut aussi par un décret spécial ordonner de soumettre au conseil d'Etat un projet déjà préparé (L. 24 mai 1872, art. 8, no 2).

Les projets du gouvernement sont établis sous forme de décrets signés du président de la république, contresignés par un ministre. Ils ne sont soumis ni à l'examen d'une commission d'initiative, ni à la formalité de la prise en considération. Cf. infra, même §.

Le droit d'initiative du gouvernement s'exerce à son choix ou devant le sénat ou devant la chambre. C'est la conséquence du principe de l'égalité des chambres. Il n'y a qu'une exception, qui, peut-on dire, est traditionnelle dans les pays qui pratiquent le régime représentatif : les lois de finances doivent être

en premier lieu présentées à la chambre des députés et votées par elle (L. const. 24 février 1875, art. 8, § 2).

Cette règle que les lois de finances ne peuvent être présentées en premier lieu à la chambre haute a été pour la première fois formulée en France par la constitution du 6 avril 1814, dite constitution sénatoriale (art. 5, § 3). Elle a été reproduite dans les Chartes (Chartes de 1814, art. 17 et 1830, art. 15, § 2), le sénatusconsulte const. de 1870 (art. 12, § 3) et enfin l'art. 8 de la loi const. du 24 fév. 1875. Elle était empruntée au droit constitutionnel anglais. Elle avait, en effet, en Angleterre sa raison d'être les lois de finances doivent être proposées en premier lieu à la chambre des communes, parce qu'elle seule est une chambre élue et qu'à ce titre elle seule représente vraiment le pays et par suite peut créer des impôts, engager des dépenses. La chambre des lords, chambre nommée par le roi et en grande partie héréditaire, ne peut exercer en matière de finances qu'un droit de contrôle. Cette règle se concevait aussi très bien sous la monarchie de 1814 à 1848 el sous le second empire, où la chambre haute, chambre des pairs ou sénat, n'était point élective, mais nommée par le roi ou l'empereur, dont certains membres mêmes étaient nommés à titre héréditaire sous la Restauration (Charte de 1814, art. 27). Mais aujourd'hui celte restriction au droit d'initiative du gouvernement, cette distinction entre les deux chambres n'ont pas leur raison d'être : le sénat est électif comme la chambre; le sénat sort du suffrage universel comme la chambre; il est vrai que pour le sénat le suffrage universel s'exerce à deux ou trois degrés; mais il n'y a pas là une raison suffisante pour établir au profit de la chambre le privilège de la priorité en matière financière.

Il importe toutefois de ne pas exagérer l'importance de ce privilège. Les projets de lois de finances sont les projets de loi créant des impôts nouveaux, modifiant l'organisation ou l'assiette d'impôts existant déjà, tendant à autoriser un emprunt d'Etat ou de ville ou à convertir un emprunt, les projets d'ouverture de crédit, d'annulation de crédit et enfin le projet de budget. Aucun de ces projets ne peut être présenté en premier lieu au sénat et tous doivent être déposés d'abord à la chambre. Mais le gouvernement n'est point obligé de présenter en premier lieu à la chambre un projet de loi qui aurait pour conséquence indirecte d'entrainer une augmentation de dépenses. Ainsi, par exemple, la loi du 14 juillet 1905 sur l'assistance aux vieillards, aux infirmes et aux incurables et même le projet de loi sur les retraites ouvrières auraient pu être certainement présentés en premier lieu au sénat.

D'autre part, ce droit de priorité de la chambre des députés n'empêche pas le gouvernement de faire devant le sénat une proposition qu'il a déjà faite à la chambre, mais qui a été repoussée. Sans doute, si le gouvernement demande un crédit isolé à la chambre et qu'il lui soit refusé en totalité, il ne pourrait pas le demander

ensuite au sénat. Puisque rien n'a été voté à la chambre, il ne pourrait rien transmettre au sénat et sa demande serait une proposi tion nouvelle. Mais si la chambre n'a pas accordé le chiffre demandé par le gouvernement ou si, s'agissant du budget, la chambre a repoussé totalement un des crédits budgétaires, en transmettant au sénat le texte voté par la chambre, le gouvernement peut lui demander de voter le chiffre qu'il avait demandé à la chambre ou de rétablir le crédit qu'il avait proposé à la chambre et qu'elle avait refusé. Pendant quelque temps on a soutenu à la chambre que celle-ci ayant refusé un crédit budgétaire demandé par le gouvernement, le sénat ne pouvait pas le rétablir, même sur la demande du gouvernement. Aujourd'hui cette opinion est tout à fait abandonnée, et l'on reconnaît que le gouvernement peut demander et que le sénat peut rétablir un crédit budgétaire non voté par la chambre. En effet, la règle de la priorité est alors respectée : le projet a été présenté en premier lieu à la chambre; il a été volé par elle; transmis au sénat, c'est le gouvernement qui demande an sénat de le voter tel qu'il avait été présenté à la chambre. V. infra, même §, la question de l'initiative des sénaleurs en matière financière.

Les art. 79 du règlement du sénat et 38 du règlement de la chambre décident que lorsqu'une proposition due à l'initiative parlementaire a été repoussée, elle ne peut être présentée à nouveau qu'après l'expiration d'un délai de trois mois, si elle a été prise en considération, et d'un délai de six mois, si elle n'a pas été prise en considération. Cette prohibition ne s'applique certainement pas aux projets du gouvernement. Les règlements des chambres ont voulu seulement éviter l'abus de l'initiative. Cet abus n'est certainement pas à craindre de la part du gouvernement. D'un autre côté, le ministère est responsable devant les chambres; il faut donc qu'il ait une entière liberté d'initiative. Enfin les chambres peuvent bien réglementer l'initiative de leurs membres, en vertu de leur pouvoir d'auto-réglementation. Mais leurs règlements ne peuvent s'imposer qu'à leurs membres (cf. § 120), el ne peuvent limiter, sous une forme quelconque, le droit d'initiative que le gouvernement tient de la constitution elle-même.

Parfois, la loi a imposé au gouvernement l'obligation de présenter un projet de loi, et même de le présenter dans un certain délai. Par exemple, la loi du 20 janvier 1874 sur les maires, imposait au gouvernement l'obligation de saisir l'assemblée, dans les deux mois, d'un projet d'organisation municipale. La loi du 13 mars 1873, art. 5, §2 ordonnait au gouvernement de soumettre à l'assemblée des projets de loi sur l'organisation politique. Il est vrai que ces lois étaient volées par une assemblée qui avait le pouvoir constituant. Mais si une disposition de ce genre était volée actuellement par le parlement, elle serait, croyons-nous, incorrecte au point de vue constitutionnel. C'est ce que fit très justement observer, dans la séance du

6 juillet 1895, le rapporteur de la commission du budget à propos d'un amendement tendant à introduire dans la loi des finances un acte obligeant le gouvernement à déposer dans un certain délai un projet de loi relatif à l'impôt sur le revenu. La loi constitutionnelle donne au gouvernement le droit d'initiative sans réserve; le législateur ordinaire ne peut apporter une restriction à ce droit constitutionnel, en imposant au gouvernement l'obligation de déposer un projet; a fortiori il ne peut pas lui imposer l'obligation de déposer un projet dans un certain délai.

Nous n'en dirons pas autant des résolutions par lesquelles l'une des chambres invite le gouvernement à déposer un projet de loi et fixe même un certain délai. Alors, en effet, il n'y a point une disposition législative créant une limitation que la loi constitutionnelle n'a pas établie. La chambre qui vote une pareille résolution ne fait pas autre chose qu'exercer son droit de contrôle sur les actes, sur la politique du gouvernement. On verra, au § 129, que ce contròle ne donne pas seulement aux chambres le droit de demander au gouvernement des explications sur les actes fails, mais aussi le droit d'indiquer au gouvernement, en des formes variables, la politique à suivre. La résolution invitant le gouvernement à déposer un projet de loi n'a point pour but, comme l'aurait une loi, de faire naître, pour le gouvernement, une obligation légale de déposer le projet; elle avertit seulement le gouvernement que sa responsabilité politique pourrait se trouver engagée s'il ne déposait pas tel projet de loi. Cela est d'une correction constitutionnelle parfaite.

Il est incontestable que le gouvernement peut retirer un projet qu'il a présenté à l'une des chambres. Le retrait du projet se fait par un décret motivé ou non et contresigné par le ministre intéressé. La simple déclaration d'un ministre faite verbalement à la tribune ne suffirait pas. Présenté aux chambres par décret, un projet ne peut être retiré que par décret. Le projet peut être retiré à tout moment de la procédure parlementaire.

Cependant on verra (§ 128) que le gouvernement doit transmettre à l'autre chambre le projet voté par une chambre. Mais quand il a lait cette transmission, il peut le retirer. Qu'on ne dis pas que la transmission est alors inutile: c'est un acle de déférence pour la chambre qui a déjà voté le projet, et la chambre à laquelle est faite la transmission peut alors, si le projet est retiré, le reprendre par l'initiative parlementaire et en rester saisie.

Initiative parlementaire.

Elle appartient en principe en toute matière à tout député, à tout sénateur

(L. 25 février 1875, art. 3, § 1 et 24 février 1875, art. 8). On a vu cependant que, d'après le règlement de la chambre (art. 6), une proposition de loi ne peut pas être déposée par un député avant son admission. Pareille restriction n'existe pas au sénat.

Le droit d'initiative appartenant aux députés et aux sénateurs comprend naturellement le droit d'amendement, c'est-à-dire le droit de proposer des modifications partielles aux projets du gouvernement ou aux propositions parlementaires.

Le droit d'initiative est en principe le même pour les députés et pour les sénateurs. Il est restreint pour les sénateurs en matière financière par l'art. 8, § 2 de la loi const. du 24 février 1875. Pour les députés, il peut s'exercer en toute matière à la condition, bien entendu, que la proposition déposée ne soit pas contraire à la constitution. Les députés peuvent donc proposer des ouvertures de crédit, soit l'introduction de crédits nouveaux dans le budget, soit l'augmentation de crédits déjà inscrits au budget, soit l'ouverture de crédits isolés.

Ce droit a été nellement affirmé par le président Grévy le 11 janvier 1877 et bien souvent la chambre a voté des crédits ou des augmentations de crédits proposés par des députés. Cette pratique est même devenue abusive; il est arrivé souvent qu'un budget, présenté en équilibre à la chambre par le gouvernement et la commission du budget, sortait de la chambre en déficit, par suite du vole de nombreux crédits proposés par les députés, el souvent admis en vue de considérations purement électorales. C'est pour remédier à ce grand inconvénient que le 16 mars 1900, sur la proposition de M. Berthelot, la chambre a volé la résolution suivante qui est devenue l'art. 51 bis de son règlement : « Aucune proposition tendant soit à des augmentations de traitement, d'indemnités ou de pensions, soit à des créations de services, d'emplois ou de pensions ou à leur extension en dehors des limites prévues par les lois en vigueur, ne peut être faite sous forme d'amendement ou d'article additionnel au budget ». Cette disposition est applicable et elle a été appliquée sans contestation par le président aux projets de crédits supplémentaires qui ne sont qu'un complément du budget. Les amendements ayant pour but d'augmenter les dépenses par la reprise du chiffre primitif du gouvernement ne sont pas soumis à l'interdiction. Ne l'est pas non plus une

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