Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE II.

DE L'ERREUR, DU DOL ET DE LA VIOLENCE EN FAIT DE DISPOSITIONS TESTAMENTAIRES.

Les vices qui suffisent pour faire annuler les contrats suffisent aussi pour faire annuler les testaments, qui doivent toujours émaner de la volonté libre du testateur. Ces vices sont : l'erreur, le dol et la violence.

1o Erreur sur la personne. L'erreur vicie les dispositions testamentaires quand elle est relative à la personne même du légataire; il en est de même lorsqu'elle porte sur une qualité supposée au légataire. Si ce dernier ne possède pas la qualité indiquée, l'intention du testateur ne sera pas accomplie. Le legs ainsi fait est un legs conditionnel, subordonné à l'existence de telle ou telle qualité.

2o Erreur sur le motif. La fausseté du motif qui avait déterminé le testateur à faire un legs ne vicie pas le testament. Ce principe est tiré du droit romain: Legato falsa causa adjecta non nocet (§ 31, Inst., De leg., II, 20). Ainsi je lègue 1000 fr. à une personne, parce qu'elle a géré mes affaires. Ce legs sera valable, quoique le motif soit faux car ici le motif n'est pas conditionnel, n'est pas déterminant. Ce fait, du reste, est très-difficile à apprécier; et s'il ne résulte pas clairement des termes mêmes du testament que le testateur a voulu faire dépendre sa disposition de l'existence de ce motif, le legs tournera au profit du légataire. Il est impossible, en effet, de connaître les intentions du testateur s'il ne les

a formellement mentionnées. Cependant il en serait autrement lorsque le testateur a énoncé la cause conditionnellement, comme dans cet exemple: je lègue 1000 fr. à Primus, si, pendant mon absence, il a pris soin de mes affaires. Dans ce cas, le legs est subordonné à une condition, et il est évident que, si le testateur avait connu la fausseté du motif, il n'aurait pas fait la disposition.

Il ne faut pas distinguer si la fausseté de la cause consiste dans une erreur de fait ou dans une erreur de droit. Car, quelle que soit l'erreur qui détermine ma volonté, qu'elle résulte de l'ignorance d'une loi ou de celle d'un fait, si cette ignorance est la cause déterminante du legs, ce legs sera nul.

§ 2. Du dol. Le dol consiste dans des manœuvres frauduleuses pratiquées contre le testateur pour l'induire en erreur et pour le détourner de faire une disposition conforme à sa volonté. Le dol produit ou entretient l'erreur: ce qui le caractérise essentiellement, c'est l'intention de tromper. Si donc l'erreur déterminante vicie le testament, a fortiori en est-il de même de l'erreur produite par les manoeuvres d'autrui. Il est donc évident qu'un testament fait dans de pareilles conditions ne peut être valable. Ce serait, du reste, une injustice que de favoriser, au détriment des héritiers, celui qui, par ses artifices, aurait extorqué les faveurs du testateur.

Il ne faut pas confondre le dol proprement dit avec la captation et la suggestion. On entend par captation le fait de celui qui, par certains moyens, parvient à

s'emparer de la volonté du testateur, à se le rendre favorable. Elle s'opère par des démonstrations d'amitié, des services, des prévenances et même par des présents. La captation ne vicie pas le testament, même si elle provient d'une personne qui n'avait que l'intention de s'attirer les libéralités du testateur, bien que dans ce cas le but ne soit pas trop moral. Le testateur, en effet, n'a pas été induit en erreur, on a captivé son attention, attiré sa bienveillance; mais ce ne sont pas là des actes capables de vicier les dispositions testamentaires. Il en est de même de la suggestion.

La suggestion (de suggerere, avertir, inspirer) est l'acte par lequel une personne emploie, à l'égard du testateur, des moyens de persuasion, pour le déterminer à faire des dispositions qu'il n'aurait peut-être pas mentionnées s'il avait été abandonné à lui-même. Chez les Romains, les hérédipètes la pratiquaient sur une haute échelle, ainsi que la captation. Bien que ces deux actes n'aient, par eux-mêmes, rien de vicieux, parce qu'ils ne détruisent pas la volonté du testateur, ils peuvent cependant entacher les dispositions qui en sont la conséquence, quand les moyens employés pour persuader sont accompagnés de pratiques artificieuses, c'est-àdire ont le dol pour fondement.

L'ordonnance de 1735 avait mentionné l'action en nullité pour cause de captation et de suggestion. De là une foule de procès; et la plupart des testaments se trouvaient attaqués. Les rédacteurs du projet avaient abrogé cette action dans un article qui portait que « la loi n'admet point la preuve que la disposition n'a

été faite que par haine, colère, suggestion ou captation.» Mais cet article fut supprimé, et les raisons en sont données par Bigot-Préameneu, dans l'exposé des motifs fait au Corps législatif. Voici ce que nous dit l'orateur du gouvernement: « Ceux qui ont entrepris de faire annuler des dispositions par de semblables motifs, n'ont presque jamais réussi à trouver des preuves suffisantes pour faire rejeter des titres positifs, et peutêtre vaudrait-il mieux, pour l'intérêt général, que cette source de procès ruineux et scandaleux fût tarie, en déclarant que ces causes de nullité ne seraient pas admises; mais alors la fraude et les passions auraient cru avoir dans la loi même un titre d'impunité. Les circonstances peuvent être telles que la volonté de celui qui a disposé n'ait pas été libre, ou qu'il ait entièrement été dominé par une passion injuste. C'est la sagesse des tribunaux qui pourra seule apprécier ces faits... » (Locré, V, XIV, no 10). Il résulte de là que la captation et la suggestion n'autorisent à demander la nullité d'un legs qu'autant qu'elles portent un caractère de dol et d'artifice (Bruxelles, 21 avril 1808).

3o De la violence. La violence, comme le dol et l'erreur, est une cause de nullité des dispositions testamentaires, le testament devant émaner de la volonté entièrement libre du testateur. Il y a violence, lorsqu'elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable (art. 1112). Peu importe que la contrainte soit physique ou morale, que je conduise de force la main du testateur, ou que je l'effraie par des menaces.

On doit prendre en considération le sexe, l'âge et

même l'état de santé du testateur. On peut, en effet, plus facilement impressionner une femme, un vieillard, une personne malade, qu'un homme dans la force de l'âge.

On exige, pour faire annuler un testament, des violences moins graves que pour faire annuler un contrat; il suffit que la contrainte exercée sur le testateur lui ait fait faire ce qu'il ne voulait pas.

Si le testament remontait à une époque longtemps antérieure à la mort du testateur, on devrait difficilement accueillir la demande en nullité. Car à partir de la confection du testament, le testateur était libre et pouvait par de nouvelles dispositions révoquer celles qu'il avait faites sous l'empire de la violence (Aubry et Rau, V, § 654).

CHAPITRE III.

DES CONDITIONS AUXQUELLES LE TESTATEUR SOUMET SES DISPOSITIONS.

Dans toute disposition entre-vifs ou testamentaire, les conditions impossibles, celles qui seront contraires aux lois ou aux mœurs, seront réputées non écrites (art. 900). Le testateur peut soumettre sa libéralité à telles conditions qu'il lui plaît, et le légataire est obligé de les accomplir. Mais si l'accomplissement en est impossible, la loi les considère comme non écrites, et le légataire profitera de la libéralité comme si la disposition était pure et simple. Il en est autrement des contrats à titre onéreux. Toute condition d'une chose impossible,

« PreviousContinue »