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Napoléon approchait de la seconde ville de l'Empire. Le comte d'Artois passe une dernière revue; effrayé du silence qui l'environne, allons mon camarade, dit-il à un dragon du treizième régiment, crie donc vive le roi! Non, monsieur, lui repart le cavalier; aucun soldat ne combattra contre son père; je ne puis vous répondre qu'en disant vive l'empereur. Tout est perdu! s'écrie le prince en se retournant vers sa suite et dévorant sa juste indignation, il quitte Lyon peu après, escorté par un détachement du même régiment de dragons (1), qui eut pour S. A. R. les égards dus à une haute infortune. Le prince n'aperçut point derrière lui la garde nationale à cheval. Macdonald réitère une tentative sur les troupes ; il veut les préparer à la résistance : ce maréchal en est bien connu; il en a été aimé : inutiles efforts; la troupe refuse d'obéir; Macdonald, menacé, est contraint dese retirer. Déjà la garnison et les habitans se portaient en foule au devant des phalanges impériales. Le 10, à sept heures du soir, Napoléon paraît presque seul au faubourg de la Guillotière, et bientôt citoyens et soldats, libres dans l'explosion de leurs sentimens; se précipitent pour lui former un cortège dont les cris, les mouvemens, la joie, enfin le délire semblaient exprimer la possession d'un bonheur indestructible.Napoléon, vivement touché, ne pouvait que répéter ces mots d'effusion : Lyonnais, je vous aime! Il reçut les clefs de la ville des mains du maire. Rendu au palais qu'un Bourbon venait de quitter; il confia sa personne à la garde nationale à pied, rejetant les offres de service de celle à cheval Nos institutions, dit-il aux députés de ce corps nouveau, né reconnaissent point de gardes nationales à cheval; d'ailleurs vous vous êtes si mal conduits avec le comte d'Artoïs, que je ne veux point de vous. Il apprend en même temps que de touté cette garde à cheval, qui avait fatigué le prince de ses sermens, un seul homme lui était resté fidèle: ― Je n'ai jamais laissé, dit Napoléon, une belle action sans récompense; et il nomma ce citoyen chevalier de la Légion-d'Honneur. -Napoléon, passant la revue des troupes sur la pláce Bellecourt: Je revois cette place avec plaisir; je me rappelle que je la relevai de ses ruiet que j'en posai-la première pierre il y a quinze ans. Après la revue il donna l'ordre à une division de se diriger sur Paris. Il reçut les différentes autorités, et s'entretint familièrement avec leurs membres, relevant les fautes des Bourbons, avouant les siennes propres, et développant ainsi la nouvelle marche qu'il se proposait de suivre : J'ai été entraîné par la force des événemens dans une fausse route; mais, instruit par l'expérience, j'ai abjuré cet amour de la gloire, sinaturel aux Français, quia eu pour la France et pour moi tant de funestes résultats ! Je me suis trompé en croyant que le siècle était venu de rendre la France le chef-lieu d'un grand empire ; j'ai renoncé pour toujours à cette haute entreprise : nous avons assez de gloire ; il faut nous reposer.... Ce n'est

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· (1) Et non par un seul gendarme, comme on l'a dit et imprimé.

point l'ambition qui me ramène en France; c'est l'amour de la patrie. J'aurais préféré le repos de l'île d'Elbe aux soucis du tróne si je n'avais su que la France était malheureuse, et qu'elle avait besoin de moi.... En mettant le pied sur notre chère France, j'ai fait le vou de la rendre libre et heureuse : je ne lui apporte que des bienfaits. Je reviens pour protéger et défendre les intérêts que notre révolution a fait naître; je reviens pour concourir, avec les représentans de la nation', à la formation d'un pacte de famille qui conservera à jamais la liberté et les droits de tous les Français. Je mettrai désormais mon ambition et ma gloire à faire le bonheur de ce grand peuple, duquel je tiens tout. Je ne veux point, comme Louis XVIII, vous octroyer une Charte révocable. Je veux vous donner une Constitution inviolable, et qu'elle soit l'ouvrage du peuple et de moi. — Lyon le posséda jusqu'au 13. Il y rendit neuf décrets (M.), portant: dissolution des Chambres royales et convocation prochaine du Champ de Mai, renvoi des émigrés non amnistiés par les lois, abolition de la noblesse, rappel des membres de l'ordre ju diciaire renvoyé par le gouvernement royal, restitution aux communes et aux hospices des biens qui leur avaient été enlevés, sequestre des biens de la maison Bourbon, licenciement de la maison militaire du roi, suppression des ordres de Saint-Louis, du Saint-Esprit, de SaintMichel et du Lis, rétablissement de la Légion-d'Honneur comme avant 1814, etc. Avant de partir il consacra dans une proclamation les paroles qu'il avait souvent répétées aux Lyonnais pendant son séjour parmi eux: « Lyonnais, au moment de quitter votre ville pour me » rendre dans ma capitale, j'éprouve le besoin de vous faire connaître » les sentimens que vous m'avez inspirés. Vous avez toujours été au >> premier rang dans mes affections; sur le trône ou dans l'exil, vous » m'avez toujours montré les mêmes sentimens ; le caractère élevé qui >> vous distingue vous a mérité toute mon estime. Dans des momens >> plus tranquilles je reviendrai pour m'occuper de vos manufactures et » de votre ville. Lyonnais, je vous aime!» - C'est à Lyon que Napoléon reçut des renseignemens positifs sur la situation générale de l'Empire, sur le vœu des Français, enfin sur l'opinion publique, avide de liberté depuis qu'elle n'était plus sous le charme de sa domination. Je sais, disait-il, que les idées libérales ont repris le terrein que j'avais fait gagner au pouvoir. Je ne chercherai point à le reprendre : il ne faut jamais lutter contre une nation; c'est le pot de terre contre le pot de fer. Les Français seront contens de moi. Je sens qu'il y a du plaisir et de la gloire à rendre un peuple heureux. Je donnerai à la France des garanties. Je ne lui avais point épargné la gloire; je ne lui épargnerai point la liberté. Je ne garderai de pouvoir que ce qu'il m'en faudra pour gouverner. Le pouvoir n'est point incompatible avec la liberté; jamais au contraire la liberté n'est plus entière que lorsque le pouvoir est bien constitué : quand il est faible il est ombrageux ; quand il est fort il dort tranquille, et laisse à la liberté la bride sur le cou. Je sais ce qu'il faut aux Français; nous

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nous arrangerons. Mais point de licence, point d'anarchie, car l'anarchie nous ramènerait au despotisme des républicains, le plus fécond de tous en actes tyranniques, parce que tout le monde s'en mêle.....

Des 11 et 12. — Les mesures ordonnées par le gouvernement royal, les démonstrations de dévouement et les offres de services qu'il reçoit, ou plutôt que le ministère provoque et achète, pourraient faire croire que l'Europe conjurée s'apprête à fondre sur la France; et pourtant ce ministère continue de publier que Bonaparte est sans moyens, que la désertion est dans sa bande, et que l'immense majorité des sujets dévoués au trône laisse sans inquiétude sur les tentatives désespérées des partisans de l'usurpateur. On proclame même une grande victoire remportée devant Lyon par les gardes nationales réunies aux troupes du roi, et il faut, pour la démentir, le retour à Paris de Monsieur, du duc d'Orléans et du maréchal Macdonald; alors on convient de la défection des Lyonnais, mais on donne pour certain que Grenoble ne s'est pas encore rendu.-Le 11, proclamation du roi aux Français (N.): S. M., après avoir annoncé que des dispositions sont prises pour arrêter l'ennemi entre Lyon et Paris, ajoute : « La France ne sera point vain»cue dans cette lutte de la liberté contre la tyrannie, de la fidélité » contre la trahison, de Louis XVIII contre Bonaparte. >> Par une ordonnance royale, les conseils généraux de département sont convoqués, et doivent rester en permanence pour l'exécution des mesures prescrites de salut public, l'organisation des gardes nationales, l'enrôlement des volontaires, etc. Une autre ordonnance, rendue conformément à une loi de nivôse an 4, frappe de la peine de mort les embaucheurs pour l'ennemi, les déserteurs, les provocateurs à la rébellion, soit par écrit ou autrement. Le ministre de la guerre, Soult, duc de Dalmatie, est remplacé par Clarck, duc de Feltre; mais Soult reçoit une lettre du roi qui « lui témoigne la satisfaction de S. M. pour ses services, l'estime qu'elle en fait, et le désir qu'elle a de les éprouver encore. » Néanmoins cette fausse mesure donne à l'armée un homme qui n'a pas sa confiance; elle retire à la cause royale un habile général dont elle a reçu des gages, et qui peut-être lui serait resté fidèle. Enfin, ouverture de la Chambre des Députés (0.) : discours qui expriment le dévouement peu efficace des loyaux représentans; communications ministérielles qui inspirent une fausse sécurité; délibération en faveur de troupes encore fidèles, et l'on voit seulement que trois garnisons du nord, de La Fère, de Lille, de Cambrai, ont bien mérité du roi et de la patrie. Le 12, proclamation du roi aux armées (P.): · « Un général que vous auriez défendu jusqu'au dernier soupir, >> vous avait pas déliés par une abdication formelle, vous a rendu à » votre roi légitime... Soldats, vous êtes Français; je suis votre roi : » ce n'est pas en vain que je confie à votre courage et à votre fidélité » le salut de notre chère patrie!» Le roi, par une autre proclamation,

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voulant utiliser tant de braves Français qui se présentent de toutes parts, règle le mode de formation des bataillons de volontaires royaux. Ordre du jour du duc de Berry, à qui le roi a confié le commandement de tous les corps qui se trouvent à Paris et aux environs; le prince a pour second le maréchal Macdonald : « S. A. R. se félicite d'avoir, pour premier acte de son commandement, à témoigner aux troupes sa » satisfaction sur la conduite qu'elles tiennent, et elle en appelle » avec confiance à l'honneur français, sûr garant de celle qu'elles » tiendront à l'avenir. »

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Du 13. Acte du Congrès de Vienne qui déclare Napoléon hors des relations civiles et sociales... C'est là que la cause des Bourbons trouvera enfin un appui. (1)

Du 14 au 18.- Le 14, ordonnance royale qui pourvoit à la tranquillité particulière de Paris; elle y rétablit la préfecture de Police, qui en 1814 avait été réunie au directoriat général; le nouveau préfet est Bourienne. Le 15, une autre ordonnance excite, récompense le zèle des employés du gouvernement : ceux qui prendront les armes conserveront leur traitement pendant la durée de leur service extérieur. Le 16, le roi et les princes renouvellent leur serment de fidélité à la Charte devant les mandataires de la nation, témoins d'une solennité touchante, et à jamais mémorable : J'ai travaillé au bonheur de mon peuple, dit le roi ; j'ai recueilli, je recueille tous les jours les marques de son amour pourrai-je, à soixante ans, mieux terminer ma carrière qu'en mourant pour sa défense! Je ne crains donc rien pour moi; mais je crains pour la France... Rallions-nous ! (Voyez page 55.) Après cette séance royale Monsieur, comte d'Artois, passe en revue la garde nationale parisienne; les acclamations dont il est l'objet semblent lui garantir un dévouement unanime: il s'expose, comme à Lyon, à faire un appel direct aux vrais royalistes, et il ne voit sortir des rangs qu'une extrême minorité pour composer la légion volontaire du colonel général. Des promotions dans les grades de l'armée, de nombreuses nominations dans la Légion-d'Honneur, des récompenses de toute nature, des réclamations accueillies ou prévenues, des secours aux pauvres, des promesses sacrées à la nation, tout est employé pour appeler des défenseurs à la cause du trône; enfin, le 18, le roi écrit de sa main à l'armée française pour réclamer de nouveau sa fidélité, et offrir un pardon aux soldats égarés qui reviendront sous l'étendard des lis.(Q.)

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Du 19. En voyant tant de mesures imposantes, tant d'augustes prières rester sans aucun effet, on serait confondu d'étonnement, on douterait du caractère aimant et généreux des Français, si d'un autre

(1) Voyez cette déclaration et le rapport qui la réfute,'pages 76 et suiv.; au § III, les motifs du Congrès.

côté l'on n'envisageait l'énormité du mal que les ministres et les agens de la couronne avaient fait à cette cause, qui périssait sans défenseurs : ici l'on ne peut énumérer; tous les intérêts avaient été blessés, toute la France, pendant dix mois, avait été calomniée, froissée, humiliée. Que restait - il donc au trône? Un ministère justement détesté de la nation... Les députés en avaient demandé le renvoi; mais le monarque, abandonné, trahi des bonapartistes, craignait de se livrer aux hommes de la révolution. Quelques maréchaux, des états majors sans troupes... Ney, chargé d'un commandement important, et sur qui le trône avait dû le plus compter, venait d'entraîner le reste de l'armée par sa défection, consommée le 13, sur une lettre que Napoléon lui avait fait écrire; ce maréchal, possédant au plus haut degré la confiance des soldats, leur communiqua facilement sa propre persuasion, que la cause des Bourbons était à jamais perdue... (R.) Une maison militaire très fastueuse, composée de vieux émigrés ou de leurs enfans, et dans laquelle il n'y avait guère de soldats que les Suisses mercenaires ; des vendéens, que le duc de Bourbon recrutait dans les départemens de l'ouest; les royalistes du midi, enflammés par la présence du duc et de la duchesse d'Angoulême : ici l'espoir du trône paraissait mieux fondé; mais les résultats ne pouvaient être prochains, et la garantie du succès reposait sur la guerre civile, qui, là comme ailleurs, était en horreur à la majorité du peuple; aussi, de Bordeaux à Marseille, verra-t-on l'héroïsme et la fidélité se rendre après un mois d'efforts. A Paris, beaucoup de femmes, criant, agitant leurs mouchoirs sous les fenêtres de la famille royale. Les volontaires royaux, dont le prétendu bataillon, sans ordre, sans discipline, offrait l'image d'un groupe tumultueux : dans le nombre se trouvaient des étudians, cherchant le plaisir et le bruit, exaspérés par quelques orateurs fougueux, mais trop amans de la gloire pour rester constans dans leur enthousiasme. Enfin cette faction toujours habile à surprendre la protection du trône, comme à usurper ses droits; recrutée d'hommes incapables au combat, prompts aux cris comme à la fuite, directeurs d'émeutes, puissans dans l'intrigue, nourris dans la trahison : les théâtres, les places publiques, tout Paris retentissait des protestations de leur impuissante fureur; les mots vive le roi devenaient dans leur bouche un cri d'effroi, poussé du même accent que ceux à bas les Bonapartistes, à bas le Corse. Ils invoquaient l'assassinat, et offraient un prix au meurtrier de Napoléon: à leur voix les prisons s'étaient ouvertes pour des assassins connus l'infâme mission de 1814 fut encore acceptée par plusieurs ; mais le courage du crime ne se rencontra dans aucun. La faction aurait voulu punir la France d'avoir repoussé ces excitations atroces: le plan d'une Saint-Barthélemy fut conçu...- Le roi ne pouvait connaître ces manoeuvres, ni supposer tant d'horribles pensées, si indignes de son caractère et de sa cause; mais on fut contraint de lui avouer l'approche de l'ennemi. L'irrésolution, lc

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