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crer de nouveau, que deux exceptions, et que celle-là n'y est pas comprise, il en résulte déjà une abrogation de fait : car ce serait renverser l'économie de cette ordonnance que d'y faire intervenir une troisième exception, qui n'aurait pas été ou dans les prévisions ou dans la volonté du législateur. Au reste, les dispositions de l'ordonnance, prises soit dans leur ensemble, soit privativement, s'opposent également à ce qu'on fasse revivre cette exception.

Ces dispositions, dans leur ensemble, constituent en effet, non une abrogation spéciale de telles ou telles dispositions du décret de 1812, mais bien une loi complète sur les droits de l'avocat et ceux de l'avoué, relativement à la plaidoirie. Si, comme on le prétend, elle n'eût été qu'une loi d'abrogation spéciale, il eût suffi d'un article en deux lignes, portant modification de la dernière disposition de l'art. 3 du décret de 1812. Mais la volonté manifeste du souverain a été de remplacer le décret de 1812 par une ordonnance nouvelle, destinée à être la loi unique de la matière, de même que la loi de ventôse an 12 avait été remplacée par le décret. C'est à cet effet que les dispositions du décret, celles même qui ont été conservées intactes, sont insérées dans l'ordonnance et font corps avec elle, pour que tout se trouve réglé dans cette ordonnance sur ce point, et qu'il n'y ait pas à recourir à d'autres règles qu'à celles qui y sont posécs.

Prise isolément, chacune des dispositions de l'ordonnance offre une nouvelle confirmation de cette vérité. Par son art. 2, l'ordonnance remplace les classifications d'avoués de cours royales, de tribunaux de chefs-lieux, et de tribunaux d'arrondissements, créées par le décret, par une seule et même disposition qui frappe tous les avoués indistinctement. « Les avoués non licenciés, porte cet article, ne pourront plaider les causes dans lesquelles ils occuperont que dans les tribunaux où le nombre des avocats sera jugé insuffisant pour l'expédition des affaires. »

Ainsi, et par cet article, le droit des avoués n'est plus déterminé par la classe à laquelle ils appartiennent: il n'est subordonné qu'à un fait, la suffisance ou l'insuffisance du nombre des avocats. Cependant il pouvait rester quelques doutes sur le point de savoir si les avoués conserveraient le droit de prendre la parole dans les demandes incidentes som

maires, et dans les incidents de procédure. L'art. 5 de l'ordonnance a dû s'en expliquer. « Il n'est pas dérogé par la présente, porte cet article, au droit qu'ont les avoués de plaider, dans les affaires où ils occupent devant nos cours et tribunaux, les demandes incidentes qui sont de nature à être jugées sommairement, et tous les incidents relatifs à la procédure. » Ce dernier article complète la loi. Elle se trouve renfermer tout ce qui constitue une loi qui se suffit à ellemême, savoir, le principe et toutes les exceptions, y compris même la plus légère modification du principe.

S'il a paru nécessaire de réserver, par une disposition spéciale, aux avoués le droit de plaider les incidents de procédure, c'est parce que cette ordonnance règle toute participation quelconque des avoués au droit de plaider, et que c'est dans cette ordonnance, non ailleurs, qu'ils doivent désormais chercher la règle et la nature, de leurs droits à cet égard. Mais s'il y a eu nécessité d'une réserve textuelle pour le droit de plaider les incidents de procédure, elle aurait été, à bien plus forte raison, indispensable pour le droit bien autrement exorbitant de plaider toutes les affaires sommaires.

On ne conteste pas que les avoués, autres que ceux près les tribunaux de chefs-lieux de département, trouvent dans les dispositions combinées des art. 2 et 5 de l'ordonnance la règle de tous leurs droits, et qu'ils ne peuvent en réclamer d'autres que ceux qui résultent pour eux de ces articles; mais alors dans quelle antinomie ne tombe-t-on pas? Les avoués des cours n'auront pas le droit de plaider les affaires sommaires; ceux des tribunaux d'arrondissement ne l'auront pas non plus; et, entre ces deux classes, il s'en trouvera une qui aura ce droit. Mais à quel titre l'aura-t-elle ? Ce ne sera pas à raison de la nature de ces affaires, car alors l'attribution appartiendrait à tous les avoués indistinctement ; ce n'est pas non plus à raison de l'importance de la juridiction, car les avoués des cours royales devraient l'avoir à plus forte raison; ce n'est pas, enfin, à raison de la présomption qu'il n'y a pas assez d'avocats, car cette présomption serait plus forte pour les tribunaux d'arrondissements.

Ainsi ce droit ne saurait subsister, non seulement parce qu'il n'est pas rappelé dans l'ordonnance qui a posé le principe et toutes les exceptions, mais parce que ce droit se rat

tache à une classification des avoués, par rapport à la plaidoirie, qui n'existe plus, et que, dans l'état actuel des choses, ce droit réservé aux seuls avoués des tribunaux de chefslieux de département n'aurait plus ni motif ni raison.

On n'aperçoit aucune objection sérieuse à cette opinion. Le principe que les lois ne peuvent être abrogées qu'expressément par une disposition textuelle, ou implicitement par des dispositions inconciliables, est vrai, mais ne reçoit aucune application à la difficulté : car d'une loi spéciale à une loi spéciale, qui traitent une même matière, et qui toutes deux offrent un système différent, mais complet, il n'y a pas abrogation textuelle, mais remplacement de la plus ancienne loi par la plus nouvelle. Par cela que les deux lois sont faites pour régir un même objet, elles ne peuvent exister simultanément; elles s'excluent mutuellement. Au surplus, il y avait, en 1822, pour enlever aux avoués la plaidoirie des affaires sommaires, une raison déterminante, mais inverse de celle qui la leur fit accorder en 1812. La jeunesse qui se voue à des études libérales, et particulièrement à celle du droit, surabonde de toutes parts; et sans doute il n'a pas été étranger à la haute pensée qui a présidé à l'ordonnance de 1822 de donner un aliment à cette partie si intéressante de la génération qui s'élève, et de favoriser pour cela l'établissement des barreaux près les tribunaux de première instance. Mais comment y parvenir, si de jeunes avocats avaient à lutter dans ces tribunaux contre la concurrence, même restreinte aux affaires sommaires, des avoués déjà en possession de la confiance des clients et de leurs titres? Il fallait done ou renoncer à l'avantage de l'institution, ou détruire, dans son principe même, toute concurrence qui s'opposerait à ce qu'elle pût se fonder; et c'est ce qu'on a fait en ne reproduisant pas dans l'ordonnance de 1822 l'exception introduite d'ailleurs pour une classe d'avoués seulement par l'art. 3 du décret de 1812.

Une loi ou une ordonnance, répondaient les défendeurs, ne peut être abrogée qu'expressément par une disposition textuelle, ou virtuellement par des dispositions inconciliables. Voilà un principe dont on ne peut contester la justesse et l'évidence. L'ordonnance de 1822 a-t-elle explicitement abrogé le décret de 1812? Non; elle n'en dit pas un

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mot dans son préambule, et l'on cherche vainement dans les différents titres qui la composent un seul article qui puisse faire présumer cette abrogation. Au moins cette ordonnance présente-t-elle des dispositions inconciliables avec celles du décret précité? Pas davantage.

La loi du 27 ventôse an 12 a, par son art. 32, conféré aux avoyés le droit de plaider dans toutes les affaires où ils occupent, sans distinction des causes sommaires et des causes ordinaires.

Le décret du 2 juillet 1812 restreignit le droit des avoués; il leur ôta la plaidoirie des affaires ordinaires. A ceux des Cours royales il ne permit que la plaidoirie des demandes incidentes susceptibles d'être jugées sommairement, et des incidents de procédure, et aux avoués des chefs-lieux de départements, la plaidoirie de toutes les affaires sommaires dans lesquelles ils occuperaient. (Art. 2 et 3.) Mais il est notoire que partout les avoués conservèrent la plaidoirie de toutes leurs affaires : ainsi le voulait l'intérêt des justiciables, parce que le décret de 1812 resta sans exécution, le gouvernement n'ayant pas le pouvoir de déroger ainsi à une loi de l'état.

L'ordonnance du 27 février 1822 ne dit rien de plus que le décret de 1812. Ce n'est qu'une publication nouvelle de ce décret, que l'on devait considérer comme oublié, faute d'exécution. L'ordonnance n'a point entendu innover. L'art. 5 porte : « Il n'est pas dérogé par la présente au droit qu'ont les avoués de plaider dans les affaires où ils occupent, devant nos cours et tribunaux, les demandes incidentes qui sont de nature à être jugées sommairement, et tous les incidents relatifs à la procédure. » Cet article, sur lequel MM. les avocats se fondent les avoués ne peuvent décider pour que plaider dans toutes les affaires sommaires, ne s'exprime pas en d'autres termes que l'art. 2 du décret de 1812, qui est ainsi conçu: « Les demandes incidentes, et tous les incidents relatifs à la procédure, pourront être plaidés par les avoués postulants en la cour, dans les causes dans lesquelles ils occuperont.» Par conséquent il est impossible d'interpréter l'art. 5 de l'ordonnance autrement que par les art. 2 et 3 du décret de 1812. Les art. 2 et 3 du décret de 1812 sont donc en pleine vigueur. MM. les avocats ont cru voir dans le rap

prochement des art. 2 et 3 de ce décret et de l'art. 5 de l'ordonnance de 1822 qu'il y avait une distinction à faire entre les affaires sommaires et les incidents. Ils accordent aux avoués de Laon le droit de plaider les incidents, mais non le droit de plaider les causes sommaires. Où cette distinction prendelle son fondement? Il serait difficile de le dire. L'art. 5 du décret de 1812 est divisé en deux parties. A la vérité, par la première, il ne donne aux avoués de chefs-lieux de départe ment que le même droit qu'aux avoués des cours. « Il en sera de même, dit-il, dans les tribunaux de première instance séant aux chefs-lieux, des cours royales, des cours d'assises et des départements. » Mais l'auteur du décret n'en est pas resté là; il y a dans cet art. 3 une disposition additionnelle : Les avoués peuvent y plaider dans toutes les causes sommaires. C'est comme si l'auteur du décret avait dit : De plus, ou en outre, les avoués pourront y plaider dans toutes les causes sommaires. Veut-on, à cause de l'omission de ces mots, que la disposition ne soit pas additive? Elle sera au moins interprétative, et il en résultera, non pas que les avoués des chefs-lieux pourront ne plaider, conformément à l'art. 2, que les demandes incidentes, qui sont de nature à être jugées sommairement, et tous les incidents relatifs à la procédure, mais toutes les affaires sommaires, sans en excepter

aucune.

Malgré cette interprétation toute naturelle et légale, MM. les avocats de Laon refusent aux avoués, en conséquence de la distinction qu'ils établissent entre les affaires sommaires et les incidents, le droit que leur accorde si positivement le décret de 1812. Mais il est impossible d'admettre une telle distinction. On ne doit pas s'arrêter aux termes par lesquels, dans l'article 2, l'auteur du décret, en spécialisant, a semblé faire deux classes d'affaires sommaires, les unes purement incidentelles, les autres proprement sommaires. Une telle définition serait tout-à-fait nouvelle dans notre droit. On n'a connu jusqu'ici que deux sortes d'affaires, les affaires ordinaires et les affaires sommaires. Les incidents sont dans la classe des affaires sommaires, specie aut genere. Ils s'identifient avec elles, et quand on lit dans l'art. 5 du décret de 1812 que les avoués pourront y plaider dans toutes les affaires sommaires, il faut se reporter naturellement à la

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