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qui n'existent pas dans la nomenclature légale des peines, c'est dire que le sénat peut violer la loi.

Le sénat a d'ailleurs, et en 1899 (procès Boulanger), et en 18991900 (arrêt du 4 janvier 1900), frappé les accusés condamnés en application des art. 89 et suiv. du code pénal, de la peine de la détention ou de la peine du bannissement, peines édictées par ces articles. Il faut noter en outre que pour le cas où le sénat, comme en 1889 et en 1899, est appelé à connaître des crimes d'attentat à la sûreté de l'Etat ou de complot, la loi du 10 avril 1889 (art. 23) lui fait une obligation d'appliquer rigoureusement les peines prévues par la loi combinée avec la disposition de l'art. 463 du code pénal « sans qu'il puisse y substituer de moindres peines » et de rappeler dans l'arrêt les dispositions légales dont il fait l'applica calion (L. 10 avril 1889, art. 23).

En 1830, la cour des pairs, qui par son arrêt du 21 décembre avait commis une première illégalité en déclarant les ministres de Charles X coupables du crime de trabison, qu'aucune loi ne délinissait et ne punissait, en commit une autre, conséquence d'ailleurs de la première, en disant dans son arrêt : « ... Considérant qu'aucune loi n'a déterminé la peine de la trahison et qu'ainsi la cour est dans la nécessité d'y suppléer... » et en condamnant les accusés à la prison perpétuelle, peine inconnue dans notre système pénal. 134. De la procédure suivie devant le sénat haute cour de justice. - L'art. 12, § 5 de la loi const. du 16 juillet 1875 portait : « Une loi déterminera le mode de procéder pour l'accusation, l'instruction et le jugement ». Lorsqu'en 1889, gouvernement provoqua la poursuite du général Boulanger devant la haute cour, on s'aperçut que depuis 14 ans on n'avait point songe à faire la loi annoncée. De bons esprits soutenaient que tant que la loi de procédure ne serait pas faite, le sénat ne pourrait pas être constitué en haute cour de justice. Le 8 avril 1889, le sénat ayant reçu communication d'un décret le constituant en haute cour de justice pour connaître d'un crime d'attentat à la sûreté de l'Etat, M. Buffet proposa le vote d'une résolution par laquelle le sénat déclarerait qu'il ne pourrait fonctionner comme cour de justice tant que la loi de procédure annoncée par la constitution ne serait pas volée. La proposition de M. Buffet fut repoussée par la question préalable. Mais pour éviter des difficultés, on acheva à la hâte en 1889, à la veille du procès Boulanger, la loi sur la procédure. C'est la loi du 10 avril 1889. Cette loi ne s'applique qu'au cas où le sénat est constitué en haute cour de justice par un décret pour connaitre d'un attentat à la sûreté de l'Etat; elle ne s'appliquerait point au cas où le sénat serait constitué en haute cour pour juger le président de la république ou un ministre mis en accusation par la chambre. Cels a été dit expressément par M. Morellet, rapporteur de la loi (11 février 1889) (Pierre, loc. cit., p. 742, note 1), et cela ressort nettement du titre de la loi : Loi du 10 avril 1889 sur la procédure

à suivre devant le sénat pour juger toute personne inculpée d'altentat commis contre la sûreté de l'Etat.

Dès lors aujourd'hui, si la chambre des députés mettait en accusation soit le président de la république, soit un ministre, la question se poserait de savoir si en l'absence d'une loi de procédure, le sénat pourrait fonctionner comme haute cour de justice. Nous n'hésitons pas à le penser. L'existence d'une loi de procédure n'est pas nécessaire pour qu'une juridiction légalement établie puisse exercer ses attributions. On peut citer l'exemple des conseils de préfecture, qui, créés par la loi du 28 pluviôse de l'an VIII, n'ont été dotés d'une loi de procédure que le 22 juillet 1889. La disposition de l'art. 12, § 5 de la loi const. du 16 juillet 1875 est purement énonciative et l'on ne saurait certainement en conclure que l'exercice du droit de la chambre de mettre en accusation le président de la république et les ministres et du sénat de les juger soit subordonné à la confection d'une loi de procédure. Toutefois le législateur ferait bien de combler cette lacune de notre législation. M. Morellet, dans son rapport sur la loi de 1889, semblait annoncer que cette loi serait faite incessamment; mais le parlement l'a oubliée.

Le cas échéant, la chambre et le sénat, pour la mise en accusation et le jugement du président de la république et des ministres, pourraient (sauf les réserves faites au § 133) s'inspirer des précédents de 1830. Dans l'acte de mise en accusation la chambre devrait viser les articles de loi sur lesquels elle appuie son accusation et dont elle demande au sénat de faire l'application. Elle désignerait deux ou plusieurs de ses membres pour « faire toutes les réquisitions nécessaires, suivre, soutenir et mettre à fin l'accusation devant le sénat ». L'acte de mise en accusation voté par la chambre serait transmis au sénat, qui, par une résolution, se constituerait en haute cour de justice. V. l'exposé détaillé de la procédure suivie en 1830 pour le procès des ministres de Charles X, Pierre, loc. cit., 2e édit., 1902, p. 725 et suiv.

Procédure au cas où le sénat est constitué en haute cour de justice par un décret pour connaître d'un crime d'attentat à la sûreté de l'Etat. - C'est la seule hypothèse dans laquelle s'applique la loi du 10 avril 1889. Les auteurs de cette loi (cf. le rapport précité de M. Morellet) ont eu pour but de calquer la procédure qu'ils établissaient sur la procédure criminelle de droit commun et d'assurer aux accusés devant le sénat toutes les garanties que le code d'instruction criminelle assure aux accusés devant la cour d'assises. Cette loi contient même un art. 32 ainsi conçu : « Les dispositions du code d'inst. crim. et de toutes autres lois générales d'instruction criminelle qui ne sont pas contraires à la présente loi sont appliquées à la procédure, s'il n'en est autrement ordonné par le sénat ». La partie finale de cet article n'est pas sans nous surprendre, et nous n'en apercevons pas une justification possible. Les règles de procédure sont la garantie des justiciables; le législateur les impose aux

tribunaux ; et il ne peut leur laisser la liberté de les appliquer ou

non.

Le sénat est constitué par un décret qui fixe le jour et le lieu de sa première réunion. Mais le sénat reste toujours libre de fixer le lieu où il tiendra ses audiences L. 10 avril 1889, art. 1, et L. 22 juillet 1879, art. 3, § 3). La promulgation de ce décret oblige tous les sénateurs élus antérieurement à se rendre à la convocation qu'il renferme à moins qu'ils n'aient des motifs d'excuse, qui seront appréciés par le sénat. Les sénateurs élus postérieurement au décret de convocation ne peuvent point connaitre des fails en vue desquels le sénat est constitué en haule cour de justice (L. 1889, art. 2).

C'est au président de la république qu'il appartient d'instituer un ministère public: à cet effet, il doit nommer parmi les membres des cours d'appel ou de la cour de cassation un magistrat chargé des fonctions de procureur général près la haute cour, et un ou plusieurs magistrats chargés de l'assister comme substituts. En 1889 et en 1899, c'est le procureur général près la cour de Paris qui a été chargé des fonctions de procureur général près la haute cour (L. 1889, art. 3.

La haute cour a besoin d'un greffier et d'huissiers. A ce sujet, l'art. 4 de la loi de 1889 dispose: « Le secrétaire général de la présidence du sénat remplit les fonctions de greffier. Il peut être assisté de commis-greffiers assermentés nommés par le président du sénat. Les actes de la procédure sont signifiés par les huissiers des cours et tribunaux. Les huissiers du sénat remplissent pour le service d'ordre intérieur les fonctions d'huissiers audienciers (art. 4).

Le législateur de 1889 a prévu le cas où l'instruction du crime d'attentat à la sûreté de l'Etat aurait été commencée par la justice ordinaire. Dans cette hypothèse, toutes les pièces de l'information commencée doivent être envoyées au procureur général près la haute cour. Mais les magistrats qui ont commencé l'information doivent continuer à recueillir les indices et les preuves jusqu'à ce que le sénat ait ordonné qu'il soit procédé devant lui (art. 5).

Le sénat ainsi constitué en haute cour par un décret tient une première séance où il entend lecture du décret, le réquisitoire du procureur général et où il ordonne qu'il sera procédé à l'instruction.

Commission d'instruction. — L'instruction est faite par une commission de neuf sénateurs qui prononce aussi sur la mise en accusation. Le législateur n'a pas voulu, très justement, que cette commission fût élue au moment où le sénat est déjà saisi et en vue d'une affaire déterminée. Elle doit être élue chaque année, en séance publique et sans débat, au début de la session ordinaire. Outre les neuf sénateurs titulaires, le sénat doit élire de la même manière cinq sénateurs suppléants. La commission d'instruction nomme son président (L. 10 avril 1889, art. 6 et 7).

Le président de la commission d'instruction, dès que le sénal a ordonné l'instruction, y procède. Il est assisté et suppléé au besoin

par les membres de la commission désignés par elle. Il est investi des pouvoirs attribués par le code d'inst. criminelle au juge d'instruction. Il peut décerner un mandat d'arrêt sans qu'il soit besoin de réquisition du ministère public; mais il ne peut rendre d'ordonnance. C'est la commission elle-même, qui, après communication au ministère public, statue sur la demande de mise en liberté provisoire. La commission statue sans recours (L. 1889, art. 8).

Au procès Déroulède, en 1899, la haute-cour, le 18 septembre 1899, par l'arrêt même qui ordonnait l'instruction, décidait que la loi du 8 décembre 1897 relative à l'instruction contradictoire serait applicable à l'instruction faite par la commission sénatoriale. Si elle n'avait rien dit, la loi de 1897 eût été applicable en vertu de l'art. 39 précité de la loi de 1889. En le décidant expressément, le sénat écartait toute difficulté.

Aussitôt que l'instruction est terminée, le président de la commission remet le dossier au procureur général, qui le lui rend avec ses réquisitions écrites. Communication est donnée aux conseils des inculpés par la voie du greffe, où le dossier doit demeurer déposé au moins pendant trois jours. Après l'expiration de ce délai, au jour fixé par son président la commission se réunit sous le nom de chambre d'accusation, et entend, en présence du procureur général, la lecture du rapport sur l'instruction, présenté par le président ou l'un des assesseurs désignés par la commission, des réquisitions écrites du procureur général, des mémoires fournis par les inculpés. Après que le procureur général s'est retiré, la chambre d'accusation statue sur la mise en accusation, par décision spéciale pour chaque inculpé, sur chaque chef d'accusation. L'arrêt est rendu en chambre du conseil; il y est fait mention des sénateurs qui y ont concouru, et il doit être signé par eux. Il contient une ordonnance de prise de corps (L. 10 avril 1889, art. 9-12).

La décision de la commission d'instruction statuant comme chambre d'accusation est-elle susceptible d'une voie de recours? En 1899, la question a été soulevée par un accusé dont l'opposition fut formée au greffe de la prison, notifiée au président de la haute cour et au ministère public. La haute cour a déclaré cette opposition non recevable par un arrêt du 15 novembre 1899. Elle a bien jugé. La loi de 1889 ne donne aucune voie de recours. Il ne peut être question évidemment du recours en annulation donné dans certains cas par l'art. 399 du code d'inst. crim. contre les arrêts de la chambre des mises en accusation; ce recours est porté devant la cour de cassation (art. 300 C. inst. crim.). Cf. Moreau, Revue du droil public, 1902, II, p. 478.

Le jugement. L'instruction achevée, la mise en accusation prononcée, on arrive au jugement. Le procureur général rédige l'acte d'accusation, exposant la nature des faits qui forment la base de l'accusation. L'arrêt de mise en accusation et l'acte d'accusation sont notifiés aux accusés trois jours au moins avant le jour de l'au

dience; il en est laissé copie à chacun d'eux, avec citation à comparaître devant la cour au jour fixé par le président du sénat (L. 10 avril 1889, art. 13 et 14).

Au jour fixé, les débats sont ouverts; ils doivent être publics. Ilsont présidés par le président du sénat et, au cas d'empêchement, par un des vice-présidents désigné par le sénat (L. 1889, art. 15. Les membres de la commission d'instruction ne peuvent y participer s'ils sont récusés par la défense (art. 16, § 3.

C'est la seule cause de récusation; et c'est ce que la haute coar a très justement décidé dans son arrêt du 19 novembre 1899, rendu sur les conclusions d'un accusé qui invoquait l'art. 542 du code d'inst. crim., qui évidemment est inapplicable. Au reste les articles 27-31 de la loi de 1889 excluent naturellement toute possibilité de récusation en réglant d'une manière très précise tous les cas où la question de récusation aurait pu se poser les voix de tous les sénateurs sont comptées, quel que soit le degré de parenté ou d'alliance existant entre eux; tout sénateur est tenu de s'abstenir, s'il est parent ou allié de l'un des inculpés jusqu'au degré de cousin issu de germain inclusivement, ou s'il a été entendu dans l'instruction: mais si, ayant élé cité comme témoin, il a déclaré n'avoir aucun témoignage à fournir, il devra concourir à tous les arrêts et décisions; tout sénateur qui croit avoir des motifs de s'abstenir, indépendamment de ceux qui viennent d'être mentionnés, doit les déclarer au sénat, qui prononce sur son abstention en chambre du conseil; et il est tenu de siéger si les motifs d'abstention ne sont pas reconnus valables. Les sénateurs membres du gouvernement ne prennent part ni à la délibération ni au vote sur la culpabilité (L. 1889, art. 27-30).

Aux termes de l'art. 16, §§ 1 et 2, au commencement de chaque audience, il est procédé à l'appel nominal. Les sénateurs qui n'auront pas été présents à toutes les audiences ne pourront pas concourir au jugement. L'application de cette disposition au procès Déroulède en 1899 a soulevé plusieurs questions.

D'abord à l'audience du 9 novembre 1899, la défense a demandé l'exclusion des sénateurs qui n'avaient pas été présents à la séance du 18 septembre où avait été donnée lecture du décret de constitution de la haute cour, du réquisitoire du procureur général et où le sénat avait ordonné qu'il serait procédé à l'instruction. La défense tirail argument du § 2 de l'art. 16: « Les sénateurs qui n'auront pas été présents à toutes les audiences ne pourront pas concourir au jugement ». La haute cour fit droit à ces conclusions « attendu que ce texte (art. 16, § 2, est absolu et s'applique aussi bien aux audiences qui précèdent l'arrêt qui ordonne des mesures d'instruction qu'à celles où il est procédé aux débats sur le fond ». Les critiques que M. Moreau adresse à cette décision ne nous paraissent pas justes (Revue du droit public, 1902, II, p. 479).

Assurément, le sénateur qui n'aurait pas répondu à l'appel fait au

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