Page images
PDF
EPUB

d'ordre public) peut-elle étre couverte par des ratifications postérieures de la part des héritiers? (Rés. nég.) Cod. civ., art. 1338.

Lorsque l'aveu judiciaire porte sur deux faits distincts et indépendants l'un de l'autre, les tribunaux peuvent-ils admettre l'un et rejeter l'autre sans violer le principe sur l'indivisibilité de l'aveu ? (Rés. aff.) Cod. civ., art. 1356.

LEGRAND-MASSE, C. LES HÉRITIERS Lepine.

Le 10 mars 1821, testament du sieur Albert-Maurice Lepine, ainsi conçu: — « Je lègue à mes héritiers la succession de Buée, à la charge de donner en aumône à nos pauvres parents le mobilier, à condition d'acquiescer à mondit testament dans le mois, sinon le legs sera caduc... Je lègue ma maison, rente, arrérages de rente, mon mobilier, or, argent, argenterie, à M. Legrand-Masse mon exécuteur testamen taire, pour par lui en disposer selon mes volontés à lui connues, sans rendre aucun compte, dont je le dispense. » Le 12 juillet suivant, décès du testateur.-Il laissait deux héritiers, Cécile-Marie Lepine et André-Joseph Lepine. — Le 12 juillet même année, acte notarié par lequel ces héritiers déclarent agréer ce testament, et consentir à sa pleine et entière exécution, ainsi qu'à la délivrance des legs y contenus.

-

Cependant, le 17 janvier 1823, ils assignent le sieur Legrand-Masse devant le tribunal de Saint-Omer, pour voir déclarer nul le legs qui lui a été fait. Ils disent avoir ignoré, lors de leur ratification, que le montant de ce legs devait, selon les intentions du testateur, être remis à la congrégation de SaintAcheul près Amiens. - Postérieurement, les cohéritiers Lepine présentent une requête tendante à faire interroger sur faits et articles le sieur Legrand-Masse.-Le 11 novembre 1825, jugement qui déclare qu'il n'y a lieu, quant à présent, à faire interroger sur faits et articles. Ce jugement se fonde sur ce « qu'on ne peut exiger qu'une partie soit interrogée sur faits et articles avant sa dénégation des mêmes faits ».--Les cohéritiers Lepine ne s'étant pas défendus au fond, jugement du 9 décembre suivant qui les déclare purement et simplement non recevables. Appel de ces deux jugements de la part des héritiers Lepine; et, le 1er juin 1824, arrêt qui, attendu que les parties peuvent en toute matière et en tout état de cause se faire

interroger sur faits et articles, ordonne que l'interrogatoire aura lieu.

En exécution de cet arrêt, l'interrogatoire a été subi par le sieur Legrand-Masse. Et, le 23 novembre suivant, arrêt définitif conçu en ces termes : « Considérant qu'il résulte des circonstances de la cause et des réponses de l'intimé à l'interrogatoire sur faits et articles qu'il a subi que ledit intimé n'est réellement point légataire de Lepine, testateur, mais que seulement il a été chargé par lui de recevoir sa fortune pour l'employer entièrement conformément à des intentions secrètes...;-Considérant que, pour qu'une disposition testamentaire soit valable, il faut nécessairement que le testateur fasse connaître celui qui doit être l'objet de sa libéralité, et que sa disposition ne laisse pas la possibilité de substituer une volonté étrangère à sa propre volonté; que, s'il en était autrement, les prohibitions de la loi, et la volonté même du testateur, pourraient être impunément violées ; --- Considérant que le testament dont il s'agit n'indique point la personne au profit de laquelle est réellement faite la principale disposition; que, dès lors, cette disposition, étant faite à personne incertaine, est radicalement nulle; - Considérant que cette nullité attaque l'essence même du testament, puisqu'elle laisserait la faculté de substituer une volonté étrangère à la volonté du testateur ; qu'elle est d'ordre public, puisqu'elle rendrait illusoires les prohibitions de la loi; - Que, dès lors, elle ne peut être couverte par aucune ratification;

[ocr errors]

Considérant qu'il suit de là qu'en vain l'intimé se prévaut d'un acquiescement donné au testament attaqué par l'auteur des appelants, et de l'acceptation faite par celui-ci d'un legs particulier qui lui était fait;-Considérant que, l'intimé n'étant pas réellement l'objet des libéralités du testateur, la nullité de la disposition attaquée ne peut profiter qu'aux héritiers légaux; -La cour déclare sans effet la disposition. testamentaire dont il s'agit...; ordonne à l'intimé de rendre compté de tout ce qu'il a touché en vertu du testament, etc. » En conséquence de cette dernière disposition, les parties ont comparu devant un notaire commis, et le sieur LegrandMasse a déposé entre ses mains son compte. Il y déclare qu'avant sa mort M. Lepine l'avait chargé de remettre une somme de 30,000 fr. à Messieurs de Saint-Acheul; que cette

[ocr errors]

--

somme n'était pas dans la maison mortuaire; et que, comme elle ne dépendait nullement de la succession, lui LegrandMasse la remit à ceux auxquels elle appartenait; - Que la déclaration formelle du testateur était pour lui un titre suffisant pour restituer cette somme, que le sieur Lepine ne détenait qu'à titre de dépôt, ainsi que le constataient diverses reconnaissances de sa main. »>

Plusieurs contestations s'étant élevées sur ce compte, les parties furent renvoyées devant le tribunal de première instance de Douay.-Le 29 juillet 1825, jugement par défaut ; et, le 15 décembre, sur l'opposition du sieur Legrand-Masse, jugement contradictoire, par lequel ce dernier est, entre autres, condamné à payer aux héritiers Lepine les 30,000 fr., avec les intérêts du jour de la demande.

Appel de ces deux jugements. Et, le 29 mars 1826, arrêt confirmatif en ces termes : « Attendu que l'appelant, dans le compte par lui rendu en exécution de l'arrêt de la Cour, en date du 23 novembre 1824, a reconnu avoir reçu des mains de Lepine, auteur des intimés, une somme de 30,000 fr.; Mais qu'il a déclaré en même temps que le sieur Lepine ne tenait cette somme qu'à titre de dépôt, et que, depuis son décès, elle avait été remise aux religieux de Saint-Acheul;

Attendu que, si, en principe général, l'aveu est indivisible contre celui qui le fait, ce principe est inapplicable lorsqu'il est prouvé qu'il y a inexactitude dans l'une des parties de l'aveu; - Attendu qu'il résulte tant de l'ensemble des pièces que l'appelant produit à l'appui de sa déclaration, que des réponses consignées en son interrogatoire sur faits et articles, et des autres circonstances de la cause, que ledit Lépine était réellement propriétaire, et non simple dépositaire, de la somme dont il s'agit ;-Que, dès lors, l'appelant ne peut être admis à faire figurer cette somme tout à la fois en recette et en dépense dans son compte, sous le prétexte qu'elle aurait été par lui payée aux religieux de Saint-Acheul, à qui elle aurait été due ;---Qu'il n'est, en effet, nullement justifié que ces religieux aient eu jamais aucun droit à cette somme; — Qu'en vain l'appelant viendrait se placer dans l'hypothèse d'un don manuel fait, par son entremise, à la corporation des jésuites, représentée par l'établissement de Saint-Acheul; Que cette hypothèse, contraire au système du dépôt, par lui d'a

bord adopté, serait, sous ce rapport, d'abord inadmissible; -Que, d'ailleurs, en fait, s'il paraît résulter de quelques pièces du procès que ledit Lepine avait l'intention de disposer de la somme litigieuse au profit de la corporation des jésuites, dans le cas où elle serait établie en France, rien ne prouve qu'il ait réalisé cette intention par une disposition entre vifs; - Qu'en droit, la corporation des jésuites, bannie par un édit de 1764, et non rétablie par aucune loi potérieure, aurait été inhabile à profiter d'une pareille libéralité. »

Pourvoi en cassation de la part du sieur Legrand-Masse contre les trois arrêts ci-dessus. Voici l'analyse de ses moyens. 1o L'arrêt du 1er juin 1824 a violé les art. 324 et 325 dụ Cod. de proc. civ., en ce qu'il a ordonné que l'interroga toire sur faits et articles aurait lieu, alors que les faits n'étaient pas déniés par la partie qui devait le subir. C'était évidemment méconnaître le sens naturel de la loi, qui ne peut prescrire la solennité d'un acte judiciaire tel que l'interrogatoire que pour des faits sur lesquels les parties ne sont pas déjà tombées d'accord.

[ocr errors]

--

--

2o L'arrêt du 23 novembre 1824 renferme une violation manifeste de l'art. 1338 du Cod. civ. Le dernier § de cet article porte en termes formels « que la confirmation, ratification ou exécution volontaire, etc., emporte la renonciation aux moyens et exceptions que l'on pouvait opposer contre cet acte, etc. » Or le testament du sieur Lepine avait été ratifié et confirmé par tous ses héritiers dix jours après son décès. Cette ratification n'avait jamais été attaquée pour cause de nullité: comment donc la cour royale avait-elle pu en méconnaître les effets? Sans doute, lorsque les ratifications ont pour but de couvrir des nullités absolues, il est du devoir des tribunaux, sauf quelques exceptious dont il sera parlé plus bas, de se refuser à l'application de l'art. 1558; mais lorsque les nullités sont purement relatives, lorsqu'il ne s'agit, comme dans l'espèce, que d'inté rêts privés, dans lesquels ne se mêlent aucunement des ques tions d'ordre public, alors il n'est pas moins du devoir des magistrats de faire directement l'application des dispositions de l'art. 1338, puisque c'est réellement pour ces cas qu'elles ont été créées; on peut même argumenter utilement de l'art. 1340 du même Code, qui décide, pour une matière aussi

[ocr errors]

d'intérêt privé, « que la confirmation ou ratification d'une donation par les héritiers emporte renonciation à opposer soit les vices de forme, soit toute autre exception ».

Le demandeur allait plus loin. - Alors même, ajoutaitil, qu'il s'agirait de nullités absolues, il ne faudrait pas décider indistinctement que des confirmations, des ratifications, ne sauraient les couvrir. Ce principe n'est vrai d'une manière absolue et sans restriction qu'à l'égard des nullités dont la recherche est spécialement confiée à la partie publique: nulle ratification, nul acquiescement des particuliers, ne peut intervenir utilement pour couvrir ces sortes de nullités. —Mais il en est autrement de celles qui, tout en se rattachant à l'ordre public, tiennent cependant d'une manière plus spéciale aux intérêts privés, et qui même ne peuvent être prononcées la demande formelle des parties. que sur A l'égard de ces dernières, les ratifications, les acquiescements, obtiennent tout leur effet. La loi, dans sa sagesse, a vu un danger réel dans la faculté indéfinie qu'auraient les particuliers de revenir incessamment sur des acquiescements par eux donnés à toute espèce de nullités d'ordre public (1).

[ocr errors]

.30 Violation des art. 898, 900 et 901 du Cod. civ. - En premier lieu, le testament du sieur Lepine ne contient pas une substitution prohibée. Le caractère de ces sortes de substitutions consiste en ce que le légataire est chargé de conserver et de rendre à un tiers (art. 896 du Cod. civ.). Or, dans l'espèce, rien de semblable. L'exécuteur testamentaire est seulement chargé de remettre directement au légataire le montant du legs: il ne conserve donc pas ce legs. On ne peut donc pas dire qu'il y a substitution prohibée. La disposition se réduit alors à un simple legs secret, qui n'est prohibé ni par la législation ancienne, ni par la nouvelle. -- C'est une modification ou une condition apportée par le testateur à la disposition générale par laquelle il gratifie son héritier, qu'il pouvait même, aux termes du droit commun, priver de La cour royale a cru voir dans ce legs une disposition faite au profit d'une personne incertaine, et elle a appliqué la loi romaine, qui prononce, en pareil cas, la nullité du legs. Mais cette loi est évidemment inappli

toute sa succession.

-

(1) Toullier, tom. 8, no 516.

« PreviousContinue »