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CHAPITRE 11

L'ORGANISATION DU RÉGIME

1. LA DICTATURE DU PRÉSIDENT. -II. LA CONSTITUTION DE 1852 ET LES DÉCRETS D'ORGANISATION. III. LE RÉGIME ÉLECTORAL ET LA CANDIDATURE OFFICIELLE.

IV. LE NOUVEAU RÉGIME DE LA PRESSE. - V. LA MISE EN VIGUEUR DU RÉGIME.
VI. L'OPPOSITION ET LA RÉPRESSION. VII. LA CAMPAGNE POUR LA RESTAURATION DE
L'EMPIRE. VIII. LE PLÉBICISTE DE 1852 ET LA PROCLAMATION de l'EmpIRE.

LA DICTATURE.

CHANGEMENTS d'emblèmes.

L

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OUIS-NAPOLÉON, devenu par le plébiscite Président de la République pour dix ans, resta la scule autorité légale jusqu'à la mise en vigueur de la Constitution qu'il avait reçu mission de rédiger son pouvoir, provisoire et illimité, fut appelé dès ce temps <«< dictature légale » depuis la proclamation du plébiscite (31 déc.), << dictature constitutionnelle » depuis la promulgation de la Constitution (24 janv.). A défaut d'assemblée légiférante, furent prises par simple décret, les mesures législatives, le budget de 1852, la conversion du 3 0/0 en 4 1/2, un emprunt, une concession de chemin de fer. Le gouvernement laissa subsister le nom de République, mais en supprimant les symboles du régime. Le 1er janvier 1852, le Président, appelé désormais « le Prince Président » et « Monseigneur », assista à une messe à Notre-Dame où l'on chanta, après le Salvam fac Rempublicam, un Salvum fac Ludovicum Napoleonem, et un décret ordonna de mettre sur les drapeaux l'aigle, emblème impérial. Le 6 janvier, les préfets reçurent ordre de faire disparaître la devise républicaine, Liberté, Égalité, Fraternité : « Comme on n'a vu paraître ces trois mots qu'à des époques de troubles et de guerre civile, leur inscription grossière sur nos édifices publics attriste et inquiète les passants. » On abattit les arbres de liberté restés debout. Le 24, le Président donnait un bal

1. SOURCES ET TRAVAUX. - Voir la bibliographie du livre III et du chap. 1.

aux Tuileries, résidence officielle des rois; Hübner y remarqua « un grand nombre de fort jolies jeunes femmes en toilettes élégantes, beaucoup d'uniformes militaires..., bien plus que de fracs noirs, et pas de garde nationale ». Le 16 février, un décret interdit de célébrer l'anniversaire de la République, parce que « la célébration des anniversaires politiques rappelle le souvenir des discordes civiles », et ordonna de célébrer le 15 août, anniversaire de Napoléon Ier.

LES JOURNAUX.

On voulut enlever aux opposants tout centre de ralliement et tout MESURES CONTRE moyen de manifestation. Morny avait ordonné (4 déc.) de « suspendre tout journal dont la polémique pourrait porter atteinte à la tranquillité », et écrit aux préfets (6 déc.): « Aucun journal ne pourra paraître sans mon autorisation. » Tout article devait avoir reçu le visa de l'autorité.

Un décret (29 décembre) exigea pour ouvrir un débit de boissons une autorisation du préfet révocable à volonté; une circulaire du 2 janvier expliqua aux préfets l'usage à faire de ce pouvoir: « N'accordez l'autorisation qu'après un examen minutieux et à des individus dont les antécédents... vous seront suffisamment garantis.... Les cafés que l'on transformera en clubs ou foyers de propagande politique devront être impitoyablement fermés. » Cette police des débits de boissons allait habituer les Français à voir dans la limitation de la vente de l'alcool, non une mesure d'hygiène, mais un procédé de compression politique. Les gardes nationales furent «< dissoutes dans toute l'étendue du territoire » par un décret (11 janvier) dont les considérants condamnaient le régime établi par la République :

La garde nationale doit être, non une garantie contre le pouvoir, mais une garantie contre le désordre et l'insurrection. Les principes appliqués à l'organisation de la garde nationale à la suite de nos différentes révolutions, en armant indistinctement tout le monde, n'ont été qu'une préparation à la guerre civile. »

On n'osa pas abolir officiellement l'institution, le service restait obligatoire pour « tous les Français de 25 à 50 ans jugés aptes à ce service par le conseil de recensement » nommé par le sous-préfet; mais la garde nationale était «< placée sous l'autorité » des maires et des préfets. Il était défendu aux gardes nationaux de prendre les armes ou de se rassembler, « avec ou sans uniforme », sans un ordre des chefs immédiats, donné seulement sur réquisition de l'autorité civile. Les gardes nationales devraient être « réorganisées suivant que les circonstances l'exigeraient », et seulement « dans les localités où leur concours serait jugé nécessaire pour la défense de l'ordre public », c'està-dire là où il plairait au gouvernement. En fait, la garde nationale ne fut rétablie dans aucune ville de province, elle ne reparut que pendant la guerre de 1870.

Les sociétés coopératives, toujours soupçonnées de servir à grouper

LES DÉBITS DE
BOISSONS.

LA GARDE NATIONALE.

LES SOCIETES.

LES RÉUNIONS.

LES BIENS

DE LA FAMILLE
D'ORLÉANS.

CONFISCATION.

EFFET SUR

L'OPINION.

les républicains, furent dissoutes presque toutes (de 229, il n'en resta que 15). Le général Castellane, qui gouvernait Lyon en état de siège, déclara dissoutes toutes les «< associations fraternelles »; les contrevenants seraient << poursuivis comme faisant partie d'une société secrète ». Un décret (25 mars) supprima définitivement tous les clubs politiques, interdits depuis 1849 par des lois provisoires, et rétablit le régime antérieur à 1848, qui défendait toute association et toute réunion publique à moins d'une autorisation du gouvernement. On ne voulait même plus de réunions électorales. Morny prescrivit aux préfets (21 janvier) de dissuader même « les partisans du gouvernement d'organiser des comités d'élection ». Cet usage français « n'avait aucun avantage» avec le scrutin uninominal, et risquerait de créer « des apparences de droits acquis qui ne feraient que gêner les populations ».

Après avoir frappé les républicains, le Président voulut atteindre les orléanistes. Les princes d'Orléans exilés conservaient en France de grands domaines provenant de la donation faite par Louis-Philippe à son avènement. Le 22 janvier un décret, invoquant les précédents de 1816 et 1832, et la nécessité de «< diminuer l'influence que donne à la famille d'Orléans la possession de 300 millions d'immeubles », interdit aux princes d'Orléans, à leurs femmes et à leurs enfants de posséder aucun bien en France, et fixa un délai d'un an pour vendre ceux qu'ils possédaient. Un autre décret, «< sans vouloir porter atteinte au droit de propriété dans les personnes des princes d'Orléans », déclara nulle la donation de 1830 faite en fraude des droits de l'État (les propriétés personnelles du souverain à son avènement devant être réunies au domaine de la couronne). Les biens provenant de la donation seraient << restitués au domaine de l'État », et vendus pour servir à des réformes démocratiques : « 10 millions aux sociétés de secours mutuels, 10 à l'amélioration du logement des ouvriers, 10 à l'établissement des institutions de crédit, 5 à une caisse de retraites au profit des desservants les plus pauvres >>.

Ces mesures, qui donnaient l'impression d'une confiscation politique faite par rancune personnelle, émurent l'opinion beaucoup plus que l'arrestation de 26 000 républicains, tenue secrète ou déguisée en mesure de salut public. « La confiscation, écrivait Hübner, a dans la haute société et le monde parlementaire déchaîné une véritable tempête. » Le seul parlementaire rallié au coup d'État, Montalembert, « se sépara de Louis-Napoléon avec éclat », en donnant sa démission de membre de la Commission consultative. Dans les salons de Paris on répéta un mot attribué à Dupin : « C'est le premier vol de l'aigle. » Le tribunal de la Seine se déclara compétent pour juger de la validité de la donation de 1830; le gouvernement dut prendre un arrêté de conflit pour

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