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» 8°. Enfin ce n'était pas sans motif qu'on voulait, par tous les moyens, éloigner de Napoléon ces compagnons de sa gloire, modèles de dévouement et de constance, garants inébranlables de sa sûreté et de sa vie. L'île d'Elbe lui était assurée en toute propriété (article 3 du traité); et la résolution de l'en dépouiller, désirée par les Bourbons, sollicitée par leurs agens, avait été prise au congrès.

» Et si la Providence n'y eût pourvu dans sa justice, l'Europe aurait vu attenter à la personne, à la liberté de Napoléon, relégué désormais à la merci de ses ennemis, loin de sa famille et séparé de ses serviteurs, ou à Sainte-Lucie, ou à SainteHélène, qu'on lui assignait pour prison.

» Et quand les puissances alliées, cédant aux vœux imprudens, aux instances cruelles de la maison de Bourbon, ont condescendu à la violation du contrat solennel sur la foi duquel Napoléon avait dégagé la nation française de ses sermens; quand lui-même et tous les membres de sa famille se sont vus menacés, atteints dans leurs personnes, dans leurs propriétés, dans leurs affections, dans tous les droits stipulés en leur faveur comme princes, dans ceux mêmes assurés par les lois aux simples citoyens, que devait faire Napoléon?

» Devait-il, après avoir enduré tant d'offenses, supporté tant d'injustices, consentir à la violation complète des engagemens pris avec lui, et, se résignant personnellement au sort qu'on lui préparait, abandonner encore son épouse, son fils, sa famille, ses serviteurs fidèles à leur affreuse destinée ?

» Une telle résolution semble au-dessus des forces humaines, et pourtant Napoléon aurait pu la prendre, si la paix, le bonheur de la France eussent été le prix de ce nouveau sacrifice. Il se serait encore dévoué pour le peuple français duquel, ainsi qu'il veut le déclarer à l'Europe, il se fait gloire de tout tenir, auquel il veut tout rapporter, à qui seul il veut répondre de ses actions et dévouer sa vie.

C'est pour la France seule, et pour lui éviter les malheurs d'une guerre intestine, qu'il abdiqua la couronne en 1814. I rendit au peuple français les droits qu'il tenait de lui; il le laissa libre de se choisir un nouveau monarque, et de fonder sa liberté et son bonheur sur des institutions protectrices de l'un et de l'autre.

Il espérait pour la nation la conservation de tout ce qu'elle avait acquis par vingt-cinq années de combats et de gloire, l'exercice de sa souveraineté dans le choix d'une dynastie, et dans la stipulation des conditions auxquelles elle serait appelée à régner.

» Il attendait du nouveau gouvernement le respect pour la gloire des armées, les droits des braves, la garantie de tous les intérêts nouveaux; de ces intérêts nés et maintenus depuis un quart de siècle, résultant de toutes les lois politiques et civiles, observées, révérées depuis ce temps, parce qu'elles sont identifiées avec les mœurs, les habitudes, les besoins de la nation.

» Loin de là, toute idée de la souveraineté du peuple a été écartée.

» Le principe sur lequel a reposé toute la législation politique et civile depuis la révolution a été écarté également.

>>

La France a été traitée par les Bourbons comme un pays révolté, reconquis par les armes de ses anciens maîtres, et asservi de nouveau à une domination féodale.

>> Louis-Stanislas-Xavier a méconnu le traité qui seul avait rendu le trône de France vacant, et l'abdication qui seule lui permettait d'y monter.

» Il a prétendu avoir régné dix-neuf ans, insultant ainsi et les gouvernemens établis depuis ce temps, et le peuple qui les a consacrés par ses suffrages, et l'armée qui les a défendus, et jusqu'aux souverains qui les ont reconnus dans leurs nombreux traités.

» Une Charte rédigée par le Sénat, tout imparfaite qu'elle fût, a été mise en oubli.

» On a imposé à la France une loi prétendue constitutionnelle, aussi facile à éluder qu'à révoquer, et dans la forme des simples ordonnances royales, sans consulter la nation, entendre même ces corps devenus illégaux, fantôme de représentation nationale.

sans

» Et comme les Bourbons ont ordonné sans droits et promis sans garantie, ils ont éludé sans bonne foi et exécuté sans fidélité.

» La violation de cette prétendue Charte n'a été restreinte que par la timidité du gouvernement; l'étendue des abus d'autorité n'a été bornée que par sa faiblesse.

» La dislocation de l'armée, la dispersion de ses officiers, l'exil de plusieurs, l'avilissement des soldats, la suppression de leurs dotations, la privation de leur solde ou de leur retraite; la réduction des traitemens des légionnaires, le pouillement de leurs honneurs; la prééminence des décorations de la monarchie féodale; le mépris des citoyens, désignés de nouveau sous le nom de tiers-état; le dépouillement préparé et déjà commencé des acquéreurs de biens nationaux, l'avilissement actuel de la valeur de ceux qu'on était obligé de vendre; le retour de la féodalité dans ses titres, ses priviléges,

ses droits utiles; le rétablissement des principes ultramontains, l'abolition des libertés de l'Eglise gallicane, l'anéantissement du Concordat; le rétablissement des dîmes, l'intolérance renaissante d'un culte exclusif; la domination d'une poignée de nobles sur un peuple accoutumé à l'égalité : voilà ce que les Bourbons ont fait ou voulaient faire pour la France.

» C'est dans de telles circonstances que l'empereur Napoléon a quitté l'île d'Elbe; tels sont les motifs de la détermination qu'il a prise, et non la considération de ses intérêts personnels, si faible près de lui, comparée aux intérêts de la nation à qui il a consacré son existence.

» Il n'a pas apporté la guerre au sein de la France; il y a au contraire éteint la guerre que les propriétaires de biens nationaux, formant les quatre cinquièmes des propriétaires français, auraient été forcés de faire à leurs spoliateurs ; la guerre que les citoyens opprimés, abaissés, humiliés par les nobles, auraient été forcés de déclarer à leurs oppresseurs; la guerre que les protestans, les juifs, les hommes des cultes divers auraient été forcés de soutenir contre leurs persécu

teurs.

>> Il est venu délivrer la France, et c'est aussi comme libérateur qu'il a été reçu.

» Il est arrivé presque seul; il a parcouru deux cent vingt lieues sans obstacles, sans combats, et a repris sans résistance, au milieu de la capitale et des acclamations de l'immense majorité des citoyens, le trône délaissé par les Bourbons, qui, dans l'armée, dans leur maison, dans les gardes nationales, dans le peuple, n'ont pu armer personne pour essayer de s'y maintenir.

» Et cependant, replacé à la tête de la nation qui l'avait déjà choisi trois fois, qui vient de le désigner une quatrième fois par l'accueil qu' u'elle lui a fait dans sa marche et son arrivée, rapides et triomphales, de cette nation par laquelle et pour l'intérêt de laquelle il veut régner, que veut Napoléon?

» Ce que veut le peuple français; l'indépendance de la France, la paix intérieure, la paix avec tous les peuples, l'exécution du traité de Paris du 30 mai 1814.

»

Qu'y a-t-il donc désormais de changé dans l'état de l'Europe et dans l'espoir du repos qui lui était promis? Quelle voix s'élève pour demander ces secours qui, suivant la déclaration, ne doivent être donnés qu'autant qu'ils seront réclamés?

>>

Il n'y a rien de changé si les puissances alliées reviennent, comme on doit l'attendre d'elles, à des sentimens justes,

modérés; si elles reconnaissent que l'existence de la France dans un état respectable et indépendant, aussi éloigné de conquérir que d'être conquis, de dominer que d'être asservi, est nécessaire à la balance des grands royaumes comme à la garantie des petits états.

» Il n'y a rien de changé si, respectant les droits d'une grande nation qui veut respecter les droits de toutes les autres ; qui, fière et généreuse, a été abaissée, mais ne fut jamais avilie, on lui laisse reprendre un monarque et se donner une constitution et des lois qui conviennent à ses mœurs, à ses intérêts, à ses habitudes, à ses besoins nouveaux.

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Il n'y a rien de changé si, n'essayant pas de contraindre la France à reprendre, avec une dynastie dont elle ne peut plus vouloir, les chaînes féodales qu'elle a brisées, à se soumettre à des prestations seigneuriales ou ecclésiastiques dont elle est affranchie, on ne veut pas lui imposer des lois, s'immiscer dans ses affaires intérieures, lui assigner une forme de gouvernement, lui donner des maîtres au gré des intérêts ou des passions de ses voisins.

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Il n'y a rien de changé si, quand la France est occupée de préparer le nouveau pacte social qui garantira la liberté de ses citoyens, le triomphe des idées généreuses qui dominent en Europe, et qui ne peuvent plus y être étouffées, on ne la force pas de se distraire, pour combattre, de ses pacifiques pensées et des moyens de prospérité intérieure auxquels le peuple et son chef veulent se consacrer dans un heureux accord.

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Il n'y a rien de changé si, quand la nation française ne demande qu'à rester en paix avec l'Europe entière, une injuste coalition ne la force pas de défendre, comme elle l'a fait en 1792, sa volonté et ses droits, et son indépendance, et le souverain de son choix.

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Signé les présidens des sections du Conseil d'état, savoir: des finances, DEFERMON; de l'intérieur, REGNAULT (de SaintJean-d'Angely); de la législation, BOULAY (de la Meurthc); de la guerre, ANDRÉOSSY."

(Y.) - LETTRE autographe de l'empereur Napoléon aux souverains.

« Monsieur mon frère, vous aurez appris, dans le cours du mois dernier, mon retour sur les côtes de France, mon entrée à Paris, et le départ de la famille des Bourbons. La véritable nature de ces événemens doit maintenant être connue de Votre Majesté ils sont l'ouvrage d'une irrésistible puissance, l'ouvrage de la volonté unanime d'une grande nation qui

connaît ses devoirs et ses droits. La dynastie que la force avait rendue au peuple français n'était plus faite pour lui: les Bourbons n'ont voulu s'associer ni à ses sentimens ni à ses mœurs; la France a dû se séparer d'eux. Sa voix appelait un libérateur. L'attente qui m'avait décidé au plus grand des sacrifices avait été trompée. Je suis venu, et, du point où j'ai touché le rivage, l'amour de mes peuples m'a porté jusqu'au sein de ma capitale. Le premier besoin de mon cœur est de payer tant d'affection par le maintien d'une honorable tranquillité. Le rétablissement du trône impérial était nécessaire au bonheur des Français. Ma plus douce pensée est de le rendre en même temps utile à l'affermissement du repos de l'Europe. Assez de gloire a illustré tour à tour les drapeaux des diverses nations; les vicissitudes du sort ont assez fait succéder de grands revers à de grands succès. Une plus belle arêne est aujourd'hui ouverte aux souverains, et je suis le premier à y descendre. Après avoir présenté au monde le spectacle de grands combats, il sera plus doux de ne connaître désormais d'autre rivalité que celle des avantages de la paix, d'autre lutte que la lutte sainte de la félicité des peuples. La France se plaît à proclamer avec franchise ce noble but de tous ses vœux. Jalouse de son indépendance, le principe invariable de sa politique sera le respect le plus absolu pour l'indépendance des autres nations. Si tels sont, comme j'en ai l'heureuse confiance, les sentimens personnels de Votre Majesté, le calme général est assuré pour longtemps; et la Justice, assise aux confins des divers états, suffira seule pour en garder les frontières.

» Je saisis avec empressement, etc., etc.

Paris, le 4 avril 1815. Signé NAPOLÉON. »

SII.-Tentatives et retraite des Bourbons; mesures portées contre eux. Police du duc d'Otrante.

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SOMMAIRE HISTORIQUE.;

Napoléon avait relevé la Révolution, aussi forte que dans ses premiers jours, mais plus riche d'expérience: elle l'adopta une seconde fois. S'il la protége, elle le soutiendra contre l'Europe entière, et lui fera reconquérir la gloire du Consulat; s'il veut la comprimer encore sous le joug impérial, elle l'abandonnera à son seul génie, à sa fortune, à ses ennemis. Mais déjà Napoléon, citoyen jusqu'à Lyon, a repris à Paris le manteau de l'empereur. Que fera son génie? Il a connu les revers, et s'il a conservé la grandeur des conceptions, il a perdu à la fois l'assurance et l'ascen

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