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vente, et le sieur Larroque y déclara que les biens vendus étaient libres de toutes dettes et hypothèques. Cependant le sieur Larroque était marié; sa femme lui avait apporté une dot de 20,000 fr., qui avait été comptée le jour du mariage au père du futur, en sorte qu'elle avait nécessairement une hypothèque sur les biens de sou mari, pour raison de cette reprise. Il est vrai que le contrat de mariage avait été passé sous l'empire de la loi du 11 brumaire an 7, qui ne reconnaissait point d'hypothèque indépendante de l'inscription, et qu'il n'en avait été pris aucune en vertu de ce contrat; d'un autre côté, le sieur Larroque pouvait ignorer que la publication du Code civil valait inscription pour les femmes mariées antérieurement: tout semblait donc se réunir pour établir sa bonne foi, lorsqu'il déclara que la maison vendue au sieur Saux n'était grevée d'aucune hypothèque.

Quoi qu'il en soit, la situation du sieur Larroque empirant chaque jour, sa femme fit prononcer sa séparation de biens par un jugement du 28 juillet 1820, qui en outre ordonna la restitution de la dot. Le 8 août suivant, la dame Larroque fit signifier ce jugement à son mari, avec commandement de lui payer la somme de 20,000 fr., montant de ses apports dotaux; elle fit en même temps sommation au sieur Saux, comme tiers détenteur, de lui rembourser la somme ci-devant énoncée, ou de délaisser la maison qu'il avait acquise du sieur Larroque, et qui était affectée à son hypothèque légale.

Le sieur Saux forma opposition aux poursuites, et assigna les sieur et dame Larroque devant le tribunal civil de SaintGiroux, la dame Larroque, pour voir prononcer la nullité de son commandement, et le mari pour se voir condamner par corps, comme stellionataire, à le garantir et indemnidans le cas où l'action en remboursement de la dot ou en délaissement serait accueillie.

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Le 24 mai 1821, jugement qui déclarè les biens possédés par le sieur Larroque, et la maison par lui vendue au sieur Saux, frappés de l'hypothèque légale de la femme; ordonne la 'discussion préalable des immeubles indiqués par le sieur Saux, et pour le cas où la maison par lui acquise serait vendue, condamne le sieur Larroque par corps, comme stellionataire, à le garantir et indemniser. »

Appel. Et, le 4 mai 1822, arrêt de la cour royale de Toulouse qui infirme la décision des premiers juges, en ce que le sieur Larroque a été condamné par corps, comme stellionataire, et ordonne que, relativement à la garantie, le jugement sera exécuté par les voies de droit seulement,<< Attendu que la déclaration que les biens immeubles sont libres d'hypothèques, quoiqu'ils ne le soient pas en réalité, ne constitue l'auteur de cette déclaration stellionataire et contraignable par corps que lorsqu'elle a été dictée frauduleusement par le dessein de nuire, et suivie d'un dommage réel pour celui qu'on a voulu tromper; Attendu en fait que le sieur Larroque a été de bonne foi lors de la vente du 1er août 1815; — Qu'il a pu croire que ses biens n'étaient pas hypothéqués légalement pour une dot que son père avait reçue; que, de son côté, le sieur Saux n'ignorait pas que Larroque était marié, et que son épouse avait été dotée; qu'enfin la vente du 1er août 1815 ne fut qu'un bail en paiement d'une créance cédulaire que le sieur Saux avait sur le sieur Larroque, créance qui, d'après le dérangement des affaires de ce dernier, aurait couru de grands risques, si le sieur Larroque n'avait eu la loyauté de s'exproprier pour le sieur Saux, et de lui donner ainsi la préférence sur beaucoup d'autres créanciers chirographaires.... »

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Pourvoi en cassation pour violation des art. 2059 et 2136 du Cod. civ.

L'art. 2059, a dit le demandeur, porte qu'il y a stellionat 1° lorsqu'on vend ou qu'on hypothèque un immeuble dont on sait n'être pas propriétaire; 2o lorsqu'on présente comme libres des biens hypothéqués, ou que l'on déclare des hypothèques moindres que celles dont ces biens sont chargés. Ainsi voilà deux dispositions bien distinctes. Par la première le stellionat est subordonné à la connaissance qu'a le vendeur de son défaut de droit sur l'immeuble qu'il a vendu. Au contraire, dans les termes de la seconde disposition, le stellionat est indépendant de cette connaissance; et cette différence n'est pas seulement dans la rédaction de l'art. 2059, elle est aussi dans la nature même des choses. En effet, celui qui vend peut être étranger au vice de sa propriété, l'ignorer même, parce que ce vice peut provenir de ses auteurs. Au contraire, quand il s'agit d'hypothèques, le propriétaire ne

peut pas ignorer sa situation. Il connaît nécessairement celles qu'il a consenties; et quant aux hypothèques judiciaires, l'inscription qu'il a fallu prendre pour leur conservation est un fait matériel qui n'a pu lui échapper. Si l'hypothèque est légale, elle ne peut provenir que de la qualité de mari ou de tuteur, qualité que celui qui en est investi n'ignore pas. D'ailleurs il est supposé connaître les obligations que lui impose à cet égard l'art. 2156, et sa mauvaise foi ne peut être mise en question. En effet, cet article punit comme stellionataire les maris et les tuteurs qui dissimulent l'hypothèque légale dont leurs biens sont grevés, et n'avertissent pas de son existence les tiers avec lesquels ils contractent. A plus forte raison, le mari qui non seulement n'avertit pas celui avec lequel il traite, mais qui le trompe par une déclaration mensongère, doit-il être déclaré stellionataire, et c'est précisément le cas où se trouve le sieur Larroque. Il est donc évident qu'en admettant, en pareil cas, une prétendue erreur de droit, la cour d'appel de Toulouse a neutralisé l'effet des art. 2059.et 2156 du Cod. civ., dont l'objet principal est de forcer les maris et les tuteurs à faire inscrire les hypothèques légales qui grèvent leurs biens, pour rassurer les tiers contre mensonge et la fraude.

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« Et d'abord, a répondu le défendeur, le pourvoi est non recevable, parce que l'avoué du sieur Saux a fait signifier à mon propre avoué, sans protestation ni réserve, l'arrêt dont on demande aujourd'hui la cassation. Il importe peu que la signification n'ait été faite qu'à avoué, et non à domicile >car l'art. 443 du Cod. de procéd. ne fait aucune distinction.

<< Ensuite le pourvoi est mal fondé sous plusienrs rapports. D'abord l'art. 2136 du Cod. civ. n'est point applicable à l'hypothèse, parce qu'il est spécial au cas où les maris et les tuteurs auraient consenti des hypothèques sur leurs biens, sans déclarer qu'ils étaient grevés de l'hypothèque légale, et qu'il n'exige pas d'eux la même déclaration lorsque, comme dans l'espèce, il s'agit de vente. Au surplus, la différence entre ces deux cas s'explique naturellement: elle provient de ce que, lorsqu'il s'agit d'une vente, l'acquéreur doit s'imputer de n'avoir pas purgé l'hypothèque légale non déclarée ni inscrite dans la forme indiquée par l'art. 2194, tandis qu'il n'en est pas ainsi du créancier qui, en traitant avec le mari et en

prenant inscription sur les biens, n'a d'autre garantie que sa déclaration.

<< En second lieu, et lors même qu'on voudrait supposer que l'art. 2136 fût applicable à la cause, toujours est-il que l'exception de bonne foi admise par la cour royale défendrait l'arrêt attaqué du reproche d'avoir violé soit cet article, soit l'art. 2059. C'est une erreur de prétendre que le législateur n'a considéré l'intention innocente ou criminelle que lorsqu'il y a vente, et qu'il n'ait envisagé que le fait matériel quand il s'agit d'hypothèque. Dans le véritable esprit du Code, comme dans l'ancien droit romain et français, il ne peut y avoir de stellionat sans fraude, et la fraude se compose du fait et de l'intention, consilium et eventum requirit. C'est dans ce sens que l'art. 2059 a été entendu et expliqué par ceux-là mêmes qui ont coopéré à sa rédaction (1): il n'y a donc point de distinetion à faire entre les deux cas prévus par cet article, et il est évident que l'erreur commise de bonne foi, soit sur le droit de propriété, soit sur l'existence ou la quotité des hypothèques, ne peut donner lieu ni à l'accusation du stellionat, ni à la contrainte par corps. Voilà ce que la cour de Toulouse a jugé, et, en prononçant ainsi, cette cour n'a fait que se conformer à l'esprit de la loi, que suivre les inspirations de l'équité. »

Le 20 novembre 1826, ARRÊT de la section civile, M. Brisson président, M. Rupérou rapporteur, MM. Odillon-Barrot et Lassis avocats, par lequel:

<< LA COUR, Sur les conclusions conformes de M. Cahier, avocatgénéral, et après qu'il en a été délibéré en la chambre du conseil; — Vu l'art. 2136 du Cod. civ., portant; « Sont toutefois les maris et les tuteurs << tenus de rendre publiques les hypothèques dont leurs biens sont grevés, « et, à cet effet, de requérir eux-mêmes, sans aucun délai, inscription aux « bureaux à ce établis, sur les immeubles à eux appartenant et sur ceux qui « pourront leur appartenir par la suite. Les maris et les tuteurs qui, « ayant manqué de requérir et de faire faire les inscriptions ordonnées << par le présent article, auraient consenti ou laissé prendre des priviléges << ou des hypothèques sur leurs immeubles, sans déclarer expressément « que lesdits immeubles étaient affectés à l'hypothèque légale des femmes

(1) MM. de Maleville, sur l'art. 2059; Bigot-Préameneu, dans son exposé des motifs; Gary, dans son discours au tribunat sur la contrainte par corps.

<< et des mineurs, seront réputés stellionataires, et, comme tels, contraignables par corps. »; — Attendu qu'on ne saurait induire que le sieur Saux a renoncé à se pourvoir contre l'arrêt attaqué de ce que son avoué l'avait fait notifier à celui du sieur Larroque sans qu'il eût été signifié à personne ou domicile au sieur Larroque lui-même ; REJETTE la fin de non recevoir; — Et faisant droit sur le pourvoi, attendu, en droit, qu'aux termes de l'art. 2136 du Cod. civ., le mari qui, ayant manqué de requérir et de faire faire sur ses immeubles présents et futurs l'inscription de l'hypothèque légale de sa femme, consent ou laisse prendre des priviléges ou hypothèques sur ses immeubles, sans déclarer expressément qu'ils étaient affectés à ladite hypothèque légale, est réputé par cela même stellionataire, et, comme tel, contraignable par corps;-Attendu, en fait, que le sicur Larroque, qui n'avait requis ni fait faire sur ses immeubles l'inscription de l'hypothèque légale de sa femme, n'a pas seulement laissé ignorer à Saux l'existence de cette hypothèque sur l'immeuble qu'il lui vendait, mais qu'il a expressément déclaré qu'il le lui vendait franc et quitte de toute dette et hypothèque : d'où il suit qu'en déchargeant Larroque de la contrainte par corps, sous le prétexte qu'il avait été de bonne foi, la cour de Toulouse a violé cet art. 2136; - Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'apprécier la partie du moyen tirée de l'art. 2059 du même Code, CASSE et ANNULE l'arrêt du 4 mai 1822; ordonne la restitution de l'amende, etc. >>

B.

COUR DE CASSATION.

Lorsqu'un jugement interlocutoire, irrégulier dans sa forme, a été exécuté par toutes les parties, et que les délais accordés pour en poursuivre la réformation sont expirés sans qu'aucune d'elles l'ait attaqué, celle qui a succombé peut-elle se pourvoir contre le jugement définitif, qui n'en est que la conséquence et l'exécution? (Rés. nég.) SPÉCIALEMENT, la régie des contributions indirectes, prétendant qu'il a été rendu contre elle un jugement interlocutoire qui prescrit à son égard une forme de procéder différente de celle qui est indiquée par les lois particulières relatives à la poursuite de ses procès, peut-elle, lorsque, au lieu d'attaquer ce jugement, elle l'a exécuté, se pourvoir en cassation de celui qui a prononcé définitivement sur le résultat de l'interlocutoire? (Rés. nég.)

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La règle générale et de droit commun qui prescrit la publicité des audiences, à moins qu'il n'y soit dérogé par uno disposition législative, expresse et formelle, est-elle appli

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