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la Cisalpine vient de faire d'une partie du Montefeltro, connue sous le nom de Poggio-di-Bene: il craint que la province entière et même la ville de Pesaro ne soient prochainement envahies. Comme le Premier Consul a déjà décidé que le Montefeltro, partie intégrante du duché d'Urbin, resterait au Saint-Siège, auquel le traité de Tolentino l'avait déjà laissé, j'écrirai au ministre extraordinaire à Milan' que l'occupation du pays de Poggio-diBene serait contraire à cette décision.

Dans une seconde note, le cardinal Consalvi réclame contre la charge imposée au Saint-Siège d'équiper à ses dépens une corvette d'Ancône pour l'Egypte, et de faire à l'armée française des fournitures qui vont à plus de soixante-dix mille écus par mois ; il rappelle qu'il a à délivrer tous les jours cinq mille rations de bouche et six cents de fourrages, outre la dépense des logements, des voitures et des transports. Il demande que, dans l'état de dénument où se trouve le Saint-Siège, la France en fasse cesser ou diminuer les charges. Je répondrai au cit. Cacault que la corvette demandée doit être expédiée d'Ancône. Quant aux dépenses relatives à l'entretien de l'armée, je crois devoir laisser au ministre de la Guerre le soin de présenter ses vues au Premier Consul, et je lui fais part des réclamations du cardinal Consalvi.

(Aff. étr., Rome, vol. 931).

530.

Rapport de Bernier au P. Consul.

Paris, 7 prairial an IX (27 mai 1801).

Vous m'avez ordonné de vous faire un rapport sur les moyens de rendre admissible le projet de convention et de bulle qui vous est adressé par le Saint-Siège. Je vais remplir ce devoir, aussi pressant qu'agréable pour moi, avec la même franchise que j'ai manifestée depuis le commencement de la négociation.

1 Talleyrand à Pétiet; Paris, 6 prairial (26 mai): « ... Le député cisalpin [Marescalchi] réclama dernièrement contre une mesure prise par le général Murat de rendre au Saint-Siège le Montefeltro. Comme le général Murat n'a fait que se conformer sur ce point au traité de Tolentino, qui, en enlevant à Rome les trois Légations, lui laissait tout le duché d'Urbin dont le Montefeltro fait partie, il n'y aurait pas lieu d'accueillir aujourd'hui cette réclamation de la Cisalpine .» — La lettre adressée à Pétiet était écrite avant que Talleyrand eût reçu la note de Consalvi (voir p. 33 note 3).

Vous avez jusqu'ici vaincu les peuples armés, et subjugué, par l'éclat de vos triomphes, les ennemis de votre gloire : en rendant à la France la religion qu'elle désire, vous surmonterez tous les obstacles, vous gagnerez tous les cœurs, et consommerez d'un seul trait l'obligation la plus grande et la plus utile en politique que votre génie ait pu concevoir. Le Directoire, souvent vainqueur au dehors, mais détesté dans l'intérieur par son intolérance, prépara lui-même sa propre destruction. Plus habile que lui, vous saurez, en triomphant au dehors, établir au dedans la félicité publique sur les bases immuables et sacrées de la religion. Les Français catholiques vous obéiront, parce que aux droits que vous donnent la victoire et l'élection du peuple, vous joindrez l'obligation la plus douce pour un cœur généreux et sensible, la reconnaissance.

Le projet qui vous est proposé me parait, quant au fond, absolument le même que celui que le ministre des relations extérieures avait approuvé 1. Tout se réduit à des changements de rédaction plus ou moins clairs, plus ou moins précis, mais qui constamment renferment le même sens sous une forme différente.

Laissons la cour de Rome employer les expressions et les phrases qui conviennent à son style ordinaire, pourvu qu'elles ne blessent pas la dignité du gouvernement et qu'elles rendent avec exactitude ce que nous désirons. Peut-être en exigeant l'expression littérale du projet approuvé par le gouvernement, paraitrionsnous dicter la loi avec trop d'ascendant. L'adhésion du Souverain Pontife paraitrait moins libre, et nous serions moins assurés de sa coopération sincère à l'exécution des mesures que vous adoptez, parce qu'en général tout traité, toute convention entre deux Puissances n'est permanente et durable, qu'autant que l'une et l'autre usent d'une condescendance mutuelle, et s'accordent sur le fond sans donner aux expressions un sens trop littéral.

D'après ces principes, dont la vérité vous frappera comme moi, j'ai cru devoir conserver, autant qu'il était possible, les expressions dont s'est servi le Saint-Siège. Nous prouverons par cette déférence combien le consentement qu'il donne à vos projets est.

1 Le projet V (pièce no 222. Cf. pièce no 267).

libre et spontané. Je me suis borné à retrancher les phrases qui paraissaient insignifiantes ou équivoques, ou qui ne pouvaient s'accorder avec vos intentions et l'état actuel du gouvernement. J'ai simplifié les expressions, sans supprimer celles qui paraissaient contenter le Pontife et ne nuisaient pas aux droits de la nation. Quand une satisfaction coûte si peu, il n'existe aucun motif pour la refuser, et mille raisons de convenance pour l'admettre. La Puissance avec laquelle on traite est d'autant plus liée, que l'on a paru condescendre davantage à ce qu'elle désirait. Tels sont les principes qui m'ont dirigé dans les corrections et les remarques que je vais vous présenter.

(Aff. étr., Rome, vol. 931).

531. Remarques et corrections proposées par Bernier sur le Contre-projet romain.

Paris, 7 prairial an IX (27 mai 1801).

Le premier article est diffus. Il contient d'ailleurs des expressions que la forme actuelle du gouvernement ne permet pas d'adopter. Il doit, d'après la constitution, proposer les lois; mais il ne peut prendre l'engagement formel de les annuler. Ce serait annoncer une influence sur le Corps-législatif, qu'il n'est ni politique ni vrai de supposer. Nous ne connaissons d'ailleurs de lois qui paraissent opposées au catholicisme, que celle du divorce; mais Justinien fut catholique, Joseph II l'était, et l'un et l'autre ont permis le divorce. On peut donc, même en rétablissant la religion, laisser subsister cette loi, que je suis loin d'approuver comme prêtre, mais dont la suppression, dans le moment actuel, ne serait pas politiquement utile.

Je propose donc la rédaction ci-contre comme définitive. Quelque longue qu'elle paraisse, elle ne contient que des mots qui offrent et qui expriment toujours la même idée; car toute religion consistant essentiellement dans des dogmes invariables, une discipline uniforme et un culte spécial, le gouvernement qui consent à la protéger, reconnaît par là même, en elle, ce triple privilège.

Il pourra se faire que l'envoyé de Rome insiste, d'après ses instructions, pour conserver la dernière clause. Je ne suis nullement

d'avis qu'on la lui accorde; mais si par condescendance on défère au désir du Saint-Siège, je proposerais de substituer à la clause omise, cette rédaction beaucoup plus tolérable : « Nonobstant tout acte antérieur qui paraîtrait contraire à ces dispositions. » Ce mot : « acte » est générique et désigne plus spécialement les décisions du gouvernement, qu'il peut changer à volonté. Vous pouvez d'ailleurs déclarer, même philosophiquement, que vous regardez comme non avenu, tout ce qui gêne ou entrave la liberté du culte adopté par la majorité des citoyens ; parce qu'il est dans l'essence du gouvernement représentatif de faire jouir cette majorité du culte qu'elle désire.

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Art. 1or. Le gouvernement de la République française, reconnaissant que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de la grande majorité des citoyens français, déclare, qu'animé des mêmes sentiments et professant cette même religion, il protégera la liberté et la publicité de son culte, la pureté de ses dogmes et l'exercice de sa discipline, nonobstant tout acte antérieur, s'il en existait de contraires à ces dispositions.

Le second article me paraît, pour plus grande clarté, devoir être rédigé de la manière ci-contre. La clause qu'il contient est sous-entendue de plein droit. On ne crée des évêchés que pour satisfaire aux besoins spirituels des fidèles. On eut donc pu rigoureusement la supprimer; mais elle satisfait une des parties contractantes sans inconvénient pour l'autre. Je propose de la

conserver.

Art. 2. Il sera fait par le Saint-Siège, de concert avec le gouvernement,une nouvelle circonscription des diocèses français. Leur nombre sera réduit, de telle manière néanmoins qu'il suffise aux besoins spirituels des fidèles.

La rédaction du troisième article n'est pas assez claire. Le mot latin «< significabit » est très expressif et très impératif. II ne doit pas se rendre par le mot français « témoignera. » Il faut quelque chose de plus. J'opine pour ce qui suit.

On demandera peut-être pourquoi, dans cette rédaction, il n'est pas question du mot seul technique, seul expressif « démission. » Je réponds que l'effet est le même, et que pour un évêque, l'obligation de toute espèce de sacrifices s'étend à celui de la vie

même; et que d'ailleurs, il est également conforme à la politique et aux libertés de l'église gallicane, de ne pas consacrer en faveur du Pontife de Rome, en des termes trop forts, un droit si redoutable. Obtenons du Pontife actuel ce que nous désirons, mais ne préparons pas à ses successeurs les moyens d'abuser d'un droit, qui ne lui est momentanément déféré que pour le bien de la paix.

Art. 3. Sa Sainteté déclarera à tous les évêques français qu'ils doivent faire toute espèce de sacrifices, pour le bien de la paix et l'unité de l'Église; qu'elle les attend d'eux avec la plus intime confiance; et, d'après cette exhortation, pour ne pas différer l'œuvre salutaire du rétablissement de la religion, elle pourvoiera de suite au gouvernement des évêchés de la circonscription nouvelle, conformément aux vues qu'elle s'est proposées et de la manière suivante.

Les articles 4, 5 et 6 me paraissent devoir être conservés tels qu'ils sont ici transcrits. Le Saint-Père n'a pas prétendu par cette clause « professant la religion catholique », supposer que le Premier Consul doit être constitutionnellement catholique, ce qui serait inadmissible; mais uniquement ne pas blesser les cours de Berlin et de Pétersbourg auxquelles Benoit XIV, quelque savant et tolérant qu'il fût, refusa le droit de nommer aux évêchés catholiques, parce que ces souverains ne professaient pas la religion catholique.

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Art. 4. Le Premier Consul Bonaparte, professant la religion catholique, nommera aux archevêchés et évêchés conservés en France, dans les premiers trois mois qui suivront la publication de la bulle de Sa Sainteté concernant la nouvelle circonscription; et Sa Sainteté donnera à ceux qui seront ainsi nommés l'institution canonique, dans les formes établies par le concordat entre Léon X et François Ier.

Art. 5. Les nominations aux évêchés qui viendront à vaquer, se feront également par le Premier Consul, et l'institution sera donnée par le Saint-Siège, en conformité de l'article précédent.

Art. 6. Les archevêques et les évêques, avant d'entrer en fonctions, prêteront directement entre les mains du Premier Consul le serment de fidélité.

La formule de serment insérée dans l'article 7, est textuellement celle que vous m'avez déclaré, en présence de Mgr Spina,

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