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en cause; c'est un moyen bien facile de prévenir les inconvénients à raison desquels on veut faire dire à la loi le contraire de ce qu'elle dit.

106. La jurisprudence est contraire à notre opinion. mais elle n'a guère d'autorité en cette matière, car la plupart des arrêts ne donnent aucune raison. Est-ce un motif que de dire: Attendu que le créancier est représenté par son débiteur? C'est précisément là la question, et affirmer n'est pas prouver. Il y a plus : la cour de cassation semblait avoir abandonné la doctrine de Merlin, et l'on pouvait espérer qu'elle reviendrait à l'opinion qui a pour elle le nom de Pothier (1). Mais les derniers arrêts consacrent de nouveau l'ancienne jurisprudence. Nous nous bornons à la constater. La cour dit que le débiteur est le représentant naturel de ses créanciers, ce qui est vrai des créanciers chirographaires, mais cela n'est pas vrai des créanciers hypothécaires. La cour semble néanmoins faire une concession à l'opinion générale des auteurs. Quand les créanciers n'ont d'autres droits à faire valoir que ceux qu'ils tiennent de leur débiteur et que celui-ci avait vainement soutenus, il y a chose jugée; la cour oublie que cette identité de cause et de moyens se présente presque toujours quand un ayant cause soutient, dans une seconde instance, ce que son auteur a vainement soutenu dans une première instance, ce qui n'empêche pas que l'ayant cause puisse renouveler le procès. Mais, dit la cour, les créanciers ont souvent des droits personnels qu'eux seuls peuvent invoquer; par exemple, quand il y a un concert frauduleux entre le vendeur et l'acheteur, ou quand l'acte authentique de vente porte quittance et que la résolution n'est obtenue qu'en vertu d'une contre-lettre qui est sans force contre les tiers; enfin quand le vendeur, ayant négligé de conserver son privilége, a perdu le droit d'exercer l'action résolutoire, au préjudice des créanciers inscrits. Dans ces cas, dit la cour, et dans tous les cas semblables, les créan

(1) Rejet, chambre civile, 28 août 1849 (Dalloz. 1850, 1, 57). Voyez l'état de la jurisprudence dans une note de Dalloz, 1860, 1, 17.

ciers n'étant pas représentés par leur débiteur, le juge. ment rendu avec lui seul n'a pas force de chose jugée contre eux (1). A notre avis, cette concession n'est point. suffisante et elle témoigne même contre la jurisprudence. En effet, les créanciers ont toujours un droit qui leur est propre quand ils sont hypothécaires; puisqu'ils ont un droit dans la chose aussi bien que les ayants cause auxquels le débiteur a vendu la chose avant le jugement et ceux auxquels il a concédé un droit de servitude ou d'usufruit. Les cours d'appel résistent toujours, comme le prouvent les arrêts de cassation que la cour suprême prononce (2). Nous ne doutons pas que la cour ne revienne sur sa jurisprudence quand la question sera portée devant les chambres réunies.

107. Pothier dit que le débiteur n'est jamais représenté par ses créanciers, ni l'auteur par ses ayants cause (3). Cela est d'évidence; les créanciers et les successeurs à titre particulier n'ont aucune qualité pour représenter celui de qui ils tiennent leur droit. Je revendique un immeuble contre celui qui le possède à titre d'acquéreur et j'obtiens gain de cause. Si le vendeur en réclame le délaissement contre moi, je ne puis pas lui opposer le jugement que j'ai obtenu contre son ayant cause, quand même le vendeur n'aurait pas d'autres droits à faire valoir que son acquéreur; cela prouve que la distinction que fait la cour de cassation, en ce qui concerne les créanciers hypothécaires (n° 106), n'a aucun fondedement. Il a été jugé en matière fiscale que le jugement qui ordonne l'exécution de la contrainte décernée contre l'acquéreur ne saurait préjudicier au vendeur qui n'a point été en cause; celui-ci reste maître d'arguer la vente de nullité, et de s'opposer à la saisie pratiquée par la régie sur le fonds aliéné (4). De même les jugements rendus

(1) Cassation, 6 décembre 1859 (Dalloz, 1860, 1, 17); 13 décembre 1864 (Dalloz, 1865, 1, 142. Rejet, 15 juillet 1869 (Dalloz, 1871, 1, 248). (2) Comparez Nancy, 22 février 1867 (Dalloz, 1867, 2, 101).

(3) Pothier, Des obligations, no 905. Toullier, t. V, 2, p. 170, no 200 et tous les auteurs.

(4) Cassation, 22 mai 1811 (Dalloz, au mot Enregistrement, no 221).

entre le propriétaire et un sous-locataire n'ont point force de chose jugée contre le locataire principal qui n'y a point été partie, et les décisions rendues contre les locataires ne font point force de chose jugée à l'égard des propriétaires.

5. DES MANDATAIRES.

108. Les mandataires représentent le mandant : c'est là l'objet du mandat. De là suit que le mandant ne peut attaquer une décision qui a obtenu l'autorité de la chose jugée contre son mandataire (1). Le mandant représentet-il aussi le mandataire? Oui, s'il a ratifié ce que le mandataire a fait. Voici l'espèce qui s'est présentée devant la cour de cassation. Le débiteur réclame et obtient des dommages-intérêts à raison du commandement tendant à saisie immobilière et de la procédure en expropriation indûment dirigée contre lui par ses créanciers. Après l'exécution de la condamnation, il demande des dommages-intérêts à raison du même fait contre l'avoué qui avait intenté les poursuites. Cette seconde demande a été repoussée. Sur le pourvoi en cassation, la cour dit que l'avoué contre lequel la seconde demande était dirigée avait été représenté dans la première instance par ses mandants; en effet, les créanciers avaient ratifié l'acte de l'avoué leur mandataire en persistant à donner suite après sommation et, par conséquent, en pleine connaissance de cause, au commandement préparé dans l'étude de l'avoué. Si le mandataire représente le mandant quand il exécute le mandat, le mandant, qui a ratifié, représente à son tour le mandataire lorsqu'il défend ses actes et fait valoir l'exécution du mandat. C'est précisément parce qu'il le représente, qu'il est attaqué en responsabilité. Le demandeur, ajoute la cour, n'a pas le droit de se plaindre, puisqu'il a fait valoir ses droits contre le man

(1) Voyez les arrêts rapportés dans le Répertoire de Dalloz, au mot Chose jugée, no 254.

dant et qu'il dépendait de lui de faire assigner en même temps le mandataire (1).

109. Il y a un mandataire dont la mission a un caractère tout spécial, c'est l'exécuteur testamentaire; c'est le testateur qui le nomme, et il représente les héritiers et les légataires. Ce qui est jugé avec lui fait-il chose jugée à l'égard des légataires et des héritiers (2)? Nous renvoyons à ce qui a été dit, au titre des Testaments, sur cette matière.

110. Les mandataires légaux représentent ceux dont ils administrent les biens. Aux termes de l'article 450, le tuteur représente le mineur dans tous les actes civils. Pothier applique ce principe à la chose jugée. « Si le tuteur d'un mineur a formé une demande contre moi, dont le juge m'a donné congé, et que ce mineur devenu majeur intente contre moi la même demande, je puis lui opposer l'exception de chose jugée; car le jugement rendu contre le tuteur est réputé rendu contre le mineur, qui était la véritable partie, par le ministère de son tuteur (3). » Il va sans dire que l'on applique à ce cas les principes généraux qui régissent la chose jugée; il faut donc que l'objet soit le même, ainsi que la cause. Un jugement ordonne la vente sur licitation d'un immeuble indivis entre des mineurs et leur père: peut-on l'opposer aux mineurs dans une instance nouvelle où il s'agit de la propriété de l'immeuble? Non, parce que le premier jugement n'a rien décidé quant à la propriété (4).

Le mari est administrateur légal des biens de la femme sous le régime de la communauté, de même que sous le régime exclusif de communauté et sous le régime dotal; comme tel, il a les actions mobilières et possessoires qui appartiennent à sa femme, et même les actions réelles, quant aux biens de la femme dotale (art. 1428 et 1549). Donc ce qui est jugé avec le mari a l'autorité de la chose

(1) Rejet, 23 avril 1855 (Dalloz, 1855, 1, 161).

(2) Bourges, 17 janvier 1829 (Dalloz, au mot Chose jugée, no 239). Comparez le tome XIV de mes Principes, r. 386, no 362.

(3) Pothier, Des obligations, no 900. Duranton, t. XIII, p. 538, no 504 et tous les auteurs. Rejet, 7 janvier 1857 (Dalloz 1857, 1, 151).

(4) Douai, 8 janvier 1841 (Dalloz, au mot Chose jugée, no 234).

jugée à l'égard de la femme (1). Le principe est incontestable; cependant il a été méconnu par la cour de Bordeaux dans l'espèce suivante. Une succession mobilière échoit à une femme dotale; le mari la représente dans l'instance en liquidation; le jugement qui homologue l'acte de liquidation a l'autorité de la chose jugée au profit de la femme comme il l'aurait contre elle. La conséquence, ainsi formulée, n'est point douteuse. Mais l'acte de liquidation attribuait à la femme, donataire du défunt, la quotité disponible et la réserve cumulées, à raison de sa renonciation à la succession; la cour de Bordeaux décida que le jugement ne pouvait être invoqué par la femme; en ce qui concernait le cumul, il ne maintint l'attribution que pour la quotité disponible. Cette décision, juste en droit, violait l'autorité de la chose jugée : le mari avait le droit d'agir au nom de sa femme en vertu des articles 1428 et 1549. En effet, quel était l'objet de l'action? La femme ayant renoncé à la succession pour s'en tenir à la donation qui lui avait été faite, avait une créance à exercer de ce chef contre la succession; c'était au mari que cette action appartenait, donc ce que le tribunal avait jugé concernant le montant de la créance était jugé avec la femme représentée par son mari. L'arrêt a été cassé et il devait l'être (2).

Le même principe s'applique au mandat judiciaire. Les envoyés en possession représentent l'absent, d'après les distinctions que nous avons faites au titre de l'Absence. Les agents et syndics d'une faillite représentent la masse des créanciers quant aux droits qui leur sont communs. Un jugement rendu entre l'agent d'une faillite et le failli décide que ce dernier n'est pas commerçant : ce jugement a force de chose jugée contre les créanciers (3).

111. Il se présente une difficulté pour les mandataires légaux ou judiciaires. Tous n'ont pas le même pouvoir : ainsi le mari a des pouvoirs plus étendus sous le régime dotal qué sous le régime de la communauté, et ses pou

(1) Duranton, t. XIII, p. 536, no 503.

(2) Cassation, 14 aoùt 1865 (Dalloz, 1865, 1, 264).

(3) Bruxelles, 20 décembre 1822(Pasicrisie, 1822, p. 306).

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