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No 18.

SOMMAIRE.

Lausanne, le 10 Septembre 1874.

XIXe Année

Réorganisation militaire suisse. Projet d'une nouvelle organisation militaire ; · Modifications de la commission du Conseil national au projet du Conseil fédéral. (Fin.) — Projet de loi français sur les cadres. Nouvelles et chronique.

SUPPLÉMENT (comme Armes spéciales). - Réorganisation militaire suisse. Annexe II aux modifications de la commission du Conseil national (un tableau).

REORGANISATION MILITAIRE SUISSE.

Projet d'une nouvelle organisation militaire.

Sous ce titre, M. le colonel fédéral Paravicini vient de publier en supplément de l'Allg. Schw. milit. Zeitung, un mémoire qui constitue un des importants documents sur la question aujourd'hui en discussion dans les Conseils et dans les sociétés d'officiers. Ce mémoire était écrit quand l'auteur a été invité par le comité central de la Société des officiers suisses à l'assemblée des délégués d'Olten, le 24 courant. En le livrant dès maintenant à la publicité, M. le colonel fédéral Paravicini n'a pas entendu préjuger les délibérations de cette assemblée. Il a seulement voulu, déclare-t-il, soumettre à ses frères d'armes un travail préparatoire et qui n'a rien d'absolu.

En ce qui nous concerne, nous remercions sincèrement notre honorable et toujours vigilant chef d'état-major général de sa louable initiative, et nous ne doutons pas que ce sentiment ne soit partagé par tous nos camarades, qui trouveront dans les lignes ci-dessous d'instructifs aperçus. Réd.

Introduction. Si je viens aujourd'hui, seulement à la onzième heure, soumettre à un examen critique le nouveau projet d'organisation militaire suisse du 13 juin 1874 et livrer cet examen à la publicité, personne ne pourra équitablement trouver là l'occasion d'un reproche, car il n'y a pas longtemps que ce projet, élaboré à huis-clos, est connu, et les délibérations de la commission de Mürren étaient encore à attendre. Sans prétention à l'infaillibilité, sans me fonder sur autre chose que sur ma ferme conviction qu'une armée bien organisée, bien instruite et bien menée est, avec une conduite politique prudente, comme nous l'avons eue jusqu'ici, la principale condition d'existence de notre chère patrie, je ne veux forcer personne à adopter mes vues. Je désire seulement que notre armée soit enfin amenée à un état satisfaisant, et cela sans bouleversement.

Le projet du Conseil fédéral renferme, à côté de choses sur lesquelles on peut avoir des opinions divergentes, l'augmentation depuis si longtemps désirée du temps de l'instruction et quelques autres améliorations incontestables. Mais la commission du Conseil national ayant de nouveau diminué le temps d'instruction, d'autres points, sur lesquels on aurait pu plus ou moins fermer les yeux, changent aussi d'importance. Il me paraît donc opportun d'entrer en matière sur le tout et de suivre pour cela l'ordre même de la loi projetée.

I. De l'obligation de servir et des classes d'hommes astreints au service (Ile chapitre). Je ne combattrai pas la durée du service dès le

commencement de la 20e année à la fin de la 44°, quoique j'eusse plutôt désiré qu'elle commençât une année plus tard, en vue d'avoir des hommes mieux formés corporellement et auxquels leurs habits ne risquent pas de devenir trop petits. En revanche je voudrais tenir les recrues pendant une année en dehors des corps. S'il y avait, pendant ce temps, un service actif, ils appartiendraient au dépôt ou troupes de remplacement.

Le principe de l'obligation générale du service n'est pas nouveau en soi. Il existait depuis longtemps, mais on en déviait à l'aide de divers sophismes. Reste à savoir si, dans la pratique, on appliquera mieux ce principe à l'avenir. Je dois avouer d'ailleurs que je ne vois pas un grand remède dans l'extension de l'obligation du service à quelques classes d'employés qui étaient jusqu'à présent légalement dispensés. Le service civil a aussi sa raison d'être pour le bien de l'ensemble, et je ne crois pas, par exemple, qu'en temps de guerre il soit de l'intérêt général d'enlever les instituteurs à leurs devoirs pour en renforcer l'armée. Qu'ils fassent une école de recrues, c'est bien; ensuite on pourrait les utiliser exceptionnellement au service des ambulances.

En général je m'étonne qu'après tant de phrases sur l'obligation complète et réelle du service militaire, nous n'atteignions pas à une armée plus forte que celle d'aujourd'hui, qu'au contraire on arrive, pour se procurer quelques nouveautés par trop chères, à diminuer l'armée d'une division. Huit ans de première élite et quatre de seconde, introduits partout, devraient donner un effectif plus fort que celui du projet; aussi la diminution d'une division me paraît au moins prématurée. Toutefois je n'ai pas à ma disposition, comme simple particulier, les moyens de dresser de grands tableaux à l'appui de mon opinion. Quoiqu'il en puisse être, j'espère d'autant plus qu'on parera aux diminutions en campagne et au remplacement. Il y a là aujourd'hui une lacune réelle. Il ne faut pas entrer en campagne avec un effectif dépassant le nécessaire et le règlement, mais il est indispensable de pouvoir combler immédiatement les vides par des classes d'âge analogues, comme déjà l'organisation de 1817 le prévoyait. Rien n'est plus décourageant qu'un effectif réduit et sans espoir d'augmentation.

Si les douze années de service (S$ 10 et 11) de l'armée active correspondent à peu près à l'effectif actuel de l'élite et de la réserve fédérale, je dois dire qu'une landwehr presque égale et composée de tout le reste me paraît trop considérable. En conséquence, je me demande si l'on ne pourrait pas alléger le citoyen tout en faisant gagner l'armée. Il me semble que ce serait très possible en portant à 14 ans au lieu de 12 la durée de service dans l'armée active. Il nous resterait encore assez de landwehr pour le service qui lui serait laissé et on ne lui demanderait plus grand'chose.

Quant à l'armée active de 14 ans de service, ou de 12 ans selon le projet officiel, je prendrai la liberté de différer de celui-ci dans la classification qu'il établit. Je crois le système actuel de corps de réserve séparés meilleur que la réunion des hommes d'élite et de réserve dans un même corps. Je ne suis point d'avis que la nouveauté du projet à cet égard soit un progrès, et je vais dire pourquoi.

Tout d'abord nos gens se plaisent mieux avec leurs camarades d'âge, ceux de la classe de 8 ans avec ceux de 8 ans, ceux de 6 ans ou de 4 ans de même; puis il n'est pas indifférent à ceux des quatre, respectivement des six dernières années, de n'être pas appelés à marcher immédiatement avec les jeunes. Je ne recommanderais assurément pas de n'avoir que des jeunes gens de 20 à 23 ou 24 ans; mais avec des classes de 8 ans on a une moyenne très convenable de troupe alerte et formée, qui ne gagnera pas en qualité par l'adjonction des classes de 4 ou 6 années. Au contraire, on alourdira cette troupe.

Il serait donc préférable, à mon avis, d'avoir la possibilité de lever ces classes de réserve après les autres, et seulement en cas de besoin. C'est ce qui peut avoir lieu aujourd'hui par la séparation de l'élite et de la réserve en unités tactiques différentes, et ce mode devrait être maintenu, tout en organisant les grands corps de troupes (brigades ou divisions) de manière à pouvoir fonctionner avec ou sans les unités tactiques de la réserve.

En tout cas les levées ne devraient, en aucune circonstance ni sous aucun prétexte, se faire comme le projet le propose, c'est-à-dire appeler d'abord les unités tactiques avec les classes de 8 ans, et les renforcer plus tard, en cas de danger croissant, par les quatre dernières classes. D'autre part si l'on appelle du premier coup les douze classes annuelles, on en a 4 qui depuis fort longtemps n'ont plus été rassemblées et exercées à leur corps (y compris des sous-officiers), qui sont peu disposées à cette reprise tardive de service, et qui ne feront que retarder et embrouiller l'entrée en ligne des corps, même alors que le rapport de situation présenterait l'effectif réglementaire exact. En Allemagne, où l'on a ce système mais poussé moins loin que nous ne voulons le pousser, on est loin d'en être très satisfait. Les expériences des dernières mobilisations de guerre confirment pleinement mes vues à cet égard, d'après ce que j'ai appris d'officiers allemands.

Je ne saurais trop insister sur ce point. Nous ne pouvons égaler nos voisins en cohésion et faculté tactique et en quelques branches. Mais nous devons d'autant plus compenser cette infériorité et avoir au moins les qualités inhérentes aux particularités de notre pays et de notre peuple. Il est une chose importante que nous pouvons certainement avoir, que nous devons avoir mieux que qui que ce soit en Europe. C'est la prompte et complète levée de guerre. Ce que nous avons pu faire à cet égard en 1870 et 1871 est reconnu de tout le monde. Voudrions-nous aujourd'hui faire un recul? Nos corps doivent toujours être prêts à marcher, prêts en troupes, en cadres, en équipement, en aptitude tactique, et je dis qu'ils peuvent l'être, sans que cela nous coûte un franc de plus. Par motifs politiques et économiques, nos levées de guerre n'ont lieu que quand elles sont indispensables. Mais alors elles doivent être rapides et résolues. Il en a toujours été ainsi. Pourquoi aujourd'hui mettrions-nous en question cette qualité qui nous est propre ?... On répond que par le maintien de l'élite et de la réserve séparées l'administration devient trop difficile. Cela serait vrai, autant que c'est évidemment faux, qu'il

n'y aurait là qu'un mauvais raisonnement. L'administration est faite pour l'armée, non l'armée pour l'administration. Qu'on n'inverse pas les exigences! Quant aux difficultés administratives invoquées, je ne sais les voir ni dans le présent ni dans l'avenir. J'admets pleinement d'ailleurs qu'en déviation de ce qui existe aujourd'hui, les corps de réserve soient de même force que ceux d'élite. Avec un peu de savoir-faire et de latitude laissée aux grands cantons pour l'arrangement de leurs corps de réserve d'après ceux de l'élite, et aux cantons plus petits pour former des corps combinés, puis en faisant peut-être l'avancement des cadres sur les deux classes réunies, on formerait une bonne réserve d'unités tactiques correspondantes à celles de l'élite; les deux pourraient être levées simultanément en cas de danger, ou celles de la réserve n'arriver que plus tard dans les brigades, le tout sans perturbation.

Au chapitre de l'obligation de servir se trouve encore, § 15, la question des hommes en séjour. La définition des hommes établis ou en séjour est encore vague, car il sera toujours difficile de distinguer exactement les diverses nuances de la population flottante. Celle-ci a en bonne partie échappé jusqu'ici au service, parce que le canton d'origine à souvent trouvé commode et avantageux de frapper ses ressortissants absents d'une taxe plus ou moins légale. Maintenant on veut atteindre ces gens en les faisant servir à l'endroit du séjour. Je ne crois pas à la justesse du procédé.

Le canton d'origine doit et peut connaître le séjour de ses ressortissants. Arrive le temps du service, il les y appelle sous bonification des frais de voyage, ce qui est une petite dépense. Le jeune homme absent serait incorporé dans son canton d'origine, où il rentrera sans doute plus tard, et celui réellement et définitivement établi dans un autre canton serait reçu dans un corps de ce canton. De cette façon la Confédération serait sûre de recruter tous ceux qui y sont astreints et, ce qui est plus important encore, d'avoir dans ses corps de troupes un effectif plus stable.

II. Composition de l'armée fédérale. L'art. 7 introduit sous lettre f, une nouvelle arme, c'est-à-dire les troupes d'administration. » J'accorde que la division d'administration a été magnifiquement organisée par le tableau 17. Reste à savoir, si, au moyen de cette belle création, l'armée sera aussi bien servie que les personnages qui se sont donné la tâche de déployer tant d'activité dans cette sphère spéciale. Si jusqu'à présent il y a eu des vices et des difficultés dans l'administration militaire, cela n'a pas tenu à la forme de cette administration, mais à diverses imperfections inhérentes à la nature humaine; en quoi je reconnais volontiers que combattants et commissaires doivent bien porter la responsabilité en égale part. Tantôt c'était l'état-major général qui ne pouvait pas avertir à temps le commissariat; tantôt les officiers de troupes ne se prêtaient pas à l'emploi ordonné; tantôt enfin le commissariat lui-même fut en faute. L'organisation même n'y était pour rien. Mais il faudrait, à la vérité, réformer quelques routines. L'idée, par exemple, que tout doit émaner du commissariat en chef est fausse; très souvent les divisions, secondées des commissariats cantonaux et locaux, auraient mieux

pourvu au nécessaire, et entr'autres pour les premières mesures à prendre il faudrait laisser des pleins-pouvoirs aux divisionnaires. Une des principales lacunes se trouve dans tout ce qui concerne les chars. Qu'on se procure ces chars; qu'on crée un train de parc suffisant, restant sous le commandement de l'artillerie; qu'on donne aux commissaires des divisions plus de compétence, bien entendu sous le contrôle du divisionnaire, et l'on aura fait tout l'essentiel.

La création de moyens de fabrication de vivres, qui pourrait être utile quelquefois, n'exige pas une autre organisation. Ce qu'il faut avant tout, c'est que la Confédération et les cantons ne fournissent que de la viande, du pain et des légumes de bonne qualité. Je n'exclurai pas les subsistances accessoires, telles que café, thé ou chocolat; mais je ne les considérerais pas comme parties intégrantes des besoins journaliers.

Vient maintenant la grosse question des fournisseurs. Là encore je suis obligé de conseiller de s'en tenir à ce qui existe, tout en l'améliorant le plus possible, cela va sans dire, au point de vue de la qualité et de la promptitude des livraisons. Jamais les bouchers et les boulangers n'ont manqué à l'armée, et je voudrais bien qu'on me citât les cas où des corps de boulangers et bouchers militaires auraient mieux servi les troupes que les fournisseurs. Et si cela était, nous avons actuellement la ressource avantageuse que tous les corps renferment quelques bouchers et boulangers pouvant, en cas de besoin, parer aux lacunes accidentelles. En les enlevant à ces corps on se prive de cette ressource, on diminue les combattants, et l'on risque d'avoir des corps spéciaux qui, pour être utiles une ou deux fois, augmenteront plus encore les impedimenta de l'armée. De façon ou d'autre la farine et le bétail sont les mêmes et restent l'essentiel. Ce qu'il faut de plus et n'est pas moins essentiel, c'est le moyen de transport.

Les vues que je viens d'exprimer s'appuyent non-seulement sur mes expériences comme officier de troupe, mais sur celles de 1870 et 1871. Je connais les prestations et les lacunes de ces dernières mises sur pied. Ce n'est pas l'organisation qui a été en défaut. De même l'appel fait aux communes, lors du subit internement de l'armée française, nous a servi plus promptement et mieux que ne l'aurait pu un corps de boulangers militaires. Ce qu'il faut encore en campagne, c'est un commissaire en chef ou un délégué spécial du commissaire en chef, qui ait le pouvoir et l'énergie de prendre sur lui une grande responsabilité pour agir au moment voulu, et qui ne soit pas entravé par un formalisme bureaucratique très compréhensible d'ailleurs. Le général le seconderait sûrement au besoin (§ 9).

J'ajouterai enfin que les quartiers-maîtres des bataillons ainsi que les fourriers des armes spéciales doivent être de ces corps, doivent représenter leurs corps vis-à-vis de l'administration, comme maintenant, non être des détachés de celle-ci. Qu'en somme l'organisation actuelle du commissariat, avec les améliorations sus-indiquées en ce qui le concerne lui-même et en moyens de transport, etc., peut satisfaire complétement aux besoins reconnus, tandis que la création nouvelle serait, en guerre comme en paix, une vaine et nuisible superfétation.

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