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mari, l'emploi de la force publique, le tribunal l'autorise à contraindre sa femme par la saisie de ses revenus.

Le sieur Liegey fit signifier ce jugement à sa femme, avec sommation de s'y conformer, sans préjudice de tous autres droits, actions, réserves, et particulièrement d'appeler du jugement.

La dame Liegey n'étant pas rentrée dans le domicile marital, le sieur Liegey interjeta appel du jugement du 6 décembre 1825, et demanda l'emploi de la force publique.

Le 11 avril 1826, arrêt de la cour royale de Nanci qui, en accueillant la demande du sicur Liegey, ordonne que, dans les trois jours de la signification, la femme Liegey sera tenue de rentrer dans le domicile marital; qu'à défaut de ce faire, elle y sera contrainte par tout huissier chargé de l'exécution, lequel pourra même, au besoin, se faire assister par la force publique.

Pourvoi en cassation de la part de la dame Liegey.

Dans son intérêt, on a d'abord prétendu que la cour de Nanci avait violé les art. 445 et 444 du Cod. de procéd. en recevant l'appel d'un jugement auquel le sieur Liegey avait acquiescé, puisqu'il l'avait signifié à la demanderesse, avec sommation de s'y conformer.

On soutenait, en second lieu, que l'arrêt attaqué, en autorisant l'emploi de la force publique pour contraindre la dame Liegey à rentrer dans le domicile conjugal, avait proRoncé la contrainte par corps hors les cas déterminés par la loi, et avait ainsi contrevenu aux art. 2063 du Cod. civ. et 126 du Cod. de procéd., et à l'art. 4 de la Charte, qui. porte que la liberté individuelle est garantie aux Français, que personne ne peut être poursuivi ni arrêté que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit.

Il s'agit de savoir, disait-on, quelle est la nature du mariage; si, dans l'association conjugale, les époux conservent ou aliènent leur liberté individuelle. Sans doute le mari a le gouvernement de la famille et des intérêts civils; mais les époux, quant à leurs personnes, restent dans une indépendance réciproque; il n'est pas de législation ancienne ou moderne qui autorise des voies de contrainte contre la femme ou le mari qui veut vivre séparé. - Employer la force armée, recourir au ministère des gendarmes pour réintégrer une Tom Ier de 1827. Feuille 18.

femme dans le domicile conjugal, c'est user d'une mesure dont le scandale et l'immoralité présentent bien plus d'inconvénients qu'une séparation volontaire; c'est outrager les mœurs publiques. Comment le mari qui n'a pas le droit de porter la main sur la personne de sa femme pourrait-il déléguer ce pouvoir à un huissier ou à un gendarme?

Au surplus, indépendamment de ces considérations, la loi qui défend aux juges de prononcer la contrainte par corps hors les cas qu'elle prévoit s'opposait invinciblement à ce que la cour de Nanci autorisât l'emploi de la force armée pour faire rentrer la dame Liegey dans le domicile marital; l'art. 2066 du Cod. civ., qui ne prononce la contrainte par corps contre les femmes que dans le cas de stellionat, vient confirmer cette doctrine : l'arrêt a donc contrevenu à ces diverses dispositions de loi. A l'appui de ce système on invoquait l'arrêt de la cour de Toulouse, du 24 août 1818, cité ci-dessus.

Du 9 août 1826, ARRÊT de la section des requêtes, M. Botter de Castellamonte président d'âge, M. Lasagni rapporteur, M. Isambert avocat, par lequel:

<< LA COUR, Sur les conclusions conformes de M. Lebeau, avocatgénéral; Sur le premier moyen, attendu qu'en faisant signifier le jugement du 6 décembre 1825, le mari Liegey s'est réservé, en termes exprès, le droit d'en appeler; Que, d'après cela, l'arrêt attaqué devait, comme il l'a fait, déclarer recevable l'appel interjeté en vertu de cette réserve; « Sur le second moyen, attendu, en droit, que, dans l'intérêt général de la société, la loi doit assurer et assure en effet l'exécution des jugements par tous les moyens qui sont en son pouvoir; Que parmi ces moyens il existe l'emploi de la force publique; - Que ce moyen est même textuellement autorisé dans le mandement aux officiers de justice qui termine nécessairement et indistinctement tous les jugements; Que l'emploi de la force publique ne doit aucunement être confondu avec l'exercice de la contrainte par corps: par celle-ci, l'on s'empare de la personne pour lui enlever sa liberté et l'emprisonner; celle-là ne fait qu'accompagner la personne pour la mettre en état de remplir ses devoirs, et même de jouir de ses droits, toujours en pleine et entière liberté; Que ces principes conservateurs de l'autorité essentiellement due au pouvoir judiciaire ne reçoivent aucune exception à l'égard des jugements qui, en vertu de la disposition formelle de l'art. 214 du Cod. civ., obligent la femme à rentrer dans le domicile conjugal; Que, pour leur exécution, dans l'extrémité fâcheuse où tous les autres moyens rigoureux sont demeurés sans effet, on doit employer encore la force publique, pour ne pas faire dépen

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dre du caprice et même du crime de l'épouse un nouveau genre de séparation de corps, subversif tout à la fois et des droits particuliers de l'époux et des droits généraux du corps social;

« Et attendu qu'il est constant et reconnu en fait que, par arrêt du 8 août 1825, la femme Licgey a été déboutée de sa demande en séparation de corps d'avec son mari; Que ce dernier lui a fait signifier cet arrêt avec invitation de rentrer, dans les vingt-quatre heures, dans le domicile conjugal; — Que, depuis, diverses injonctions, diverses invitations amicales, lui ont été faites aux mêmes fins sans succès; Qu'enfin c'est sans succès encore que, par jugement du 6 décembre 1825, le mari Liegey a été autorisé à l'y contraindre par la saisie de ses revenus; Que, dans ces circonstances, en ordonnant que la femme Liegey serait tenue de rentrer dans le domicile marital, et qu'à défaut de ce faire elle y serait contrainte par tout huissier chargé de l'exécution, lequel pourrait même, au besoin, se faire assister par la force publique, l'arrêt attaqué ne s'est mis en contradiction avec aucune loi; — REJETTE le pourvoi de la demanderesse. » S.

COUR D'APPEL DE PARIS.

La captivité du mari, fait prisonnier de guerre en pay's étranger, à une époque correspondante à celle de la conception de l'enfant, peut-elle devenir une cause légule de désaveu, si d'ailleurs il n'y avait pas, à raison de la distance, impossibilité physique de rapprochement entre les époux? (Rés. nég.) Cod. civ., art. 312.

De ce que l'enfant, né en l'absence du mari, aurait été soustrait à ses regards lors de son retour, s'ensuit-il qu'il y ait eu recel de la naissance, et qu'on puisse baser sur ce fait une action en désaveu? (Rés. nég.) Cod. civ., art. 313.

Peut-on au moins se prévaloir de cette circonstance pour contester la légitimité de l'enfant, sur le motif qu'il n'a point la possession d'état vis-à-vis de son prétendu père, bien qu'il soit né dans le domicile conjugal, au vu et au su de tous les voisins, et qu'il ait été inscrit sur les registres de l'état civil comme enfant légitime? (Rés. nég.) Cod. civ., art. 322.

N.-J. PAULARD, C. Dile PAULARD.

Charles-Prosper Paulard, armurier au régiment des carabiniers d'Oudinot, est parti en 1809 pour l'Espagne avec son régiment, laissant à Paris sa femme et une fille en bas

âge, Marie-Désirée. Il paraît que, dès son entrée sur le territoire espagnol, il fut fait prisonnier de guerre, qu'il ne recouvra la liberté et ne revint en France qu'en 1812.

Cependant, le 20 mars 1811, la femme Paulard est accouchée d'un enfant mâle, dans le domicile commun, rue Mouffetard, no 252. Cet enfant, nommé Noël-Justin, fut, sur la déclaration de la sage-femme et de deux voisins, inscrit au registre de l'état civil comme fils légitime de CharlesProsper Paulard, militaire aux armées, et de Marie-Magny, blanchisseuse, son épouse. Il fut élevé et nourri par sa mère dans son propre domicile, vicinis scientibus, et rien n'annonce que le mystère ait présidé à sa naissance et à son éducation.

En 1812, Charles-Prosper Paulard, traversant Paris pour aller rejoindre son régiment, qui devait faire partie de la grande armée rassemblée sur la Vistule, passa deux jours avec sa femme dans le domicile conjugal... Y a-t-il vu le petit Noël-Justin? Au contraire, lui a-t-on, comme on l'a prétendu, caché l'existence de cet enfant, en le faisant transporter avec son berceau et tous les effets à son usagé chez une parente de la mère ? C'est un fait qui n'est pas bien éclairci au procès. Ce qu'il y a de certain, c'est que Paulard n'avait conservé que des souvenirs agréables de son entrevue avec sa femme: car, par une première lettre écrite d'Erfurt, sous la date du 24 juin 1812, il lui renouvelle ses tendres adieux, et recommande à sa fille Marie-Désirée d'être un modèle de sagesse et de vertu. Le 20 juillet suivant, nouvelle lettre, dans laquelle il annonce son arrivée à Berlin; mais dans cette lettre ni dans la précédente pas un mot sur le petit Noël-Justin, ce qui semble justifier l'assertion que Paulard n'avait pas connu l'existence de cet enfant.

Depuis 1812, Paulard n'a plus donné de ses nouvelles, et tout porte à croire qu'il a péri, comme tant d'autres Français, dans la désastreuse campagne de Russie,

Tel était l'état des choses, quand la femme Paulard est elle-même décédée à Paris, le 9 mai 1814. Sa fille, MarieDésirée, se retira chez son aïeule paternelle à Vanves. Quant à Noël-Justin, il fut d'abord recueilli par une voisine, amie de sa mère; mais cette bonne femme, aussi malheureuse que l'orphelin qu'elle voulait secourir, ne put pas long-temps

suffire à ses besoins, en sorte qu'elle fut obligée de solliciter. son admission à l'hospice de la Pitié. Noël-Justin y fut effectivement reçu le 3 août 1816.

Sur ces entrefaites, les sieur et dame Paulard, aïeux paternels des mineurs, sont décédés à Vanves, laissant une petite succession, de laquelle dépendait notamment une maison située dans cette commune. Les créanciers firent d'abord nommer un curateur à la succession vacante; mais on conseilla bientôt à Marie-Désirée Paulard, devenue majeure, de faire déclarer l'absence de son père, afin d'évincer le curateur, et de se faire envoyer en possession provisoire des biens de ses aïeux. Marie-Désirée suivit ce conseil; mais, pour donner plus de poids à sa démarche, elle alla trouver NoëlJustin à l'hospice de la Pitié, le nomma son frère, son ami, et lui proposa de se réunir pour former ensemble, et dans leur intérêt commun, la demande en déclaration d'absence. Elle obtint effectivement de l'administration des hospices, stipulant pour le mineur, les autorisations nécessaires, et, prenant la qualité d'héritière pour moitié de son père et de ses aïeux, elle présenta, au nom de son frère et au sien, une requête tendante à faire déclarer l'absence de Charles-Prosper Paulard, leur père commun.

A l'expiration du délai prescrit, et le 51 janvier 1824, il intervint un jugement qui déclara l'absence.

Dans cette situation, la demoiselle Paulard change tout à coup de sentiments et de conduite envers Noël-Justin: dans ce frère qu'elle recherchait naguère avec tant d'empressement elle ne voit plus que le fruit de l'adultère de sa mère, qu'un enfant illégitime, incapable de succéder et même de recevoir des aliments. En conséquence elle forme contre lui une demande en désaveu. Suivant elle, Noël-Justin ǹe pouvait être le fils de Charles-Prosper Paulard, puisque celui-ci, à l'époque de la conception de l'enfant, était prisonnier de guerre, en Espagne, et qu'il n'est revenu en France qu'en 1812, d'où elle conclut qu'il y a eu impossibilité physique de rapprochement, et que son désaveu doit être admis de plano, d'après l'art. 512 du Cod. civ. Subsidiairement, et dans le eas où cette circonstance paraîtrait insuffisante pour l'édification du tribunal, elle articule et offre de prouver que CharlesProsper Paulard était absent à l'époque de la naissance de

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