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demande en inscription sur la liste électorale ou en radiation peut être faite non seulement par l'intéressé, mais encore par tout électeur inscrit de la circonscription, comment l'appel peut être formé même par une partie qui ne figurait pas au procès en première instance (D. org. 2 février 1852, art. 19-22).

Le caractère de l'électorat, considéré à la fois comme un droit et une fonction, est généralement admis par les auteurs français, notamment par M. Esmein, Droit constitutionnel, 4o édit., 1906, p. 268; M. Hauriou, Droit administratif, 5o édit., 1903, p. 49. Cf. Michoud, Théorie de la personnalité morale, 1905, p. 287. Sur la question du vote obligatoire, cons. Moreau, Le vote obligatoire, Revue politique et parlem., VII, 1896, p. 36 ; - Coutant, Le vote obligatoire, 1898; les propositions Letellier et Guillemet, 6 juin 1893 tendant à rendre le vote obligatoire, et Ory, 7 juillet 1905, J. off., Doc. parlem., Chambre, sess. ord., p. 781; - Jèze, Revue du droit public, 1905, p. 782; Labussière, Le vote par correspondance, Revue politique et parlem., 10 août 1905, p. 261 ; — Mallat, Le vote obligatoire, même Revue, 10 avril 1906, p. 119. Sur la nature de la procédure tendant à l'inscription sur les listes électorales et sur le rôle de la commission municipale de revision, cf. Ferron, Note sous Alger, 15 février 1901, S., 1904. 1, 17 et Jèze, Revue du droit public, 1905, p. 759, à propos du jugement du tribunal des conflits du 22 juillet 1905, attribuant à la commission municipale de revision des listes électorales le caractère de juridiction judiciaire.

Nous-même sommes arrivé à des conclusions analogues à celles de la théorie de l'électorat droit et fonction, en faisant de l'électorat ce que nous appelons un pouvoir objectif. V. notre volume intitulé l'Etat, les gouvernants et les agents, 1903, chap. I.

Les doctrines qui voient dans l'électorat un droit égal pour tous, devant être reconnu par le législateur à tous les membres de la nation, à l'exception seulement de ceux qui sont, par suite de leur åge ou de leur état d'esprit, incapables de l'exercer, et devant être reconnu même aux femmes, comptent d'assez nombreux représentants. C'est l'idée générale, qui inspirait la proposition déposée par M. Jules Guesde, sur le bureau de la chambre des députés, le 30 janvier 1894 Proposition de loi tendant à assurer l'universalité du suffrage dit universel (J. off., 1894, Doc. parlem., chambre, p. 337). M. Jules Guesde cependant admettait le maintien de certaines causes de déchéance et ne proposait pas l'électoral des femmes. La question de l'électorat des femmes est aujourd'hui tout à fait à l'ordre du jour. L'exclusion des femmes de toute participation directe à la puissance politique ne peut s'expliquer que comme le résultat de l'évolution historique; il n'y a pas de raison logique à cette exclusion; nous ne voyons pas pourquoi les femmes ne seraient pas

compétentes aussi bien que les hommes pour participer à l'expression de la volonté nationale. Cette exclusion est le résultat d'un préjugé tenace, qui, croyons-nous, disparaîtra dans un avenir prochain. L'électorat des femmes n'est point dans notre pensée la conséquence du principe de la souveraineté nationale; on le voit par ce qui précède; nous pensons que l'électorat doit être reconnu aux femmes, parce qu'elles sont capables aussi bien qus les hommes de dégager la volonté nationale et qu'elles supportent des charges sociales aussi lourdes que les hommes.

Plusieurs Etats de l'Union américaine, le Wyoming, le Colorado et l'Idaho, plusieurs colonies anglaises de l'Australasie, la NouvelleZélande et l'Australie du Sud ont conféré aux femmes l'électorat. En Angleterre, la question a été agitée plusieurs fois à la chambre des communes. Les femmes y ont, aux mêmes conditions que les hommes, le droit de suffrage pour les élections municipales dans les paroisses urbaines et rurales, ainsi que dans les bourgs et pour les élections aux conseils de comté (Jenks, L'administration locale en Angleterre, édit. franç., p. 48). Le 16 mars 1904, la chambre des communes, par 182 voix contre 68 a voté une résolution de Sir Mac Laren en faveur de l'abrogation des incapacités qui frappent les femmes touchant la franchise parlementaire. Le 28 juin 1904, la chambre des lords a repoussé par 57 voix contre 38 en deuxième lecture un bill présenté par Lord Beauchamp, tendant à donner aux femmes l'éligibilité aux conseils administratifs locaux. Mais le 31 mars 1905, la chambre des communes a voté sur la motion de M. Schipman un bill analogue à celui repoussé en 1904 par la chambre des lords, et accordant l'éligibilité aux femmes pour les conseils administratifs locaux. Le 2 mars 1906, la chambre des communes a abordé la discussion d'une proposition de Sir Charles Dilke, tendant à donner aux femmes les mêmes droits politiques qu'aux hommes; mais elle n'a donné aucune suite à cette proposition. - Cf. Jèze, Revue du droit public, 1905, p. 821. — Rap. Franqueville, Les droits politiques des femmes en Angleterre, Académie sciences morales et politiques, XXXIII, p. 115; - Hanson Robinson, Le mouvement féministe aux Etats-Unis, Revue polit. et parlem., 1898, XVII, p. 259.

En France, le mouvement féministe, compromis peut-être par ses promoteurs, n'a pas fait encore de sérieux progrès. On peut cependant citer comme se rattachant à ce mouvement d'idées la loi du 7 décembre 1897, conférant aux femmes le droit d'être témoin dans les actes instrumentaux, la loi du 23 janvier 1898 leur donnant l'électoral pour l'élection aux tribunaux de commerce et la loi du 1er décembre 1900 permettant aux femmes, munies du diplôme de licencié en droit, de prêter le serment d'avocat et d'exercer cette profession. Cf. Turgeon, Le féminisme français, 2 vol., 1898; — Compte-rendu du Congrès féministe 1900, Mouvement socialiste, 15 octobre et 1er novembre 1900. Le Conseil international des

femmes a tenu ses assises à Paris du 14 au 17 juin 1906. Le complerendu de ses travaux n'a pas encore été publié.

Les auteurs qui admettent la théorie de la nation-organe ne voient naturellement en général dans l'électorat qu'une fonction. L'électeur est membre de la nation; il est un organe-membre, et comme tout organe il n'a point de droit subjectif; il est seulement un des instruments par lesquels l'Etat exerce ses droits; si l'électeur parait avoir un droit, ce n'est qu'une apparence; il y a seulement un réflexe du droit constitutionnel objectif. V. en ce sens Laband, Droit public, édit. franç., 1900, I, p. 495; · Orlando, Fondement de la représentation politique, Revue du droit public, 1895, I, p. 21; Posada, Dirrito politico, 1893, I, p. 372; - Saripolos, La démocratie et l'élection proportionnelle, 1899, II, p. 93. — Celle solution paraît seule logique. Cependant M. Jellinek, qui enseigne la théorie de la nation-organe, admet que l'électorat est à la fois une fonction et un droit. Oui, dit le savant professeur, l'électeur est un fonctionnaire et quand il vote il exerce un droit, dont le seul titulaire est l'Etat; mais il a cependant un droit subjectif; ce n'est pas le droit de voter, c'est le droit d'être reconnu par tout le monde, même par l'Etat, comme ayant une qualité qui lui permet d'exercer la fonction de voter (Jellinek, System der subjektiven öffentlichen Rechte, 20 édit., 1905, p. 146). — Cf. dans un sens analogue, Michoud, Théorie de la personnalité morale, 1905, p. 287. Cette doctrine de M. Jellinek a été très vivement critiquée par M. Laband, Droit public, édit. franç. 1900, I, p. 495, note 1. M. Jellinek répond à ces critiques dans son livre Allgemeine Staatslhre, 1900, p. 382, note 1 et 20 édil., 1905, p. 408, note 2. Il nous semble que la théorie de M. Jellinek est difficilement compatible avec la conception de la nation-organe, qu'avec cette idée on ne peut voir logiquement dans l'électeur qu'un fonctionnaire exerçant un droit dont le seul titulaire est l'Etat, et qu'ainsi, au point de vue de la logique, M. Laband a raison contre M. Jellinek.

B. Le territoire.

24. Le territoire, élément subjectif de l'Etat. - Dans la théorie de l'Etat, aujourd'hui dominante, et qui, on le verra plus loin, cadre parfaitement sur ce point avec les principes formulés par nos constitutions, on admet que le territoire est un élément constitutif de l'Etat. Une collectivité ne peut être un Etat que lorsqu'elle est fixée sur un territoire dont les limites sont déterminées. Sans cela, il n'y a point d'Etat. Il peut y avoir un groupe social intégré; il peut même

exister dans ce groupe social une autorité politique. Mais cette collectivité, même politiquement différenciée, n'est pas, ne peut pas être un Etat. Ainsi, dans cette doctrine, les tribus nomades de l'Afrique centrale, non établies sur un territoire à limites fixes, ne sont point des Etats, bien qu'elles possèdent une autorité politique souvent véritablement organisée. Les nations européennes ont pu faire ainsi sans scrupules la conquête de l'Afrique et oublier pour les populations du continent noir toutes les règles du droit international, sous le prétexte que ces populations ne formaient pas des Etats. Par application du même principe, on décide en général que l'Eglise catholique ne forme point un Etat. Elle peut être une personne du droit des gens; mais elle n'est pas un Etat. Avant 1870, le pape était souverain temporel d'un Etat territorial. Mais l'Eglise catholique elle-même n'a jamais été et n'est point un Etat. Sans doute, elle est une collectivité organisée; ses fidèles reconnaissent dans l'Eglise une puissance souveraine dans l'ordre spirituel; elle possède, depuis le souverain pontife au sommet, jusqu'aux simples prêtres en bas, une administration puissamment hiérarchisée. Cependant elle n'est pas un Etat, parce qu'elle ne se rattache pas à un territoire déterminé. On ne peut, on ne doit reconnaître le caractère d'Etat qu'à une collectivité, ayant d'ailleurs une puissance politique, établie sur un territoire déterminé.

Il faut bien dire que les propositions qui précèdent sont formulées par la doctrine dominante plutôt comme des postulats que comme des vérités directement et positivement démontrées. Cependant, on doit reconnaitre que l'Etat moderne, tel qu'il est sorti de l'évolution historique, nous apparaît toujours intimement rattaché à un territoire. Dans la notion tout à fait générale que nous avons donnée précédemment de l'Etat (§ 8), l'élément territorial n'apparait point. Mais quand on veut préciser cette notion, quand on veut surtout définir la conception de l'Etat moderne,

sujet de droit, il est difficile d'écarter l'élément territorial. Au surplus, le rôle de l'élément territorial apparaitra plus nettement encore quand on aura étudié la souveraineté de l'Etat.

Quoi qu'il en soit, quel est, dans la théorie juridique de l'Etat, exactement le caractère du territoire considéré comme élément constitutif de l'Etat? On répond parfois à cette question en disant l'importance du territoire apparaît de deux manières négativement, en ce sens qu'il est interdit à toute autre puissance que celle de l'Etat lui-même d'exercer une autorité quelconque sur le territoire qui lui est affecté; positivement, en ce sens que tous les individus qui, en fait, se trouvent sur le territoire d'un Etat, sont subordonnés à cet Etat, alors même qu'ils ne soient pas nationaux de cet Etat. Ces propositions sont exactes; mais elles ne sont pas suffisantes, ou du moins elles ne sont que la conséquence d'une idée plus générale. Pour la comprendre, il faut déterminer l'essence juridique interne du territoire.

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C'est ce que nous faisons en disant le territoire est un élément subjectif de l'Etat; ou, sous une forme moins concise l'Etat est une personne juridique; il est titulaire, sujet de la puissance politique considérée comme droit subjectif, et il l'exerce par l'intermédiaire d'organes; le territoire est un élément constitutif de cette personne, c'est-à-dire que cette personne juridique, titulaire de la puissance politique, ne peut pas exister s'il n'y a pas un territoire exclusivement affecté à la collectivité qui lui sert de support.

Pourquoi le territoire est-il un élément constitutif de l'Etat, personne juridique titulaire de la puissance politique? On répond tout Etat possède par définition même la puissance politique; or la puissance politique c'est le pouvoir de donner des ordres inconditionnés, c'est-à-dire des ordres qui ne soient soumis à aucune condition étrangère à la volonté de celui qui les donne (à la condition toutefois, selon nous, que l'Etat reste

DUGUIT

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