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» s'oblige à la restitution des diamans de la couronne, qui sont la propriété de la nation. Vous lui ferez connaître en même temps les >> dispositions des lois des assemblées nationales qui ont été renouve» lées, et qui s'appliquent aux membres de la famille des Bourbons qui entreraient sur le territoire français. Vous remercierez en mon » nom les gardes nationales du patriotisme et du zèle qu'elles ont » fait éclater, et de l'attachement qu'elles m'ont montré dans ces >> circonstances importantes. Au palais des Tuileries, le 11 avril 1815. » Signé NAPOLéon. » Le duc d'Angoulême ne pouvait s'engager seul à la restitution demandée; on en fit l'objet d'une négociation particulière. S. A. R. obtint sur le champ sa liberté et tous les moyens nécessaires pour son départ; elle quitta Saint-Esprit le 16, et s'embarqua à Cettes sur un bâtiment suédois. Par un décret du 17 avril, Napoléon éleva le général Grouchy à la dignité de maréchal. Ce n'est pas que la petite guerre du midi eût entraîné de grands périls, ni provoqué des efforts de génie ; cette promotion était autant le prix d'anciens services qu'un véhicule offert à l'émulation et au dévouement: Napoléon avait eu la pensée de n'appeler aux commandemens supérieurs que des généraux et des colonels.

La retraite du duc d'Angoulême donnait à l'empereur la possession de Marseilles, de Toulon, d'Antibes; elle lui rendait les talens et la renommée du maréchal duc de Rivoli, prince d'Essling, enfin de Masséna, qui s'exprimait ainsi dans son rapport.du 14 avril : « Les » ordres de Votre Majesté ont éprouvé des retards insurmontables » dans ma position. Les mouvemens excités dans la huitième division, » et particulièrement à Marseille, s'y maintenaient par la présence du » duc d'Angoulême, par la mauvaise composition des premières auto» rités civiles, par les rapports constans qu'entretenaient les agens des >> princes avec des ministres étrangers, et par des nouvelles controu» vées, toutes plus alarmantes les unes que les autres pour les paisibles >> citoyens. D'un autre côté le duc d'Angoulême, qui déjà m'avait » enlevé trois régimens, voulait encore prendre ceux qui étaient à » Toulon, et il m'a fait dire par M. de Rivière que son intention était » de donner ce port en dépôt aux Anglais, qui fourniraient en retour » de l'argent au roi de France. Dans une situation aussi difficile, je me » déterminai, après avoir mis Antibes en état de siége pour le sous» traire à l'autorité du préfet du Var, à me rendre à Toulon, afin de » conserver à Sa Majesté cette place et sa marine. Enfin, le 10 avril, » j'avais eu connaissance que le sixième régiment, à Avignon, avait repris les couleurs nationales; j'ordonnai au général Leclerc de le » maintenir dans la discipline, et de lui ordonner de se tenir prêt à faire » un mouvement. Le 10, j'ai fait la proclamation dont copie est ci-an» nexée. (B.) Une estafette l'a portée dans les quatre départemens de la » division, avec ordre de la faire publier et afficher à son de trompe, et

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» au bruit de vingt et un coups de canon, de faire flotter le pavillon natio»nal sur les forts, les municipalités, les bâtimens de l'Etat, et de faire

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reprendre la cocarde tricolore aux troupes de terre et de mer. Rien ne pouvait peindre la joie franche qu'ont manifestée les troupes de terre » et de mer; la fête s'est prolongée pendant deux jours. J'ai fait > mettre en liberté les grenadiers de la garde impériale qui avaient » été arrêtés à Antibes. J'ai également fait élargir tous les détenus » pour des motifs d'opinion. Le 11 au soir la ville de Marseille ne >> s'était point encore soumise. Je lui fixai la journée du 12. J'annon»çais que je m'y rendrais le 13 en effet, mes dispositions étaient >> faites à Toulon et à Avignon; mais je n'ai pas eu besoin d'agir. » Le 12, le conseil municipal de Marseille a député trois de ses >>> membres auprès de moi pour me porter la soumission de cette ville. » J'ai accueilli cette députation; et, dans la nuit du 12, le préfet >> des Bouches-du-Rhône m'a annoncé, par estafette, que le drapeau >> tricolor flottait à l'hôtel-de-ville, à la préfecture, sur les forts et » sur les bâtimens de l'Etat; que le plus grand calme régnait dans >> cette place; qu'il avait fait passer mes ordres et mes proclamations » aux sous-préfets, afin de faire suivre par toutes les communes du département l'exemple du chef-lieu. »

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Mesures contre les Bourbons et leurs agens. Le drapeau tricolor flottait sur tous les départemens de l'Empire. Mais des dispositions militaires ne pouvaient atteindre les amis, les agens secrets de la royauté on dirigea en même temps contre eux des dispositions législatives et de police. Et d'abord il faut citer le décret du 25 mars qui fait revivre les lois des assemblées nationales applicables aux Bourbons, et prescrit en outre à leurs ministres, comme à toutes personnes qui ont été employées dans leurs maisons, de s'éloigner de Paris à trente lieues de postc, etc. (C.) La dénomination de comte de Lille (1) cst rendue à Louis XVIII. 2o. Le décret publié le 9 avril, quoique daté de Lyon le 13 mars; il ordonne « la mise en >> jugement et le sequestre des biens du prince de Bénévent (Talley-. » rand), du duc de Raguse (Marmont), du duc de Dalberg, de » l'abbé de Montesquiou, du comte de Jaucourt, du comte de Beur» nonville, des sieurs Lynch (maire de Bordeaux), Vitrolles, Alexis » de Noailles, Bourienne, Bellard, Laroche-Jaquelin, Sosthène de Larochefoucault, qui tous, en qualité de membres du gouverne

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(1) En 1796, lorsque l'Autriche exigea que Louis XVIII se séparât des émigrés formant le corps de Condé, S. M., pour voyager, avait pris le nom de comte de Lille.

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>>ment provisoire ou d'agens du parti royal, ont concouru au ren» versement du gouvernement impérial avant l'abdication de Napc» léon. » Ce décret a donné lieu à une résistance honorable de la part des agens de Napoléon : un exemple aussi rare nous détermine à copier un extrait de ce qu'en rapporte M. de Chaboulon dans ses Mémoires (1) : « Ce décret, quoique censé né à Lyon, vit le jour à Paris, et fut le résultat de l'humeur que donnaient à Napoléon les menées des royalistes. Les termes dans lesquels il était d'abord conçu n'attestaient que trop son origine. L'article 1er portait : sont déclarés traîtres à la patrie, et seront punis comme tels, etc. Ce fut moi qui écrivis ce décret sous la dictée de l'empereur. Quand j'eus fini il m'ordonna de le faire signer par le comté Bertrand, qui avait contresigné les décrets de Lyon... « Je ne signerai jamais (dit Bertrand); ce n'est » point là ce que l'empereur nous a promis... » Le comte Bertrand me suivit dans le cabinet de l'empereur. « Je suis étonné, lui dit Napo» léon avec un ton sec, que vous me fassiez de semblables difficultés; » la sévérité que je veux déployer est nécessaire au bien de l'Etat. Je ne le crois pas, Sire. Je le crois moi, et c'est à moi seul >> qu'il appartient d'en juger. Je ne vous ai point fait demander votre mais votre signature, qui n'est qu'une affaire de forme, et » qui ne peut vous compromettre en rien. Sire, un ministre qui » contresigne un acte du souverain est moralement responsable de » cet acte, et je croirais manquer à Votre Majesté, et peut-être à » moi-même, si j'avais la faiblesse d'attacher mon nom à de sem » bláblés mesures. Si Votre Majesté veut régner par les lois, elle n'a » pas le droit de prononcer arbitrairement, par un simple décret, la » mort et la spoliation du bien de ses sujets. Si elle veut agir en » dictateur, et n'avoir d'autre règle que sa volonté, elle n'a pas besoin >> alors du concours de ma signature. Votre Majesté a déclaré, par >> ses proclamations, qu'elle accorderait une amnistie générale ; je les » ai contresignées de tout cœur, et je ne contresignerai point le décret » qui les révoque. Mais vous savez bien que je vous ai toujours dit » que je ne pardonnerais jamais à Marmont, à Talleyrand et à » Augereau; que je n'ai promis d'oublier que ce qui s'est passé depuis >> mon abdication. Je connais mieux que vous ce que je dois faire » pour tenir mes promesses et assurer la tranquillité de l'Etat. J'ai » commencé par être indulgent jusqu'à la faiblesse, et les royalistes, » au lieu d'apprécier cette modération, en ont abusé : ils s'agitent, » ils conspirent; et je dois et je veux les mettre à la raison. J'aime » mieux faire tomber mes coups sur des traîtres que sur des hommes

(i) Nous avons souvent puisé dans cet ouvrage, dont l'authenticité est aussi incontestable que la loyauté de son auteur.

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» égarés. D'ailleurs tous ceux qui sont sur la liste, à l'exception » d'Augereau, sont hors de France ou cachés. Je ne chercherai point » à les atteindre; mon intention est de leur faire plus de peur » que de mal. Vous voyez donc, continua l'empereur en adou»cissant sa voix, que vous avez mal jugé l'affaire. Signez-moi cela, » mon cher Bertrand; il le faut. Je ne le puis, Sire; je demande » à Votre Majesté la permission de lui soumettre par écrit mes obser»vations. Tout cela, mon cher, nous fera perdre du temps; » vous vous effarouchez, je vous l'assure, très mal à props. Signez, » vous dis-je, je vous en prie; vous me ferez plaisir. Permettez, » Sire, que j'attende que Votre Majesté ait vu mes observations. >> Le maréchal sortit. Cette noble résistance n'offensa point l'empereur; le langage de l'honneur et de la vérité ne lui déplaisait jamais quand il partait d'un cœur pur. Le général Bertrand remit à Napoléon une note raisonnée. Elle ne changea rien à sa résolution; elle le détermina seulement à donner au décret une forme légale. L'empereur persuadé que le général Bertrand ne changerait point non plus de sentiment, ne voulut pas que le nouveau décret lui fût présenté, et il parut sans porter de contre-seing. L'effet qu'il produisit justifia les appréhensions du grand-maréchal. On le considéra comme un acte de vengeance et de despotisme, comme une première infraction aux promesses faites à la nation. Les murmures publics trouvèrent des échos jusque dans le palais impérial. Labedoyère, dans un moment où Napoléon passait, dit assez haut pour être entendu : « Si le » régime des proscriptions et des sequestres recommence, tout sera » bientôt fini. » L'empereur, selon sa coutume en pareil cas, affectait d'être content de lui, et ne paraissait nullement s'inquiéter de l'orage. Etant à table avec plusieurs personnages et dames marquans de la cour, il demanda à madame la comtesse Duchâtel si son mari, directeur-général des domaines, avait exécuté l'ordre de sequestrer ́ les biens de Talleyrand et compagnie. Cela ne presse point, lui répondit-elle sèchement. Il ne répliqua point, et changea de conversation. »

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Police du duc d'Otrante. Fouché, déjà si connu, si fameux, va plus étonner encore par son habileté que par ses trahisons. Dès 1814 il avait pressenti le retour de Napoléon, et tous les maux qui devaient en être la suite. En avril de cette année il écrivait à l'empereur : << Vous acceptez comme retraite l'ile d'Elbe et sa sou» veraineté... La situation de cette ile ne vous convient pas, et >> le titre de souverain de quelques acres de terre convient encore » moins à celui qui a possédé un empire immense.... L'ile d'Elbe » est à très peu de distance de la Grèce et de l'Espagne; elle » touche presque aux côtes de l'Italie et de la France. De cette

» ile, la mer, les vents et une petite felouque peuvent vous amener >> subitement dans les pays les plus exposés à l'agitation, aux évé» nemens et aux révolutions. La stabilité n'existe encore nulle part. » Dans cet état de mobilité des nations, un génie comme le vôtre >> peut toujours exciter de l'inquiétude et des soupçons parmi les >> puissances européennes. Sans être criminel, vous pouvez être » accusé; sans être criminel, vous pouvez aussi faire du mal..... >> Les titres que vous conservez, en rappelant à chaque instant ce » que vous avez perdu, ne peuvent servir qu'à augmenter l'amer>>tume de vos regrets; ils ne paraîtront pas des débris, mais une » vaine représentation de tant de grandeurs qui se sont évanouies. » Je dis plus, sans vous honorer, ils vous exposent à de plus » grands dangers on dira que vous ne gardez vos titres que parce » que vous conservez toutes vos prétentions.... Il serait plus glorieux » et plus consolant pour vous de vivre comme un simple particulier, » et à présent l'asile le plus sûr et le plus convenable pour un homme >> comme vous est dans les Etats-Unis de l'Amérique. Là vous recom» mencerez votre existence au milieu d'un peuple encore neuf, qui » saura admirer votre génie sans le craindre.... Vous prouverez aux » Américains que, si vous étiez né parmi eux, vous auriez pensé et >> voté comme eux, et que vous auriez préféré leurs vertus et leur >> liberté à toutes les dominations de la terre. >> La conduite du gouvernement royal fit ensuite prévoir à Fouché, avec plus de certitude, un mouvement révolutionnaire en France, soit que Bonaparte le provoque, soit qu'il ait pour cause la fatigue des citoyens ; et il s'en expliquait hautement. Sa fortune, son expérience, ses hautes qualités comme homme d'état, d'anciennes liaisons, et sans doute aussi son goût pour l'intrigue, le tenaient en rapport avec des ministres du roi, et même avec des personnages plus élevés. Ils lui demandaient des conseils. Fouché ne voyait d'autre moyen, pour calmer l'agitation et le mécontentement de toutes les classes de la société, que d'abandonner la marche contre-révolutionnaire qui entraînait le pouvoir; et les passions rajeunies de l'ancien régime ne voulaient accorder aucune concession aux intérêts nouveaux. Napoléon reparaît. Fouché est encore consulté, et cette fois avec l'intention plus sincère de suivre ses avis. Alors il déclare qu'il est trop tard pour servir le roi.... Il pense que S. M. devrait se retirer à Lille avec ses plus fidèles serviteurs, et laisser les événemens se développer.... Bonaparte, ajoute-t-il, n'a rien préparé pour se maintenir. S'il n'a aucun point d'appui en Europe, son nouveau règne ne peut durer trois mois.... Ici quelque doute reste sur la manière dont se termina la dernière conférence du duc d'Otrante avec des ministres du roi. Ou le ton d'assurance et les prédictions de Fouché le firent soupçonner d'intelligence avec Napoléon; ou Fouché pro I. - 2o Série. 7

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