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pas encore prévu tous les cas de félonie; et, quand de pareils débats auront montré jusqu'où la trahison peut se porter avec impunité, qu'aura-t-on fait de plus que d'enhardir les traîtres, en leur traçant une route qu'ils peuvent parcourir sans danger? En Angleterre, toutes les fois qu'il y a des soupçons graves, et que l'on relâche les prévenus, on en exige une caution convenable : la loi de l'Habeas corpus est favorable à l'ac ́cusé; mais elle n'offre pas une moindre garantie à la société.

» La liberté de la presse, que les Anglais n'ont obtenue qu'après tant de débats, a précédé nos nouvelles institutions: elle aurait suffi pour les faire naître, et tant qu'elle subsistera rien ne pourrait les ébranler.

La liberté de la presse réalise le concours de toutes les lumières pour arriver à celui de toutes les volontés; elle offre une manière de voter sur les affaires publiques; elle permet du moins à chaque citoyen de donner son suffrage, et c'est ainsi que se forment lentement ces délibérations du peuple qui finissent par devenir l'esprit public des nations. La liberté de la presse est encore le seul moyen de suppléer à l'imperfection des lois, parce qu'elle porte un regard pénétrant sur toutes les fautes que les lois ne pourraient atteindre. Tout semble attaqué par elle; mais, quand elle est bien dirigée, elle attaque pour conserver et pour garantir; et même, dans ses plus grands écarts, elle se sert à elle-même de contre-poids.

» Notre législation sur ce point est cependant encore imparfaite; on n'a pas encore déterminé bien positivement les délits que la liberté de la presse peut commettre. Il en est de cette liberté comme de tous nos autres droits; on peut faire un mauvais usage de la faculté d'écrire comme de la faculté d'agir; et en toutes choses, quelque grand que soit l'espace que l'on veut mettre hors de l'atteinte des lois, on ne peut le rendre tout à fait limité sans aller au delà de la portée de l'homme et du cercle des lois sociales.

» Tous les peuples ont eu des lois sévères contre les libelles. La loi des Douze-Tables les punissait de mort. Il n'y a point de crime qu'on ne puisse ou commettre ou provoquer par des écrits; il est donc facile de sentir que la différence de l'instrument ne peut changer tellement la nature des choses qu'elle fournisse une excuse aux coupables. Dans aucun pays on n'a pris plus de soin qu'en Angleterre de réprimer les abus de la presse: on dirait que, dans la crainte que ce droit si précieux" ne se détruisît par lui-même, elle a redoublé de rigueur pour la garantie de ses propres excès: un emprisonnement prolongé et les amendes les plus fortes répriment en Angleterre la licence de la presse.

.I. 2o Série.

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» Les écrits qui provoquent à la sédition n'y sont pas traités différemment des actes séditieux; les écrits y sont regardés comme la preuve complète des mauvaises intentions, comme une preuve encore plus évidente que les paroles; et, d'après le principe qu'écrire c'est agir, on y prend le crime non dans le contenu d'un ouvrage, mais dans l'acte volontaire de l'avoir

écrit.

» On est bien plus sévère encore contre les écrits où le prince est attaqué. Ces écrits sont presque toujours punis comme des actes de haute trahison, et, dans les cas les moins graves, comme des actes de félonie.

» Il est important que la puissance législative s'occupe de cette branche de nos lois; la licence de la presse est à son comble. Le seul caractère de la liberté de la presse, c'est qu'aucun obstacle n'arrête la publication d'aucun écrit; mais c'est précisément parce que l'auteur a usé de son droit qu'il est tenu de répondre du dommage qu'il a causé, ou des délits dont il s'est rendu coupable.

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D'après cet exposé, les Chambres peuvent reconnaître que, dans la partie de l'Empire où l'on remarque le plus d'agitation, les départemens où l'insurrection a éclaté, ceux où se forment des bandes armées sont dans le cas de recevoir l'application de l'article 66 de l'Acte additionnel; mais il sera nécessaire d'expliquer quels seront les effets de cette application relativement au cours ordinaire de la justice et à l'autorité administrative. La loi du 10 juillet 1791 ne peut concerner que les places de guerre. Certainement des mesures énergiques sont nécessaires; il est nécessaire de déployer de grandes forces; mais l'énergie n'est pas l'exagération, et la force ne consiste pas dans l'inutile violation des principes. Il est toujours dangereux d'affaiblir dans l'opinion l'horreur que doit inspirer la guerre civile, en faisant considérer les hommes qui la fomentent comme des persécutés qui s'arment pour leur sécurité personnelle ou la défense de leurs propriétés.

» En considérant que la masse des habitans des pays insurgés veut et désire la paix, que d'autres ont été égarés par des suggestions mensongères, les Chambres croiront sans doute convenable de laisser la porte ouverte au repentir, et d'offrir le pardon en ne frappant que l'obstination criminelle.

»Dans les parties où se trouvent institués les comités et les commissions de haute-police, les Chambres jugeront sans doute qu'on ne pourrait supprimer ces établissemens temporaires sans assigner par une loi des peines aux prédications séditieuses, aux diverses tentatives d'embauchage, aux projets constatés d'émigration, aux propos incendiaires, aux accla

mations factieuses; sans autoriser des mesures particulières à l'égard des hommes adroits et dangereux dont les précautions, . lors même qu'elles sont impuissantes pour voiler leur conduite, suffisent pour les mettre à l'abri des poursuites judiciaires : alors elles auront à déterminer quelle autorité conservera le droit d'arrêter, et demeurera responsable des arrestations jugées indispensables.

"En effet, je dois l'avouer, la liberté personnelle n'a pas été jusquèici suffisamment mise hors des atteintes que diverses autorités se croient en droit d'y porter. Il en résulte une inquiétude générale, un mécontentement secret, un affaiblissement réel et progressif du pouvoir; car le pouvoir ne commande pas toujours l'obéissance : l'obéissance est au contraire la mesure et la limite du pouvoir; elle résulte, chez les peuples civilisés, de l'assentiment des citoyens.

» Il est urgent, Sire, que les Chambres veuillent bien s'occuper des lois que les circonstances exigent, et sur lesquelles je viens de fixer votre attention.

» Toutefois, en attendant que la puissance législative ait prononcé, je n'ai que deux règles à suivre. Je me conformerai aux lois, et si je trouve une circonstance où un devoir impérieux m'oblige à m'en écarter, je recourrai à un remède dont les lois anglaises nous donnent l'exemple, et que les Chambres ajouteront sans doute à notre législation comme un moyen sans lequel il serait impossible de gouverner. Je serai prêt à déclarer par quels motifs j'aurai excédé les bornes de mon pouvoir dans les actes de mon ministère envers les citoyens, et la nation entière jugera si je n'ai pas dû m'exposer à toutes les chances de la responsabilité ministérielle plutôt que de compromettre le salut de l'Etat. »

S. III.

- Diplomatie. - Défaite de Murat.

SOMMAIRE HISTORIQUE.

Un mouvement insurrectionnel, et tout national, était inévitable en France quand Napoléon reparut; il le précipita, et tant d'intérêts, tant de souvenirs s'attachaient à sa personne, qu'il devait infailliblement se le rendre favorable. Dans le même temps la division allait éclater entre les puissances réunies en Congrès à Vienne : le partage des hommes et des arpens n'avait pas satisfait toutes les prétentions; une convention secrète liait la France, l'Angleterre et l'Autriche contre la Russie et la Prusse : quelques mois plus tard, Napoléon eût retrouvé

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des alliés. Mais alors son retour produisit un tout autre effet sur le point d'être hostiles, les ambitions se rapprochèrent; elles aperçurent un but commun d'assouvissement et de nouvelles vengeances. La circonstance donnait un prétexte au vœu, toujours nourri par quelques cabinets, de morceler encore la France. D'abord on résolut hautement la、 perte de Napoléon, et avec d'autant plus d'unanimité qu'elle avait été proposée et discutée, comme une mesure de haute prévoyance, alors qu'on pouvait croire le héros pacifique dans sa petite souveraineté de l'île d'Elbe les moyens prenaient en ce moment une apparence légitime, et surtout plus honorable.

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Cependant, après cette décision commune des puissances, l'Autriche laissa paraître quelques velléités en faveur de Napoléon II, qui eût ramené Marie-Louise sur le trône impérial, et laissé à la maison de Lorraine une grande influence sur la politique française. Les ministres de Louis XVIII au Congrès, Talleyrand surtout, firent abandonner ce projet, si menaçant pour la cause de leur maître : ils objectèrent que, contre le vœu formel des puissances, Napoléon serait pour ainsi dire maintenu sur le trône; son esprit et son système peseraient toujours sur l'Europe; en couronnant le fils, consommerait-on le sacrifice indispensable du père?... Jusque là Napoléon avait pu croire qu'on lui rendrait sa femme et son fils; il avait écrit plusieurs fois, il écrivit encore à Vienne : toute correspondance fut interdite. Néanmoins le cabinet autrichien conservait une espérance secrète dans cette déclaration insidieuse que les puissances, en réunissant leurs efforts contre Bonaparte, n'entendaient pas imposer à la France un gouvernement quelconque; déclaration proposée par l'Angleterre, et qui eut non seulement pour objet d'entraîner l'Autriche, mais encore de diviser la France en nourrissant dans son sein un parti contre Bonaparte et contre les Bourbons.

Le sort des armes donne seul de la consistance aux actes équivoques de la diplomatie. La coalition remporta en Italie un premier succès qui décida du sort de l'Europe.

La France et l'Espagne, quelque temps avant le retour de Napoléon, s'étaient concertécs pour faire remonter l'ancien roi de Naples sur le trône : des troupes françaises allaient se mettre en marche. L'Autriche, reconnaissante encore de la trahison de Murat en 1814 (voyez tome xx), s'opposa à cette ligue des trois maisons de Bourbon contre les nouvelles dynasties. De son côté Murat, voulant prévenir ses ennemis, s'apprêtait à pousser une armée sur le territoire français. La cour de Vienne lui déclara qu'elle s'opposerait également au passage de ses troupes. Napoléon, prêt à quitter l'île d'Elbe, apprend ces dispositions, et reconnaît combien elles lui sont favorables. Il écrit à Murat de mettre son état militaire sur un pied formidable, mais d'attendre un signal pour agir de concert. « Enfin, lui répond

» Murat, le moment de réparer mes torts envers Votre Majesté, et » de lui prouver mon dévouement, est arrivé ! Je ne le laisserai point » échapper.» Mais en même temps, toujours dominé par les sentimens d'orgueil et de jalousie qui l'avaient entraîné en 1814, il s'écrie devant sa cour: « L'empereur ne trouvera aucun obstacle; la nation française » tout entière volera sous ses drapeaux. Si je tarde à me porter sur le » Pô, si j'attends le mois de juillet, les armées françaises auront » rétabli le royaume d'Italie, et ressaisi la couronne de fer. C'est à » moi à proclamer l'indépendance de l'Italie! » Et dès le 22 mars il passe le Rubicon, traverse la Romagne, inonde de ses troupes les états de Rome et la Toscane; il appelle les Italiens à la liberté, et veut les protéger dans leur régénération... Il ne prononce pas une seule fois le nom de Napoléon : il avait beaucoup trop compté sur le sien ; la majorité des habitans resta immobile. Murat eut des succès prompts et faciles. Mais bientôt, compromis entre des flottes anglaises et des colonnes autrichiennes, c'est en vain qu'il déploie, plus étonnante que jamais, sa brillante bravoure comme soldat; il est combattu à outrance, défait dans plusieurs batailles, et poursuivi jusque dans ses états, où le menace encore la fureur d'une populace qui n'est redoutable qu'aux vaincus. Les alliés entrent triomphans à Naples le 12 mai, et proclament l'ancienne dynastie.

Je n'ai pas pu mourir, avait dit Murat à sa femme, aussi indignée de le revoir qu'elle l'avait été de sa conduite envers Napoléon. La fortune, en lui refusant la mort des héros, semble avoir voulu lui faire expier sa double défection dans le mois d'octobre suivant une tentative désespérée l'ayant ramené en Italic, il fut pris, et immédiatement fusillé, en vertu d'un jugement militaire rendu au nom de Ferdinand, roi de Naples restauré.

L'agression inopinée de Murat avait porté les alliés à croire qu'elle était commandée par Napoléon, tandis que ce dernier avait donné des instructions tout à fait contraires. Le courage de la crainte leur donna la victoire, et la victoire éloigna de leur esprit toute idée de conciliation. Aussi Napoléon a-t-il dit : « Deux fois en proie aux plus » étranges vertiges, le roi de Naples fut deux fois la cause de nos » malheurs; en 1814 en se déclarant contre la France, et en 1815 » en se déclarant contre l'Autriche. »

RAPPORT fait à l'empereur Napoléon par le duc de Vicence (Caulaincourt), ministre des affaires étrangères. Du 12 avril 1815.

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Sire, si la prudence m'impose le devoir de ne point offrir indiscrètement à Votre Majesté un fantôme de dangers chimériques, c'est pour moi une obligation non moins sacrée de

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