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sation, l'un principal et l'autre subsidiaire, employés par les demandeurs à l'appui de leur pourvoi;

REJETTE. »

COUR DE CASSATION.

Lorsque le trésor public exerce le droit de surenchère autorisé par l'art. 2185 du Cod. civ. et par l'art. 832 du Cod. de proc., est-il tenu de fournir, comme l'est un créancier ordinaire, la caution exigée par ces articles? ( Rés. aff.)

L'AGENT DU TRÉSOR, C. ZENON-Lefebvre.

Le trésor public avait une hypothèque sur trois maisons situées à Paris et appartenant à un sieur Richard. Le 20 septembre 1824, ces immeubles sont vendus au sieur ZenonLefebvre, moyennant 340,000 fr. L'Agent du trésor, usant du bénéfice de l'art. 2185 du Cod. civ., fait une surenchère, et déclare dans l'acte de réquisition qu'il ne fournit pas la caution exigée par la loi, parce que le Trésor public ne doit pas être soumis à ce préalable.

Lefebvre demande la nullité de la surenchère, et se fonde sur les articles précités des Cod. civ. et de proc., qui exigent, à peine de nullité, le bail de caution de la part de tout créancier surenchérisseur, et ne fait aucune exception en faveur du fisc.

Mais le tribunal civil de la Seine rejette cette défense par jugement du 26 février 1825, - « Attendu que l'obligation de donner caution n'a et ne peut avoir pour objet que de garantir la solvabilité de la personne à laquelle cette obligation est imposée; que, si la loi n'a dispensé aucune personne de cette obligation, quelque notoire que fût sa solvabilité, c'est par le motif que toute personne, quelque solvable qu'elle soit, peut devenir insolvable; que c'est d'après ces motifs que le droit romain et l'ancienne jurisprudence avaient admis que le trésor était toujours solvable, et ne pouvait jamais être contraint à donner caution; qu'aucune disposition des lois nouvelles n'a dérogé à ce principe de droit public; qu'ainsi, admettre le trésor à surenchérir sans donner caution n'est pas établir à son profit un privilége préjudiciable aux intérêts de tiers, mais seulement reconnaître en lui un droit exception

nel qui tient à la nature des choses et qui existe par luimême, comme il a toujours existé, sans qu'il soit écrit dans la loi. »

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Appel par Lefebvre. Et, le 27 juin 1825, arrêt infirmatif de la cour de Paris, ainsi conçu: « Vu les art. 2185 du Cod. civ. et 832 du Cod. de proc.; Considérant que lesdits articles prescrivent au surenchérisseur d'offrir de douner caution, jusqu'à concurrence du prix et des charges, et ce, à peine de nullité; — Qu'aucune disposition législative postérieure aux lois précitées n'a exempté le trésor public de se soumettre à cette obligation, et que, si l'ancienne jurispru dence avait consacré ce privilége, rien n'autorise le juge à l'admettre aujourd'hui; Considérant, en effet, qu'on ne pourrait admettre ce privilége, dans le silence de la loi, et même contre son texte précis et formel, qu'autant que l'offre d'une caution de la part du trésor serait une chose évidemment absurde et impliquant contradiction; — Considé rant que la solvabilité bien notoire du trésor public n'est pas incompatible avec l'obligation de fournir caution, parce que cette obligation n'a pas seulement pour objet de donner une garantie de solvabilité, mais encore de procurer un débiteur, contre lequel il soit facile d'agir pour obtenir paiement de la somme cautionnée; que cette intention du législateur se manifeste évidemment dans les art. 2018 et 2019 du Cod. civ., où il ne se borne pas à tracer les conditions nécessaires pour établir la solvabilité de la caution; mais où il dispose, en outre, qu'elle devra être domiciliée dans le ressort de la cour royale où elle doit être donnée, et que, pour estimer sa solvabilité, on n'aura point égard aux immeubles litigieux, ou dont la discussion deviendrait trop difficile, par l'éloignement de leur situation; Considérant que les formes particulières établies en faveur du trésor, dans les poursuites qu'on aurait à diriger contre lui, peuvent rendre la caution utile, en ce que, restant soumise aux formes ordinaires, il est plus facile d'agir contre elle; - MET l'appellation et ce dont est appel au néant; déclare nulle et de nul effet la surenchère formée par l'agent judiciaire du trésor public, etc. »

L'agent du trésor a demandé la cassation de cet arrêt pour violation de plusieurs lois romaines et pour fausse applica

cation des art. 2185 du Cod. civ. et 832 du Cod. de procéd C'est une maxime de droit public, a dit le demandeur

que

le trésor est toujours réputé solvable, et c'est en vertu d cette maxime que son agent a toujours été dispensé de fourni caution en cas de surenchère. En effet, plusieurs fois les sur enchères du trésor ont donné matière à procès, et jusque alor jamais on n'avait imaginé de présenter le moyen tiré de l'absence de caution, tant on est imbu de la vérité de cette maxime que le fisc ne peut devenir insolvable. Si aucune loi romain ni française ne dispense textuellement le trésor de donner caution, il en est plusieurs, au moins, qui supposent qu'il en est dispensé par sa nature.

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On sait que la loi Falcidia réservait à l'héritier une part des biens, de telle sorte que les libéralités du testateur ne pussent entamer cette réserve. Toutefois, en attendant la li quidation, les légataires pouvaient obtenir la délivrance, en donnant caution de rapporter. Mais un rescrit des empereurs Sévère et Antonin faisait remise de la caution aux légataires de simples aliments, et c'est à ce sujet que le jurisconsulte Ulpien ajoute : Il faut encore savoir que le fisc n'est point sujet à cette caution, mais qu'on l'actionne comme s'il l'avait donnée. Cette exemption, comme on le voit, n'est pas énoncée sous la forme du doute; ce n'est pas une question que se fait le jurisconsulte: c'est un principe incontestable qu'il proclame; il faut savoir, dit Ulpien, que le fisc n'est pas sujet à cette caution; et les mots qu'il emploie attestent à la fois qu'il n'y a pas de loi positive, et que cependant c'est un point de doctrine constant.

La loi re, liv. 36 du Digeste, au tit. 3, ut legatorum se fideicommissorum servandorum causa caveatur, s'occup au contraire des cas où le légataire peut demander cautiona l'héritier, et le jurisconsulte décide que cette faculté n'a pa lieu à l'égard du fisc: Si ad fiscum portio hæreditatis perve nerit, cessabit ista stipulatio, quia nec solet fiscus satisdare Ainsi voilà des autorités bien positives desquelles il résult qu'il est d'usage général, et pour tous les cas, que le fis mette la main sur les biens, sans donner caution, non sole fiscus satisdare. C'était une vérité si positive pour Cujas qu'il l'énonce sans la développer. Dans ses observations su le liv. 3 des Réponses de Papinien, il examine les divers ca

où le bénéfice de division peut s'exercer entre cofidejusseurs ; et, supposant que le fisc peut être aux lieu et place de l'un d'eux, il dit: Quant au fisc, il est toujours solvable, et par ce motif il ne donne jamais de caution.

Chopin en explique le motif. ( Traité du domaine, liv. 5.) Le Roi, dit-il, n'est point sujet à donner caution, et ne peut être contraint à fournir de pleiges, comme étant, par la présomption de droit, tenu et réputé solvable.

Enfin, Domat, dans son Traité du droit public, liv. 1er, tit. 6, explique d'où vient le privilége du fisc d'être toujours réputé solvable : « C'est une suite naturelle d'une règle qui distingue la condition du fisc de celle de toute sorte de particuliers, pour ce qui regarde la solvabilité ou l'insolvabilité : car, au lieu que tout particulier peut être ou devenir insolvable, il est impossible que le fisc tombe dans l'insolvabilité, puisqu'il a toujours dans les deniers publics et sur les biens de tous ses sujets les fouds nécessaires pour toutes ses charges. »

'Ainsi la maxime de droit que le trésor est toujours réputé solvable remonte en quelque sorte à la naissance du droit public; elle a traversé les âges; elle a été proclamée du jour où les nations ont pu distinguer ce que c'était que le trésor public; et en voyant chez tous les peuples le trésor dispensé de donner caution, on arrive forcément à cette conséquence, que ce droit tient partout à la nature des choses. Dès lors, point de loi écrite, il n'en faut point; en écrire une, ce serait en quelque sorte nuire au trésor, qu'on voudrait servir; si elle était écrite, il semble qu'elle pourrait être abrogée, au lieu que, dans l'état des choses, elle ne peut, comme toute loi qui tient aux êtres, ne périr qu'avec les êtres mêmes.

Cela posé, il est évident que les art. 2185 du Cod. civ. et 832 du Cod. de proc., dont on argumente avec tant de confiance, n'ont point eu pour objet de déroger au principe général de la solvabilité du fisc, qui n'est jamais contestable; que par conséquent ils sont sans application particulière à l'hypothèse. Ces articles sont faits pour tous ceux qui n'ont pas de dispense tirée de la nature des choses. Pour qu'on pût les appliquer au fisc, il faudrait qu'ils continssent une dérogation positive au principe du droit public qui consacre la solvabilité du fisc et le dispense de donner caution. Or le Code

civ. n'a rien changé aux anciens principes sur cette matière. L'édit de 1771 contenait des dispositions analogues à celles de ce Code. Il n'avait point de disposition qui dispensât formellement le fisc de donner caution; cependant elle n'a jamais été exigée, et pourquoi ? Parce qu'on reconnaissait qu'une loi civile ne peut déroger à un principe de droit publie, parce qu'il est constant que les règles générales du droit civil cessent d'être applicables à un ordre de choses qui par sa nature réclame une exception. Au surplus, à quoi servirait une caution? Elle serait illusoire, car cette caution aurait le droit d'exiger la discussion du débiteur principal. Or cette discussion est impossible là où le trésor public est le débiteur å discuter.

Enfin, ce qui démontre de plus fort que le bail de caution est impraticable, c'est la position du trésor public. Il est représenté partout par de simples mandataires, qui ne sont point suffisamment autorisés à choisir la caution et à la faire agréer. Il faudrait donc recourir aux agents supérieurs, au ministre. Mais en attendant une décision, les délais s'écouleraient, la surenchère ne serait plus admissible, et le trésor serait placé dans l'impuissance d'exercer un droit que la loi accorde au plus mince créancier. Est-il possible de consacrer un pareil système ? Au surplus, l'art. 2041 du Cod. civ. suffirait seul pour établir que le bail de caution est une chimère dans le cas particulier. En effet, aux termes de cet article, celui qui ne peut pas trouver une caution est reçu à donner à sa place un gage ou nantissement suffisant. Eh bien, le trésor ne pourrait pas s'appliquer le bénéfice de cet article, puisque, dans l'ordre constitutionnel, le ministre ne peut pas détourner un sou de sa destination légale, et que, s'il était obligé d'attendre la convocation des chambres pour obtenir l'allocation de la somme nécessaire au dépôt, le bénéfice de la surenchère lui échapperait par l'expiration des délais, en sorte que le trésor encourrait la peine de la déchéance, sans avoir pu recourir aux moyens supplétifs que la loi indique à tout créancier surenchérisseur, pour la prévenir et l'empêcher supposer à la loi une disposition aussi contradictoire, aussi absurde, c'est la calomnier. Ce qui prouve, au contraire, qu'elle a entendu affranchir l'état de la nécessité de donner caution, c'est l'induction toute natu

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