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étaient litigieuses et sur ce que l'acquéreur avait été, pendant le litige, l'avocat et le conseil de la venderesse. Dans une nouvelle instance, on demande la nullité de la vente en se fondant sur ce que le prétendu contrat de vente n'était qu'un simple engagement. On opposa l'autorité de la chose jugée. La cour de Pau décida qu'il n'y avait pas chose jugée, et la cour de cassation confirma l'arrêt. Dans notre opinion, il n'y a pas le moindre doute. Il n'en est pas de même dans l'opinion traditionnelle. Les quelques motifs que la cour de cassation donne sont aussi ceux que nous avons invoqués contre la confusion du moyen et de la cause. Dans la première instance, dit la cour, il s'agissait uniquement de savoir si l'acheteur, avocat et conseil de la venderesse, avait pu acquérir des maisons dont la propriété était contestée; la simulation de la vente n'avait pas fait l'objet du litige, d'où suit qu'elle n'avait ni été ni pu être décidée par le premier juge comment y aurait-il chose jugée sur ce qui n'a été ni débattu ni jugé (1)?

On demande la nullité d'une vente faite à une communauté religieuse; l'action est fondée sur l'incapacité de la communauté de recevoir à titre gratuit sans autorisation. Il est décidé que l'acte attaqué ne cachait pas une libéralité, que c'était une véritable vente. Nouvelle demande en nullité de l'acte considéré comme vente et fondée sur ce que les communautés religieuses sont aussi incapables d'acquérir à titre onéreux qu'à titre gratuit. On prétendit qu'il y avait chose jugée. Et, au point de vue de la doctrine des causes éloignées et prochaines, on pouvait trèsbien le soutenir. Sur quoi étaient fondées les deux demandes en nullité? Sur l'incapacité de la communauté religieuse telle était la cause prochaine. Sur quoi était fondée cette cause? La cause de la cause, c'est-à-dire le moyen, était, dans la première instance, que l'acquisition était à titre gratuit et par personne interposée, et, dans la seconde demande, on soutenait que cette incapacité

(1) Rejet, chambre civile, 27 août 1817 Dalloz, au mot Chose jugée, © 204, 2o).

s'appliquait aussi aux contrats onéreux : le moyen était nouveau, mais la cause prochaine était la même. La cour de cassation décida que l'incapacité d'acquérir à titre gratuit et l'incapacité d'acquérir à titre onéreux formaient des causes diverses, et non des moyens différents; que la question que faisait naître la seconde demande n'avait été ni posée, ni examinée, ni résolue lors du premier arrêt; que cet arrêt ne pouvait donc avoir l'autorité de la chose jugée relativement à la seconde demande (1). La décision est très-juridique, mais elle est en opposition directe avec la doctrine traditionnelle, telle que nous l'avons exposée plus haut (no 74). On voit que la jurisprudence et la doctrine ne s'accordent qu'en une chose, c'est qu'elles n'ont ni l'une ni l'autre un principe certain.

9. Demande en payement d'une donation contractuelle. Le défendeur oppose l'exception de nullité pour vice de forme. Il fut jugé que le contrat était valable et exécutoire. Nouvelle demande en payement d'une autre donation faite par le même contrat entre les mêmes parties; le défendeur oppose la nullité de la libéralité pour cause d'incapacité du donateur. La cour admit la nullité. Pourvoi en cassation pour violation de l'article 1351. Quelle est la cause des deux actions? disait-on. On demande la nullité de la donation, dans l'une et l'autre instance, en se fondant sur la nullité du contrat de mariage; c'est cette nullité, pour parler le langage traditionnel, qui constitue la cause prochaine de l'action. La cause de cette cause, c'est-à-dire le moyen, était différent dans les deux instances, mais la différence de moyens n'empêche pas la chose jugée. Ce système fut repoussé par la cour de cassation, sans discuter la question; elle se contente de dire que les deux demandes n'avaient pas le même objet; ce qui est exact, puisqu'il s'agissait de donations différentes; et elles n'avaient pas la même cause, puisque, dans la première, il s'agissait d'un vice de forme et, dans la seconde, de l'incapacité du donateur (2).

(1) Rejet, 15 décembre 1856 (Dalloz, 1857, 1, 97).

(2) Rejet, 8 mai 1839 (Dalloz, au mot Chose jugée, no 142.

Dans notre opinion, cela n'est pas douteux; dans l'opinion traditionnelle, il y avait un doute sérieux, et l'arrêt de la cour n'y répond pas.

On trouve, sur des questions identiques, des décisions contradictoires. Action en nullité d'une vente, fondée sur ce que le contrat est entaché de fraude et de dol et contient une donation déguisée au profit d'une personne incapable. La demande fut rejetée. Nouvelle demande, dans laquelle on s'inscrit en faux incident et principal contre l'acte. Il fut décidé qu'il y avait chose jugée. La cour de cassation ne donne d'autre motif sinon que la seconde demande était aussi une action en nullité (1). Pour mieux dire, l'arrêt n'est pas motivé, et il nous paraît impossible de le justifier. La première demande s'attaquait au fond de la convention, la seconde s'attaquait à l'acte, à l'écrit: qu'est-ce qu'il y a de commun, en ce qui concerne la chose jugée, entre l'écrit et la convention? Rien.

C'est ce que la cour de cassation a décidé dans une espèce tout à fait analogue. Demande en nullité d'une donation fondée sur ce que le donateur avait imposé au donataire l'obligation de payer une somme indéterminée. Le premier jugement valida la donation. Nouvelle demande ayant pour objet de faire déclarer que l'acte contenant la donation était faux et de faire admettre l'inscription de faux formée contre cet acte. La cour de Dijon rejeta la demande en se fondant sur la chose jugée. Pourvoi en cassation. La cour décida que la cause de la seconde demande n'était pas la même; elle cassa l'arrêt attaqué pour fausse application de l'article 1351 (2). C'est cette seconde décision qui est la bonne; cela n'est pas douteux. Les hésitations et les contradictions de la jurisprudence témoignent qu'elle n'a pas de principe certain.

80. C'est sans doute aux incertitudes de la doctrine et de la jurisprudence qu'il faut attribuer les nombreux procès qui sont portés devant la cour de cassation en cette

(1) Rejet, 21 janvier 1853 (Dalloz, 1854, 5, 112).

(2) Cassation, 8 novembre 1864 (Dalloz, 1865, 1, 374.)

matière. En définitive, on ne sait pas ce qui est cause et ce qui est moyen; de sorte que l'on peut toujours plaider que la cause est un moyen et que le moyen est une cause. Dans une première instance, on demandait la rescision d'un acte de partage pour cause de lésion. Le procès fut terminé par une transaction. Longtemps après, on demanda ia nullité de l'acte comme contenant aliénation d'un immeuble dotal. On opposa la chose jugée. Y avait-il cause nouvelle ou moyen nouveau? Dans notre opinion, la question ne peut pas même être posée. La cour de cassation décida qu'il y avait cause nouvelle, et partant pas de chose jugée, mais sans motiver sa décision (1). Jusqu'ici nous n'avons pas encore rencontré un seul arrêt de la cour de cassation qui fût motivé en matière de cause: faut-il s'étonner si les plaideurs soutiennent des choses insoutenables?

Y a-t-il identité de cause entre une demande fondée sur la nullité du consentement et la demande fondée sur la lésion? Voilà une de ces questions qui ne devraient pas être portées devant les tribunaux : le langage même de la loi, comme le dit la cour de Chambéry, proteste contre l'identité de deux causes qui sont régies par des principes essentiellement différents. Ce qui, dans l'espèce, prêtait à quelque apparence de doute, c'est que, dans l'instance en nullité, il avait été parlé de lésion; mais il ne suffit pas que l'on parle d'une cause pour qu'il y ait décision et même débat; on ne débat réellement que ce qui fait l'objet des conclusions, et les conclusions ne portaient pas sur la rescision pour cause de lésion (2).

Y a-t-il identité de cause entre une demande en révocation d'une donation fondée sur la survenance d'enfant et la demande en réduction pour fournir la réserve? S'il y avait un principe arrêté sur la cause, la question que nous venons de poser n'aurait certes pas divisé une cour d'appel et la cour de cassation. La survenance d'un enfant anéantit la donation, en la révoquant de plein droit; tan

(1) Rejet, 15 juin 1837 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 3806). (2) Chambéry, 31 août 1861 (Dalloz, 1862, 2, 159)

dis que la réduction suppose que la donation existe. Ainsi la différence est radicale. Sans doute l'effet peut être le même, au moins quant à la propriété; on en concluait que dans les deux procès il s'agissait d'un combat de propriété. Voilà un de ces mots qui tiennent lieu d'idées et de principes. La propriété peut être contestée pour bien des causes est-ce à dire que toutes ces causes se confondent et n'en forment qu'une seule, parce qu'elles impliquent toutes un combat de propriété? S'il en était ainsi, il faudrait effacer de l'article 1351 la seconde condition exigée pour qu'il y ait chose jugée, car il y aurait toujours identité de cause (1).

No 4. ACTIONS DIVERSES Découlant d'UNE MÊME CAUSE.

81. Les auteurs posent encore comme principe que lorsque deux actions principales découlent concurremment d'une seule et même cause, le jugement intervenu sur l'une d'elles a l'autorité de la chose jugée relativement à l'autre, lors même que cette dernière est plus étendue, ou qu'elle est formée dans un but ou dans un intérêt différent (2). Ce principe est emprunté au droit romain. Pothier l'enseigne; l'exemple qu'il donne fait comprendre le principe et le justifie. Quand la chose vendue est infectée d'un vice rédhibitoire, l'acheteur a deux actions : l'action rédhibitoire proprement dite, par laquelle il demande la résolution de la vente et, par suite, la restitution du prix et des dommages-intérêts s'il y a lieu; l'action appelée quanti minoris, par laquelle l'acheteur ne demande pas la résolution de la vente, mais seulement la restitution d'une partie du prix, à raison de la moins-value que les vices donnent à la chose vendue. L'acheteur a le choix entre les deux actions (art. 1644); mais s'il s'est décidé pour l'action quanti minoris et s'il a échoué, peut-il encore demander la résolution de la vente? Non, dit Pothier, il y a chose jugée, quoique la seconde demande ait un

(1) Cassation, 5 juin 1821, et sur renvoi Bourges, 11 décembre 1821 (Dalloz, au mot Chose jugée, no 202, 1o).

(2) Aubry et Rau, t. VI, p. 501 et note 81, § 769.

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