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dit-il ; puisse-t-il se réaliser !..... Je vois d'ici l'embarras dans lequel vont se trouver ceux qui m'ont tourné le dos..., leurs efforts pour sauver les apparences, et attendre prudemment le moment de se déclarer pour le parti du plus fort....Mais que vont devenir les patriotes jusqu'à mon arrivée à Paris! Je tremble que les vendéens et les émigrés ne les massacrent. Malheur à eux s'ils y touchent! Je serai sans pitié. - Aussitôt le débarquement Napoléon avait chargé un capitaine et vingt-cinq hommes de s'introduire dans Antibes: ils devaient se présenter comme des déserteurs de l'île d'Elbe, reconnaître les dispositions de la garnison, et chercher à se la rendre favorable. Un zèle imprudent fit échouer cette tentative. Le général Corsin, commandant pour le roi à Antibes, fit lever le pont, et retint prisonniers le capitaine et les vingt-cinq hommes. Napoléon, fâché de ce contre-temps, mais n'en redoutant pas les conséquences, se met en marche avec sa troupe à onze heures du soir, et se rend à Cannes, où il reçoit du peuple un accueil qui le console d'Antibes.

Du 2 au 6 mars. — De Cannes, Napoléon se porte à Grasse, à Barême, à Digne, le 5 il entre à Gap, et ne garde plus auprès de sa personne que dix hommes à cheval et quarante grenadiers. Parmi les autorités, quelques unes tentent de résister, d'autres restent incertaines, ou se retirent; mais partout le peuple se donne avec enthousiasme à l'empereur. « A Saint-Bonnel les habitans, voyant le petit nombre de >> sa troupe, eurent des craintes, et lui proposèrent de faire sonner le » tocsin pour réunir les villages, et l'accompagner en masse. Non, » répondit-il, vos sentimens me font connaître que je ne me suis point » trompé; ils sont pour moi un sûr garant des sentimens de mes soldats: » ceux que je rencontrerai se rangeront de mon cóté; plus ils seront, » plus mon succès sera assuré. Restez donc tranquilles chezvous. » C'est à Gap que les proclamations dictées sur le brick furent imprimées pour la première fois, avec une autre adressée aux habitans des départemens des Hautes et Basses-Alpes. (D.)

Du 6. La nouvelle du débarquement de Napoléon était parvenue à Paris dans la journée du 5. Aussitôt conseil des ministres (1), départ de courriers au congrès de Vienne, instructions aux préfets, gouverneurs, généraux, commandans de place, etc. La cour parut en même temps frappée de terreur, et confiante dans ses moyens de résistance: le nom de Napoléon justifiait cette terreur ; la confiance lui était inspirée par les démonstrations éclatantes d'un dévouement qu'elle ne pouvait apprécier; dévouement qui n'avait pour garantie, chez les uns, ni le désintéressement, ni la loyauté, ni le courage, et qui chez d'autres, effet de l'enthousiasme, devait par la même cause avoir bientôt un autre objet. Les nombreuses

(1) Voyez, tome xx, la composition de ce ministère.

adresses au roi qui arriveront successivement, votées par des autorités, des cours et tribunaux, des administrations, des corps militaires, etc., etc., seraient des actes d'accusation si elles n'étaient ou l'ouvrage de la contrainte, ou l'inévitable résultat des inconsé

quences de l'esprit humain. Dans la nuit du 5 au 6, Monsieur, comte d'Artois, part pour Lyon, où il arrive le 8, à dix heures du matin; il y passe les troupes en revue, reçoit les hommages des magistrats et des fonctionnaires, et croit pouvoir compter sur l'appui de tous. Monsieur est accompagné du duc d'Orléans et du maréchal Macdonald. Lé 6, convocation des Chambres, et ordon

nance royale qui met Napoléon hors la loi. ( E. et F. )

Du 7 au 9. En quittant Gap, le 6, Napoléon marchait sur Grenoble, où des dispositions avaient été prises qui paraissaient devoir déjouer ses projets. Sept à huit cents hommes, avant-garde d'une division de six mille hommes de troupes de ligne, étaient partis de cette ville pour se porter contre lui; ils sont rencontres le 7 par Cambronne, commandant l'avant-garde de l'ile d'Elbe, et refusent de parlementer. Napoléon dépêche auprès d'eux un autre officier qui essuie un pareil refus. Alors Napoléon s'y rend de sa personne, suivi de quelques grenadiers ayant l'arme sous le bras. Il se présente seul aux soldats du roi : Hé quoi, mes amis, leur dit-il, vous ne me reconnaissez pas! Je suis votre empereur. S'il est parmi vous un soldat qui veuille tuer son général, son empereur, il le peut; me voilà!... Et il efface sa poitrine. Les soldats répondent en criant vive l'empereur; ils arborent la cocarde tricolore, embrassent leurs camarades de l'ile d'Elbe, et demandent à marcher des premiers contre la division de Grenoble. Les paysans accourent, et les acclamations deviennent unanimes. Napoléon range ses nouvelles troupes en bataille; il leur dit: Je viens avec une poignée de braves, parce que je compte sur le peuple et sur vous. Le trone des Bourbons est illégitime, puisqu'il n'a pas été élevé par la nation; il est contraire à la volonté nationale, puisqu'il est contraire aux intérêts de notre pays, et qu'il n'existe que dans l'intérêt de quelques familles. Demandez à vos pères; interrogez tous ces habitans qui arrivent ici des environs : vous apprendrez de leur propre bouche la véritable situation des choses. Ils sont menaces du retour des dimes, des priviléges, des droits féodaux, et de tous les abus dont vos succès les avaient délivrés. N'est-il pas vrai, paysans? - Oui, oui! répondent-ils unanimement. Sur ces entrefaites arrive Labédoyère avec son régiment, le septième de ligne ; il s'est détaché de la division de Grenoble pour se réunir à l'empereur. Des acclamations, des embrassemens signalent cette touchante réunion. Sire, dit Labédoyère, les Français vont tout

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faire pour Votre Majesté; mais il faut aussi que Votre Majesté fasse tout pour eux. Plus d'ambition, plus de despotisme; nous voulons étre libres et heureux. Il faut abjurer, Sire, le système de conquête et de puissance qui a fait le malheur de la France et le vôtre. Si je réussis, répond Napoléon, je ferai tout ce qu'il faudra faire pour remplir l'attente de la nation son bonheur m'est plus cher que le mien. C'est pour la rendre libre et heureuse que je me› suis jeté dans une entreprise qui pouvait ne pas avoir de succès, et me› coûter la vie; mais nous aurions eu la consolation de mourir sur le sol de la patrie. Cependant le général Marchand,' commandant pour le roi, se disposait à soutenir le siége de Grenoble. L'armée impériale se répand sous les murs de la ville les soldats ont l'arme renversée; ils marchent gaiement, et sans ordre militaire, chantant des refrains nationaux, criant vive la France, vive Napoléon, vive Grenoble ! A ce tableau la garnison est émue, mais nose encore se prononcer; elle est bientôt entraînée par toute la' population, qui du haut des remparts répétait avec enthousiasme les cris de joie et de fraternité des assiégeans. Les habitans se sont précipités aux portes de la place; ils les brisent, en relèvent quel- ́ ques débris, et, au bruit des fanfares, les apportent à Napoléon : A défaut des clefs de la bonne ville de Grenoble, disent-ils, voilà les portes ! C'est ainsi que Napoléon fit son entrée le 7 à Grenoble, entouré, admiré de tous les citoyens, qui célébraient à l'envi son retour et son triomphe. Il trouvait là de nombreux renforts, des armes, de l'artillerie et des munitions. Il y séjourna le 8, reçut les autorités civiles, militaires et religieuses, et répondit en ces termes à l'expression unanime de leur amour aux promesses de leur dévouement : J'ai su que la France était malheureuse; j'ai entendu ses gémissemens et ses reproches : je suis venu avec les fidèles compagnons de mon exil pour la délivrer du joug..... Mes droits à moi m'ont été déférés par la nation, par la volonté unanime des Français; ils ne sont autres que les droits du peuple. Je viens les reprendre; non pour régner, le trône n'est rien pour moi; non › pour me venger, je veux oublier tout ce qui a été dit, fait, écrit depuis la capitulation de Paris; mais pour vous restituer les droits que les Bourbons vous ont ôtés, et vous arracher à la glèbe, au servage et au régime féodal dont ils vous menacent..... J'ai trop aimé la guerre; je ne la ferai plus; je laisserai mes voisins en repos: nous devons oublier que nous avons été les maîtres du monde. Je veux régner pour rendre notre belle France libre, heureuse et indépendante, et pour asseoir son bonheur sur des bases inébranlables. Je veux être moins son souverain que le premier et le meilleur de ses citoyens. Le même jour il passa la garnison en revue; elle était de six mille hommes, restés fidèles à leur général, pleins du sou

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venir de leurs suceès, et chérissant toujours les couleurs qu'avait illustrées tant de gloire tous se montrèrent parés de la cocarde tricolore, et aucun d'eux n'eut besoin de se la procurer; ils l'avaient religieusement conservée au fond de leur sac, et plus elle était vieille, usée, plus elle était l'objet d'une tendre affection : C'est la même, répétaient-ils en passant devant Napoléon, c'est la méme que nous portions à Marengo, à Austerlitz! C'est parmi vous, leur disait l'empereur, que j'ai fait mes premières armes. Je vous aime tous comme d'anciens camarades: je vous ai suivis sur le champ de bataille, et j'ai toujours été content de vous. Mais j'espère que nous n'aurons pas besoin de vos canons; il faut à la France de la modération et du repos. L'armée jouira dans le sein de la paix du bien que je lui ai déjà fait, et que je lui ferai encore. Les soldats ont retrouvé en moi leur père; ils peuvent compter sur les récompenses qu'ils ont méritées. Le 9, Napoléon partit de Grenoble, à la tête de huit mille hommes, pour se rendre à Lyon. - Ah! s'écriait-il en voyant toujours la foule se grossir sous les enseignes tricolores, je retrouve les sentimens qui, il y a vingt ans, me firent saluer la France du nom de la grande nation! Oui, vous êtes encore la grande nation, et vous le serez toujours! Napoléon ne pouvait plus douter de la réussite de son entreprise; dans la même journée du 9 il reprit d'une manière officielle l'exercice du pouvoir en proclamant trois décrets impériaux l'un ordonnait d'intituler les actes publics et de rendre la justice en son nom à dater du 15 mars; les deux autres appelaient et organisaient les gardes nationales des cinq départemens qui protégeaient son retour. Les Dauphinois avaient mérité qu'il exprimât particulièrement sa reconnaissance dans une proclamation aux habitans du département de l'Isère (G.)

Du 9. Les nouvelles parvenaient à Paris d'heure en heure; la vérité était connue du gouvernement; elle transpirait dans le peuple, et pénétrait jusque dans les places de guerre situées au nord de la France. Les citoyens contenaient difficilement leur joie; l'armée n'attendait qu'un signal. Par un concours singulier de circonstances, une conjuration militaire, dont le but était d'obtenir justice du roi contre le ministère et contre les émigrés, allait éclater au moment de l'arrivée de Napoléon, et il est certain que cette conjuration était indépendante de son entreprise. Le gouvernement laissait proclamer des mensonges, comme s'il eût voulu se tromper lui-même sur l'imminence du danger. Les premiers succès des troupes impériales étaient constans, et l'on' publiait : « Bonaparte et ses bandes ne méritent pas le déploiement des forces extraordinairęs qui se portent de toutes parts contr'eux; partout les troupes les ont reçus avec horreur; en butte au juste mépris des hommes,

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ils se cachent dans les montagnes, manquent de tout, et déjà
la défection les divise et les disperse; les hommes égarés reviennent;
le reste ne tardera pas à expier une tentative aussi follement cri-
minelle.... Des hommes incapables, des mercenaires ramassés par
la police, des enfans et des femmes remplissaient du matin au soir le
Carrousel et les Tuileries, criant vive le roi, vivent les princes. Les cour-
tisans et les officiers de cour se faisaient remarquer par leurs fanfaron-
nades: on eût cru voir les écuyers d'un cirque. Après avoir prodigué
l'insulte et les outrages aux braves soldats livrés à leur comman-
dement, ils cherchaient en vain à les flatter; ceux-ci les regardaient
en pitié, et n'obéissaient qu'en attendant. On continuait de publier
des adresses au roi, sans se rappeler que depuis longtemps ces
protestations plus ou moins franches n'étaient que de forme et
sans conséquence. Le ministre de la guerre, maréchal Soult, avait
publié le 8 un ordre du jour à l'armée, dont le style, injurieux
à Bonaparte, ne pouvait convaincre les soldats. (H.) La Chambre
des Pairs porta au pied du trône l'hommage de son amour, et
pour ainsi dire de sa sécurité; mais quels conseils, quels secours !
(I.) Les députés présens à Paris, par l'organe de M. Lainé, leur
président, exprimèrent sous un rapport l'opinion de toute la France;
ils parlèrent de fautes commises et de liberté publique; mais la
France ne voyait pas son salut là où l'indiquait l'orateur. ( K. )
Si un mouvement national en faveur du trône eût été possible,
les deux ordonnances du 9 l'auraient obtenu. (L.): la patrie,
l'honneur, la Charte étaient invoqués par une voix auguste; un
grand peuple, y était-il dit, quand il ne veut point, ne reprend
pas le joug qu'il a secoué. Ces paroles, si justes, étaient expliquées
contre leurs auteurs. L'exécution de ces deux ordonnances aurait
mis toute la nation en armes. Celle relative au rappel des mili-
taires en congé était contre-signée par Soult, ministre de la guerre,
et celle concernant la levée et l'organisation des gardes nationales
l'était par leur major-général, Dessoles, qui déjà dans ses ordres
du jour, en remontant aux principes constitutifs de cette force
publique, l'appelait la nation elle-même. Le retour des organes de
l'autorité aux notions vraies ne pouvait faire oublier que la veille
avait vu violer toutes les promesses et toutes les espérances.

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Du 10. - Monsieur, le duc d'Orléans et le maréchal Macdonald essayaient à Lyon de disposer les troupes et les habitans à la défense de la cause royale; ils répandaient de l'argent, prodiguaient les promesses, descendaient jusqu'aux, prières : ils n'intéressaient personne; citoyens et soldats rouvraient leur âme à une affection d'autant plus impérieuse qu'elle avait été blessée. La garde nationale à cheval faisait seule beaucoup de bruit autour du prince. Des ordres avaient été donnés, et lentement exécutés, pour d'insignifians préparatifs. Cependant,

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