Page images
PDF
EPUB

partenaient, notamment la terre d'Azay-le-Rideau, située dans le Maine; qu'il s'était donc opéré une véritable confusion, qui ne lui permettait plus de réclamer les avantages du statut normand sur l'inaliénabilité des dots.

En réponse, le sieur de Courtemanche observait que les obligations dont l'exécution était poursuivie avaient été contractées par la dame sa mère pendant son mariage; qu'elle ne pouvait alors aliéner ses biens dotaux normands; que son fils ne pouvait, pas plus qu'elle, être privé des mêmes biens par suite des obligations dont il s'agit. Vainement on prétend que, par son fait, il a opéré une véritable confusion, et qu'il a disposé des biens inaliénables de sa mère. Il n'a nullement profité du mobilier, et ce serait aux appelants à prouver le contraire. S'il a vendu la terre d'Azay-le-Rideau, c'était à une époque où il était mineur; et d'ailleurs il n'en a pas touché le prix, qui a été confisqué pendant son émigration. Quant au défaut de représentation d'un inventaire après le décès de la dame de Courtemanche, où a-t-on vu que l'héritier qui veut se prévaloir du bénéfice de la dotalité des biens soit tenu de représenter l'inventaire de la succession pour les biens non dotaux? Ici l'intimé invoquait un arrêt du parlement de Paris, du 12 juin 1717, et l'opinion de Roupnel sur Pesuelle, art. 540 de la Coutume de Normandie. Au reste, disait-il, cette formalité serait suffisamment suppléée dans l'espèce par le séquestre établi au profit de l'état.

Du 24 janvier 1826, ARRÊT de la cour royale de Caen, première chambre, M. Delhorme président, MM. Delisle et Thomines avocats, par lequel:

[ocr errors]

« LA COUR, Sur les conclusions de M. de Prefeln, avocat-général; - Considérant, en ce qui concerne les moyens tirés, par les héritiers du marquis de Tragin, de l'irrégularité de l'inventaire dressé après le décès de M. le marquis de Courtemanche père, et des actes que le marquis de Courtemanche fils a pu faire pendant son émancipation ou depuis sa majorité coutumière, ainsi que de l'arrêt de la cour royale d'Angers, du 18 juin 1823, qu'à l'aide de ces moyens, les héritiers du marquis de Tragin soutiennent que le marquis de Courtemanche fils doit être déchu du bénéfice d'inventaire, 10 parce que sa mère et son subrogé tuteur auraient négligé de faire dresser état des titres et papiers de la succession, et cru inutile de faire la description des dettes actives et passives, au moyen de ce que la dame de Courtemanche mère, acceptant la qualité de garde-noble de son fils, confondait lesdites dettes en sa personne, et s'obligeait d'acquitter les deites

passives; 2o parce qu'il aurait pris, dans une procuration donnée à uu sicur Jardin, le 28 janvier 1788, pendant le temps de son émancipation, la qualité de seul et unique héritier de ses père et mère; que lesdits héritiers soutiennent également que la condamnation résultant de l'arrêt de la cour royale d'Angers, fondée sur ce que le marquis de Courtemanche fils, ne justifiant pas de sa qualité d'héritier bénéficiaire de son père et s'étant mis en possession des biens de ses père et mère, devait être considéré comme héritier pur et simple dé son père, peut être opposée audit marquis de Courtemanche, comme ayant acquis la force de la chose jugée, | de telle sorte qu'il lui soit interdit d'exciper de la qualité d'héritier bénéficiaire de son père contre toutes autres personnes que celles qui étaient parties à l'arrêt du 18 juin 1823; mais qu'il devient inutile d'examiner ces divers moyens, qui ne sont en effet d'aucune considération dans la cause, si, par son fait personnel, le marquis de Courtemanche a confondu dans sa main les biens mobiliers et immobiliers de la dame sa inère, sans distinction de ce qui était soumis à l'exercice des droits des créanciers de Ja succession de ladite dame et de ce qui en était affranchi; Attendu qu'en s'obligeant solidairement avec son mari envers le marquis de Tragin, la dame marquise de Courtemanche contractait une obligation valable et exécutoire sur tous ses biens autres que ceux situés en Normandie; que, i dès lors, si l'on peut dire que le marquis de Courtemanche fils n'était pas tenu, lors du décès de sa mère, ou lors de sa majorité coutumière, de prendre la succession de cette dernière sous bénéfice d'inventaire, pour soustraire les biens dotaux normands à l'action des créanciers, il devait au moins se mettre en état de représenter auxdits créanciers, à toute réquisition, le gage affecté à leur créance, de manière à ne pouvoir être accusé d'en avoir détourné aucune partic, au préjudice de leurs droits;~ Attendu que la dame marquise de Courtemanche est décédée en 1784; qu'alors le marquis de Courtemanche fils était émancipé; qu'il a acquis sa majorité coutumière au mois de janvier 1789; qu'à la vérité il a dù ? sortir de France au mois d'août suivant, mais qu'il ne conserva pas moins l'administration et la libre disposition de ses biens jusqu'en 1792, époque des lois rendues sur l'émigration, puisque le sieur Jardin vendit en son nom, le 27 septembre 1791, la terre d'Azay-le-Rideau, dépendant de la succession de la dame marquise de Courtemanche, affectée à la créance du gri marquis de Tragin; — Attendu que le marquis de Courtemanche s'est mis dans l'impossibilité de justifièr de la valeur de la succession mobilière de la dame sa mère; que, par ce fait et en disposant de la terre d'Azay-leRideau, lors même qu'il n'aurait rien touché du prix de cette terre, ainsi qu'il le déclare, il a opéré une confusion qui ne lui permet pas de réclamer aujourd'hui le privilége dont la coutume de Normandie faisait jonr les biens qu'elle régissait; qu'ainsi les immeubles saisis à la requête du sieur de Monthulé sont devenus le gage de la créance des héritiers du marquis de Tragin, comme tous les autres biens dépendant de la succession de la dame marquise de Courtemanche, et que les héritiers du marquis de

Tragin ont incontestablement le droit de demander la subrogation aux poursuites du sieur de Monthulé, aux termes de l'art. 722 du Cod de proc.; que le même droit appartient, au même titre, aux époux Sebire la Vasserie et aux époux Guerrier des Fontaines; mais qu'à l'égard des droits hypothécaires des uns et des autres, ces droits ne peuvent être légalement examinés qu'à l'état d'ordre et contradictoirement avec les autres créanciers du marquis de Courtemanche; INFIRME. D

[ocr errors]

COUR D'APPEL DE TOULOUSE.

La condition DE NE PAS SE REMARIER est-elle valable sous l'empire du Code civil, et le legs fait sous cette condition est-il caduc, en cas de convol? (Rés. aff.) Cod. civ., art. 900.

LA VEUVE BIAU, C. LES HÉRITIERS Biau.

Le 14 messidor an 13, Jean Biau fait un testament par lequel il lègue à la veuve de Jean-Baptiste Biau sa bellesœur l'usufruit de tous ses biens, sous la condition de ne point convoler, et la nue propriété à Marie Biau sa nièce. Cependant en 1806 la veuve Biau s'est remariée avec ựn sieur Carayon. Le testateur est décédé en 1811, sans avoir révoqué les dispositions faites en sa faveur. La veuve, malgré son convol, a pris possessiou des biens, et elle en a joui paisiblement jusqu'en 1818. Mais à cette époque Marie Biau sa fille, en qualité d'héritière instituée, a demandé le délaissement des biens composant la succession de son oncle, en se fondant sur la clause prohibitive du testament, dont la violation entraînait, suivant elle, la caducité du legs fait au profit de sa mère.

Celle-ci a répondu que la condition devait être réputée non écrite, aux termes de l'art. 900 du Cod. civ.

Jugement qui rejette ce système de défense, et ordonne le délaissement, « Attendu que, loin d'êtres contraire aux bonnes mœurs, la clause par laquelle Jean Biau imposa à sa belle-sœur l'obligation de garder le nom de son mari, sous peine d'être privée du legs d'usufruit qu'il lui faisait dans son testament, prouve seulement que le testateur, qui, sans doute, n'était mû que par l'affection qu'il portait aux enfants de son frère, ne voulait pas que les biens passassent dans des mains étrangères ».

La dame Biau a déféré ce jugement à la censure de la cour

de Toulouse. On a dit pour l'appelante: Les lois romaines ont alternativement autorisé et proscrit la condition de rester en viduité. Toutefois on convient que le dernier état de la législation était favorable au maintien de cette clause; que, d'après la novelle 22, le légataire devait opter entre l'abandon du legs, et la nécessité, en l'acceptant, d'exécuter la condition; qu'enfin cette novelle formait le droit commun de la France, au moment où la révolution, en changeant nos habitudes et nos mœurs, nécessita par contre-coup des changements et des modifications dans nos lois. On sentit dès lors que la condition de rester en viduité était contraire à la loi naturelle, à l'intérêt public, et même aux bonnes mœurs. De là les lois des 5 septembre 1791 et 17 nivôse an 2, qui réputaient non écrite une clause de cette nature. Les auteurs du Code avaient ces lois sous les yeux lorsqu'ils ont rédigé le titre des Donations et Testaments. Y trouve-t-on une disposition qui annonce que le législateur moderne ait préféré la novelle de Justinien au droit romain primitif et aux nouvelles lõis françaises? Non: il s'est contenté d'exprimer dans l'art. 900 une règle générale, qui peut très bien se concilier avec l'intention qui a dicté les lois de 1791 et de l'an 2, ou qui plutôt s'identifie avec elles. Car, s'il est démontré que la condition de viduité est contraire aux bonnes mœurs, il en résultera cette conséquence forcée qu'elle est virtuellement comprise dans la proscription de l'art. 900 du Code. Eh bien, n'est-ce pas une condition immorale que celle qui, par l'interdiction des sentiments les plus doux et les plus légitimes, expose l'individu gratifié à chercher des plaisirs illicites, à vivre dans la dissipation et dans les désordres qu'elle mène à ́sa suite? n'est-ce pas une condition contraire aux lois et à l'intérêt public que celle qui, en diminuant le nombre des mariages, enleve des citoyens à l'état, des défenseurs à la patrie? Aussi M. Grenier, dans son traité des Donations, reconnaît-il que la novelle 22 ne doit plus être consultée, même comme raison écrite. « Une législation, dit ce jurisconsulte, une législation qui favoriserait des conditions qui détourneraient du mariage tout individu quelconque, célibataire ou veuf, serait impolitique et injuste : impolitique, en ce qu'elle tendrait à diminuer le nombre des citoyens; injuste, en ce que, abstraction faite de l'intérêt public, qui pourrait

même ne pas se rencontrer, d'après l'âge des personnes qui voudraient se remarier, elle priverait plusieurs citoyens des douceurs ou des consolations qu'on a droit de chercher dans des affections pures. »

Il est donc bien démontré, d'une part, que la novelle 22, qui d'ailleurs avait sa source dans des préventions inspirées par les constitutions canoniques contre les seconds mariages, ne peut plus être consultée comme loi, ni même comme raison écrite; et, d'autre part, que la condition de garder viduité doit être réputée sans effet ni valeur dans toute disposition entre vifs ou testamentaire, parce qu'en interdisant des plaisirs purs et licites, elle conduit nécessairement aux mau

vaises mœurs.

La novelle 22, répondait l'intimée, déclarait valable la condition de ne pas se remarier, et voulait que la contravention à cette clause emportât la déchéance de la disposition. Cette novelle formait le droit commun de la France, et les cours souveraines n'hésitaient point à en faire l'application, toutes les fois que l'occasion s'en présentait: voilà deux points sur lesquels l'adversaire est d'accord avec nous. Inutile par conséquent d'insister à cet égard.

Tel était donc l'état de la jurisprudence, lorsque la loi du 5 septembre 1791 fut publiée. Mais elle n'a point changé le sort des conditions dont il s'agit, puisqu'elle se bornait à déclarer sans effet toute clause qui gênerait la liberté de se marier, sans faire aucune mention des seconds mariages. Reste donc la loi du 17 nivôse an 2. Celle-ci est positive: elle répute non écrite toute clause impérative ou prohibitive qui gênerait la liberté qu'a le donataire, l'héritier institué, ou le légataire, de se marier ou de se remarier. Mais cette loi, portée dans un temps de désordre et d'anarchie, a nécessairement disparu avec les circonstances qui l'avaient fait naître; et, quand on voudrait supposer que son influence s'est prolongée jusqu'à la promulgation du Code civil, toujours est-il certain qu'elle aurait été abrogéc par la loi du 50 ventôse an 12. Maintenant, que dit le Code? Il répute non écrite, dans les testaments comme dans les donations entre vifs, conditions impossibles, celles qui seraient contraires aux lois et aux mœurs. Or il n'y a rien d'impossible dans la condition de rester en viduité; cette condition ne blesse aucune loi Tome Jer de 1827. Feuille 24.

les

« PreviousContinue »