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momens qu'il faut empêcher que des familles entières s'arment contre nous. Les proscriptions, les confiscations ne sont plus dignes de notre siècle.

»Elles furent longtemps inconnues chez les Romains: ce fut le dictateur Sylla qui imagina les proscriptions, les confiscations; mais les Antonin, les Trajan, les Marc-Aurèle les abolirent.

» On les vit reparaître sous notre régime féodal. Sous Philippe-Auguste elles reçurent un accroissement de sévérité que dicta l'avarice. Les seigneurs féodaux s'approprièrent ce droit sur leurs vassaux, et cette source de richesses pour eux en fut une nouvelle de malheurs pour le peuple.

» C'est ainsi que dans quelques coutumes de France on avait consigné ce principe, que qui confisque le corps confisque les biens. La peine de mort entraînait la confiscation des biens du condamné au préjudice de sa veuve, de son fils, de son petitfils, de son arrière-petit-fils, de sa génération tout entière.

» A l'époque de la révocation de l'édit de Nantes, voyez quels effets ont produit les confiscations! Nos arts, nos manufactures quittèrent la France, et se réfugierent chez l'étranger: le souvenir n'en est point encore effacé. Tout meurt, tout s'oublie; c'est une loi de nature : le sentiment de la mort d'un père s'affaiblit; la perte des biens ne peut s'oublier. (Murmures.)

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» Souvenez-vous, messieurs, que la Convention nationale ne fut jamais plus grande, plus généreuse que le jour où elle décréta la remise des biens aux condamnés. Oh! combien Legendre fut imposant au moment où il dit, en parlant priétaire d'un bien de condamné : Ne croira-t-il pas voir dans chaque goutte de rosée qui tombera sur la trace de ses pas une larme de l'innocence!

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» Ce n'est pas dans le siècle de l'abolition de la traite des nègres qu'on doit entendre parler de confiscations. Je le répète, cette mesure est injuste et odieuse. A-t-elle pour but d'enrichir le trésor? La nation est trop grande pour vouloir d'une semblable source de fortune. Les produits des confiscations sontils destinés à alimenter les veuves et orphelins des militaires? Ce serait rendre bien peu de justice à la noblesse des sentimens qui animent les veuves et orphelins des braves morts au champ d'honneur, que de penser qu'ils ne rejetteraient point avec dédain de tels secours! J'ai en conséquence l'honneur de proposer à la Chambre le projet de loi suivant :

« La peine de la confiscation des biens mobiliers et immo»biliers est abolie pour toute espèce de crimes ou délits, » excepté pour cas de contrebande.» (Quelques voix : Appuyé! Un grand nombre: L'ajournement! Sur la demande

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de Jay, la proposition est renvoyée à la commission de constitution.-Elle fut insérée dans le projet d'acte constitutionnel, ainsi que dans la déclaration de la Chambre du 5 juillet. Voyez plus loin.)

Séance du 25 juin.

La commission d'administration, par l'organe de Lefèvre (député de la Marne), expose qu'elle trouve beaucoup d'inconvéniens à ce que la médaille de député soit le seul signe d'admission dans la Chambre. « Il est un signe de ralliement chéri de tous les Français... Nous vous proposons de porter dans vos séances une écharpe aux trois couleurs.» (Adopté.)

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La Chambre, sur le rapport d'une commission spéciale, discute, modifie, adopte un projet de loi présenté par le gouvernement: d'après cet acte, la commission de gouvernement pourra ordonner, par formes extraordinaires, la mise en surveillance ou l'arrestation de toutes personnes prévenues. de correspondre avec les ennemis, de provoquer les troubles civils, d'avoir arboré d'autres couleurs que les couleurs nationales, d'avoir publié des nouvelles fausses et alarmantes, etc., etc. La présente loi cessera de recevoir son exécution dans le délai de deux mois.

Séance du 26 juin.

La commission de gouvernement transmet à la Chambre le bulletin de situation des armées. Cette communication inspire encore de la sécurité et permet de l'espoir.

La Chambre discute et adopte, avec quelques amendemens, un projet de loi qui autorise le gouvernement à assurer par voie de réquisition les subsistances et les transports militaires.

Séance du. 27 juin.

Diverses propositions sont à l'ordre. Sur l'avis de Manucl, l'ajournement est prononcé contre tout travail étranger à la Constitution et au budget: les commissions chargées de ces deux grands objets sont en conséquence invitées à presser leur examen et leurs rapports.

Le bulletin de situation, transmis par le gouvernement, est moins satisfaisant que celui de la veille. Toutefois les plénipotentiaires français, Lafayette, Pontécoulant, Sébastiani, d'Argenson, Laforest, ont été admis à se présenter au quartier général des alliés. On attend le résultat des ouvertures de négociations.

La commission de gouvernement demande, par un

projet de loi, un crédit provisoire de 1,300,000 fr. en rentes sur le grand livre, représentant un capital de 3,000,000 fr. La solde des troupes et les différens besoins de l'Etat rendent ce crédit indispensable, urgent. Une commission est nommée, et sur son rapport, fait séance tenante, la Chambre accorde le crédit."

Félix Desportes, député du Haut-Rhin, dénonce l'arrêté de la commission de gouvernement, à la date du 26, portant que tous les actes seront provisoirement intitulés AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS... Je le demande, messieurs, n'avons-nous plus de Constitution?... Où sommes-nous! Je vois que les circonstances sont graves; qu'elles le sont peut-être aujourd'hui plus qu'hier... Il faut de la fermeté, de la résolution, de la magnanimité... » (Une voix : Et de la prudence! ) — La Chambre passe à l'ordre du jour.

Séance du 28 juin.

Conformément à la proposition de Ligeret, adoptée le 20, les quatre-vingt-sept membres représentant toutes les députations s'étaient d'abord divisés en neuf bureaux, et chaque bureau avait ensuite nommé un de ses membres pour former la commission de constitution, ainsi composée: Ramond, Vimar, Manuel, Poullain-Grandpré, Bruneau de Beaumetz, Lefebvre-Gineau, Durbach, Lanjuinais, Delessert.

Le président venait de proclamer ces noms.

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GAMON (de l'Ardèche). Messieurs, un de vos orateurs les plus distingués (Manuel), dans la séance d'hier, vous proposa de vous occuper exclusivement, dans les circonstances actuelles, de mesures urgentes, de mesures de salut public.

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»Sa proposition fut accueillie; et, par des lois d'urgence, vous avez livré, s'il est permis d'employer ce terme, avez livré au gouvernement des hommes, des trésors, et le vaste pouvoir d'user de tout par la voie illimitée des réqui

sitions.

Cependant, messieurs, elle n'a pas été indiquée d'une manière franche et précise la mesure de salut public la plus urgente, celle qui, à mon sens, doit être le dernier retranchement des vrais amis de lå liberté, des représentans de la nation!

» A la vérité, formée dans la pensée de recourir à cette mesure que vous pressentez sans doute, une commission été chargée de réviser et de coordonner nos Constitutions éparses; mais, messieurs, cette collection de Constitutions éparses

présente à la mémoire attristée tant de monumens du despotisme le plus impudent, tant de monumens de la servitude la plus honteuse, tant de senatus consulte et de lois organiques sous lesquels notre liberté a été ensevelie, que pour hâter un travail devenu si pressant, ou plutôt pour le terminer en un jour, en quelques heures, je crois devoir vous proposer de réviser, d'adopter à l'instant, avec de légères modifications dont l'expérience a démontré la nécessité, en consacrant, par exemple, la division du pouvoir législatif en deux Chambres; je crois, dis-je, devoir vous proposer d'adopter sans hésiter la Constitution de 1791.

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L'ennemi s'avance. Nous, qui vîmes si souvent nos armées triomphantes dicter des lois à tous les monarques de l'Europe dans leurs capitales humiliées, nous sommes descendus de ce haut degré de puissance et de gloire ! Nous en sommes descendus parce que l'exagération de l'amour de la liberté nous emporta au delà de cette Constitution de 1791, qui nous offrait un sûr abri! Nous en sommes descendus parce que l'anarchie, monstrueux enfant de la République avortée, défigurant cette liberté sainte objet de notre culte, ne nous la montra plus que sous les traits hideux de la licence! Nous en sommes descendus parce que le génie extraordinaire qui pouvait, après notre chute, nous relever vers la liberté et nous la reconquérir, livré à la séduction intéressée des courtisans du pouvoir absolu, ou peut-être à la séduction du pouvoir lui-même, ne songea qu'à donner de l'éclat à son sceptre, qu'à parcourir, à conquérir, à ravager les royaumes. Nous en sommes descendus parce que, changeant de principes, de sentimens et de costumes, des hommes à grand talent prostituèrent à la tyrannie le noble et pur encens qu'ils. devaient à la liberté!

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Que nous reste-t-il donc à faire? Quelle planche abcrder au milieu de ce grand naufrage? Je vous l'ai dit, la Constitution de 1791! Cette Constitution veut un chef, veut un roi. Qui de vous le premier nommera le monarque? Ce ne sera pas moi. Je veux éloigner de ma personne tout soupçon de servir un parti en faisant une indication, en prenant une ini-. tiative, qui pourrait néanmoins résulter d'un sentiment pur et patriotique. Je sais que Napoléon II, que Louis XVIII, que le duc d'Orléans, que d'autres encore ont des partisans; mais je suis, moi, étranger à tous les partis; ce que je veux, ce que je vous demande, au nom du peuple français, c'est une Constitution libre, une Constitution qu'un roi constitutionnel fasse exécuter. religieusement, pour son intérêt et pour le nôtre. Je vous demande un roi qui soit juste et bon, qui soit Français, par les sentimens du moins; qui termine

la guerre, et donne à l'Europe des garanties d'une longue paix, en respectant nos lois, en se dirigeant d'après les vrais intérêts du corps de la nation, et d'après les principes de l'Europe civilisée.

Vous, messieurs, qui presque tous avez figuré dans les diverses Assemblées nationales de France, et qui par de grandes fautes, pour ne rien dire de plus, avez forcé la victoire à se ranger du parti des rois, au milieu de vos peines, consolezvous cependant en vous avouant qu'à l'aide d'un seul peuple, luttant contre tous les rois, vous avez amené tous les rois luttant contre un seul peuple, à reconnaître formellement l'indépendance et la souveraineté des nations! Il est en la puissance des rois de s'honorer à jamais en respectant notre indépendance, en respectant un principe qu'ils ont reconnu, qu'ils ont eux-mêmes proclamé! Que s'ils aspirent à violer ce principe, éternel comme la raison; s'ils veulent se jouer de la foi des peuples et des promesses les plus solennelles, alors c'est à vous, messieurs, qu'il appartiendra de donner un grand exemple au monde; il vous appartiendra de vous offrir en sacrifice plutôt que de consentir, par aucun acte législatif, à la violation des droits sacrés du peuple; il vous appartiendra de réclamer dans ce sanctuaire, à la face du ciel et des hommes, et, s'il le faut, en présence des baïonnettes et des échafauds, de réclamer jusqu'à la mort cette indépendance nationale dont on peut bien dépouiller momentanément par la force une génération abattue, divisée, éparse, mais que dans un avenir prochain recouvrera une génération nouvelle!

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Il ne s'agit pas, messieurs, de peser aujourd'hui dans la balance, en parcourant, les phases de notre révolution, les fautes et les crimes des peuples, les fautes et les crimes des rois; il convient seulement d'observer que les uns et les autres peuvent les expier par une conduite magnanime; et à cette époque, qui place dans une situation si extraordinaire, d'une part, messieurs, le peuple français, représenté par vous, et d'autre part tous les peuples de l'Europe, représentés par une coalition de rois, le plus grand acte qui puisse lier la France avec les autres nations, et tous les rois avec tous les peuples, c'est un éclatant hommage, un hommage réel et de fait au principe qui consacre l'indépendance des nations. Eh! pourquoi taire, pourquoi ne pas faire retentir dans cette enceinte une pensée, hardie peut-être, dont mon cœur est oppressé? Ni P'anarchie, qui dressa mon échafaud, ni le royalisme arrogant et superbe, qui peut-être se dispose à la vengeance, ne m'ont appris à céder à la crainte. Il faut donc le dire, les rois sont à jamais flétris, et bientôt leur politique ambitieuse et discor

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