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No 19.

SOMMAIRE

Lausanne, le 23 Septembre 1874.

XIXe Année

Réorganisation militaire suisse. Fin du mémoire de M. le colonel fédéral Paravicini; Discussion de l'article 79 au congrès scolaire de Winterthour. Société militaire fédérale. Section vaudoise. Rassemblement de troupes de 1874, IXe division. chronique.

Nouvelles et

REORGANISATION MILITAIRE SUISSE.

Fin du mémoire de M. le colonel fédéral Paravicini (1). La création de régiments d'infanterie ne convient pas à la Suisse par plusieurs raisons. D'abord, dans beaucoup de cas, nos mises sur pied n'iront pas au-delà d'une division, et rarement le divisionnaire aura toute sa troupe sous les yeux. La nature de notre pays exige des détachements sous des commandements indépendants, de 3 au plus 4 bataillons, mais avec quelques armes spéciales. A cela peut très bien servir le brigadier (colonel fédéral) actuel, pourvu qu'on ne porte pas la brigade régulièrement à six bataillons. Je la préférerais å 3 bataillons d'élite, avec un ou deux de réserve en cas de besoin. Le lieutenant-colonel attaché à la brigade aurait le commandement de 2 bataillons formant le gros ou de l'avant-garde, selon les circonstances. Deux lieutenants-colonels à la brigade trouveraient aussi leur emploi; mais créer des régiments seulement pour créer ces emplois et ces grades est parfaitement inutile. Puis notre terrain et nos circonstances particulières sont tels, qu'à deux brigades en première ligne, il faut une réserve plus en arrière, d'où elle peut le mieux renforcer les points menacés. Aussi je désire une troisième brigade å la division, tout en gardant au moins douze bataillons d'infanterie pour la division, avec la réserve, et neuf bataillons avec l'élite seulement. Avec une division de 9 bataillons on peut très bien se mettre en ligne et la renforcer par les bataillons de réserve. A tous les points de vue, je crois donc que le système actuel est à maintenir. Je puis d'autant mieux le conseiller que je n'ai pris aucune part personnelle à son introduction. La division allemande a bien deux brigades à 6 bataillons chacune, comme notre projet officiel; mais la division allemande a en outre une brigade de cavalerie, sans compter qu'elle se, rattache immédiatement à une unité supérieure, corps d'armée ou armée, qui a des réserves spéciales dont la division peut être aisément renforcée en cas de besoin. Dans la même idée, les Allemands forment souvent de petits détachements et l'on a vu par la campagne de Werder entr'autres avec quelle facilité ces détachements pouvaient se créer ou se fusionner, selon les nécessités du moment. Mais nous n'aurions pas les mêmes facilités, et cependant notre terrain très coupé l'exigerait plus encore de nous que des Allemands. Nous ferons donc mieux d'adopter d'avance une formation qui convienne à nos exigences, et non le type de division du tableau XXXII. () Voir notre précédent numéro.

$$ 51-62; pas d'observations. § 63. Les adjudants, lorsqu'ils sont détachés des unités tactiques près des états-majors, devraient être remplacés à leurs corps, quoique continuant à en faire partie, afin que le service dans ces corps ne soit pas en souffrance. Il faudrait quelques prescriptions à cet égard, tandis qu'il n'y a rien au projet. 64-67; d'accord.

VI. L'état-major général. La séparation de l'état-major général et de l'adjudanture ne peut naturellement pas se préjuger d'après le peu qu'en dit le projet et dans l'ignorance de l'application pratique.

Il faut seulement se demander si un tel changement était nécessaire et s'il répondrait bien à ce qu'on en attend. Une remarque préalable, c'est que les fonctions de l'officier d'état-major général (par exemple à une division) ne diffèrent pas sensiblement de celles d'un adjudant (aide-de-camp); il y a une différence surtout de degré non de fond, et cela même en Allemagne, où tous ces rouages sont plus perfectionnés que chez nous. De plus j'apprends qu'il a été récemment question en Allemagne d'élever davantage le niveau scientifique des officiers d'état-major, et de leur donner surtout la spécialité de la topographie, sans diminuer en rien leurs connaissances générales et leur parf ite possession de tous les besoins de l'armée. et de ses diverses branches. Il me paraît que notre projet officiel prend un chemin opposé. Que restera-t-il à nos officiers d'état-major au-dessus des fonctions d'un simple adjudant, quand on leur aura ôté tout ce qui concerne la topographie et les travaux du génie ?... Si peu de chose, qu'il ne vaut pas la peine d'en faire un corps spécial. Ostentation d'un côté, jalousie de l'autre. Voilà ce qu'on aura sùrement, et celui qui s'en trouvera le plus mal sera le divisionnaire ou le brigadier, c'est-à-dire le service. Le mieux me semble donc de recruter, comme maintenant, l'état-major sur le grand nombre des officiers de troupes, en choisissant les plus aptes et les plus disposés à ce service; puis de développer leur instruction et de les employer suivant leurs aptitudes personnelles, soit aux divers genres de service d'état-major, soit parfois à une branche qu'ils connaissent plus spécialement. Mais généralement il est nécessaire qu'un officier d'étatmajor puisse remplir alternativement tous les services, et il faut s'organiser en conséquence. Marquer comme d'un timbre à part un officier seulement pour affaires d'état-major général, l'autre pour n'être qu'adjudant, cela ne correspond pas aux exigences réelles du service d'un état-major. Le premier risque de devenir un savant, peut-être un pédant buraliste, le second plutôt un troupier ou un caracoleur ; ni l'un ni l'autre ne seraient d'un grand secours pour diriger convenablement des masses.

Nulle part on ne voit dans le projet ce que vont devenir les officiers de l'état-major général actuel. Après l'acceptation de nouveaux postes comme commandants ou adjudants, auront-ils abandonné une fois pour toutes leur situation présente comme officiers d'état-major?..... 74-78; d'accord.

VIII. Instruction. La compétence que le § 79 veut accorder à la Confédération va au-delà des prescriptions constitutionnelles et des

besoins. Une jeunesse intelligente, instruite, vigoureuse est tout ce que la Confédération doit demander aux cantons. Mais il ne faut pas l'exiger aux dépens de l'éducation générale; il ne faut pas, dans des programmes d'instruction pour lesquels on manque toujours de temps, mettre encore des études préalables militaires. Introduire des branches militaires spéciales dans l'enseignement de l'école polytechnique ne me semble pas non plus d'une grande utilité; on devrait se borner à l'histoire militaire, pour autant qu'elle rentrerait dans un cadre d'histoire générale.

En ce qui concerne l'instruction militaire proprement dite, je ne puis qu'adhérer aux durées fixées par le projet et à leur répartition. Seulement je désirerais qu'on n'exceptât pas les quatre dernières classes de l'élite (ainsi les réservistes) des cours de répétition. Je repousse cette exemption, soit qu'on maintienne le système de corps d'élite et de réserve séparés, soit qu'on les fusionne comme on le projette. Dans ce dernier cas un tiers des sous-officiers et des soldats resterait en dehors des exercices pendant 4 ans; par conséquent la besogne de ces sous-officiers dispensés devrait être provisoirement remplie par d'autres, puis abandonnée, lors de mises sur pied sérieuses, pour être cédée à des sous-officiers devenus étrangers à leur corps. Puis dans les exercices le chef de corps et les officiers s'habitueraient à de fausses dimensions. Tout cela serait déplorable.

Pour le cas où le système de corps séparés serait maintenu, il faudrait chaque année un cours de répétition aussi pour le corps de réserve, mais naturellement moins long que pour l'élite.

Cela étant réservé, je dois me prononcer en toute conviction contre les réductions de la durée du service d'instruction proposées par la commission de Mürren.

Il reste à mentionner que les anciennes écoles centrales et autres cours analogues ne devraient pas être commandés par les instructeurs, non point sans doute que ceux-ci n'en fussent pas capables, mais pour leur ôter la peine de l'administration et des détails du service. Cet emploi convient tout naturellement aux plus anciens colonels, qui peuvent par là exercer souvent une heureuse influence sur l'ensemble et rafraîchir leurs connaissances ainsi que la pratique du métier.

IX. Habillement, armement et équipement. D'accord. Dans les arsenaux il faudrait toujours réunir par corps de troupes tout ce que l'homme n'a pas chez lui.

X. Inspection. Le Conseil fédéral répond, dans ce chapitre, de la manière la plus louable à des besoins depuis longtemps reconnus et signalés. Par le moyen de ces inspections, il se créera des rapports suivis entre les chefs supérieurs et leurs corps de troupes, rapports qui aujourd'hui n'existent pas. Il serait désirable que, comme en Allemagne, ces inspections se fissent, dans la circonscription, par le chef même de cette circonscription, afin que l'inspecteur ne doive pas se borner seulement à faire rapport.

XI. Chevaux. Aussi ici le projet réalise un vrai progrès. Il n'y aurait qu'à y ajouter quelques compléments.

A l'art. 184, par exemple, on ne voit pas si la mise de piquet des chevaux particuliers est bien dans l'intérêt des officiers qui ont à se

monter. Il faudrait surtout admettre à l'avenir que l'officier qui garde son cheval de service soit mieux traité qu'il ne l'est aujourd'hui. Il ne faudrait pas qu'on lui fit les chicanes qui se voient trop souvent dans nos écoles, où on lui interdit d'amener ce cheval.

Un point plus important encore concerne l'artillerie. Pour cette arme on en reste trop aux anciennes coutumes. Ce n'est pas tout que l'instruction des hommes et un bon tir. La mobilité est aussi un point capital.

Les réformes à l'égard de la cavalerie méritent appui et reconnais

sance.

XII. Transports et chemins de fer. D'accord. Je demanderai seulement où l'on en est avec les postes et les télégraphes. Les chemins de fer sont, après tout, une propriété particulière. On ne se gêne pas de leur imposer des prestations sans conditions réciproques. Pourquoi n'en ferait-on pas autant, au besoin, avec les régales des postes et des télégraphes? Elles devraient être mises sur le même pied que les chemins de fer.

Pas d'observations aux chapitres XIV et XV.

XVI. Disposition de l'armée fédérale et commandement en chef. Du moment qu'on garde l'ancienne tradition de nommer le commandant en chef par l'Assemblée fédérale pour chaque cas particulier, il ne faudrait pas admettre des prescriptions qui rendent cette attribution illusoire ou fautive.

Les préparatifs de mise sur pied, l'appréciation de la plus ou moins grande nécessité de certaines mesures à ordonner et dans quel degré, sont aussi bien l'affaire du général, c'est-à-dire de l'homme en qui nous avons le plus de confiance, que de prendre, une fois tout cela fait sans lui, le commandement de deux divisions ou plus, qui seront peut-être très éparpillées et n'arriveront jamais à devoir livrer une bataille rangée. Pour décrire la situation telle qu'elle est, je dois revenir sur le § 238 qui porte: « Quand une grande mise sur pied est en perspective. C'est-à-dire que quand les circonstances deviennent difficiles, le Conseil prend assurément toutes les mesures qui lui paraissent nécessaires (comme cela s'est fait fort bien en 1870); de plus il convoque immédiatement les Chambres fédérales pour leur demander la prompte nomination d'un commandant en chef. A mon avis, cette nomination ne devrait pas être le dernier acte des mesures préparatoires de guerre, mais au contraire le premier autant que possible. Je ne puis admettre que le général soit étranger à l'appel d'un état-major d'armée plus ou moins nombreux, à la décision de mettre sur pied une ou deux divisions, ou peut-être de n'en appeler aucune. Ce serait bien plus rationnel que celui qui aura plus tard le commandement de ces forces militaires fùt muni aussitôt que possible de l'autorité nécessaire pour que ces forces répondent réellement aux besoins de la situation et pour requérir ce qui pourrait avantageusement les compléter ou les seconder.

Au reste il est à présumer que le Conseil fédéral appellerait aussitôt à ses côtés l'officier qu'il penserait proposer comme général; mais précisément alors il n'y aurait aucune nécessité de se tenir si longlemps derrière le rideau et d'ajourner la nomination effective. Il en

est de même pour le licenciement, qui n'a aucun besoin d'être lié à celui des troupes. Ce qu'il faut au contraire, c'est un commandant en chef qui, avec les aides convenables, veille continuellement aux événements et prenne les mesures qu'ils nécessitent, soit pour diminuer soit pour augmenter les forces sur pied. Je ne discuterai pas la question de savoir s'il est plus ou moins convenable que les levées soient ordonnées directement par le commandant en chef ou par le Conseil fédéral; je crois plus régulier le second mode, comme la loi le prescrit. Mais exécuter les levées et les licenciements est dans les attributions naturelles et indiscutables du commandant en chef. Ne serait-il pas mieux d'en charger, comme rouage intermédiaire, le Département militaire au lieu du Conseil fédéral? A cette occasion je proposerais que le chef du Département ou un délégué compétent se trouvât au quartier-général à la disposition et comme conseiller du commandant en chef.

D'après cela, on admettra qu'il est formellement injuste que le Conseil fédér I se procure, par le § 242, au détriment des attributions du général, des compensations sur les devoirs que l'article 102 de la constitution lui impose. Dans ces devoirs, il y a bien, chiffres 5, 8— 12, la nomination du général. Mais celui-ci devient le mandataire de l'Assemblée fédérale, et il ne peut plus être question d'instructions précises << ni de fixation des forces nécessaires» par le Conseil fédéral, pouvant lier le général comme subordonné.

Le § 241 désigne le chef d'état-major général comme le représentant naturel du général, jusqu'à ce qu'un autre général ait été nommé. Cela exigerait, me semble-t-il, que le chef d'état-major fût nommé aussi par l'Assemblée fédérale, comme jusqu'à présent. Si l'on ne maintient pas cet usage, il faudrait mettre dans la loi que le chef d'état-major est désigné « sur la proposition du général. » Si l'on ne veut pas cela, qu'on dise au moins que l'officier le plus ancien remplace le général, ou que le Conseil fédéral nomme un général intérimaire.

XVII. Fonctionnaires militaires. A l'art. 250 je ferai remarquer que le chiffre 1 donne au chef de l'infanterie des attributions qui sont aussi données en partie, par les §§ 72 et 73, au chef du bureau d'état-major. Il me paraîtrait mieux d'avoir en temps de paix un « chef de l'état-major » à qui incomberait tous les travaux préparatoires pour les mises sur pied. Le bureau d'état-major resterait dans son rôle actif actuel, et le chef d'infanterie aussi dans sa sphère, comme les chefs des autres armes. En comparant les prescriptions du projet sur les chefs d'infanterie et d'état-major et sur le commandement en chef si fort rétréci, je dois me représenter le futur chef d'infanterie au moins comme le chef d'état-major éventuel, et le futur général, en dehors de ces divers bureaux, à peu près comme un homme de paille? Est-ce ce qu'on veut? Je ne le crois pas.

Conclusion. Mon travail est devenu fort long et il pourrait en outre prêter à l'argument que je veux tout rediscuter pour tout ajourner, d'où l'on conclurait peut-être qu'il faut adopter le projet tel quel, pour sortir du provisoire. A cela je réponds que ce n'est pas ma faute si l'on a tant tardé à introduire dans notre militaire les améliorations désirables.

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