Page images
PDF
EPUB

messe de vente était valable; la dame Sonnerat, d'avoir maintenu le bail fait au sieur Pichard, sauf le cas de fraude; le sieur Pichard concluait, comme le sieur Lemaignen, à la nullité de la promesse de vente et à la maintenue pure et simple du bail qui lui avait été consenti.

Pour les sieurs Lemaignen et Pichard on disait : Il est vrai que, sous l'ancien droit, la promesse de vendre et la promesse d'acheter, faites par aetes séparés, étaient valables; Pothier l'enseigne formellement. Mais l'art. 1589. du Cod. civ. a abrogé cette jurisprudence, puisqu'il exige, pour la validité de la promesse de vente, un consentement réciproque des parties sur la chose et sur le prix. Le texte de cet article est clair et précis ; la discussion auquel il a donné lieu au tribunat et au corps législatif viendrait au besoin lever tous les doutes. Voy. les discours de M. Portalis, du tribun Faure, et de M. Grenier, sur le titre de la Vente. Aussi M. Merlin n'hésite-t-il pas à dire « qu'il suit nécessairement de l'art. 1589 que la promesse d'acheter n'est point obligatoire, si elle n'est accompagné de la promesse de vendre, et, réciproquement, que la promesse de vendre est nulle, si elle n'est accompagnée de la promesse d'acheter; que les assertions contraires, puisées dans le traité du Contrat de vente de Pothier, nos 490 et 491, sont en opposition diamétrale avec l'art. 1589 ». Voy. le Répertoire, au mot Vente, § 7, n° 5. Remarquez d'ailleurs que le Code ne contient aucune disposition sur la promesse d'acheter, et qu'il y aurait lacune dans la loi, si l'on jugeait que cette promesse ne doit pas être faite conjointement avec la promesse de vendre.

Du reste les premiers juges reconnaissent eux-mêmes que l'engagement du sieur Lemaignen diffère de la promesse de vente caractérisée par l'art, 1589: ils conviennent donc que, d'après cet article, la promesse de vendre doit être accompagnée de la promesse d'acheter. En vain se fondent-ils ensuite, pour déclarer valable l'engagement du sieur Lemaignen, sur ce que l'obligation unilatérale n'est point prohibée par la loi, en cette matière. Il y a contradiction évidente dans ce système : car, si l'art. 1589 exige que le vendeur et l'acheteur soient réciproquement obligés, il prohibe par-là les engagements qui ne lieraient que l'un d'eux. Il est donc vrai de dire, contrairement à la doctrine des premiers juges,

que les obligations unilatérales sont prohibées par la loi en cette matière.

Au surplus, il n'y a pas, à proprement parler, de contrats unilatéraux, ou du moins ils ne le sont que parce que l'une des parties a rempli à l'avance son engagement: ainsi, dans le contrat de prêt, l'obligation n'est unilatérale que parce que le prêteur a délivré les fonds. Dans l'espèce, aucun engagement préexistant n'a été exécuté par la dame Sonnerat pour motiver l'engagement unilatéral du sieur Lemaignen: dès lors cette dernière obligation devait, dans tous les cas, être annulée comme contraire aux règles générales sur les

contrats.

Quant au bail, on soutenait pour les sieurs Lemaignen et Pichard qu'il devait recevoir son exécution, ainsi que l'avaient décidé les premiers juges, puisque, nonobstant la promesse de vente, Lemaignen était resté propriétaire de sa maison, et que, si elle eût péri, c'eût été pour son compte.

Dans l'intérêt de la dame Sonnerat, on répondait : C'est une erreur de croire qu'il n'y a pas, à proprement parler, d'actes unilatéraux, ou que, du moins, il n'y a d'actes unilatéraux valables qu'autant qu'ils sont le résultat d'une obligation préexistante de l'une des parties. Il y a des actes unilatéraux purs, puisque l'art. 1103 porte: L'acte est unilatéral lorsqu'une ou plusieurs personnes sont obligées envers une ou plusieurs autres, sans que de la part de ces dernières il y ait d'engagement. Dans ce cas, il y a cause préexistante au contrat; mais il n'y a eu, ni avant ni après l'acte, engagement de la part de l'une des parties.

Dans l'espèce, la promesse de vendre faite par le sieur Lemaignen est un acte unilatéral. Or cet acte est valide, puisqu'on y trouve les quatres conditions voulues par la loi : la capacité et le consentement de la partie qui s'est obligée; un objet certain, formant la matière de l'engagement; enfin une cause licite, dans la convenance résultant des améliorations faites et à faire par la dame Sonnerat. C'est à tort qu'on oppose l'art. 1589: cet article n'annulle pas la promesse de vente qui n'est pas accompagnée de la promesse d'acheter; il n'y est pas question d'engagement réciproque; il n'exige que le consentement réciproque sur la chose et sur le prix. Or cé consentement peut avoir lieu sans un engagement positif

[ocr errors]

de la part de celui auquel la promesse est faite, et se manifeste suffisamment par l'acceptation de l'engagement du signataire de la promesse, soit que cette acceptation soit simultanée ou postérieure à cet engagement. On ne peut donc tirer de l'art. 1589 la conséquence que, dans l'intention de la loi nouvelle, la promesse de vente doit être faite en forme de convention et par acte synallagmatique.

Cette conséquence ne découle pas davantage de son esprit : cet article a eu un motif plus important. C'était, sous l'ancien droit, une grande question que celle de savoir si le signataire de la promesse de vente pouvait être forcé à vendre, en vertu de sa promesse; ou si son obligation, qui pouvait n'être considérée que comme une obligation de faire, devait se résoudre en dommages et intérêts. Ensuite il arrivait souvent qu'on n'avait point fixé le prix de la chose faisant l'objet de la promesse de vente: d'où la nécessité d'ordonner des expertises pour la fixation du prix. Ce sont ces difficultés, ces inconvénients, que la loi nouvelle a voulu faire cesser, en décidant que la promesse de vente vaudrait vente, et en exigeant une fixation du prix. Mais elle n'a pas voulu proscrire la promesse par acte unilatéral: seulement il faut aujourd'hui, pour la validité de cette promesse, qu'outre les conditions exigées pour les obligations conventionnelles en général, elle contienne la fixation du prix prescrit par l'art. 1589. Or la promesse du sieur Lemaignen réunit toutes ces conditions; on y rencontre, outre la capacité, le consentement, l'objet certain et la cause licite voulus par l'art. 1108; la fixation du prix exigée par l'art. 1589: elle est donc obligatoire.

Pour la dame Sonnerat, on ajoutait que, puisque la promesse de vente était valable, Lemaignen, qui par suite n'était plus propriétaire que sous une condition résolutoire, n'avait pu faire un bail au șieur Pichard; que du moins celui qu'il lui avait passé était soumis à la même résolution que son droit, et que, la condition s'accomplissant, on ne pouvait forcer la dame Sonnerat à l'exécution du bail; que d'ailleurs ce bail avait été fait dans l'intention de préjudicier au droit de cette dame, et que, dès lors, il devait être annulé comme frauduleux, ce que le défenseur établissait en rappelant les faits de la cause.

Du 10 mai 1826, ARRÊT de la cour royale de Paris, M. Cassini président, MM. Parquin, Gautier-Ménart et Berryer fils avocats, par lequel:

« LA COUR, - Sur les conclusions conformes de M. Vincent, substitut du procureur-général; En ce qui touche l'appel interjeté par Lemaignen, Considérant que l'obligation de vendre contractée par Lemaignen envers la dame Sonnerat, le 24 août 1822, rentre dans la classe des contrats unilatéraux, qui sont valables, et doivent être exécutés aussi bien que les contrats synallagmatiques, si, comme dans l'espèce, ils ne sont ni prohibés par aucune loi, ni contraires aux bonnes mœurs ou à l'ordre public; -En ce qui touche l'appel interjeté par la dame Sonnerat, considérant, etc. (motif de fait, tiré de la fraude pratiquée envers la dame Sonnerat); - -MET l'appellation et le jugement dont est appel au néant, en ce que, par icelui, le bail du 20 avril 1824 n'a pas été annulé, et en ce que l'expert commis par le tribunal a été chargé de constater la valeur locative des lieux loués à Pichard; émendant, etc.; au principal, déclare nul et de nul effet, à l'égard de la dame Sonnerat, le bail notarié fait par Lemaignen à Pichard, le 20 avril 1824; en conséquence, ordonne que, dans la quinzaine de la signification du présent arrêt, Lemaignen passera contrat de vente à la dame Sonnerat de l'immeuble dont s'agit, aux prix et conditions de la promesse du 24 août 1822, et sans lui imposer la condition d'exécuter le bail fait à Pichard, sinon ordonne que le présent arrêt tiendra lieu dudit contrat; le jugement, au résidu, sortissant effet, etc.

S.

COUR D'APPEL DE ROUEN.

Un chemin public abandonné est-il prescriptible, alors qu'on ne représente pas l'acte administratif qui en a prononcé la suppression? - Cet acte peut-il, d'après la nature de la possession, être remplacé par d'autres actes de l'ad·ministration publique constatant que le chemin est inutile ou contraire aux intérêts de l'agriculture et de la propriété? (Rés. aff.) Art. 541 et 2227 du Cod. civ.

DUVRAC, C. LA COMMUNE DE SAINT-ROMAIN-DE-Colboc. Les époux Duvrac possédaient dans la commune de SaintRomain-de-Colboc (Seine-Inférieure) une pièce de terre traversée par un chemin vicinal depuis long-temps abandonné, sans que néanmoins aucun acte administratif en eût ordonné la suppression. Le maire de la commune revendiqua le terrain sur lequel passait ce chemin, comme propriété publique.

Un instance s'engagea devant le tribunal civil du Havre,

où les époux Duvrac excipèrent de la prescription décennale et quadragénaire.

[ocr errors]

Jugement qui rejeta l'exception en ces termes : -- a Attendu qu'on ne peut prescrire le domaine des choses qui ne sont point dans le commerce; que, si les biens particuliers des communes, quoique l'aliénation n'en soit pas permise sans autorisation, peuvent être prescrits, il ne faut pas en conclure que les choses communales et destinées à des usages publics, comme les chemins publics, les églises, les places publiques, puissent être l'objet d'une prescription; qu'elles sont placées en effet hors du commerce; - Qu'à la vérité, en rentrant dans le commerce, elles deviennent prescriptibles; mais que le fait qui les change de nature doit être constant avant tout; Que cette doctrine, savamment exposée par Domat (Lois civiles, liv. 3, tit. 7, sect. 5, § 2) (1), repousse, dans l'espèce, toute idée de prescription; - Que sans doute, ainsi que le dit cet auteur, la profanation d'un lieu sacré, la destruction des murs et fossés dont une ville était entourée et propriétaire, seraient des faits de nature à faire rentrer l'église et les fossés dans la classe des domaines communaux ordinaires; mais qu'à l'égard d'un chemin public, il ne suffit pas qu'il soit abandonné ou négligé, comme de peu d'utilité: il faut encore que la suppression en soit légalement prononcée; qu'un seul habitant pourrait en réclamer le rétablissement, s'il lui était utile; et qu'enfin, si, lorsqu'un chemin a été supprimé administrativement, la possession quadragénaire fait présumer l'aliénation, cette possession ne peut en même temps rendre présumables et la suppression et l'aliénation; qu'ainsi, la prescription quadragénaire opposée par les époux Duvrac doit être écartée, malgré les termes de l'art. 541 du Cod. civ.;-Que cette prescription ne vaut titre que lorsque le titre n'est pas représenté; - Que la représentation d'un titre vicieux écarte la prescription, et que le possesseur injuste d'un emplacement démontré être celui d'un chemin public ne prescrit pas plus qu'un dépositaire; Que d'ail

(1) Voy. aussi sur cette matière Pothier, de la Prescription; Denisart, vo Chemin; Dunod, des Prescriptions; M. Henrion de Pensey, Compétence des juges de paix, chap. 44; M. Garnier, Traité des chemins, no 163; M. Vazeille, des Prescriptions, p. 89.

Tome Ier de 1827.

Feuille 19.

« PreviousContinue »