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neveux et héritiers légitimes de la dame Campion, crurent voir le testament entaché de nullité: en conséquence, ils l'attaquèrent, soutenant que l'effet nécessaire d'une pareille erreur était l'incertitude, et par suite l'absence de la date du testament, ce qui en entraînait la nullité. Ils ajoutaient divers faits tendants à établir qu'il y avait eu captation et suggestion de la part des légataires..

Le tribunal civil de Louviers, saisi de la contestation, statua dans un sens inverse de l'ordre réclamé par la raison et par les lois sur la procédure. Au lieu de prononcer d'abord sur les questions de forme du testament, il autorisa la preuve de quelques uns des faits de suggestion articulés, et ajourna à faire droit sur le surplus.

Appel de la part de toutes les parties. Elles étaient toutes d'accord pour demander l'infirmation du jugement en ce qu'il avait subverti l'ordre naturel de la procédure. - Abordant ensuite le fond, les légataires soutenaient qu'une simple erreur de date ne pouvait avoir pour effet d'entraîner la nullité du testament.-Il fallait distinguer entre l'erreur susceptible d'être réparée et l'erreur absolument irréparable. Dans ce dernier cas, sans doute, l'erreur équivalait à l'absence complète de la date, et dès lors le testament était nul. Mais dans le premier, il y avait une date; seulement, il fallait la rectifier. Pour y parvenir, ils établissaient 1° que le testament avait une date; 2o qu'il avait reçu sa perfection avant la mort de la testatrice, arrivée le 10 octobre; 3° et, comme conséquence forcée, que c'était le 9 octobre, veille du jour de sa mort, que le testament avait été dicté et écrit.

reçu.

1o Le testament avait une date. En effet, il contenait l'énonciation du jour, du mois et de l'année où il avait été C'était là toutes les conditions exigées pour constituer réellement une date. Il est vrai que l'énonciation du quantième du mois, 10 octobre après midi, rapprochée du jour du décès de la testatrice, 10 octobre, sept heures du matin, décelait une erreur du notaire; mais cette erreur était rectifiée sur-lechamp par l'énonciation du jour de la semaine, le samedi, qui était justement le jour de la confection du testament. Il y avait donc une date dont l'erreur se réparait facilement, et par l'acte même qui la renfermait.

2o Ce testament avait reçu sa perfection avant la mort de

la testatrice. Il portait qu'il avait été écrit, reçu et lu dans une chambre où la testatrice était alitée pour cause de maladie; qu'il avait été signé par les témoins et le notaire, la testatrice ayant déclaré ne le pouvoir, à cause de son état de maladie, de ce interpellée. -Or ou ne s'était pas inscrit en faux contre ces déclarations: elles étaient donc vraies dans tout leur contenu, et il en résultait, comme conséquence naturelle, que le testament avait reçu sa perfection antérieurement au décès de la testatrice, ce qui donnait nécessairement pour date au testament le 9 octobre, veille du jour de sa mort; cette vérité se renforçait encore de l'énonciation du samedi, portée au testament.

Enfin, ils s'attachaient à prouver directement que c'était en effet le samedi 9 octobre qu'avait été écrit et dicté le testament. Indépendamment des preuves qui résultaient à cet égard du corps même de l'acte, ils s'appuyaient de toutes les circonstances, de tous les faits qui, ayant une relation intime et nécessaire avec le testament, tendaient à établir la certitude de sa date.

1o L'erreur du notaire ne portait que sur l'ordre numérique des jours du mois. -- Il avait exprimé le jour de la semaine, celui que tout le monde sait sans peine, tandis qu'on erre perpétuellement sur le quantième du mois.

2o Le testament avait été incontestablement fait un samedi, puisqu'il était prouvé que l'erreur ne portait que sur le quantième. Or ce samedi était précisément le 9 octobre; s'il en était autrement, et si l'on pouvait supposer que ce fût le samedi précédent 2 octobre, comment admettre que le notaire qui instrumentait le 2 eût écrit la date du 10? 5o Le répertoire du notaire, dont l'ordre et la régularité sont à l'abri de tout reproche, portait la date du 9. — 4o Enfin, le notaire avait, le jour même de la mort de la dame Campion, présenté au président du tribunal une requête tendante à la rectification de cette erreur, et cette requête avait été suivie d'une ordonnance datée du même jour 10 octobre avant midi.

-

Les mineurs Grospoisson répondaient que le Code civil n'ayant pas tracé de règles spéciales pour la date des testaments par acte public, il fallait s'en référer à cet égard aux règles du droit commun. Or, aux termes de l'art. 12 de la loi du

25 ventôse an II, la date d'un acte était l'énonciation de l'année, du mois et du jour de sa confection; et l'art. 68 prononçait la nullité de tout acte qui, n'étant pas revêtu de cette formalité, ne pouvait être réduit à l'état de simple acte privé. -Dans l'espèce, le testament de la dame Campion n'était pas de nature à pouvoir être ramené à la condition d'un simple acte privé, faute de quelques unes des formalités tracées par la loi. Il fallait qu'il fût acte authentique dans toute sa plénitude ou acte nul.- Dans le véritable esprit de la loi, la dațe du jour devait s'entendre non du jour de la semaine, mais du jour numérique du mois : les jours de la semaine sont plusieurs fois répétés dans le mois, le quantième ne l'est qu'une fois. Si ce quantième n'est pas exprimé, ou s'il l'est faussement, la date n'existe pas, et l'acte authentique tombe, faute de l'une de ses formalités essentielles. Ces règles s'appliquaient directement au testament de la dame Campion. En effet, il énonçait qu'il avait été reçu le 10 octobre 1824 après midi, et la testatrice était morte le même jour à sept heures du matin. - Cette date était évidemment fausse : le testament qui la contenait était donc nul. — Sans doute la date pouvait être quelquefois rectifiée; mais la jurisprudence' s'était bornée jusqu'ici à permettre les rectifications de ce genre seulement dans les testaments olographes; elle ne les avait jamais tolérées dans les testaments par acte public. Au surplus, quelle que fût la doctrine que l'on embrassât à cet égard, il fallait du moins tenir pour constant que les éléments de rectification devaient être puisés dans le corps même du testament, et non ailleurs; il n'était pas permis de s'aider des faits extérieurs et étrangers à sa confection. Ainsi le testament antérieur du 2 octobre, l'acte de décès de la dame Campion, ne devait être d'aucune considération; il devait en être de même du répertoire du notaire, et de la requête par lui présentée pour arriver à la rectification de la date. C'était dans le testament même qu'il fallait se renfermer. Or cet acte ne présentait que des incertitudes réelles. Il était impossible de se fixer sur le samedi dont il portait l'énonciation et d'affirmer que ce fût plutôt le samedi 9 que le samedi 2 octobre. Si l'on voulait même supposer un instant que le décès de la dame Campion fût arrivé à la fin de novembre, au lieu d'avoir à choisir entre deux samedis, il

fallait opter entre un bien plus grand nombre, ce qui redoublait l'incertitude, et faisait sentir toute l'absurdité d'un pareil système.

Le 23 juillet 1825, ARRÊT de la cour royale de Rouen, deuxième chambre, M. Aroux président, MM. Thil et de Malherbe avocats, par lequel:

«LA COUR,-Sur les conclusions conformes de M. Lepetit, avocat général; --Attendu qu'il existe une différence reconnue par tous les auteurs tant anciens que modernes, et par la jurisprudence de tous les temps, même par les lois romaines, notamment par la loi 7, C., de testam., portant: errore scribentis testamentum juris solemnitas mutilari nequaquam potest, difference qu'établirait seule la saine raison entre le défaut de date et l'erreur dans la date d'un testament ou de tout autre contrat ; Que le défaut de date vicie l'acte attaqué, tandis que l'erreur dans la date peut être réparée et rectifiée d'après les énonciations que le testament renferme et d'après les faits constants qui se rattachent à ces énonciations;

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de

« Attendu que le testament de la veuve Campion énonce formellement qu'il a été reçu en présence des témoins y dénommés, le samedi 10 octobre 1824, après midi, au domicile de la testatrice, alitée pour cause maladie; qu'il est évident que le testament est daté, puisqu'il indique le jour, le samedi ; le quantième du mois, le 10; le mois, celui d'octobre; l'année, celle de 1824; la partie du jour, l'après-midi; — Qu'ainsi il existe dans ce testament, non un défaut de date qui le vicierait, mais une erreur de date, qui peut être rectifiée par le testament lui-même; que, pour rectifier cette erreur, il suffit seulement de reconnaître laquelle des deux énonciations, celle du samedi, ou celle du quantième du mois, le 10, est erronée, puisque le samedi était le 9, et que le 10 au contraire était un dimanche; Que le testament de la veuve Campion est un acte authentique, qui fait foi jusqu'à inscription de faux, et qu'il n'est pas attaqué par cette seule voie légale; que dès lors tout son contenu, à l'exception du quantième du mois, doit être considéré comme vrai aux yeux des magistrats; — Qu'ainsi il est vrai et incontestable qu'il a été fait le samedi, qu'il a été clos et signé après midi, et que la testatrice était alitée pour cause de maladie; Qu'on trouve dans cet acte des éléments matériels et physiques qui peuvent concourir à corriger, vérifier et fixer nécessairement la date; - Que ces éléments sont vérifiés par l'acte qu'opposent les héritiers eux-mêmes, par l'acte de décès, qui constate que la veuve Campion est morte le dimanche 10 octobre, à sept heures de matin ;

« Attendu qu'en matière de testaments, comme en toute autre matière, les actes produits et invoqués par une partie peuvent lui être opposés par l'autre partie, dès qu'ils sont devenus communs et qu'ils font partie des pièces du procès; — Que, dès qu'il est certifié par l'officier public et reconnu par les héritiers eux-mêmes que la testatrice est décédée le 10 OC tobre, avant midi; que, d'une autre part, il est attesté par le notaire et

par les quatre témoins instrumentaires que le testament a été clos le samedi après midi, il en résulte la conséquence nécessaire qu'il n'a pas été fait le 10, qui était un dimanche, mais qu'il a été reçu le 9, c'est-à-dire le samedi, ainsi que le constate l'acte authentique et non attaqué pour faux; — Que, la testatrice étant décédée le 10, avant midi, la véritable date du testament ne peut être celle du 10 après midi; Que la véritable date est fixée par le testament lui-même, qui constate qu'il a été signé le samedí, qu'il a été clos après midi, qu'il a été dicté par la testatrice, et qu'elle était alors alitée pour cause de maladie, éléments qui ne peuvent coïncider avec le décès de la veuve Campion, arrivé le dimanche 10 octubre, avant midi; – Qu'il résulte encore du testament public qu'il n'a pas été fait le samedi 2 octobre, parce qu'il énonce un testament précédent, écrit, daté et signé par la testatrice le samedi 2 octobre ;

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« Attendu que, s'il était nécessaire, ces éléments pris dans les énonciations du testament, in testamento, seraient corroborés 1o par le répertoire du notaire, tenu avec la plus grande exactitude, sans aucun blanc, sans surcharges ni interlignes, et où tous les actes se trouvent portés à la suite les uns des autres, chacun à sa date et à son numéro particulier; que lans ce répertoire se trouve le testament de la veuve Campion relaté à son ordre, sous la date du 9 octobre 1824, avec le no 687; 2o par l'ordonnance manée du juge remplaçant le président du tribunal civil de Louviers, et ortant date du 10 octobre, avant midi, actes qui, rapprochés des énoniations du testament, et notamment avec cette énonciation qu'il a été fait e samedi, après midi, par une personne alitée pour cause de maladie, lonnent non seulement la conviction, mais la certitude que le testament contesté a été fait le samedi 9 octobre 1824, le quantième du mois étant la eule erreur qui se trouve dans cet acte authentique. . . . . ; ORDONNE que ledit testament sera exécuté suivant sa forme et teneur. »

A. M. C.

COUR D'APPEL DE ROUEN.

L'instance élevée sur la question de savoir laquelle de deux créances doit étre préférée à l'autre, dans un ordre, estelle susceptible de deux degrés de juridiction, si la somme à distribuer excède 1,000 fr.? (Rés. aff. ) (1) Le privilége spécial du vendeur sur le prix d'effets mobiliers non payés, qui sont encore en la possession du débiteur, prime-t-il les priviléges généraux sur les meubles,

(1) Voy. une décision analogue, du 20 août 1821, nouv. édit., tom. 25, pag. 599, et tom. 3 de 1821, pag. 481.

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