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CHAPITRE V.

Proposition, discussion et adoption des projets de loi pour le rappel des vétérans on soldats libérés au 31 décembre, et pour l'appel de la classe de 1823.

ON se souvient que, le même jour où le ministre des finances avait proposé les lois de finances et le crédit supplémentaire de 100 millions (10 février), celui de la guerre avait aussi porté à la chambre des députés un projet de loi qui avait pour objet de rappeler au service territorial les militaires dont le service actif avait cessé au 31 décembre dernier. La discussion qu'on vient de lire nous dispense d'en rappeler en détails les motifs. L'imminence de la guerre exigeait la mobilisation des vétérans; c'était la première occasion d'appliquer le titre iv de la loi du 6 mars 1818... Mais le gouvernement n'avait jugé devoir rappeler que les jeunes soldats dernièrement libérés, et seulement pour le service intérieur du royaume.

Le même jour aussi ( 21 février) que M. de Martignac avait fait le rapport sur le projet relatif au crédit de 100 millions, M. le lieutenant général comte Dupont fit, au nom d'une commission spéciale, le rapport de celui du rappel des soldats dernièrement libérés. Il en développa les motifs en s'attachant moins à rappeler les causes ou la question politique de la guerre qu'à faire voir la légalité du rappel publié dans l'esprit de la loi du 10 mars 1818 pour le recrutement de l'armée.

Le gouvernement a prévu le besoin de rappeler sous les armes les soldats qui viennent d'être congédiés. Il vous demande l'intervention de la loi pour les employer sur tous les points de la France et rendre leur service plus

utile. Le Roi dispose de toutes les forces de l'État; il pèse la gravité des inté rêts qui appellent leur emploi, et c'est à lui qu'il appartient de fixer le déve loppement qu'ils doivent recevoir. La Chambre s'empressera donc d'adhérer aux dispositions que le trône croit devoir adopter dans la justice de cette attribution suprême.

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Vous remarquerez, Messieurs, les motifs qui out fait désigner, dans le pro

jet de loi, la plus jeune classe des vétérans; l'obligation du service est de six ans pour les levées annuelles, et cette classe, favorisée par les circonstances qui l'ont retenue dans ses foyers, n'a servi que quatre ans sous les drapeaux, mais l'intérêt militaire est la considération la plus importante. Les hommes congédiés au 31 décembre dernier sont les plus propres à former sur-le-champ de nouveaux corps. Instruits, disciplinés et pliés jusqu'à ce moment aux habitudes du service, ils offrent tous les avantages d'une expérience non interrompue. Les classes plus anciennes conserveront la même bravoure et le même zèlę pour la défense de l'État, une égale fidélité régnera dans leurs camps; mais en rentrant dans leurs foyers, beaucoup de militaires ont formé des établissemens, embrassé divers genres d'industrie, et ils sont par-là moins susceptibles d'être mis en activité avec la promptitude convenable.

« Le gouvernement pouvait, de sa seule autorité, rappeler ces militaires au service dans leurs divisions respectives; mais le besoin de les mobiliser hors de ces mêmes divisions a rendu nécessaire la proposition royale. Avant le signal des hostilités, on doit pourvoir à tous les moyens de défense. Le gouver nement a dû songer d'avance aux moyens de remplir les garnisons et de protéger la sécurité intérieure, lorsque l'armée qui couvre nos frontières aura franchi ses limites. Dans cette situation, la Chambre sentira la nécessité d'adopter une mesure justifiée par l'imminenee des événemens. Le rappel des vétérans n'aura point lieu avant l'existence de la guerre ; ils ne seront mis en mouvement que dans le cas où les hostilités seraient déclarées. »

A un léger changement près, l'avis unanime de la commission était pour l'adoption du projet de loi.

La discussion était fixée après celle qui venait de finir d'une manière si déplorable à la chambre des députés, et elle s'en resentit, ou plutôt elle en fut annulée, réduite à une vaine formalité.

(6 mars.) De tous les orateurs inscrits pour parler contre le projet et il ne s'en trouvait pas moins de 34); la plupart avaient quitté la salle des séances après le dépôt de leur protestation, pour n'y plus rentrer; d'autres, restés en petit nombre à l'extrême gauche, et même au centre gauche, refusèrent de nouveau de prendre la parole. La contagion gagna jusqu'à M. le général Donnadieu, qui s'était fait inscrire le premier en faveur du projet, mais qui s'excusa ainsi de ne point parler.

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« J'avais demandé la parole, dit-il, pour examiner à fond la conduite des affaires d'Espagne. J'avais rattaché à ce cadre, déjà largement traité dans vos dernières discussions, toutes les autres considérations politiques qui ont amené la situation où nous nous trouvons et celles dans lesquelles nous serons engagés. J'aurais dit la vérité sans crainte et sans espérance, mais par un sentiment qui n'a pas besoin d'être justifié dans les circonstances présentes, je dois m'in erdire tout ce qui pourrait avoir le plus léger caractère d'opposition. »

D'après ce peu de mots, il est probable que M. le général Donnadieu aurait traité son sujet comme M. de La Bourdonnaye; mais la plupart des orateurs du côté droit inscrits imitèrent son silence. Trois seulement se firent entendre (MM. de la Caze, Clausel de Coussergues et de Marcellus); tous trois pour appuyer le projet du ministère sans critique et sans réserve...

M. le général Danthouard avait annoncé un amendement qui avait pour objet de diviser la loi en trois articles, dont le premier ordonnait l'organisation des vétérans par département sans distinction de classes; mais, au moment de le mettre en discussion, il déclara qu'il le retirait.

Ainsi aucune opposition ne s'annonçant, et la commission ne demandant que la suppression du mot même, à quoi le ministre consentit, le projet fut mis aux voix. Sur les membres présens à cette séance, 246 répondirent à l'appel nominal, et sur ce nombre il se trouva dans l'urne 231 boules blanches, et seulement 15 noires. Ainsi le nombre des votans était encore inférieur à celui de la veille.

Quelques orateurs de l'opposition publièrent ensuite les opinions qu'ils n'avaient pas voulu prononcer à la tribune... En général, ils ne traitaient encore que la question politique; mais M. de Lameth s'attachait surtout à la question militaire.

Tonte lui, disait-il, doit avoir une application générale, c'est ce qui constitue son essence; et, sans cette généralité, elle devient nécessairement une loi d'exception, c'est-à-dire une violation des lois.

La loi du to mars ne fait autre chose que constater quels sont les hommes qui tous doivent concourir à la formation des vétérans, et l'on doit reconnaître qu'elle a le véritable caractère d'une loi, en ce qu'elle n'établit aucune distinction, aucun privilége entre les hommes appelés à être vétérans, c'est-à-dire entre ceux qui n'ont pas douze ans de service ou trente-deux ans d'âge.

« Cette distinction, ce privilége qui détruit le caractère de la loi, c'est M. le ministre de la guerre qui cherche à l'établir dans le projet qu'il a soumis à votre délibération. Il croit que, dans l'intention funeste de faire la guerre à une nation qui ne nous a provoqués eu aucune manière, il est nécessaire de recourir à la formation du corps de vétérans. Cette idée est naturelle, même dans le sens d'un plan désavoué par le vœu national. Mais dans ce cas, comme dans tout autre, l'effet de la loi doit être général; tous les sous-officiers et soldats qui n'ont pas douze ans de service ou trente-deux ans d'âge doivent concourir indistinctement à la formation de ce corps; nul ne doit obtenir le privilège de s'y soustraire, et vous n'avez pas le droit de l'accorder, car,

en le faisant, vous violeriez l'égalité des droits des citoyens, qui est consacrée. par la Charte, et à laquelle vous n'avez pas le droit de porter atteinte.

Remarquez d'ailleurs, Messieurs, combien la mesure proposée par M. le ministre de la guerre serait injuste et vexatoire. Comment! tous les conscrits libérés, sans avoir fait aucun service, tous les sous-officiers et soldats congédiés chaque année en vertu de la loi depuis 1818, seraient exempts de concourir à la formation des vétérans, et ceux-là seuls qui viennent de payer pendant six ans leur tribut à l'État, seraient forcés de quitter des foyers qu'ils ont retrouvés avec tant de satisfaction et de joie! Si une pareille mesure pouvait être adoptée, elle donnerait sans doute beaucoup de force aux attaques de M. de La Bourdonnaye, et du petit nombre des députés qui ont appuyé son opinion: leurs reproches s'adressaient à M. le président du conseil des ministres, qui n'aurait pas eu la prévoyance de retenir ces militaires sous les drapeaux, avec une apparence de légalité, par une déclaration de guerre anticipée, aussi injuste, saus doute, mais moins imprudente que ces concessions tardives, faites par la faiblesse à la violence d'un parti.

CHAMBRE DES PAIRS.

(8 mars.) Le ministre de la guerre, en portant le projet à la chambre des pairs, semble avoir en vue de répondre aux objections spéciales de l'opposition, quoique non faites à la tribune.

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Il ne s'agit, dit-il, que de remplir quelques vides qu'auront laissés dans les garnisons les régimens dirigés vers les Pyrénées, et ces vides ne sont pas assez grands pour qu'il y ait lieu de faire concourir an service territorial un nombre d'homme plus considérable que ce qui est demandé par le projet de loi.

Il est d'ailleurs à considérer que, parmi les anciens sous-officiers et soldats libérés, il en est beaucoup qui ne doivent plus aujourd'hui qu'un ou deux ans de service territorial, et que les liens qui attachent la plupart d'entr'eux à leurs foyers se sont fortifiés par des mariages et des établissemens.

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Du reste le gouvernement du Roi, tout en donnant son attention à ce que le sacrifice qui est ici demandé aux familles pèse le moins possible sur elles, a été au-devant des vœux que pourraient faire ceux des anciens militaires qui seraient disposés à reprendre du service. Des avis publiés dans toutes les communes du royaume ont fait connaitre qu'ils seraient admis dans les rangs de la garde royale comme dans ceux de la ligne; qu'ils rentreront dans tous leurs droits à l'avancement, à l'ancienneté et à la haute paie, et que les sousofficiers conserveront leurs grades dans tous les corps de la ligne. »

(15 mars.) Le rapport fut fait, au nom d'une commission spéciale chargée d'examiner ce projet, par M. le comte de Marescot. Après quelques considérations sur la nécessité d'appuyer les opérations de l'armée d'Espagne par une force imposante dans l'intérieur, il défendait aussi le projet sous le même aspect.

La disposition de la loi précitée (du 10 mars), dit S. S., crée nécessairement six classes de vétérans, une par année. Le ministre pouvait les appeler toutes: il pouvait n'en appeler qu'une partie. Il a donné la préférence à la classe la plus jeune, et la commission ne peut qu'applaudir à un choix aussi sage. Effectivement, c'est cette classe qui renferme nécessairement plus que toutes les autres des hommes encore libres des liens ordinaires de la société, des célibataires sans emploi, sans métier, sans ménage : les militaires de cette classe; seulement libérés le 31 décembre dernier, ont à peine perdu de vue leurs drapeaux; plus que les autres ils ont nécessairement conservé l'habitude de la discipline et des exercices militaires. »

(18 mars.) Trois orateurs seulement se firent entendre dans la discussion: M. le comte Molé, qui, regardant la guerre comme injuste et dangereuse, déclara qu'il voterait contre les subsides et les levées d'hommes demandés pour l'entreptendre ou la continuer; M. le baron de Montalembert, qui motiva la nécessité de la guerre sur celle de recouvrer notre influence en Espagne, et M. le vicomte Digeon, qui, tout en votant pour la loi, signala les inconvéniens de la loi du 10 mars 1818, relative au recrutement; surtout du titre rv, sur lequel il appela l'attention du gouvernement; réflexion remarquable de la part de celui qui reçut, cinq jours après, le portefeuille de la guerre, et qui ne fut pas perdue de vue, comme on le verra dans la session prochaine.

Ainsi nul autre orateur ne réclamant la parole, l'article unique. dont la loi se compose fut adopté provisoirement et soumis ensuite à l'épreuve du scrutin, dont le dépouillement réunit, sur 158 votans, 107 suffrages en faveur du projet.

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