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(E.)

RAPPORT à l'empereur, par le ministre de la police générale, sur les tentatives des royalistes dans l'intérieur. Du 7 mai 1815.

«Sire, au moment où Votre Majesté a repris les rênes de l'Etat, la France n'avait pour échapper à l'anarchie d'autre ressource que celle de sa propre énergie.

» Abandonné à des transfuges que les préjugés, les vengeances et les passions dominaient, le gouvernement n'était plus un moyen de protection nationale, mais l'instrument d'une faction.

» On voulait remuer les cendres du camp de Jalès et de la Vendée, rallier les débris de l'insurrection de la Bretagne et de la Normandie, comprimer le peuple par la terreur, et le ramener par la violence à la barbarie des siècles féodaux.

Tout se dirigeait vers l'accomplissement de ce projet. Le trésor se dissipait en récompenses pour des dévouemens criminels, et des services que la patrie ne connaissait pas ou qu'elle désavouait; les emplois, les pensions, les honneurs étaient prodigués à des individus obscurs, chargés de la haine publique, flétris dans l'opinion, tandis que des écrivains, des ministres mêmes de la religion alarmaient les consciences timides, ébranlaient le système des propriétés, et attaquaient les lois que le chef de l'Eglise leur avait fait un devoir de réspecter.

» Cette violation de l'ordre social, ce mépris de la morale commune, cet oubli des principes de la politique la plus simple devaient amener un soulèvement général: il était imminent; il allait entraîner la perte des hommes imprudens et présomptueux qui le provoquaient. Ils vous doivent encore une fois leur salut.

»Je ne rappellerai point ces prodigieux effets de l'assentiment du peuple et de l'armée; toute la population de l'Est se pressant sur vos pas; toutes les tentatives de guerre civile échouées dans l'Ouest et dans le Midi; la milice royale dissoute, désarmée, dissipée sans résistance, et, dans l'espace de quelques jours, le peuple réintégré dans ses droits, ses ennemis réduits au silence, le calme partout rétabli.

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Cependant il n'était pas naturel de penser que tous les germes de discorde fussent entièrement détruits; que tant de gens pussent voir leurs espérances s'évanouir sans conserver quelques regrets; que les privilégiés dont la royauté s'était entourée pussent supporter le licenciement sans murmures; que des hommes liés depuis un an par des enrôlemens

secrets, excités au désordre des distributions et par des promesses d'argent, reprissent tout à coup les habitudes d'une vie paisible, et qu'enfin ceux qui avaient déjà violé la foi de plusieurs amnisties se montrassent aujourd'hui moins ingrats ou plus fidèles.

» Les événemens ont justifié cette prévoyance.

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Considérée sous un point de vue général, la France présente un imposant spectacle, et les dispositions les plus favorables. Elle veut la paix, mais ne sacrifiera pas sa gloire et son indépendance: comme en 1792, elle veut jouir de la liberté civile et des avantages du régime représentatif; mais, éclairée par l'expérience, elle sent que cette jouissance ne peut lui être garantie que par un gouvernement puissant et ferme : comme en 1792, elle est intérieurement agitée par un parti qui n'a rien perdu de ses prétentions, mais qui n'a plus ni lainême force ni la même influence; qui se plaint sans cesse des rigueurs dont il fut l'objet, mais qui doit se rappeler qu'il les provoqua par ses intrigues, ses résistances et ses fureurs.

» D'où sont nées en effet ces lois terribles qui frappèrent les émigrés, les insurgés et leurs familles ? N'est-ce pas de la nécessité où se trouvèrent nos Assemblées nationales de punir des attentats, d'arrêter des complots, de rompre des correspondances contre lesquelles les lois ordinaires étaient insuffisantes?

» Les leçons du passé semblent perdues. Les hommes à qui vous vouliez rendre une patrie, qui vous doivent l'état polítique et le repos qui leur ont été assurés; ces hommes, Sire, que Votre Majesté a, pendant les douze premières années de son règne, tâché de réconcilier avec la nation, semblent avoir voulu se séparer d'elle, et renoncer à vos bienfaits.

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» Jusqu'ici la police de votre Empire s'est bornée à observer leurs démarches dans plusieurs endroits; elle a dû les garantir des ressentimens populaires. La police, instituée pour le bien de tous, ne connaît ni les haines locales, ni les fautes que le prince a oubliées; destinée à réprimer les atteintes portées à l'ordre social, elle n'en viole pas les principes en prenant ses craintes pour des soupçons, et ses soupçons pour des faits.

» Ainsi elle n'a point prématurément attenté à la liberté individuelle de ceux qu'elle devait présumer en état de conspiration contre la liberté publique. Loin de restreindre l'indépendance des écrivains, elle a rappelé dans la carrière polémique ceux que la honte et la crainte en avaient éloignés. Elle a retiré de cette modération et de son respect pour les lois l'immense avantage d'éclairer la nation sur ses véritables dangers et ses véritables intérêts; d'affaiblir par la publicité l'im

portance que le mensonge et la calomnie obtiennent du mystère et de la clandestinité; de connaître les foyers, les ressorts, les agens des intrigues, et les laisser se tramer et se développer sans la gêne d'une surveillance sensible.

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Toutefois il est temps de mettre un terme aux manœuvres qui se pratiquent. Les émigrations commencent; les correspondances s'établissent à l'extérieur; elles se débitent et circulent au dedans ; des comités se forment dans les villes ; on cherche à répandre des inquiétudes dans les campagnes.

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Si, lorsque de semblables symptômes se manifestèrent pour la première fois en France, on eût arrêté le mal dans son principe; si, au lieu de se borner à des menaces et de suivre les conseils d'une indulgence temporatrice, l'autorité eût déployé toute la puissance dont elle est investie, la patrie n'aurait pas été entraînée sur le bord de l'abîme; on n'aurait pas à déplorer les mesures de violence auxquelles les gouvernemens d'alors furent contraints d'avoir recours, et que la gravité des circonstances peut à peine justifier.

» Au reste, des désordres paraissent le résultat des mancuvres qu'on observe.

» Dans une commune du département du Gard quelques individus attroupés ont un instant arboré le drapeau blanc. Quelques bandes armées ont paru dans les départemens de Maine-et-Loire et de la Loire-Inférieure.

Des femmes, dans le Calvados, ont déchiré le drapeau tricolor d'une commune.

» Des cris séditieux se sont fait entendre, quelques actes de rébellion ont eu lieu dans le département du Nord.

» Dans celui des Côtes-du-Nord un maire a été massacré par deux anciens chouans.

». Ces délits répandent l'alarme dans les lieux où ils se commettent. Je sais qu'ils se rattachent aux efforts qu'on a faits depuis un an pour réveiller les haines révolutionnaires, et rétablir la guerre civile. Ils ne dépendent point exclusivement du changement politique qui vient de s'opérer sans obstacles; ils ne menacent pas la sûreté de l'Etat ; ils ne caractérisent pas même un parti subsistant et formé.

» Certes ceux qui attaquent les propriétés et se livrent à des assassinats, ceux qui rompent tous les liens qui les attachent à la France, et la dévouent au fer des étrangers et aux discordes de l'intérieur, ces hommes n'ont rien de Français ; ils peuvent suivre les opinions, seconder les vœux de quelques complices, mais ils n'ont point de partisans. Tous les gens de biens, tous les amis de l'ordre et de la paix, quelles que soient leurs vues politiques, tous détestent l'atrocité de pareils actes;

tous sont intéressés à ce que ces désordres ne se propagent pas, et désirent qu'ils soient réprimés avec une sévérité capable d'en arrêter le cours.

» Je ne propose point à Votre Majesté de prendre des mesures extraordinaires, ou d'excéder les bornes du pouvoir

constitutionnel.

» Il y a quelques mois que les tribunaux ont puni de la déportation et de quatre ans d'exil les cris de vive l'empereur. Ĉeux de vive le roi restent aujourd'hui sans poursuites, ou ne sont punis que par voie de simple police: cette modération est le signe de la puissance. Mais les tribunaux ne peuvent, sur d'autres points, rester indécis et incertains sans manquer à leurs devoirs, et sans détruire le concert d'intentions qui anime le peuple et le gouvernement.

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Déjà dans plusieurs communes de la France des acquéreurs de domaines nationaux, dont rien ne menace la tranquillité, ont présenté des soldats armés à leurs frais pour la sûreté de tous.

» La jeunesse bretonne, pour la défense du trône et de la patrie, a renouvelé le pacte fédératif de Pontivy. Ce généreux dévouement ne peut rester sans éloges, sans imitateurs et sans appui.

» Partout les gardes nationales s'organisent.

» Il n'est donc plus besoin, pour assurer l'ordre intérieur, que de rappeler les lois existantes, d'en déterminer l'application, et d'en faire connaître les dispositions pénales.

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» Tel est l'objet du projet de décret que j'ai l'honneur de soumettre à Votre Majesté. Signé le duc d'OTRANTE. » (Adopté en ces termes :)

» NAPOLÉON, etc.

« Au palais de l'Elysée, le 9 mai 1815.

» Art. 1er. Tous les Français, autres que ceux compris dans l'article 2 de notre décret du 25 mars dernier, qui se trouvent hors de France, au service ou auprès soit de LouisStanislas-Xavier, comte de Lille, soit des princes de sa maison, sont tenus de rentrer en France, et de justifier de leur retour dans le délai d'un mois, conformément aux articles 7, 8 et 9 de notre décret du 6 avril 1809, à peine d'être poursuivis aux termes dudit décret.

» 2. Les officiers de police judiciaire, y compris les préfets et les maires, remettront à nos procureurs généraux et impériaux l'état des noms, prénoms, qualités et demeures des individus domiciliés dans leur ressort qu'ils croiront susceptibles de l'application de l'article précédent.

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» 3. Nous enjoignons à nos procureurs généraux et impériaux de poursuivre sans délai les auteurs et complices de toute relation et correspondance qui aurait lieu de l'intérieur de l'Empire avec le comte de Lille, les princes de sa maison ou leurs agens, lorsque lesdites relations ou correspondances auraient pour objet les complots ou manoeuvres spécifiées dans l'article 77 du Code pénal.

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4. Toute personne convaincue d'avoir enlevé le drapeau tricolor, placé sur le clocher d'une église ou tout autre monument public, sera punie conformément à l'article 237 du Code pénal.

» 5. Les communes qui ne se seront point opposées à l'enlèvement du drapeau tricolor, fait par attroupement public, seront poursuivies en exécution de la loi du Lo vendémiaire an IV, relative à la responsabilité des communes.

» 6. Toute personne convaincue d'avoir porté un signe de ralliement, autre que la cocarde nationale, sera punie d'une année d'emprisonnement, conformément à l'article 9 de la loi du 27 germinal an IV, sans préjudice des peines portées par l'article 91 du Code pénal, dans les cas prévus par cet article. Les préfets feront réimprimer le chapitre Ier du titre Ier, livre III, du Code pénal.

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» Il en sera de même des § 2 et 3 de la section III des même titre et livre. »

(F.)- RAPPORT fait à l'empereur par le duc d'Otrante, ministre de la police générale de l'Empire, le 12 juin 1815. - (Communiqué à la Chambre des Représentans le 17 du même mois.)

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Sire, Votre Majesté m'a chargé de lui faire connaître la situation de l'Empire sous les rapports de l'ordre et de la sûreté publique c'est d'après cette connaissance que les Chambres pourront apprécier les mesures que le gouvernement a prises, et délibérer sur celles que la crise actuelle rend nécessaires.

» Tandis que Votre Majesté marche à la tête des armées françaises pour repousser les forces étrangères, elle a le droit d'attendre de l'énergie et de la fidélité des représentans de la nation les moyens légaux d'arrêter ou de punir les entreprises des ennemis intérieurs.

La très grande majorité des départemens de l'Empire présente un aspect satisfaisant; ceux mêmes qui sont égarés seront bientôt ramenés dans le devoir. Des mesures fermes

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