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Lorsqu'un individu, actionné en réparation d'un préjudice qu'il a causé, conteste seulement sur la quotité des dommages et intérêts réclamés, les juges peuvent-ils accorder une provision au demandeur? ( Rés. aff. ) Cod. de proc.,

art. 155.

L'autorisation donnée par l'administration à l'effet d'établir une fabrique met-elle le fabricant à l'abri de l'action qu'intentent des voisins en réparation du dommage qu'ils ont souffert par suite d'une exploitation abusive de la fabrique ? (Rés. nég. ) Cod. civ., art. 1582 (1).

Lorsque les émanations de plusieurs fabriques ont cause du dommage aux propriétés voisines, et qu'il est_im-: possible de déterminer l'étendue du préjudice causé par chaque établissement, les fabricans peuvent-ils être condamnés solidairement au paiement des dommages et intérêts? (Rés. aff.) Cod. civ., art. 1202.

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RIGAUD ET CONSORTS, C. BOURGUIGNON.

En 1819, le sieur Rigaud et consorts, propriétaires de plusieurs fabriques de soude factice, dont l'établissement avait été autorisé par l'administration, ont été cités par le sieur Bourguignon en réparation du préjudice causé aux propriétés de ce dernier par les exhalaisons provenant des fabriques. Les fabricans, sans nier le préjudice souffert par le demandeur, ont contesté sur la quotité des dommages et intérêts réclamés, et le tribunal, par jugement du 3 septembre 1823, a ordonné une expertise. Le sieur Bourguignon a conclu alors à ce que le tribunal lui accordât une provision de 10,000 f. Jugement qui condamne solidairement les fabricans à payer au demandeur 2,000 fr. de provision. Le sieur Rigaud et consorts ont interjeté appel de ce juge

(1) Quand même il n'y aurait pas eu abus dans l'exploitation, les fabricans pourraient être condamnés par les tribunaux à des dommages et intérêts, pour préjudice causé, nonobstant l'autorisation accordée par l'administration. Ainsi jugé dans l'espèce rapportée après celle-ci.

ment. Ils ont prétendu que le tribunal de Marseille ne devait point accorder une provision au demandeur, puisque celuici ne fondait pas son action sur un titre authentique, et ne se trouvait dans aucun des cas prévus par l'art. 153 du Cod. de proc. civ.; qu'en outre la solidarité ne se présu→ mant pas, d'après l'art. 1202 du Cod. civ., ils n'avaient pu être condamnés solidairement au paiement de la provision de 2,000.- Appel incident de la part du sieur Bourguignon, 'qui demande, comme devant les premiers juges, qu'on lui alloue une provision de 10,000 fr.

Le 14 mai 1825, arrêt de la Cour royale d'Aix, qui accorde au sieur Bourguignon une provision de 6,000 fr., par les mo tifs suivans: - « Considérant, sur la provision, y est-il dit, qu'il est certain tout-à-fait que la partie de Martin a éprouvé un dommage considérable dans sa propriété ou son domaine de Fabregoule, et que le dommage provient des vapeurs produites par la fabrication de la soude factice qui se fait dans les fabriques situées dans le voisinage de Septèmes et appartenant aux parties de Tassy; - Que cela résulte de la notoriété publique, de la situation respective et topographique des lieux, d'une foule de jugements et arrêts qui ont accordé, contre les fabricants, des indemnités à des propriétaires bien plus éloignés des fabriques que le sieur Bourguignon, du propre aveu des parties de Tassy, qui ont volontairement payé des dommages et intérêts à un fermier de ce dernier, pour une portion du domaine dont il s'agit; de l'offre, quoique non acceptée comme insuffisante, qu'elles ont faite à Bourguignon lui-même pour la réparation des dommages par elles causés; enfin du jugement qui, au procès, nomme des experts, bien moins pour constater l'existence du dommage, qui ne saurait être sérieusement contesté, et en assigner la cause, qui n'est pas non plus douteuse, que pour fixer la quotité de ce dommage, laquelle forme véritablement le litige entre les parties; - Que, dès lors, Bourgui guon peut évidemment puiser dans ces diverses circonstances, surtout en l'état du procès et des incidents qu'il a fait naître, le titre et le droit de demander une provision;

« Considérant, pour ce qui est de la solidarité, qu'elle est la conséquence en fait et en droit du dommage causé à h partie de Martin par la faute des parties de Tassy; - Qu'ex

effet, ce quasi-délit de leur part ne consiste pas dans l'éta blissement autorisé de leurs fabriques, mais dans la manière abusive de les exploiter au préjudice du sieur Bourguignon; qu'il est le fait commun de tous les fabricants et le fait particulier de chacun d'eux; qu'il est évident que, s'il n'existait qu'un moindre nombre de fabriques ou une seule, le dommage serait moins important et peut être uul; que ce dommage est augmenté ou même s'opère seulement par la réunion des vapeurs de différentes fabriques;-Considérant que, si, par la manière indivisible dont le dommage s'effectue et par le résultat d'une faute particulière et commune, le fait de chacun des fabricants devenant le fait de tous, et le fait de tous étant le fait de chacun, la réparation est due par tous et par chacun, per totum et totaliter; cette solidarité est conforme aux principes du droit : car, puisqu'un mandataire, qui a fait volontairement des avances dans l'intérêt de plusieurs mandants et pour une affaire commune à ceux-ci, peut les répéter solidairement contre eux, à plus forte raison celui qui, malgré lui, éprouve un dommage, doit-il pouvoir en demander solidairement la réparation contre les personnes qui l'ont conjointement occasioné; Considérant que le

principe que la solidarité ne se présume pas n'est applicable qu'aux conventions où celui qui la réclame sans l'avoir stipulée a toujours à se reprocher de n'en avoir pas fait une condition expresse du contrat; que la solidarité est, au contraire, de droit dans les délits contre ceux qui, même sans concert prémédité entre eux, concourent à l'action, quels que soient d'ailleurs le degré de culpabilité respective et les circonstances qui modifient cette culpabilité; Considérant qu'en matière de quasi-délit, puisque le quasi-délit repose, comme le délit, sur un fait illicite, prohibé, et qui n'est pas susceptible de stipulation à l'instant où il a lieu de la part de celui qui en est la victime, et que, dans l'un comme dans l'autre cas, la solidarité résulte de la nature et de la force des choses. »

Recours en cassation de la part du sieur Rigaud et consorts. Ils ont présenté un premier moyen pris d'une violation prétendue de l'ordonnance de 1667 et de l'art. 155 du Cod. de proc., en ce que l'arrêt attaqué les avait condamnés au paiement d'une provision, bien que le dommage n'eût pas

été constaté et que le demaudeur ne fût pas porteur d'un titre authentique ou d'une promesse reconnue.

Ils ont prétendu, en second lieu, que la cour royale d'Aix avait violé l'art. 11 du décret du 15 octobre 810, l'ordonnance du 14 janvier 1825 et l'art. 1202 du Cod. civ., en condamnant des fabricants qui n'avaient fait qu'user d'un droit accordé par l'administration et en prononçant contre eux une condamnation solidaire.

Du 11 juillet 1826, ARRÊT de la section des requêtes, M. Henrion de Penser président, M. Favard de Langlade rapporteur, M. Jousselin avocat, par lequel:

« LA COUR, Sur les conclusions de M. Lebeau, avocat-général ;— Attendu, sur le premier moyen, que l'arrêt attaqué déclare qu'il ne s'agit pas de savoir s'il y a dommage dans les propriétés du sieur Bourguignon, puisque ce dommage a été reconnu par les demandeurs eux-mêmes, qui ont offert une somme de 2,000 fr, pour le réparer; qu'en puisant la preuve de l'existence et de la cause des dommages dans la reconnaissance et dans les offres des demandeurs, la cour n'a commis aucun excès de pouvoirs;

« Attendu, sur le second moyen, qu'il résulte aussi de l'arrêt que les dominages soufferts proviennent, non de l'existence des manufactures, mais de l'abus des manufacturiers, qui n'ont pas pris les précautions convenables pour prévenir ces dommages, qui sont le résultat d'un quasi-délit;

« Considérant qu'il y a eu nécessité pour la cour royale de prononcer une condamnation solidaire, par l'impossibilité où elle a déclaré se trouver, en fait, de déterminer la proportion dans laquelle chaque établissement devait être tenu des dommages, et que cette proportion serait d'ailleurs réglée d'une manière plus exacte par les propriétaires desdits établissements, qui ont déjà fait des offres sur lesquelles l'arrêt a basé sa condamnation; - REJETTE, » S.

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S II.

Les tribunaux sont-ils compétents pour statuer sur la réparation d'un dommage causé aux propriétés voisines par les exhalaisons émanées d'une fabrique dont l'établissement a été autorisé par l'administration, sans qu'il soit nécessaire que l'autorité administrative ait jugé que la construction de la fabrique était vicieuse ? ( Rés. aff.) Le propriétaire d'une fabrique dont l'établissement, autorisé par l'administration, a causé du dommage aux propriétés voisines, peut-il étre condamné à des dommages

et intérêts non seulement à partir de la demande on jus-tice, mais encore à dater du moment où le préjudice a commencé, encore qu'il allègue qu'avant l'assignation, il n'y a pu avoir de sa part ni faute, ni imprudence, ni; négligence? (Rés. aff.) Cod. civ., art. 1382 et 1383.

PORRY, C. LA Dame Arbaud.

En 1816, le sieur Porry demanda l'autorisation d'établir une fabrique de vitriol bleu. La dame Arbaud, propriétaire d'une manufacture de cire voisine du lieu où devait être construite la fabrique du sieur Porry, forma opposition à la demande en autorisation. Après une enquête de commodo el incommodo, l'opposition de la dame Arbaud fut rejetée, et le sieur Porry fut autorisé à établir sa manufacture.

En 1819, la dame Arbaud a cité le sieur Porry devant le tribunal civil de Marseille pour se voir condamner à réparer le dommage que la fabrique de vitriol avait causé depuis son établissement à la fabrique de cire de la demanderesse.

Le sieur Porry a répondu que le tribunal ne pouvait connaître de cette demande, sans troubler les opérations de l'autorité administrative, qui avait jugé que la fabrique erf question ne porterait point préjudice aux propriétés voisines; que l'autorité judiciaire ne serait compétente qu'autant que l'administration aurait décidé que la construction de la fabrique était vicieuse, parce que ce serait dans ce cas seulement qu'on pourrait imputer au propriétaire cette négligence ou cette imprudence qui autorise contre lui l'action en dommages et intérêts. En conséquence, le sieur Porry concluait à ce que le tribunal de Marseille se déclarât incompétent. Il soutenait en outre que, dans tous les cas, les dommages et intérêts ne pourraient être adjugés que pour le préjudice causé depuis le jour de la demande, attendu que ce ne serait jamais qu'à dater de ce jour qu'on pourrait lui reprocher quelque négligence ou imprudence, puisque avant l'assignation il croyait et était autorisé à croire qu'en exerçant un droit accordé par l'administration il ne causait aucun tort aux propriétés voisines.

Jugement qui ordonne une expertise, afin d'apprécier le dommage, et, peu de temps après, jugement définitif qui condamne le sieur Porry au paiement d'une somme de

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