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tions qu'il ferait, ni par les jugements rendus contre lui. Vainement le propriétaire qui a évincé mon vendeur m'opposerait-il le jugement qui décide que mon vendeur n'était pas propriétaire; ce jugement ne peut pas m'être opposé, parce que je n'y ai pas été partie.

Il en serait autrement si le jugement avait été rendu avant l'acte de vente qui m'est consenti par le possesseur évincé. L'immeuble que j'achète n'est plus dans le domaine de celui qui me le vend, il ne peut me transmettre un droit qu'il n'a pas lui-même. Le propriétaire peut donc revendiquer cet héritage contre moi, sans que je puisse lui opposer que je n'ai pas été partie au jugement qui reconnaît son droit de propriété. J'y ai été partie en ce sens qu'en qualité d'ayant cause je ne puis avoir d'autre droit que mon auteur; or, au moment où mon auteur a vendu, il était jugé qu'il n'avait pas la propriété de cet immeuble, ce jugement peut m'être opposé, puisque je n'ai d'autre droit sur la chose que celui de mon auteur.

Il faut faire la même distinction si le jugement est favorable à mon auteur. S'il est jugé, avec mon auteur, qu'il est propriétaire de l'immeuble que j'achète ensuite, celui qui a succombé dans son action en revendication peut-il encore revendiquer l'héritage contre moi? Non, car j'ai les mêmes droits que mon auteur relativement à la chose qui a fait l'objet du premier jugement; en ce sens, j'ai été représenté par lui dans l'instance en revendication. Si le jugement est rendu postérieurement à l'acte de vente, il sera jugé, à l'égard de mon auteur, que le tiers revendiquant n'est pas propriétaire; mais ce jugement ne me profite pas à moi, car je n'y ai pas été partie ; ni en personne, ni comme étant représenté par mon auteur, tout ce que mon auteur consent, tout ce qui est jugé avec lui depuis mon acte d'acquisition m'est étranger (1).

98. Les lois qui ont été portées en Belgique et en

(1) Pothier, Des obligations, nos 902-904. Toullier, t. V, 2, p. 168, no 199 et tous les auteurs. La jurisprudence est dans le même sens. Voyez Dalloz au mot Chose jugée, nos 245 et 246. Il faut ajouter Liége, 18 février 1828 (Pasicrisie, 1828, p. 59). Rejet de la cour de cassation de Belgique, 23 avril 1847 (Pasicrisie, 1847, 1, 268).

France sur la transcription ont apporté une modification au principe que nous venons de formuler d'après Pothier. Sous l'empire du code civil, la propriété se transférait à l'égard des tiers, comme entre les parties, par le seul effet du contrat; donc, en ce qui concerne la chose jugée, l'acquéreur qui voulait se prévaloir de son acte de vente comme étant antérieur à un jugement n'avait qu'à prouver cette antériorité, c'est-à-dire que l'acte avait acquis date certaine avant le jugement en vertu de l'article 1328. Les lois nouvelles exigent la transcription de l'acte translatif de propriété pour qu'il puisse être opposé aux tiers (1). Il suit de là que l'acquéreur doit faire transcrire l'acte de vente avant l'introduction de la demande en revendication, pour qu'il soit censé être partie dans le jugement qu'il invoque; tant qu'il n'a pas transcrit, son auteur seul est considéré comme propriétaire à l'égard des tiers; lui seul figure au procès, et il ne peut être question de représenter un successeur qui, n'ayant pas transcrit son acte, est par cela même sans droit à l'égard des tiers.

99. Le même principe s'applique à la cession d'une créance. Si un jugement rendu contre le cédant déclare que la créance cédée n'existe pas ou est éteinte, il y a chose jugée à l'égard du cessionnaire quand l'acte de cession est postérieur au jugement. D'après le code civil, la cession doit être signifiée ou acceptée pour pouvoir être opposée aux tiers. Il n'y aura donc chose jugée à l'égard du cessionnaire que si la signification ou l'acceptation sont antérieures à l'introduction de l'instance (2). Si la créance est garantie par un privilége ou une hypothèque, il faut de plus que l'acte de cession soit rendu public, conformément à l'article 5 de notre loi hypothécaire. Nous reviendrons sur les principes au titre des Hypothèques.

100. Il a été jugé que le principe qui régit les ayants cause à titre particulier s'applique aussi au bail. La chose jugée entre le bailleur et le locataire principal peut-elle être opposée au sous-locataire dont le bail a date certaine

(1) Loi hypothécaire belge, article ler. Loi française du 23 mars 1855. Aubry et Rau, t. VI, p. 482 suiv., note 22, § 769.

(2) Aubry et Rau, t. VI, p. 483, note 23, § 769

avant le jugement? Non, dit la cour de Bruxelles. Le locataire principal s'est dessaisi de ses droits avant le jugement par la transmission qu'il en a faite à un sous-locataire; dès ce moment, il a perdu la faculté d'en disposer au préjudice du sous-locataire; celui-ci est, à la vérité, l'ayant cause du locataire principal, mais il ne l'est que pour les actes ou jugements qui ont précédé son bail; quant aux actes et jugements postérieurs, ils ne peuvent pas lui être opposés (1). On voit que la cour applique, à la lettre, au bail ce que Pothier dit de la vente. Il y a un motif de douter très-grave; la vente est un acte translatif de propriété, elle donne à l'acquéreur un droit dans la chose, tandis que le bail ne donne au preneur qu'un droit personnel; l'article 1743 déroge à ce principe, mais il n'en résulte pas que le droit de bail soit un droit réel. La difficulté est donc celle-ci jusqu'où va l'innovation introduite par l'article 1743? Nous y reviendrons au titre du Bail.

101. On suppose que l'ayant cause a connaissance du procès engagé depuis son acquisition entre le vendeur et un tiers sur la propriété de la chose. Il s'abstient d'y intervenir, il ne notifie pas son titre au tiers. Doit-il, à raison du seul fait de son silence et de son inaction, être considéré comme ayant été représenté dans l'instance par son auteur? La négative est si évidente, que l'on ne concevrait pas même qu'elle fût mise en question, si ce n'était la tradition. Dans l'ancien droit, on admettait que le jugement rendu contre le vendeur postérieurement à la vente avait l'autorité de la chose jugée contre l'acquéreur qui avait eu connaissance du procès. Cette jurisprudence était fondée sur des lois romaines, qui présumaient que l'ayant cause s'en rapportait à son auteur pour la défense de ses droits, au lieu d'intervenir lui-même dans l'instance pour les défendre (2). C'était présumer la renonciation à un droit. Cela suffit pour rejeter l'ancienne docrine sous l'empire de notre code. Quelle que soit l'autorité

(1) Bruxelles, 20 juin 1864 (Pasicrisie, 1865, 2, 385). (2) Merlin, Répertoire, au mot Tierce opposition.

de la tradition en cette matière, on doit l'écarter alors qu'il s'agit d'une présomption contraire aux principes généraux de droit, car la renonciation ne se présume jamais. Il faudrait donc un texte formel pour que l'on pût admettre que l'ayant cause se soumet à un jugement où il n'a pas été partie (1).

3. DES CRÉANCIERS CHIROGRAPHAIRES,

102. Les créanciers chirographaires sont aussi les ayants cause de leur débiteur. Néanmoins l'on admet qu'ils sont toujours représentés par leur auteur dans les procès où celui-ci figure, quand même que le titre de leur créance serait antérieur au jugement. Quelle est la raison de cette différence entre les créanciers personnels et les ayants cause qui ont un droit réel dans la chose? C'est précisément parce que les créanciers chirographaires n'ont pas de droit réel sur les biens de leur débiteur, qu'ils sont liés par les jugements où leur débiteur est partie. Il est vrai que les biens du débiteur sont leur gage, mais en quel sens? C'est seulement quand le débiteur ne satisfait pas à ses engagements que les créanciers personnels ont une action sur ses biens, et ils ne peuvent saisir que les biens que leur débiteur possède au moment de la poursuite; n'ayant pas de droit réel, ils ne peuvent suivre entre les mains des tiers les biens que le débiteur a aliénés, alors même que ces biens lui auraient appartenu au moment où ils ont traité avec lui. Si les conventions par lesquelles le débiteur aliène ses biens peuvent être opposées à ses créanciers, à plus forte raison peut-on leur opposer les jugements par suite desquels le patrimoine du débiteur se trouve diminué; en ce sens, ils sont représentés par leur débiteur dans les instances judiciaires où celui-ci figure. Ils n'ont d'autres droits sur les biens du débiteur que ceux qui lui appartiennent; c'est dire qu'ils doivent prendre le patrimoine du débiteur tel qu'il

(1) Aubry et Rau, t VI, p. 483, note 25, § 769. Larombière, t. V, p. 292, no 108 (Ed. B., t. III, p. 265).

est au moment où ils agissent contre lui, qu'il soit diminué par des jugements ou par des conventions, peu importe. Ce que nous disons des actes d'aliénation s'applique à tout acte concernant le patrimoine du débiteur; les jugements qui reconnaissent à des tiers un droit de servitude, un usufruit, une hypothèque, un bail peuvent être opposés aux créanciers chirographaires, parce qu'ils y sont représentés par le débiteur (1).

103. Les créanciers chirographaires ne sont plus les ayants cause de leur débiteur lorsqu'ils attaquent un acte qu'il a fait en fraude de leurs droits. Ils agissent, en ce cas, en vertu d'un droit qui leur est personnel et qu'ils tiennent, non de leur débiteur, mais de la loi. Ce principe reçoit son application aux jugements. Quand le débiteur se laisse condamner par suite d'une collusion frauduleuse concertée avec un tiers, les créanciers chirographaires peuvent attaquer le jugement par la tierce opposition (2). On ne peut pas dire qu'ils sont représentés par le débiteur, quand celui-ci, au lieu de soutenir son droit, l'abandonne frauduleusement à un tiers; loin de représenter ses créanciers, il est leur adversaire. Il va sans dire que c'est aux créanciers qui attaquent le jugement à prouver la fraude, car le concert frauduleux est le fondement de leur action; s'il n'y a pas de fraude ou, ce qui revient au même, s'ils ne parviennent pas à la prouver, le jugement peut leur être opposé, quelque préjudiciable qu'il leur soit (3).

104. Les créanciers sont-ils représentés par le débiteur dans un procès où il s'agit d'un droit de préférence qu'un tiers réclame sur le patrimoine du débiteur? Il y a sur cette question deux arrêts de la cour de cassation qui paraissent contradictoires, et la doctrine aussi est divisée. Ne faut-il pas distinguer si le débat s'agite entre créanciers chirographaires, ou si les créanciers sont hy

(1) Aubry et Rau, t. VI, p. 483 suiv., note 26. Marcadé, t. V, p. 192, no XII de l'article 1351. Colmet de Santerre, t. V, p. 630, no 328 bis XVI. (2) Larombière, t. V, p. 298, n° 115 (Ed. B., t. III, p. 267). Rejet,chambre civile, 14 novembre 1853 (Dalloz, 1853, 1, 325).

(3) Bruxelles, 20 avril 1826 (Pasicrisie, 1826, p. 123).

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