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COUR DE CASSATION.

La prescription du droit de mutation par décès ne court-elle contre la régie que du jour où elle a pu légalement connaître le décès? (Rés. aff.)

Des actes passés et enregistrés en France, sous l'empire de l'avis du conseil d'état du 16 novembre 1806, peuvent-ils étre soumis à de nouveaux droits dans les colonies où les parties en font usage, sur le prétexte qu'il n'a été perçu en France qu'un droit fixe, au lieu du droit proportionnel dont ces actes étaient passibles? (Rés. nég.) L'ordonnance coloniale du 1er mars 1818, qui soumet les actes passés et enregistrés en France, mais contenant vente d'immeubles situés à l'île Bourbon, à un supplément de droit, avant qu'il en soit fait usage dans la colonie, peut-elle étre appliquée aux actes passés et enregistrés avunt sa promulgation ? (Rés. nég.)

LES HÉRITIERS DESAUNAY, C. La Régie de l'ENREGISTREMENT. La succession du sieur Desaunay s'est ouverte à l'île Bourbon dans le cours de l'année 1810. Il laissait pour héritiers un frère et des neveux et nièces, demeurant tous en France, à Lannion, département des Côtes-du-Nord. A l'époque du décès, les Anglais étaient maîtres de la colonie, et comme, en exécution des décrets de Berlin et de Milan, on avait frappé de séquestre ou de confiscation les propriétés qu'ils possédaient en France, il était à craindre que, par représailles, ils fissent éprouver le même sort aux propriétés des Français situées dans les pays soumis à la domination britannique.

Dans cette situation, les héritiers Desaunay, craignant pour leurs biens cette mesure funeste, et voulant, autant que possible, conjurer l'orage, firent partir pour l'île Bourbon le sieur Archambault, après lui avoir fait, par acte sous se'ng privé, sous la date du 6 avril 1811, une vente simulée de tous les biens qu'ils possédaient dans l'île. Toutefois, une contre-lettre du même jour déclarait que cette vente n'avait eu lieu que pour éviter l'effet des mesures politiques du nouveau maître de la colonie.

Tome Ier de 1827.

Feuille 20o.

1

Archambault arrive en 1811 à l'île Bourbon, et se présente avec le titre de propriétaire de toute la succession De

saunay.

Au retour de la paix, les héritiers, mécontents de l'administration d'Archambault, révoquent ses pouvoirs, et envoient sur les lieux un autre mandataire pour réaliser la succession. Mais il fallait, pour arriver à ce résultat et retirer les biens des mains du propriétaire apparent, produire l'acte de vente simulé du 6 avril 1811 et la contre-lettre du même jour, et on ne pouvait les produire utilement qu'après les avoir fait enregistrer. En conséquence, après avoir exposé dans une pétition au ministre des finances que les actes susénoncés n'étaient point l'œuvre de la simulation, mais qu'ils avaient été nécessités par la crainte de l'invasion étrangère, les héritiers Desaunay obtiennent, le 22 novembre 1816, une décision de S. Exc., qui ordonne l'enregistrement au droit fixe d'un franc, avec dispense du double droit. Cet enregistrement a lieu le 4 février 1817, et le 27 du même mois les deux titres sont déposés pour minutes dans l'étude du notaire de Lannion.

Les héritiers s'empressent d'envoyer des expéditions authentiques de ces actes, portant mention de la dispense du double droit, à leur nouveau mandataire dans la colonie, avec ordre d'agir; mais à peine le directeur de l'enregistrement et des domaines à l'île Bourbon en a-t-il connaissance, qu'il fait décerner contre les héritiers Desaunay, le 6 janvier 1818, deux contraintes, dont le montant s'élevait à 48,000 fr.: l'une était relative au paiement des droits de succession et du demi-droit en sus, pour défaut de déclaration, dans le délai prescrit, du décès de l'abbé Desaunay, qu'ils représentaient (1); l'autre s'appliquait au droit proportionnel et au double droit dont se trouvaient passibles, d'après le tarif local, les deux actes de mutation du 6 avril 1811.

De la part des héritiers on oppose la prescription quinquennale à l'égard des droits de succession; et quant aux

(1) Cet abbé Desaunay était frère de celui qui était mort à l'île Bourbon. Il avait peu survécu à ce dernier, et c'était les droits de sa succession que réclamait la Régie contre les neveux et nièces qui le représentaient dans celle ouverte à l'ile Bourbon.

droits réclamés pour la double mutation résultant, suivant la régie, des deux actes du 6 avril 1811, on oppose la simulation reconnue et légitimée de ces actes, et la décision ministérielle qui les dispense de tout autre droit que le droit simple.

Le 20 avril 1819, jugement du tribunal de première instance de l'île Bourbon, qui déclare la régie non recevable dans sa demande relativement aux actes simulés, et condamne les héritiers Desaunay à payer seulement les droits de succession et le demi-droit en sus.

Relativement au premier objet, ce tribunal a considéré qu'il était de notoriété publique que Pierre Archambault n'était point propriétaire des biens provenant de la succession Desaunay, mais seulement le procureur fondé des héritiers pour administrer les biens qu'ils possédaient dans la colonie; que, si dans plusieurs actes Archambault avait agi comme propriétaire de ces biens, ce n'avait été que par suite des arrangements que les héritiers Desaunay avaient pris avec lui pour couvrir leurs propriétés, et les garantir, dans l'état d'occupation où se trouvait alors la colonie de Bourbon par les forces britanniques, des effets que pouvaient avoir les mesures de représailles autorisées par les lois respectives de l'Angleterre et de la France, qui étaient alors en guerre.--En ce qui touche les droits réclamés sur la succession de l'abbé Desaunay, le tribunal a considéré que la prescription ne pouvait être admise, puisque, l'abbé Desaunay étant décédé en France, le directeur de l'enregistrement à l'île Bourbon n'avait pu être instruit de sa mort par les voies ordinaires; qu'ainsi les droits de mutation de la succession de ce dernier sur partie des biens dont il avait hérité de Grégoire Desaunay son frère, dans la colonie, ainsi que le demi-droit en sus pour n'avoir pas déclaré l'ouverture de cette succession dans le délai prescrit, devaient être acquittés par les héritiers dudit abbé Desaunay.

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Sur l'appel respectivement interjeté de part et d'autre, la cour royale de Bourbon a rendu, le 12 mai 1820, un arrêt qui, par les motifs exprimés au jugement de première instance, l'a confirmé quant à la condamnation aux droits de succession et demi-droit en sus, prononcée contre les héritiers Desaunay, mais qui l'a infirmé dans la disposition qui les affranchissait du paiement des droits réclamés sur la double

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mutation résultant des deux actes du 6 avril 1811, et les a condamnés au contraire à payer à la régie la totalité des 48,000 fr., montant des contraintes,

« Considérant, dit l'arrêt, sur l'acte sous signature privée du 6 avril 1811, enregistré à Paris au droit fixe, le 4 février 1817, , que cet acte est régulier, et renferme tous les carac tères d'une vente; que, de plus, il a reçu son exécution par le paiement fait au comptant d'une partie du prix stipulé,. par la prise de possession qu'Archambault a faite de tous les biens vendus, et enfin par le recensement desdits biens, qu'il a constamment fourni, à titre de propriétaire, depuis 1812 jusqu'en 1817;

« Et sur la contre-lettre, enregistrée également au droit fixe, le même jour 4 février 1817, par laquelle il est déclaré entre les parties que ledit acte n'est pas sérieux, considérant que, si les effets d'un acte peuvent être modifiés et même détruits par une contre-lettre, ce n'est qu'en ce qui concerne respectivement les parties contractantes, et nulle ́ment à l'égard des tiers, lesquels réservent entiers les droits qui en sont résultés pour eux, et ne peuvent les perdre que dans le seul cas de la rescision de l'acte par les tribunaux, pour cause de nullité radicale; qu'ainsi l'acte de vente des héritiers Desaunay à Archambault ayant opéré mutation, sans que la contre-lettre ait pu nuire aux droits acquis par cette mutation à la régie de l'enregistrement, les héritiers Desaunay doivent être condamnés au paiement desdits droits, comme ayant pris le fait et cause dudit Archambault;

« Considérant en outre que la contre-lettre d'Archambault a eu pour effet de rétablir les héritiers Desaunay dans la propriété des biens par eux aliénés dans l'acte précité, tellement qu'ils ont revendu à divers les mêmes biens ainsi rétrocédés: d'où il faut conclure que la contre-lettre a, de fait, produit transport et mutation, que conséquemment elle a donné ouverture à un nouveau droit pour la régie de l'enregistrement; et enfin que, ces droits n'ayant pas été acquittés dans le délai que la loi a prescrit sous peine du double droit, les héritiers Desaunay ont encouru ladite peine;

« Considérant, tant sur les circonstances prétendues de violence sous l'empire desquelles ils allèguent que les actes ont été passés, que sur le libellé de l'enregistrement porté

au pied desdits actes, 1o que les circonstances de violence pourraient être invoquées par les héritiers Desaunay, s'il s'agissait pour eux de se faire restituer dans leurs biens; qu'elles n'ont aucun rapport avec les questions du procès, qui sont uniquement de savoir si les actes précités ont opéré mutation; 2o que de l'enregistrement tel qu'il est libellé il ne résulte pas suffisamment que remise ait été faite aux héritiers Desaunay des droits établis par la loi et réclamés par la régie de l'enregistrement. »

Les héritiers Desaunay ont déféré cet arrêt à la censure de la cour régulatrice, et fait proposer deux principales ouvertures à cassation.

La première était fondée sur la violation de l'art. 61 de la loi du 22 frimaire an 7, qui déclare le droit de succession prescrit, après cinq années du jour du décès, en ce que la cour royale avait condamné les demandeurs à payer le droit et le demi-droit en sus pour la succession de l'abbé Desaurray, bien qu'il se fût écoulé près de dix ans depuis le décès de ce dernier, sans que la régie ait fait la moindre diligence.

La seconde ouverture de cassation résultait de la fausse interprétation des art. 25, 26, 38 et 69 de la loi du 22 frimaire an 7, et d'un excès de pouvoir, en ce que la cour royale avait appliqué la peine du double droit au défaut de paiement du droit proportionnel, tandis que la loi n'attache cette peine qu'au défaut d'enregistrement dans le délai utile.

La cour royale de Bourbon, disaient les demandeurs, n'a pu frapper les deux actes du 6 avril 1811 du droit proportionnel et du double droit, sans méconnaître toute la législation de la matière: en effet, il résulte de l'ensemble et de ▾ l'économie des articles précités - -1° Qu'il n'y a pas de délai de rigueur pour faire enregistrer les actes portant mutation des biens situés dans l'île Bourbon, lorsqu'ils sont passés hors son territoire, et tant qu'on n'en fait pas un usage public dans la colonie; 2o Que ces actes peuvent être enregistrés dans tous les bureaux indistinctement; -3° Enfin, que le double droit est encouru faute d'enregistrement, mais non pas faute de paiement.

En présence de ces textes de lois, la cour royale s'est permis d'imposer non seulement le droit proportionnel, mais encore l'amende du double droit sur les deux actes du 6 avril

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