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trois tribunaux entre lesquels la loi établit la concurrence, savoir, ou le tribunal du lieu du délit, ou le tribunal de la résidence du prévenu, ou enfin le tribunal dans le ressort duquel le prévenu a été trouvé (1).

Il ne suffit pas de l'existence d'un crime ou d'un délit pour que le magistrat soit saisi de l'affaire | à laquelle ce crime ou ce délit doit donner lieu. C'est l'acte de juridiction qui saisit, ou pour mieux dire, c'est l'acte qui donne ouverture à l'exercice du droit de juridiction. Il faut distinguer la compétence du cas où le magistrat est saisi. Il suffit de la réalité du fait pour qu'il y ait compétence et de la compétence pour qu'il y ait aptitude à être saisi; mais pouvoir être saisi et l'être ne sont pas une même chose.

Si plusieurs tribunaux se trouvent saisis en même temps de l'instruction ou du jugement de la même affaire, qu'il en résulte un conflit, il peut y avoir lieu à règlement de juges, conformément aux règles déterminées par la loi (2).

S II.

Des devoirs des magistrats.

229. L'instruction criminelle et l'application des lois pénales sont, parmi les obligations imposées aux magistrats, celles qui exigent de leur part la réunion de plus de qualités. Dans le jugement des affaires civiles, il ne leur faut que de l'intégrité, une connaissance suffisante des lois, et un jugement sain pour en faire l'application aux espèces particulières : dans le jugement des affaires criminelles, outre ces qualités premières et indispensables, il leur faut encore et surtout aux présidents, le talent si nécessaire et si rare de bien diriger un débat sans le surcharger d'incidents inutiles, sans oublier rien de ce qui peut faire jaillir la vérité; il leur faut de plus cette fermeté d'âme qui ne permet point de transiger avec la justice, et qui, repoussant également les élans d'une fausse pitié et l'impulsion d'une sévérité excessive, n'éprouve, en frappant le crime, comme en acquittant l'innocence, d'autre sentiment que celui d'avoir fait son devoir.

Le magistrat doit se rappeler sans cesse qu'il n'est que l'organe de la loi; que c'est la loi, et

non pas lui, qui punit le coupable; que sa conscience et sa conviction doivent être ses seuls guides; que, mandataire du prince qui l'honora de sa confiance, il lui doit compte, et à la société tout entière, de l'impunité qu'il aurait injustement accordée, mais surtout du sang innocent qu'il aurait fait verser. Avant de solliciter ou d'accepter la magistrature dont il est revêtu, le citoyen intègre, le sujet fidèle, a dù en calculer l'étendue, en méditer les obligations; il a dû se pénétrer de cette vérité, que les fonctions publiques ne sont qu'un dépôt confié à celui que le monarque en décore; que ce dépôt doit être par lui remis intact, comme il l'a reçu; que c'est violer ce dépôt, c'est appeler, pour ainsi dire, sur sa tête toute l'infamie qui doit poursuivre le dépositaire infidèle, que de manquer sciemment à quelque partie du mandat que l'on promit d'exécuter.

Si, dans la loi civile ou criminelle celui que désigna le choix du prince pour en faire l'application, a remarqué des dispositions qui contrarient ses idées, ses principes, ses opinions, ses systèmes, qui soient en opposition avec son organisation physique ou morale, avec des habitudes qu'il ne se sent pas la force de surmonter, qui répugnent enfin à ses goûts et à son caractère, les règles de la simple probité lui défendent d'accepter une magistrature qu'il ne saurait exercer tout entière, et dans toutes les occasions, avec le dévouement d'un homme d'honneur. Qu'il ne croie pas pouvoir concilier ce qui lui est personnel avec les devoirs généraux de sa place, en projetant de s'abstenir et en s'abstenant en effet d'exercer ses fonctions dans les circonstances dont nous venons de parler: ce n'est pas pour juger telle ou telle espèce d'affaires, ce n'est pas pour appliquer telle ou telle loi, ce n'est pas pour prononcer telle ou telle peine, qu'il a été institué; c'est pour statuer sur toutes les affaires qui doivent lui être soumises, c'est pour exécuter et faire exécuter le Code tout entier (et dans ce mot on comprend l'universalité des lois existantes), c'est pour rendre à chacun la justice qui lui est due, que le prince lui a délégué une portion d'autorité. Le vrai magistrat, l'homme probe, ne connaît point de pareilles capitulations; ce qu'il a pris l'engagement de faire, il le fera dans tous les temps et dans tous les cas; ille fera, parce qu'il doit le faire. Son zèle et son dévouement lui feront

pétence relative et singulièrement l'incompétence, ratione loci (en ce que le prévenu a été traduit devant des juges qui ne sont pas ceux du lieu du délit ou ceux du domicile ou de l'arrestation du prévenu), étant d'ordre public, est proposable en tout état de cause, et conséquemment en appel, bien qu'elle n'ait pas été proposée en première instance.

On ne peut appliquer la règle admise en matière civile, d'après laquelle les incompétences relatives sont

couvertes par les défenses au fond ou l'acquiescement présumé des parties. (Cass., 13 mai 1826, S., 26, 416; Br., Cass., 30 juill. 1825; Jur, de B., 1825, 248.)

(1). les art. du Code crim. déjà cités, et nos, suprà, 1er et suiv.-L'instruction appartient au juge qui a décerné le premier mandat. (Cass., 9 jauv. 1812; D., 1, 100; S., 12, 245.)

(2) V. art. 525 et suiv., C. crim.; et, infrà, no 415.

connaître quand il devra se montrer sévère; l'honneur, dont la voix le dirige incessamment ne lui permettra jamais d'oublier qu'il doit être juste. Si la loi est impérative, il saura obéir sans examen : il n'est point le juge de la loi (1).

Si elle lui accorde la faculté de restreindre ou d'étendre le terme de la peine, il en usera dans l'intérêt de la justice; ce droit, il le sait, ne lui fut point conféré pour que l'usage en fût soumis à des considérations particulières.

Entre le juge faible et pusillanime et le juge prévaricateur, la distance est peu considérable elle sera franchie le jour ou un grand coupable fortement protégé, le jour où un innocent vivement poursuivi par des hommes puissants, se trouvera en présence de ce juge; disons plus, elle le fut le jour même où, jurant devant Dieu et devant les hommes de rendre à chacun la justice qui lui est due et de justifier ainsi la confiance du prince, de qui émane toute justice, le juge délégué pour remplir cet auguste ministère conçut et nourrit dans son âme la pensée odieuse de n'acquitter qu'une partie de cette promesse, et profana la religion du serment par des restrictions mentales.

SIII.

De l'indivisibilité des procédures.

L'indivisibilité du délit entraîne celle de la procédure; et c'est un principe constant et invariable, que tous les prévenus d'un même délit doivent être traduits devant un même

tribunal. (Ne continentia causæ dividatur.)

S'il en était autrement, les preuves du délit étant divisées et disséminées devant des tribunaux différents, le sort de la vindicte publique en serait à chaque instant compromis (2).

Ainsi, lorsque parmi les prévenus, les uns sont justiciables des tribunaux ordinaires et les autres de tribunaux d'exception ou d'attribution, tous doivent être renvoyés devant les tribunaux ordinaires (3); et si quelque circonstance particulière relative à l'un des prévenus obligeait à renvoyer, en ce qui le concerne, la connaissance du délit à un tribunal ordinaire d'un ordre supérieur à celui qui serait compétent suivant les règles générales de juridiction, tous les autres prévenus devraient également être traduits devant ce tribunal (4) : mais, quoiqu'il y ait indivisibilité dans l'instruction de la procédure et dans le jugement d'un délit, il ne s'ensuit pas qu'il y ait indivisibilité de peine; et lorsque, par exemple, sous l'empire du code précédent, la récidive, qui changeait la nature de la peine à l'égard de celui qui se trouvait dans ce cas, donnait lieu de faire juger par le tribunal correctionnel, une contravention de police, ou par la cour d'assises un délit correctionnel, le tribunal ne pouvait appliquer la peine plus grave résultant de la récidive qu'à celui qui se trouvait dans cette situation particulière (5).

SIV.

De la publicité des audiences (6).

La publicité des audiences est surtout im

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(1) « Là où la loi est précise, le juge la suit; là où elle ne l'est pas, il en cherche l'esprit. (Montesquieu, liv. VI, chap. 3.) Meminisse debent judices esse muneris sui jus dicere, non autem jus dure: leges, inquam, interpretari, non condere, (Bacon.)

(2) V. sur l'application de ce principe, Jousse, Comment. sur l'art. 1er, tit. Ier, no 5, et sur l'art. 25, til. II, no 1er, de l'ord. de 1670. V. aussi art. 27, tit. II de l'ord. du mois d'août 1737.

(3) V. loi du 22 mess. an IV, l'art. 555, C. crim., et art. 15 de la loi du 20 déc. 1815. V. aussi Cass.,14 août 1812, et une foule d'autres arrêts dans le même sens.V. infrà, no 443.

(4) V. Cass., 15 juin 1810 (D., 8, 286); Br., 20 mars 1832 (Jur. de B., 1852, 2, 26; J. du 19e s., 1832, 285.) - Cependant l'indivisibilité du délit n'entraîne pas tellement l'indivisibilité de la procédure que le juge ne puisse renvoyer à des débats ultérieurs, ceux des accusés dont l'instruction n'est pas complète, si la réunion de tous les accusés dans un même débat peut opérer des retardements nuisibles à l'action de la justice. Peu importe même que la cour soit saisie par un arrêt de renvoi portant que tous les accusés sont renvoyés devant elle, pour être jugés par un seul et même débat. (V. cass., 30 mai 1818; D., 27, 110; S., 18, 361.)

(5) V. même arrêt. Aujourd'hui, comme je l'ai fait remarquer au chapitre de la Récidive, no 459, cette circonstance ne fait plus un délit d'une contravention

de police, ni un crime d'un délit correctionnel; mais elle aggrave seulement la peine, et elle ne changeait la compétence qu'à l'égard des individus qui, ayant été condamnés à des peines afflictives ou infamantes, étaient justiciables de la cour spéciale ou prévôtale (pendant leur existence), au lieu de l'être de la cour d'assises, lorsqu'ils commettaient un nouveau crime.

(6) On a attaché une grande importance à la publicité des débats en matière criminelle, on la regarde généralement comme une des plus grandes garanties en faveur de l'accusé. Mais comment cette publicité a-t-elle lieu? L'usage s'est établi, depuis plusieurs années, de n'admettre dans le prétoire et dans la salle d'audience, en certaines occasions, que des personnes munies de billets, dont la distribution est exclusivement confiée aux magistrats et aux gens du roi, sans que l'accusé y ait aucune part. Cependant, la publicité étant toute dans son intérêt, je demande si le vœu de la loi est bien rempli en pareil cas, et je livre l'examen de cette importante question aux méditations des jurisconsultes et même des publicistes.

Rien ne s'oppose, sans doute, à ce que le président d'une cour et le ministère public prennent des mesures de concert pour prévenir le désordre et le trouble à l'audience; mais autre chose est de prendre des mesures de cette espèce, autre chose est de choisir, en quelque sorte, les spectateurs.

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portante en matière criminelle (1). Outre la garantie qu'elle offre aux accusés, on a eu raison de remarquer que le peuple, qui accourt aux jugements criminels comme à un spectacle, doit trouver dans ces jugements une espèce de supplément de la morale et une source d'instruction. Ainsi tous les tribunaux et toutes les cours, jugeant en matière criminelle, doivent procéder publiquement aux débats et prononcer le jugement en public (2): les juges peuvent néanmoins se retirer pour délibérer hors de la présence du public; et le vœu de la loi est rempli, pourvu que le résultat de leur délibération soit prononcé publiquement.

Toutefois cette règle générale de la publicité ne s'applique point aux tribunaux et aux cours qui ne s'occupent que de l'instruction: aussi les audiences des chambres du conseil des tribunaux de première instance et des chambres d'accusation des cours royales ne sont pas publiques et ne doivent pas l'ètre, puisque, jusqu'au moment où un tribunal de répression est saisi d'une affaire, la procédure doit rester secrète.

La règle générale de la publicité des audiences, en matière criminelle, peut admettre des exceptions aux termes de l'art. 64 de la Charte.

Les débats, suivant cet article, doivent être publics, en matière criminelle, à moins que cette publicité ne soit dangereuse pour l'ordre et les mœurs; et dans ce cas, la cour ou le tribunal doit le déclarer par un jugement (3).

La règle et l'exception sont applicables aux matières correctionnelles comme aux matières criminelles (4).

Le ministère public doit veiller à ce que, sous de vains ou de frivoles prétextes, on ne substitue pas la procédure à huis clos à la publicité, dont les effets sont si salutaires. En conséquence, le jugement doit toujours être motivé (5), et il doit en être donné connaissance au ministre de la justice, dont la surveillance générale préviendrait les abus qu'on pourrait faire d'une disposition très-sage (6).

Au reste, la faculté d'instruire la procédure à huis clos en matière criminelle et correctionnelle, lorsque l'ordre et le respect pour les mœurs rendent cette mesure indispensable, ne peut, en aucun cas, s'étendre au résumé que le président de la cour d'assises doit faire aux jurés (7) et encore moins autoriser les tribunaux à prononcer le jugement hors de la présence du public (8).

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il faut que l'arrêt énonce que la publicité des débats serait dangereuse pour les mœurs ou l'ordre public. (Cass., 9 sept, 1830; S., 31, 186.)

Lorsque, dans une affaire où les débats ont eu lieu à huis clos, l'arrêt porte fait et prononcé publiquement, il n'y a pas mention suffisante que tout ce qui a suivi les débats a été public. (Cass., 18 sept. 1823; D., 7, 428; S., 24, 103.-28 janv. 1825; S., 25, 278.)

Ainsi l'on peut dire en général qu'il y a présomption de non-publicité, lorsque le procès-verbal ne contient pas mention expresse que les débats ont eu lieu publiquement.

(2) La Cour de cassation, par arrêt du 17 mai 1810, a annulé l'arrêt d'une cour criminelle spéciale qui, dans une affaire de viol, avait lu l'acte d'accusation, entendu les témoins et fait le débat à huis clos, et n'avait fait ouvrir les portes que pour prononcer l'arrêt. En pareil cas, il n'y aurait plus aujourd'hui ouverture à cassa- Il y a mention suffisante qu'un arrêt a été rendu pution, si l'audience avait été rendue publique immédia-bliquement, lorsqu'il est dit que le rapport qui l'a prétement après la clôture des débats, pourvu que, conformément à la Charte, un arrêt préalable et motivé eût ordonné qu'il serait procédé ainsi.

(3) Const. Belge, art. 96. En matière de délits polititiques et de presse, le huis clos ne peut être prononcé qu'à l'unanimité.

(4) L'expression Matière criminelle de l'article 64 de la Charte, s'entend du grand et du petit criminel. (Cass., 9 juill. 1825; S., 25, 388.)

(5) La Charte n'a pas prescrit spécialement de motiver le jugement en cette circonstance; mais la nécessité de cette formalité est de droit.

(6) Cette obligation n'existe plus en Belgique. (7) Cass., 22 avril 1820. (D., 7, 427; S., 20, 296.) (8) Les débats seuls doivent être secrets; tout ce qui les suit, notamment le résumé du président, la déclaration du jury, etc., doit être public, à peine de nullité. (Cass., 12 déc. 1823; D., 16, 213 et 7, 430; S., 24, 181, 25, 278.)

Les arrêts rendus sur les incidents de l'instruction à huis clos doivent être prononcés publiquement. (Br., Cass., 12 août 1836; Bull. 1837, 102.) Le huis clos peut s'étendre à toute l'audience, sauf la prononciation de F'arrêt. (Br., Cass., 6 mars 1834; Bull., 1834, p. 205.)

La simple citation de l'art. de la Charte ne suffit pas,

LEGRAVEREND.— TOXE II.

cédé a été fait publiquement, et qu'il est ajouté: donné en séance de la cour royale. (Cass., 24, juill. 1822; D., 18, 234; S., 23, 152.)

Il n'y a pas mention suffisante de la publicité lorsqu'il est dit dans un jugement de simple police qu'il a été rendu au lieu ordinaire des audiences. (Cass., 23 et 30 oct. 1823 et 1er déc. 1827; D., 18, 255; S., 24, 130 et 252; 28, 198.)

Une cour d'assises n'est pas obligée d'entendre les observations de l'accusé pour ordonner que les débats seront tenus à huis clos; une telle mesure est entièrement abandonnée à la prudence des magistrats. (Cass., 14 sept. 1827; S., 28, 113.)

Lorsqu'il a été ordonné que les débats auraient lieu à huis clos, il n'est pas nécessaire, à peine de nullité, que l'arrêt qui refuse d'obtempérer à la demande de l'accusé, tendante à ce que l'audience cesse d'être secrète, soit rendu publiquement. (Cass., 29 avril 1826; S., 27, 68.)

La nécessité de porter certaines affaires en audience solennelle cesse au cas où le huis clos a été ordonné.

Le huis clos est une forme particulière dans le sens du décret du 30 mars 1808, qui exclut la solennité, puisque la publicité est un des éléments constitutifs des audiences solennelles. (Cass., 16 nov. 1825; S., 26, 435.)

S V.

De l'application des lois pénales.

Les tribunaux de répression ne doivent appliquer aux crimes, délits et contraventions reconnus constants, que les peines prononcées par la loi; il ne leur est pas permis de les appliquer par induction d'un cas prévu à un autre cas qui ne l'a pas été. « Il n'y a point de » citoyen contre qui l'on puisse interpréter » une loi, quand il s'agit de ses biens, de son >> honneur ou de sa vie (1). »

Non-seulement les tribunaux ne peuvent qu'appliquer les peines prononcées par la loi, mais encore, l'objet des lois criminelles n'étant que de s'assurer des coupables et de les punir, toutes rigueurs employées dans les arrestations et les détentions, autres que celles autorisées par les lois, sont des crimes envers l'humanité. La loi du 22 frimaire de l'an VIII en a fait une disposition expresse conforme à d'autres lois antérieures, et nous avons rappelé cette règle au chapitre de l'Arrestation.

§ VI.

De la non-rétroactivité des lois (2).

230. Si les tribunaux ne peuvent jamais appliquer des peines qu'à des faits déclarés crimes, ou délits, ou contraventions, par des lois antérieures, ils ne peuvent également appliquer que des peines précédemment décernées contre les faits qu'ils ont à réprimer.

« La loi ne dispose que pour l'avenir; elle n'a point d'effet rétroactif (art. 2, C. civ.). » Ce principe, consacré par le Code civil, est surtout applicable aux lois pénales.

Le Graverend, dans ses notes manuscrites, fait remarquer avec raison que la publicité est aussi un des éléments constitutifs des audiences ordinaires.

(1). Montesquieu, livre IV, ch. 3.

Ce principe, établi par Montesquieu, aurait dù sans doute être respecté au civil comme au criminel. Il y a pourtant été dérogé en matière civile par l'art. 4 du Code civil, qui va jusqu'à déclarer coupable de déni de justice le juge qui refuse de juger sous prétexte du silence de la loi ou de son obscurité. Il faut donc qu'il l'interprète, si elle est obscure, ce qui est contre l'ancienne règle : Ejus est legem interpretari cujus est condere. On peut donc aujourd'hui, en France, interpréter une loi contre le citoyen quand il s'agit de ses biens.

Il me semble que Le Graverend confond ici les deux espèces d'interprétations, l'interprétation doctrinale et l'interprétation législative; celle-ci est seule du domaine du législateur, l'autre a de tous temps appartenu aux tribunaux, et il est impossible de la leur refuser; car les lois, quelque étendues et quelque prévoyantes qu'elles soient, ne peuvent statuer pour toutes les espèces que font naître les rapports des hommes en société; il est donc indispensable que les juges arrivent

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L'avenir seul est du domaine du législateur; le passé ne lui appartient que pour lui offrir les fruits de l'expérience.

« Partout où la rétroactivité des lois serait admise, non-seulement la sûreté n'existerait plus, mais son ombre même serait détruite.

» La loi naturelle n'est limitée ni par le temps ni par les lieux, parce qu'elle est de tous les pays et de tous les siècles.

Mais les lois positives, qui sont l'ouvrage des hommes, n'existent pour nous que quand on les promulgue, et elles ne peuvent avoir d'effet que quand elle existent.

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» Les lois postérieures dérogent à celles qui les ont précédées, lorsqu'elles les rapportent, les modifient ou qu'elles contiennent des dispositions contraires et inconciliables; mais une loi générale ne déroge pas à une loi spéciale, lorsque la dérogation n'est pas formellement exprimée (5).

» La liberté civile consiste dans le droit de faire ce que la loi ne prohibe pas. On regarde comme permis tout ce qui n'est pas défendu (4).

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Que deviendrait donc la liberté civile, si le citoyen pouvait craindre de se voir, après coup, exposé au danger d'être recherché dans ses actions, ou troublé dans ses droits acquis, par une loi postérieure?

»Ne confondons pas les jugements avec les lois. Il est de la nature des jugements de régler le passé, parce qu'ils ne peuvent intervenir que sur des actions ouvertes, et sur des faits auxquels ils appliquent les lois existantes; mais le passé ne saurait être du domaine des lois nouvelles qui ne le régissaient pas.

Le pouvoir législatif est la toute-puissance humaine.

» La loi établit, conserve, change, modifie, perfectionne. Elle détruit ce qui est; elle crée

par voie d'induction et de conséquence à la solution des questions qui leur sont soumises. En matière criminelle, il faut que la loi soit tellement claire, que les intelligences les plus communes puissent en saisir le sens et la volonté. Quel juge oserait punir un accusé, lorsque celui-ci se défendrait en disant : Aucun texte ne prohibe formellement le fait dont je suis l'auteur; avant d'agir j'ai consulté la loi, et je suis resté convaincu que l'acte n'avait rien de répréhensible? — Ainsi, en matière criminelle, point d'interprétation même doctrinale. D'ailleurs tout procès criminel présente en droit cette question: Tel fait est-il punissable? à défaut d'une disposition expresse, le juge se décide pour la négative et le litige est terminé. Mais dans un procès civil, où deux parties réclament chacune un droit, dans le silence ou l'obscurité de la loi, le juge doit nécessairement décider par interprétation à qui le droit appartient: sans cela le procès resterait en suspens. - Duvergier.

-

(2) V. suprà, no 225, le no 13 des Dispositions fondamentales.

(3) Cass., 26 août 1816. (D., 12, 56; S., 17, 186.) — V. aussi 8 août 1822. (D., 7, 263; S., 23, 130.) (4) Permissum videtur id omne quod non reperitur prohibitum.

ce qui n'est pas encore. La tête d'un grand législateur est une espèce d'olympe, d'où partent ces idées vastes, ces conceptions heureuses qui président au bonheur des hommes et à la destinée des empires; mais le pouvoir de la loi ne peut s'étendre sur des choses qui ne sont plus, et qui par là même sont hors de tout pouvoir.

» L'homme, qui n'occupe qu'un point dans le temps comme dans l'espace, serait un être bien malheureux, s'il ne pouvait pas se croire en sûreté, même pour sa vie passée. Pour cette portion de son existence, n'a-t-il pas déjà porté tout le poids de sa destinée ? Le passé peut laisser des regrets; mais il termine toutes les incertitudes. Dans l'ordre de la nature, il n'y a d'incertain que l'avenir; et encore l'incertitude est alors adoucie par l'espérance, cette compagne fidèle de notre faiblesse. Ce serait empirer la triste condition de l'humanité, que de vouloir changer par le système de la législation le système de la nature, et de chercher, pour un temps qui n'est plus, à faire revivre nos craintes, sans pouvoir nous rendre nos espé

rances.

» Loin de nous l'idée de ces lois à deux faces qui, ayant sans cesse un œil sur le passé et l'autre sur l'avenir, dessécheraient la source de la confiance, et deviendraient un principe éternel d'injustice, de bouleversement et de désordres!....

» Pourquoi, dira-t-on, laisser impunis des abus qui existaient avant la loi que l'on promulgue pour les réprimer? Parce qu'il ne faut pas que le remède soit pire que le mal. Toute loi nait d'un abus ; il n'y aurait donc point de loi qui ne dût être rétroactive. Il ne faut point exiger que les hommes soient avant la loi ce qu'ils ne doivent devenir que par elle (1). »

Le fait qui, sous la législation précédente, n'était point rangé dans la classe des crimes, des délits ou des contraventions, et auquel la loi nouvelle a imprimé l'un de ces caractères, ne peut donc être puni et ne peut même donner lieu à aucune poursuite sous l'empire de cette loi, s'il a été commis avant qu'elle fût exécutoire, quand même la connaissance n'en aurait été acquise que postérieurement (2).

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claré punissable, sous l'empire de l'ancienne comme de la nouvelle législation, la peine qu'elle décerne, lorsque cette peine est plus sévère que l'ancienne, elle peut cependant avoir, en certains cas, de l'influence sur des faits antérieurs à sa promulgation.

Ainsi, par exemple, si un fait précédemment rangé dans la classe des crimes, des délits ou des contraventions, a cessé de faire partie de cette nomenclature, l'auteur de ce fait, qui n'aurait point encore été jugé et condamné définitivement avant la promulgation de la nouvelle loi, ne peut être condamné ni poursuivi depuis. Cette prohibition est fondée sur les règles imprescriptibles de la raison et de la justice. Il répugnerait, en effet, de voir prononcer une condamnation pour un fait que le législateur a reconnu n'être point préjudiciable à la société; de voir appliquer une peine à ce fait, quand des faits de même nature sont autorisés et tolérés par l'autorité publique, et de lire dans un jugement de condamnation rendu depuis la loi nouvelle, des articles d'une autre loi qu'elle a expressément ou implicitement abrogée, comme injuste et trop sévère.

Par une suite nécessaire de cette première proposition, si un fait n'a point cessé d'être considéré comme criminel ou répréhensible, mais que la loi nouvelle décerne en ce cas une peine moins sévère que l'ancienne, c'est la peine la plus douce qui doit être appliquée en cas de condamnation (3), quand même l'instruction aurait été complétée sous l'ancienne loi, pourvu que le jugement définitif n'eût pas été prononcé ; et c'est aussi d'après cette règle qu'on doit diriger les poursuites, si elles ne sont pas terminées.

En supposant donc que ce fait, réputé précédemment crime, ne fût plus passible que d'une peine correctionnelle, ce serait devant le tribunal correctionnel, et non devant une cour d'assises, que le prévenu devrait être traduit.

Enfin, si c'est au contraire la loi nouvelle qui contient des dispositions plus sévères que l'ancienne contre le fait qu'il s'agit de punir, ce sont les dispositions de l'ancienne qu'il faut appliquer en cas de condamnation (4).

Tout ce que nous venons de dire relativeMais si la loi pénale ne rétroagit point, dans ment à l'application de la loi la plus douce, en ce sens, que l'on ne peut ni punir d'après ses cas de condamnation, pour des faits qui se sont dispositions un fait qui n'était pas précédem- passés sous l'empire d'une loi, et qui sont jument punissable, ni appliquer à un fait dé-gés sous celui d'une autre, est fondé sur une

(1) V. le discours de M. Portalis, orateur du gouvernement, sur la publication, les effets et l'application des lois en général.

(2) L'adullère de la femme, par exemple, contre lequel le Code civil d'abord, et ensuite le Code pénal, ont décerné des peines, n'a pu être punî qu'autant que la preuve qui en était faite se rattachait à des faits postérieurs à la promulgation du Code civil.

La calomnie, avant le Code pénal actuel, n'était pas

considérée comme un délit; pour qu'elle puisse donner lieu à des poursuites, il faut que les faits de calomnie soient postérieurs au nouveau Code pénal.

(3) Cette règle a été consacrée par arrêt de la cour de Bruxelles du 15 avril 1836. (J. de B, 1836, p. 360.) V. la Thémis, t. VII, p. 323; Merlin, Rép.; vo Effet rétroactif, sect. 3, § 11; D., 18, 614.

(4). un avis du conseil d'État du 29 prair. an VIII, et Cass., 19 fév. 1813. (S., 17,328.)

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