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dans la substance d'un acte auquel la paix de Paris n'a pu laisser qu'un caractère défensif, les élémens d'une alliance agressive.

» J'ai l'honneur de mettre sous les yeux de Votre Majesté cette convention du 25 mars accompagnée de quelques observations sur ce qu'il y a de plus choquant et de plus contradictoire dans les stipulations dont elle se compose, et dans les motifs allégués pour les justifier. La substance de tous ces motifs est une grande affectation d'inquiétude pour l'avenir; et, de ces craintes pour l'avenir, on tire l'induction qu'il faut agiter la génération actuelle; on déguise l'attaque sous le voile de la défense; on cache le glaive sous le bouclier.

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» Si nous sommes autorisés à croire qu'il est quelques cabinets que le chagrin de la présomption déçue retient dans la fausse route où ils ont engagé leurs souverains, il en est un sur lequel n'agissent point ces causes secondaires, et dont un sentiment profond dirige constamment toutes les démarches ce cabinet est celui de Londres. Sa politique invariable n'ayant qu'un but, l'abaissement de la grandeur française, ce que le gouvernement britannique voulait la veille il le veut le lendemain, et dès qu'il voit une chance à nous susciter des ennemis on dirait qu'il aurait peur de trahir ses devoirs s'il négligeait d'en profiter. Dès le premier moment il a été facile d'apercevoir que les résolutions du ministère anglais étaient fixes et fermement arrêtées : la réponse de lord Castlereagh à la lettre que je lui avais adressée le 4 avril ne pouvait laisser aucun doute à cet égard. En faisant communiquer cette lettre aux souverains assemblés à Vienne, le ministère anglais semblait faire dépendre sa décision de celle des alliés ; mais en effet c'était son influence qui donnait le mouvement aux puissances continentales. Renvoyer nos propositions à Vienne, c'était les soumettre à un tribunal dont toutes les voix étaient à ses ordres ; c'était demander le calme là où il formait lui-même les orages, et aller chercher la paix au milieu des élémens de la guerre.

» Dans le même temps que le gouvernement britannique faisait une insignifiante réponse à la notification dont j'avais été l'organe, il s'occupait avec activité de ses propres préparatifs et des moyens d'accélérer ceux des autres puissances. Dans les premiers jours d'avril, sans déclarer si la question. de la guerre ou de la paix était déjà décidée, il faisait adopter toutes les mesures que la certitude de la guerre aurait pu exiger il obtenait le rétablissement de l'Income-Tax, dont

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le cri public avait nécessité la suppression; il ouvrait des emprunts, et prenait avec les puissances des arrangemens sur les secours pécuniaires qu'il aurait à leur fournir. Le 8 avril ses intentions, qu'il avait jusque là couvertes d'une sorte de dissimulation, se manifestèrent sans réserve; il déclara aux Chambres que le prince régent avait ratifié le traité du 25 mars, et que des pouvoirs étaient envoyés aux plénipotentiaires britanniques pour signer des traités de subsides.

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» A l'époque du 25 mars on avait pu, à Vienne, regarder comme possible le maintien de la famille des Bourbons sur le trône. La rédaction du traité, telle qu'elle était conçue, avait ainsi un double objet l'un de protection en faveur de cette famille; l'autre d'opposition à l'égard de Votre Majesté. L'état de la question étant changé pour le gouvernement anglais, il jugea qu'il était temps de simplifier le but de la guerre; il modifia en conséquence le traité par l'addition d'un article explicatif, portant que l'Angleterre n'entendait pas poursuivre la guerre uniquement dans l'intention d'imposer à la France un gouvernement particulier. Plusieurs motifs sans doute ont pu déterminer le ministère à cette modification; mais le premier de ces motifs est de présenter à la France la personne de Votre Majesté comme séparée de la cause du peuple français. L'Europe sait dès longtemps de quel genre d'intérêt les Bourbons ont à remercier l'Angleterre. Aujourd'hui cette puis-. sance renonce à un déguisement inutile, lorsqu'elle trouve dans ce changement une arme de plus contre Votre Majesté : que lui importe en effet la maison par laquelle la France sera gouvernée, pourvu que cette maison consente à se placer dans sa dépendance! C'est l'honneur de la France, ce sont ses libertés, ses intérêts, ses droits, que le gouvernement anglais attaque et veut atteindre. Si l'article explicatif pouvait être entendu dans un autre sens, s'il pouvait être regardé comme un gage véritable des égards de la cour de Londres pour l'indépendance des peuples, de quel droit cette cour viendrait-elle se placer entre le peuple français et son souverain?

» Ce plan d'attaque, imaginé par le ministère britannique, a paru aux cabinets des autres puissances une inven tion capable de soulever la nation française contre Votre Majesté dans cette idée l'article explicatif est devenu pour elles un dogme commun, ou du moins une profession de foi commune. A les entendre, elles ne prétendent en aucune manière gêner la France dans le choix de son gouI. 2o Série.

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vernement, et, pour gage de leur sincérité, elles nous en offrent la déclaration solennelle, revêtue même de la signature des plénipotentiaires de Louis XVIII! Elles semblent croire que l'artificieuse distinction qu'elles établissent entre Votre Majesté et la nation française est un de ces traits acérés dont les blessures sont sans remède. C'est cette insignifiante subtilité, ce sophisme banal qui fait maintenant le fond de tous les discours du ministère britannique, le fond de tous les actes du Congrès et de tous les actes particuliers des diverses cours. Votre Majesté le retrouvera dans plusieurs pièces que j'ai l'honneur de lui soumettre,

savoir:

» 1° Une lettre du vicomte Clancarty au vicomte Castlereagh, datée de Vienne le 6 mai;

» 2o Une note de M. de Metternich datée du 9; » Et 3° une nouvelle déclaration des puissances en date du 12 du même mois.

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» La lettre du vicomte Clancarty à lord Castlereagh, dont il est ici question, doit son origine à l'une des démarches que j'ai encore tentées auprès des divers_gouvernemens, malgré le peu de succès des premières. Toute relation étant suspendue avec l'Allemagne, et nos courriers se trouvant arrêtés aux frontières, Votre Majesté, plus occupée du véritable intérêt des peuples qu'attentive aux procédés inusités des princes, m'a permis d'essayer d'autres voies pour ouvrir des rapports avec les ministres des affaires étrangères de plusieurs souverains. Une nouvelle lettre que j'ai adressée le 16 avril au prince de Metternich a été arrêtée à Lintz, envoyée à Vienne, et communiquée par le cabinet autrichien aux ministres des autres puissances. Je joins ici cette lettre, dans laquelle, fidele interprète des sentimens de Votre Majesté, j'exprimais avec un entier abandon tous les vœux de son âme pour le maintien de la paix et pour le retour de S. M. l'impératrice et du prince impérial. C'est sur cette nouvelle tentative de ma part que roule la dépêche adressée par lord Clancarty à son gouvernement. Dans cette dépêche, comme dans tout ce qui est sorti récemment des cabinets alliés, on ne retrouve encore, à travers de longues circonlocutions, que ces vaines allégations déjà tant de fois répétées, et qui ont pour unique but d'établir que les droits et l'indépendance des peuples sont compromis par le fait seul du retour de Votre Majesté. Quels sont donc les monarques irréprochables qui montrent aujourd'hui tant de sollicitude pour les droits et l'indépendance des peuples, lorsque ces droits sacrés n'ont à redouter aucune atteinte?

»Ne sont-ce pas les mêmes princes qui, après avoir appelé toutes les nations aux armes, sous le prétexte de les délivrer du joug de la France, les ont accablées du poids d'une domination plus odieuse que celle qu'ils avaient prétendu détruire?

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» Ne sont-ce pas les mêmes princes qui, au 31 mars, lorsqu'il existait encore une armée nationale, tendirent un piége à la nation française par la promesse de respecter en elle le droit de se donner une Constitution, pour lui imposer un gouvernement sous lequel, au lieu de cette Constitution, elle n'eut que la Charte qu'il plût à ce gouvernement de lui octroyer?

»Ne sont-ce pas les mêmes princes qui, trompant l'espoir qu'ils avaient donné aux Gênois du recouvrement d'une existence nationale, ont fait de cette ancienne république une province du roi de Sardaigne?

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»Ne sont-ce pas les mêmes princes qui, secondés dans leurs efforts contre la France par les états germaniques ont tenté, pour les récompenser de leurs sacrifices, de les dépouiller de tous les droits de souveraineté que leur assure la bulle d'or, que leur garantit la paix de Westphalie, et qu'ils ont conservés même dans cette Confédération du Rhin que l'on a représentée comme si oppressive pour eux ?

» Ne sont-ce pas enfin ces princes qui, après avoir, Leipsick, tiré tant d'avantages de la défection des troupes saxonnes, ont voulu, pour mettre le comble à la déloyauté de leur politique, effacer la Saxe du nombre des nations. et faire descendre du trône le plus vertueux des monarques? Les ministres des affaires étrangères d'Angleterre et d'Autriche n'ont-ils pas, par des notes du 10 et du 22 octobre, signé la spoliation du Nestor des souverains? Et si l'indignation publique a cette fois limité l'injustice, ne lui ontils pas cependant enlevé près de la moitié de ses états?

»La note du prince de Metternich, du 9 mai, ne renferme que l'adhésion particulière du cabinet autrichien à l'interprétation donnée au traité du 25 mars par l'article explicatif de l'Angleterre.

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Quant à la déclaration du 12 du même mois comme elle est l'ouvrage commun des puissances alliées, il semblerait qu'elle doit ajouter quelque poids à leurs premières déclarations. La raison s'étonne d'y chercher en vain des motifs qui soient de nature à servir de bases à ses conclusions. Tout se réduit à dire que le titre de Votre Majesté à régner sur la France n'est pas légal, parce qu'il ne plaît pas aux puissances de le reconnaître

pour tel. En annonçant que l'on respecte la volonté de la France, on se réserve le droit de protester contre l'usage qu'elle peut en faire. Certes ce droit de protester contre les actes d'une nation serait légitime le jour où l'usage qu'elle ferait de sa liberté attaquerait les droits des autres peuples; mais lorsque, immobile dans le cercle qu'on a tracé autour d'elle, la nation française ne s'occupe que de ses lois et de ses intérêts domestiques, à quel titre les puissances se croient-elles autorisées à la frapper de l'anathême d'une protestation meurtrière, pour l'application de laquelle un million d'hommes doit être mis en mouvement?

» Pour appuyer les efforts des puissances continentales, la trésorerie de Londres se dispose à salarier les combattans : jamais, à aucune époque, le gouvernement anglais ne se soumit à des engagemens aussi onéreux. Indépendamment des sommes exorbitantes qu'il se charge de payer aux puissances, indépendamment de l'obligation qu'il contracte de tenir sur pied cinquante mille hommes effectifs de troupes anglaises, il fournit les fonds nécessaires pour l'entretien séparé de cent mille hommes de troupes russes et allemandes; en sorte que son contingent doit être considéré comme s'élevant à cent cinquante mille hommes. Seulement dans la manière de le fournir, on retrouve cet usage réprouvé depuis longtemps par l'opinion publique, si déshonorant pour les cabinets, mais trop souvent renouvelé par eux, de vendre à l'Angleterre le sang des peuples, et de mettre dans une horrible balance les hommes du continent et les guinées de l'Angleterre. La communication des divers traités de subsides a été faite aux Chambres le 22 mai; elle avait été précédée d'un message du prince régent en date du 21.

» Votre Majesté remarquera que ce message est conçu dans le même esprit et presque dans les mêmes termes que celui du 5 avril dernier. On y répète encore que ce sont les événemens qui ont eu lieu récemment en France, en contravention aux traités conclus à Paris, qui motivent des préparatifs d'agression; comine si les traités qui tracent des démarcations de territoire pouvaient prescrire d'autre devoir aux nations que celui de rester dans les limites qui leur sont assignées comme si les traités conclus à Paris en 1814 avaient pu imposer au peuple français l'obligation de conserver à jamais la forme de gouvernement qu'il avait à cette époque ! Si, par le traité du 30 mai, la France avait subi de pareilles conditions, la France alors eût été asservie, et les suites de cet asservissement,

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