Page images
PDF
EPUB

-

Donc il y a violation de la loi. Ainsi raisonnait le demandeur.

Le second moyen était pris de la fausse application des art. 156 du Cod. de proc. et 1206 du Cod. civ. Pour l'intelligence de ce moyen, assez péniblement imaginé, il faut savoir que le demandeur (Saunier) était débiteur solidaire avec Legras des 1,452 fr. dont le paiement était réclamé par Denis; que le jugement du 21 février était contradictoire contre le premier, et par défaut contre le second (1), de manière qu'on soutenait qu'à raison de la solidarité, l'exécution poursuivie contre Saunier s'était étendue nécessairement à Legras, et que dès lors l'art. 156 du Cod. de proc. était inapplicable.

C'est une règle constante en procédure, disait-on, que le jugement exécuté contre l'un des débiteurs solidaires est censé l'être contre tous: il est donc évident que, la sentence du 21 février ayant été exécutée par Saunier, qui a désintéressé Denis, cette exécution a dû, par la fiction de droit, s'étendre jusqu'à Legras, et interrompre la péremption à son égard.

L'arrêt suivant présente une réfutation complète de ces ouvertures à cassation.

Du 2 août 1826, ARRÊT de la section civile, M. Brisson président, M. Piet rapporteur, MM. Teste-Lebeau et Mantellier avocats, par lequel:

[ocr errors]

« LA COUR, Sur les conclusions contraires de M. Cahier, avocatgénéral, et après en avoir délibéré en la chambre du conseil ; Considérant, sur le premier moyen, que l'existence du contredit proposé pour le général Mathivet, contre la créance du sieur Saunier, était attestée de la main du greffier du tribunal d'Aubusson, à la date du 6 octobre 1821, sur le procès verbal ouvert au greffe, procès verbal revêtu de la signature du juge-commissaire et du greffier; qu'en validant un pareil contredit les premiers juges et ceux de la cour royale n'ont point fait une fausse application des art. 755 et 756 du Cod. de proc.; Qu'ils ont été d'autant plus autorisés à prononcer ainsi, que, le 4 novembre suivant, le sieur Legras, par sa réquisition portée au même procès verbal, avait déclaré s'approprier le contredit du général Mathivet contre la créance de Saunier;

(1) Nous n'avons point rappelé cette circonstance dans l'exposé du fait, pour ne point embarrasser la narration, qui doit toujours être simple, rapide et claire, et parce que, d'ailleurs, la cour ne s'y est pas arrêtée.

<< Considérant, sur le deuxième moyen, que les mêmes juges, en rejetant la collocation du sieur Saunier dans l'ordre, ont constaté en fait que l'acquiescement au jugement par défaut faute de comparoir, du 21 février 1814, acquiescement dont on se prévalait comme dispensant de l'exécution exigée dans les six mois, n'avait point de date certaine antérieure à l'expiration de ce délai de six mois; Qu'aux termes de l'art. 1328 du Cod. civ., cet acquiescement, porté dans un acte privé, ne pouvait être opposé à des tiers; qu'en fondant leur décision sur la disposition de cet article, les juges n'ont violé ni faussement appliqué soit l'art. 156 du Cod. de proc., soit l'art. 1206 du Cod. civ., lequel n'avait pas même été invoqué devant REJETTE. D

eux;

B.

COUR DE CASSATION.

Les contestations relatives à la succession des biens MEUBLES d'un étranger domicilié et décédé en France sont-elles de la compétence des tribunaux français? (Rés. aff.) PLUS SPÉCIALEMENT, lorsqu'un étranger, domicilié et jouissant des droits civils en France, y décède, après avoir fait, au préjudice de son fils légitime, un testament contenant des substitutions prohibées par le Code civil, les tribunaux français sont-ils compétents pour connaître dès contestations relatives à ce testament et à la succession des biens MEUBLES et immeubles que le défunt possédait en France? (Rés. aff.) Cod. civ., art. 13 et 110; Cod. de proc., art. 59.

THORNTON, C. BUNCE-CURLING.

Le colonel Thornton, Anglais fort riche, venu en France en 1813, fut autorisé, par ordonnance royale du 30 janvier 1817, à y établir son domicile. Désirant participer à l'exercice des droits politiques, il sollicita plusieurs fois du Roi, mais sans succès, des lettres de naturalisation.

Le 10 mars 1823, il décéda à Paris, laissant une veuve, la dame Elisa Cawston, et un fils légitime mineur, Guillaume-Thomas Thornton, après avoir fait, le 26 octobre 1818, un testament qui contient les dispositions suivantes: Le sicur Thornton y lègue tous ses biens meubles et immeubles aux sieurs Roupel et Bunce-Curling, qu'il nomme ses exécuteurs testamentaires, à la charge par eux de remettre

les biens légués à la mineure Thornvillia Diana, fille de Priscillia Duins, à l'époque où cet enfant aura atteint l'âge de vingt et un aus; il veut qu'après la mort de cette fille, ses biens passent à tous les enfants et descendants de celle-ci, et les appelle successivement, en donnant la préférence aux fils sur les filles, et aux aînés sur les cadets; et dans le cas où la descendance de la principale instituée viendrait à défaillir, le testateur appelle à recueillir les biens compris dans la substitution son neveu André Barlow et ses quatre uièces.

Malgré ces dispositions, la veuve Thornton fit procéder à la levée des scellés apposés lors du décès de son mari, et elle était sur le point de faire vendre le mobilier, lorsque le sieur Bunce-Curling, en qualité de légaťaire universel et d'exécuteur testamentaire du sieur Thornton, fit assigner devant le tribu, nal de la Seine la dame sa veuve, tant en son nom personnel que comme tutrice de son fils, ainsi que Me Caille-Desmares, avoué, subrogé tuteur du mineur, pour, attendu la validité du testament, suivant les lois anglaises, « voir dire qu'il sera fait défense à la veuve Thornton de s'immiscer en aucune manière dans les affaires de la succession du colonel Thornton; qu'en conséquence elle sera tenue de remettre audit sieur Curling tous titres et pièces inventoriées, toutes sommes, valeurs, objets mobiliers et autres dépendants de ladite succession »>.

La veuve Thornton conclut de son côté à ce que le tribunal déclarât nul le testament de son mari, comme contenant des substitutions prohibées par l'art. 896 du Cod. civ.

lité

Le 12 décembre 1823, jugement qui prononce cette nulpar des motifs qui portent en substance: « Considérant que, par suite des sollicitations du colonel Thomas Thornton, il a plu à S. M. d'accorder, le 50 janvier 1817, à cet étranger des lettres portant autorisation d'établir son domicile en France, pour y jouir de tous les droits civils, tant qu'il continuerait d'y résider; qu'à son intention de fixer son domicile en ce pays Thomas Thornton a joint le fait de sa résidence réelle jusqu'à son décès, arrivé à Paris au mois de mars 1825; qu'il résulte de ces faits que Thomas Thornton avait son domicile réel en France; qu'il n'est pas justifié qu'il ait eu l'intention d'abandonner ce domicile; qu'ainsi le

colonel Thornton est mort sous l'empire de l'ordonnance royale du 30 janvier 1817; Considérant que l'effet nécessaire de cette ordonnance a été de conférer à Thomas Thornton, Anglais non naturalisé, la jouissance des droits civils accordés par la loi française aux sujets du Roi, sous la seule condition (qui a été remplie par Thornton) de résider en France; Que, sous l'ancienne comme sous la nouvelle jurisprudence, la loi du domicile du testateur doit et peut seule régir les dispositions de dernière volonté relativement aux immeubles situés dans l'état où cette loi est en vigueur (1), ensemble tout le mobilier dépendant de l'hérédité du testateur, sans distinction des états de différentes dominations dans lesquels le mobilier peut se trouver au moment du décès, les meubles étant censés, par une fiction de droit, suivre toujours la personne de l'homme; Que le colonel Thornton, ayant été admis à établir son domicile en France et à y jouir des droits civils, et étant mort en France dans le plein exercice de ces droits, a été, comme tous les Français le sont eux-mêmes, astreint à l'observation des lois françaises, qui, hors les cas qu'elles ont déterminés, prohibent les substitutions, et annulent, tant à l'égard de l'institué qu'à l'égard du substitué, les dispositions qui sont faites à la charge de conserver et de rendre à des tiers. >>

(Les motifs de ce jugement sont rapportés avec quelques autres développements au tom. 2 de 1825, pag. 287.)

Appel de la part du sieur Curling; et, le 29 novembre 1824, arrêt de la cour royale de Paris qui déclare la sentence des premiers juges incompétemment rendue, l'infirme, et renvoie les parties à procéder devant tous juges naturels, « attendu que le colonel Thornton, non naturalisé Français, et seulement autorisé à établir son domicile en France, est mort étranger; que celle qui se qualifie son épouse et mère de son fils est elle-même étrangère; que, dans tous les cas, la disposition du mobilier d'un étranger, existant dans le lieu qu'il habitait, est soumise à la législation de son pays ».

Pourvoi en cassation de la part de la veuve du colonel Thornton, agissant comme tutrice de son fils mineur, Guil

(1) Cod, civ., art. 3. Les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française.

laume-Thomas Thornton. - Dans l'intérêt de la demanderesse, on a présenté un premier moyen, pris de la violation des art. 68, 70 et 456 du Cod. de proc., en ce que l'arrêt attaqué n'avait pas déclaré nul l'appel du sieur Curling, bienque cet appel n'eût point été notifié à la personne ou au domicile de la veuve Thornton. La cour de cassation n'ayant pas statué sur ce moyen, qu'elle a réservé aux parties, nous n'entrerons pas dans de plus longs détails sur ce point.

On a soutenu, en second lieu, pour la demanderesse, que la cour royale de Paris avait violé les art. 5g du Cod. de proc. et 110 du Cod. civ., les règles de juridiction et la loi du 14 juillet 1819, en déclarant, dans l'espèce, les tribunaux français incompétents.

La compétence des tribunaux en matière de succession et de disposition testamentaire, disait Me Petit de Gatines, est déterminée d'une manière expresse par nos lois.

--

L'art. 5g da Cod. de proc. attribue juridiction au tribunal du lieu où la succession est ouverte pour les demandes relatives à l'exécution des testaments. · Et l'art. 110 du Cod. civ. porte: «< Le lieu où la succession s'ouvrira sera déterminé par le domicile. » Ainsi la question de compétence se résout par le domicile. C'est le tribunal du lieu où le défunt était domicilié qui connaît des contestations relatives à ses dispositions testamentaires. — Il n'y a pas à distinguer entre la succession d'un régnicole et la succession d'un étranger, lorsque ce dernier était domicilié en France et y jouissait des droits civils en vertu de l'autorisation du gouvernement, parce que le droit de laisser sa succession et la faculté de tester ne sont que du droit civil, et que l'exercice des droits civils en France ne peut être réglé que par la législation et la juridiction françaises.

Quand même l'étranger ne serait pas domicilié en France, il suffirait qu'il y fût décédé et qu'il y possédât des meubles ou immeubles, pour que les tribunaux français fussent encore compétens pour connaître de ses dispositions testamentaires, mais seulement alors en ce qui concernerait ses biens possédés en France. Leur compétence repose dans ce cas sur un autre principe: c'est que la loi du 14 juillet 1819, qui abolit le droit d'aubaine en France, ne confère aux étrangers le droit de disposer ou de succéder dans le royaume que

« PreviousContinue »