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trouble était dans ses conseils; le dévouement sincère d'un petit nombre de serviteurs offrait seulement des victimes à la monarchie; déjà les faux chevaliers se dispersaient; la garde nationale songeait à la tranquillité publique, au respect des propriétés, et les troupes envoyées contre Napoléon lui servaient d'avant-garde. Alors le roi eut la sagesse de céder à la crise; il déposa ses sentimens dans une dernière proclamation, promit au peuple de lui ramener bientôt la paix et le bonheur, déclara les Chambres closes (S.), et quitta Paris dans la nuit du 19 au 20.

Du 20. Parti de Lyon le 13, Napoléon avait vu non seulement les villes s'ouvrir à son approche, mais les populations se porter à sa rencontre pour le saluer comme autrefois au retour de ses victoires. En général les autorités cherchaient à s'acquitter de leurs sermens envers le roi; mais le peuple exigeait, menaçait; et, parmi les corps de troupes, ceux que la voix de leurs chefs retenait encore restaient pour ainsi dire suspendus entre le devoir et la défection; ils se retiraient sans combattre. De son côté Napoléon avait écrit au commandant de son avant-garde : « Général Girard, on m'assure que >> vos troupes, connaissant les décrets de Paris ( du 6), ont résolu par » représailles de faire main-basse sur les royalistes qu'elles rencontre>>ront vous ne rencontrerez que des Français. Je vous défends de » tirer un seul coup de fusil. Calmez vos soldats; démentez les bruits » qui les exaspèrent. ( L'annonce d'un prix offert pour l'assassiner. ) » Dites-leur que je ne voudrais pas rentrer dans ma capitale à leur » tête si leurs armes étaient teintes du sang français. » Villefranche, Mâcon, Tournus, Châlon, Autun, Avalon, Auxerre, et enfin Fontainebleau, présentèrent ainsi le même spectacle que Lyon, Grenoble et Gap. Le 20, à huit heures du soir, jour anniversaire de la naissance de son fils, Napoléon reparut aux Tuileries. Son entrée, faite sans annonce, sans éclat, était ignorée d'une grande portion des habitans de Paris, qui ne l'attendaient que le lendemain; néanmoins il est accueilli avec enthousiasme par la foule qui se rassemble et se grossit sur son passage, et lui forme un cortége jusqu'au Carrousel; là, citoyens et soldats le reçoivent dans leurs bras, et le portent ainsi jusque dans les appartemens du château: depuis il a plusieurs fois répété que ce moment fut un des plus beaux de sa vie.

Le 21.- Revue des troupes par l'empereur : tout Paris était présent. Arrivée des grenadiers de l'ile d'Elbe; en vingt jours ils ont fait deux cent quarante lieues : leurs pieds, meurtris, sont enveloppés ; mais sur leurs traits on voit que le contentement d'eux-mêmes le dispute à l'excès de la fatigue; leurs habits, vieux et déchirés, rappellent leurs exploits, leur fidélité, et la gloire de la patrie; l'aigle n'a jamais quitté leurs bonnets tout en eux excite l'admiration. Agité pendant plusieurs jours par tant d'impressions douloureuses, Paris s'abandonne à l'ivresse des plus doux sentimens: on croit avoir reconquis la liberté. L'affluence

qui se porte aux Tuileries, la sécurité qui anime tous les visages, le mélange de toutes les classes de la société, la franchise des' acclama-. tions, les embrassemens prodigués aux soldats, les larmes d'attendrissement qui coulent de tous les yeux, les cris de joie qui éclatent à la vue du drapeau tricolor, au bruit de refrains longtemps nationaux (1),' tous ces traits d'un tableau difficile à peindre démontrent que l'opinion publique embrassait dans un même triomphe la cause de la révolution et le retour de l'empereur. Napoléon ne fera qu'apercevoir cette vérité... Il termina la revue par cette harangue : << Soldats, je suis t >> venu avec six cents hommes en France parce que je comptais sur » l'amour du peuple et sur le souvenir des vieux soldats. Je n'ai pas » été trompé dans mon attente! Soldats, je vous en remercie! » La gloire de ce que nous venons de faire est toute au peuple » et à vous: la mienne se réduit à vous avoir connus et appréciés. » Soldats, le trône des Bourbons était illégitime, puisqu'il avait été » relevé par des mains étrangères, puisqu'il avait été proscrit par le » vœu de la nation, exprimé par toutes nos Assemblées nationales ;.. » puisqu'enfin il n'offrait de garantie qu'aux intérêts d'un petit nombre. » d'hommes arrogans, dont les prétentions sont opposées à nos droits. » Soldats, le trône impérial peut seul garantir les droits du peuple, » et surtout le premier de nos intérêts, celui de notre gloire. Soldats, » nous allons marcher pour chasser du territoire ces princes auxiliaires » de l'étranger; la nation non seulement nous secondera de ses » vœux, mais même suivra notre impulsion. Le peuple français et » moi nous comptons sur vous. Nous ne voulons pas nous mêler des >> affaires des nations étrangères; mais malheur à qui se mêlerait des »> nôtres..... Voilà les officiers du bataillon qui m'a accompagné dans >> mon malheur ; ils sont tous mes amis ; ils étaient chers à mon cœur! » Toutes les fois que je les voyais ils me représentaient les différens » régimens de l'armée; car dans ces six cents braves il y a des hommes » de tous les régimens: tous me rappelaient ces grandes journées dont >> le souvenir est si cher; car tous sont couverts d honorables cicatrices >> reçues à ces batailles mémorables. En les aimant, c'est vous » tous, soldats de toute l'armée française, que j'aimais! Ils vous, » rapportent ces aigles: qu'elles vous servent de point de rallie» ment! En les donnant à la garde, je les donne à toute l'armée. >> La trahison et des circonstances malheureuses les avaient couvertes » d'un crêpe funèbre! Mais, grâce au peuple français et à vous, » elles reparaissent resplendissantes de toute leur gloire. Jurez qu'elles _»› se trouveront toujours partout où l'intérêt de la patrie les appel» lera! Que les traîtres, et ceux qui voudraient envahir notre ter» ritoire, n'en puissent jamais soutenir les regards! » Et tous les soldats répétaient avec enthousiasme: nous le jurons!

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(1) Allons, enfans de la patrie; Veillons au salut de l'Empire, etc.

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Le même jour, 21, Napoléon composa ainsi son ministère : à l'intérieur, Carnot, à qui il conféra en même temps le titre de comte, en témoignage de sa satisfaction pour la défense d'Anvers ; à la guerre, le maréchal Davoust, prince d'Eckmulh; aux affaires étrangères, Caulaincourt, duc de Vicence; aux finances, Gaudin, duc de Gaëte; au trésor, Mollien ; à la marine, Decrès; à la police générale, Fouché, dục d'Otrante; le portefeuille de la justice était remis à l'archichancelier, Cambacérès; Maret, duc de Bassano, reprenait le ministère de la secrétairerie d'état. Les deux plus importantes administrations de Paris furent confiées, savoir, la préfecture du département au comte de Bondy, et la préfecture de police au comte Réal. De ces nominations, généralement accueillies avec faveur, une seule fut reçue aux acclamations de toute la France; c'est celle de Carnot.

Le trône impérial était rétabli. Il fut bientôt entouré, assailli de ses anciens conseillers, serviteurs, gens de haute livrée, tous rendus à leurs fonctions, mais non à l'estime publique, qu'ils avaient perdue même avant la chute de leur maître.

Le dimanche 26, Napoléon tint sa première audience solennelle; il reçut les hommages des autorités, des grands fonctionnaires, etc. Le ministère fit sa profession de foi dans une adresse à l'empereur. (T.) Le Conseil d'état présenta une délibération dans laquelle, en exposant la règle de ses opinions et de sa conduite, il établissait la légitimité du pouvoir impérial, (V.)

Après avoir reconquis la France, Napoléon voulut désarmer les cabinets de l'Europe, conjurés contre sa personne. Par une sorte de pudeur, autant que par des calculs politiques, il avait fait répandre dans le public que la déclaration du Congrès de Vienne était l'ouvrage de certains libellistes. L'authenticité de cette pièce étant universellement reconnue, il en dicta lui-même une réfutation, que son Conseil des ministres publia dans les formes délibératives. (X.) Ensuite, le 4 avril, et sans faire aucune mention de l'acte du Congrès, il écrivit directement aux rois ses anciens frères pour leur annoncer son retour dans sa capitale, et les assurer de ses intentions pacifiques. (Y.) PIÈCES CITÉES dans ce sommaire historique.

(A.)-PROCLAMATION de l'empereur au peuple français. - Au golfe Juan, le 1 mars 1815.

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NAPOLÉON, par la grâce de Dieu et les Constitutions de l'Etat, empereur des Français, etc., etc., etc. (1).

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Français, la défection du duc de Castiglione livra Lyon sans défense à nos ennemis : l'armée dont je lui avais confié le

(1) Dans les actes rendus à Paris, Napoléon fit supprimer ces etc., etc., etc., qui avaient inquiété les amis de la paix.

commandement était, par le nombre de ses bataillons, la bravoure et le patriotisme des troupes qui la composaient, à même de battre le corps d'armée autrichien qui lui était opposé, et d'arriver sur les derrières du flanc gauche de l'armée ennemie qui menaçait Paris.

» Les victoires de Champaubert, de Montmirail, de Château-Thierry, de Vauchamp, de Mormans, de Montereau, de Craonne, de Reims, d'Arcis-sur-Aube et de Saint-Dizier; l'insurrection des braves paysans de la Lorraine, de la Champagne, de l'Alsace, de la Franche-Comté et de la Bourgogne et la position que j'avais prise sur les derrières de l'armée ennemie, en la séparant de ses magasins, de ses parcs de réserve, de ses convois et de tous ses équipages, l'avaient placée dans une position désespérée. Les Français ne furent jamais sur le point d'être plus puissans, et l'élite de l'armée ennemie était perdue sans ressource; elle eût trouvé son tombeau dans ces vastes contrées qu'elle avait si impitoyablement saccagées lorsque la trahison du duc de Raguse livra la capitale, et désorganisa l'armée. La conduite inattendue de ces deux généraux, qui trahirent à la fois leur patrie, leur prince et leur bienfaiteur, changea le destin de la guerre. La situation désastreuse de l'ennemi était telle, qu'à la fin de l'affaire qui eut lieu devant Paris il était sans munitions, par la séparation de ses parcs de réserve.

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>> Dans ces nouvelles et grandes circonstances mon cœur fut déchiré, mais mon âme resta inébranlable. Je ne consultai que l'intérêt de la patrie; je m'exilai sur un rocher au milieu des mers ma vie vous était et devait encore vous être utile. Je ne permis pas que le grand nombre de citoyens qui voulaient m'accompagner partageassent mon sort; je crus leur présence utile à la France, et je n'emmenai avec moi qu'une poignée de braves nécessaires à ma garde.

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Elevé au trône par votre choix, tout ce qui a été fait sans vous est illégitime. Depuis vingt-cinq ans la France a de nouveaux intérêts, de nouvelles institutions, une nouvelle gloire qui ne peuvent être garantis que par un gouvernement national, et par une dynastie née dans ces nouvelles circonstances. Un prince qui régnerait sur vous, qui serait assis sur mon trône par la force des mêmes armées qui ont ravagé notre territoire, chercherait en vain à s'étayer des principes du droit féodal; il ne pourrait assurer l'honneur et les droits que d'un petit nombre d'individus ennemis du peuple, qui, depuis vingtcinq ans, les a condamnés dans toutes nos Assemblées nationales; votre tranquillité intérieure et votre considération extérieure seraient perdues à jamais.

» Français, dans mon exil j'ai entendu vos plaintes et vos

vœux : vous réclamez ce gouvernement de votre choix qui seul est légitime. Vous accusiez mon long sommeil; vous me reprochiez de sacrifier à mon repos les grands intérêts de la patrie,

>> J'ai traversé les mers au milieu des périls de toute espèce ; j'arrive parmi vous reprendre mes droits, qui sont les vôtres. Tout ce que des individus ont fait, écrit ou dit depuis la prise de Paris, je l'ignorerai toujours; cela n'influera en rien sur le souvenir que je conserve des services importans qu'ils ont rendus: car il est des événemens d'une telle nature qu'ils sont au dessus de l'organisation humaine.

Français, il n'est aucune nation, quelque petite qu'elle soit, qui n'ait eu le droit et ne se soit soustraite au déshonneur d'obéir à un prince imposé par un ennemi momentanément victorieux. Lorsque Charles VII rentra à Paris, et renversa le trône éphémère de Henri VI, il reconnut tenir son trône de la vaillance de ses braves, et non d'un prince régent d'Angleterre.

>> C'est aussi à vous seuls et aux braves de l'armée que je fais et ferai toujours gloire de tout devoir.

» Signé NAPOLÉON. Par l'empereur, le grand-maréchal, faisant les fonctions de major général de la grande armée, signé Comte BERTRAND. »

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PROCLAMATION de l'empereur à l'armée.
Au golfe Juan, le 1er mars 1815.

NAPOLÉON, etc.

Soldats, nous n'avons pas été vaincus! Deux hommes sortis de nos rangs ont trahi nos lauriers, leur pays, leur prince, leur bienfaiteur.

» Ceux que nous avons vus pendant vingt-cinq ans parcourir toute l'Europe pour nous susciter des ennemis, qui ont passé leur vie à combattre contre nous dans les rangs des armées étrangères, en maudissant notre belle France, prétendraientils commander et enchaîner nos aigles, eux qui n'ont jamais pu en soutenir les regards? Souffrirons-nous qu'ils héritent du fruit de nos glorieux travaux, qu'ils s'emparent de nos honneurs, de nos biens, qu'ils calomnient notre gloire? Si leur règne durait, tout serait perdu, même le souvenir de ces immortelles journées! Avec quel acharnement ils les dénaturent! Ils cherchent à empoisonner ce que le monde admire et s'il reste encore des défenseurs de notre gloire, c'est parmi ces mêmes ennemis que nous avons combattus sur le champ de bataille.

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Soldats, dans mon exil j'ai entendu votre voix; je suis

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