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et sages doivent dissiper l'erreur et faire renaître la confiance. Mais, Sire, je dois vous dire la vérité tout entière.

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» Nos ennemis ont de l'activité, de l'audace, des instrumens au dehors, des appuis au dedans. Ils n'attendent que moment favorable pour réaliser le plan conçu depuis vingt ans, et depuis vingt ans déjoué, d'unir le camp de Jalès à la Vendée, et d'entraîner une partie de la population française dans cette conspiration, qui s'étend de la Manche à la Médi

terranée.

» Dans ce plan les campagnes de la rive gauche de la Loire, dont la population est plus facile à égarer, sont le perpétuel foyer de l'insurrection qui doit, à l'aide des bandes errantes de la Bretagne, se propager jusqu'en Normandie, où le voisinage des îles et les dispositions de la côte rendent les communications plus faciles. L'insurrection s'appuie d'un autre côté sur les Cévènes, pour s'étendre jusqu'aux rives du Rhône par les révoltes qu'on peut exciter dans quelques parties du Languedoc et de la Provence. Bordeaux est depuis l'origine le centre de direction de ces mouvemens.

» Ce plan n'a pas été abandonné : il y a plus, le parti s'est grossi, à chaque période de nos révolutions, de tous les mécontens que les événemens produisaient, de tous les factieux encouragés dans leurs projets par la certitude de l'amnistie, de tous les ambitieux qui désiraient acquérir quelque importance politique dans les changemens qu'on présageait; de sorte que, si l'on considère aujourd'hui les élémens hétérogènes dont ce parti se compose, si l'on observe la diversité d'opinions, de vues et d'intérêts qu'il renferme, on ne peut le qualifier de royaliste qu'en ce sens qu'il est l'ennemi du gouvernement, car il n'a point de but fixe et déterminé dans ses intentions ultérieures, et par conséquent point de caractère uniforme et général.

>> C'est ce parti qui trouble maintenant la tranquillité intérieure ; c'est lui qui agite Marseille, Toulouse et Bordeaux : Marseille, où l'esprit de sédition anime jusqu'aux dernières classes de la population, où les lois ont été méconnues; Toulouse, qui semble encore sous l'influence de l'organisation révolutionnaire qui lui fut donnée il y a quelques mois; Bordeaux, où se réunissent et fermentent avec intensité tous les germes de révolte; Bordeaux, où la patrie trouva jadis de si nombreux défenseurs, où la liberté excita de si généreux sacrifices et de si nobles dévouemens; Bordeaux, qui recèle maintenant des prédicateurs de la guerre civile !

» C'est ce parti qui, par de fausses alarmes, de fausses espérances, des distributions d'argent et l'emploi des menaces,

est parvenu à soulever les paisibles cultivateurs dans tout le territoire enclavé entre la Loire, la Vendée, l'Océan et le Thouet. On y a débarqué des armes, des munitions de guerre. D'anciens noms, des hommes nouveaux, paraissent sur ce sanglant théâtre; l'hydre de la rébellion renaît, se reproduit partout où il exerça jadis ses ravages, et n'est point abattu par nos succès d'Esnay, de. Saint-Gilles et de Palluau. De l'autre côté de la Loire, des bandes désolent le département du Morbihan, quelques parties d'Ille-et-Villaine, des Côtes-du-Nord et de la Sarthe elles ont un moment envahi les villes d'Aurai, de Rhedon, de Ploërmel, les campagnes de la Mayenne jusqu'aux portes de Laval; elles arrêtent les marins et les militaires rappelés; elles désarment les propriétaires, se grossissent des paysans qu'elles font marcher de force, pillent les caisses publiques, anéantissent les instrumens de l'administration, menacent les fonctionnaires, s'emparent des diligences, saisissent les courriers, et ont intercepté un instant les communications du Mans à Angers, d'Angers à Nantes, de Nantes à Rennes, de Rennes à Vannes.

» Sur les bords de la Manche, Dieppe, le Hâvre ont été agités par des mouvemens séditieux. Dans toute la quinzième division les bataillons de milice nationale n'ont été formés qu'avec la plus grande difficulté; des marins et des militaires ont refusé de répondre aux appels, et n'ont obéi qu'aux moyens de contrainte. On oppose aux mesures que les circonstances exigent une résistance coupable, ou une force d'inertie plus dangereuse et plus difficile à vaincre que la résistance ouverte. Caen a été troublé deux fois par des réactions royalistes; et dans quelques arrondissemens de l'Orne des bandes se forment comme en Bretagne et dans la Mayenne.

>> Enfin, tous les écrits qui peuvent décourager les hommes faibles, enhardir les factieux, ébranler la confiance, diviser la nation, jeter la déconsidération sur son gouvernement; tous les pamphlets qui sortent des presses de la Belgique ou des imprimeries clandestines de France, tout ce que les journaux étrangers publient contre nous, tout ce que les écrivains du parti composent se distribue, se colporte, se répand impunément par le défaut de lois répressives, et par les abus de la liberté de la presse.

» Inébranlable dans le système de modération qu'elle avait adopté, Votre Majesté crut devoir attendre la convocation des Chambres, pour n'opposer que des précautions légales aux entreprises que notre législation ordinaire ne punit pas toujours, et qu'elle ne pouvait ni prévoir ni prévenir.

» Ce n'est pas qu'en remontant à des époques antérieures à votre avénement il n'eût été facile de trouver des lois nées dans des circonstances analogues, et qu'une politique moins sage et moins éclairée que la vôtre eût pu croire applicables aux circonstances où nous nous trouvons maintenant.

» Saisir les biens, poursuivre les familles des coupables qu'on ne peut atteindre, frapper en masse, proscrire des classes sous des dénominations vagues, punir la qualité plutôt que le crime des individus, sont des mesures usées, qui, aujourd'hui que l'expérience en a fait sentir l'inutilité, n'ont pas même la puissance de la menace.

» Les temps d'ailleurs sont changés, et si les dangers qui nous environnent sont les mêmes en apparence, ils ont toutefois une cause différente; ils sont d'une autre nature, et l'opinion publique les juge d'une autre manière.

» Dans tous les cas, Votre Majesté m'a ordonné de veiller à ce que les citoyens paisibles ne pussent être inquiétés : l'autorité n'a rien à demander à celui qui obéit à la loi.

» La révolution française n'eut point son origine dans l'excès de la tyrannie : le gouvernement qui l'a provoquée n'a pas su en tirer avantage; il n'avait que de l'orgueil et de la faiblesse. Elle ne fut point le résultat du fanatisme de quelques sectes religieuses, de l'ambition de quelques grands seigneurs, ou des complots de quelques conspirateurs obscurs; elle fut le fruit lent et préparé des lumières; elle fut entreprise dans des vues de justice et d'ordre, jusqu'à l'instant où les fureurs d'une opposition insensée obligerent ses fondateurs à mettre leur ouvrage sous la garde de la multitude. Alors le but fut manqué; la révolution dévia de ses principes aucune force humaine n'était capable d'arrêter ce torrent. Il fut de la sagesse d'en suivre et d'en adoucir la marche; et, quelque sévère que soit le jugement que les contemporains ont porté sur cette époque de notre histoire, la postérité pensera peutêtre que les hommes qui contribuèrent alors à soutenir l'honneur français, à défendre l'indépendance nationale, à sauver la liberté publique de l'abîme où la fureur des partis et la tyrannie des factions allaient l'entraîner; la postérité, dis-je, pensera que ces hommes ne manquèrent ni de courage, ni des vertus qu'exige l'amour de la patrie.

» Tout était excusable alors, parce que tout se faisait par le peuple même; tout s'excusait par l'état d'anarchie et l'impossibilité de résister à l'impétuosité du plus grand nombre.Mais aujourd'hui les opinions et les vœux du peuple ne sont plus formés par ses passions; l'opinion de l'universalité des citoyens se forme sur celle des gens calmes et éclairés de la France et de l'Eu

rope; aucune classe de la sociéténe rêve aux chimères politiques qu'on poursuivait dans les temps d'exaltation et d'erreur : dans les rangs mêmes du parti qui s'agite on ne trouve plus les préjugés et le fanatisme qui soutenaient les premières rébellions; c'est la liberté, c'est la jouissance paisible de tous ses droits que réclame l'immense majorité des Français. On ne s'arrête plus à de simples abstractions; on veut une liberté positive et pratique, fondée sur les lois usuelles, et surtout garantie par l'opinion et la loyauté du gouvernement. Aucune des mesures employées jadis par l'anarchie contre l'anarchie ne peut donc convenir.

>> D'ailleurs l'empereur ne veut pas renouveler l'effroi des mesures révolutionnaires: Sa Majesté n'a pas même voulu généraliser l'emploi de l'autorité militaire; elle l'a assujétie au pouvoir civil, qui se trouve en majorité dans les commissions de haute police. Cela doit être ainsi, sauf des exceptions rares, car partout où le pouvoir militaire est en première ligne il n'y a plus de seconde ligne.

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Le général de l'armée de la Loire a seul reçu des pouvoirs extraordinaires pour les pays en insurrection, parce qu'il faut opposer la guerre à la guerre.

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Cependant, dans la situation actuelle des choses, nous avons besoin de nouvelles règles, d'une législation nouvelle : chez tous les peuples il y a un code particulier pour les temps de crise; la liberté individuelle ne peut être la même dans toutes les situations de l'Etat. Il est essentiel de se pénétrer de cette vérité tout danger de l'Etat oblige de circonscrire la liberté individuelle; tout cas d'agression intérieure et de troubles civils force chaque citoyen à faire le sacrifice momentané d'une partie de sa sûreté personnelle, afin que le gouvernement ait le moyen de garantir la sûreté générale.

» La puissance législative est alors réduite à cette alternative il faut qu'elle livre l'Etat à l'anarchie, en laissant la révolte sans frein, ou bien que, pour trouver des moyens possibles de répression, elle rende chaque citoyen un peu plus accessible à l'atteinte de la force publique. Il ne s'agit pas pour cela de lui retirer le bénéfice du pacte social, ni de l'abandonner à sa faiblesse individuelle vis à vis de l'autorité autant vaudrait-il établir la tyrannie; mais il s'agit de quelques sacrifices qui deviennent légitimes parce que la loi les ordonne, qu'elle seule en détermine l'étendue, et qu'elle veille avec soin à ce que les limites n'en soient jamais dépassées.

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» Les principes qui dictent ces exceptions sont aussi purs que les principes mêmes de la liberté. Dans les temps ordinaires le danger pourrait venir de l'autorité; c'est pour cela

que la réaction et la vigilance se tournent contre elle. Le danger vient-il de troubles intérieurs, il faut aider l'autorité, loin de la combattre ; il faut l'aider à écarter toutes les matières inflammables qui augmenteraient l'incendie.

» Il n'y a point d'état libre qui dans des temps semblables n'ait été obligé de modifier plus ou moins la liberté individuelle de ses citoyens. Combien de fois l'Angleterre n'a-t-elle pas suspendu l'Habeas corpus, même pour une simple guerre étrangère ! Heureux les états pour lesquels ces modifications ont été d'une courte durée ! D'un autre côté, plus on veut que la plénitude de la liberté soit absolue pour un peuple, plus il faut admettre facilement des exceptions pour les cas extraordinaires ; sans quoi on restreindrait la liberté, quand on en pose les bases par la nécessité de prévoir les fâcheuses exceptions. Les principes n'en sont pas moins sauvés, puisque les exceptions ne peuvent émaner que de la puissance législative; qu'elles tirent uniquement leur sanction de la loi, et qu'elles sont réglées de manière que l'autorité ne puisse les employer qu'au maintien de l'ordre.

» Les difficultés roulent sur trois points, l'emprisonnement, le délai fixé pour dénoncer le prévenu aux tribunaux, et le jugement d'accusation.

» Pendant les troubles civils, surtout s'ils coïncident avec une guerre étrangère, les atteintes portées à la sûreté de l'Etat multiplient les emprisonnemens. Une foule d'individus, s'ils ne sont pas déjà dans les rangs des rebelles, sont prêts à s'y jeter; d'autres, unis d'intérêts avec les ennemis extérieurs ou avec les révoltés, les aident de tous leurs moyens ou leur créent des partisans, genre d'embauchage dans lequel la trahison est devenue très habile. On imprime, on débite, on fait circuler des écrits pernicieux. On ne peut laisser impunies ces coupables manœuvres; il faut surtout se hâter d'en arrêter le cours.

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S'agit-il de les dénoncer aux tribunaux? Il ne suffit plus de n'avoir fait les arrestations que sur les indices les plus graves on a bien la certitude d'avoir découvert de mauvais citoyens, mais on n'a pas pour cela l'évidence de leur culpabilité sous le rapport des lois qui devraient les atteindre ; on viole la loi si l'on retient plus longtemps les accusés, mais, si on les relâche, on recrute la guerre civile.

» La mise en accusation offre un autre embarras. La trahison a mille nuances; elle peut faire beaucoup de mal, même en se dérobant à la possibilité d'une accusation légale. On aura conduit en vain le coupable jusque sous le glaive qui devait le frapper; il faudra l'absoudre, parce que nos codes n'ont

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